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La presse européenne suivra-t-elle la nouvelle modération de l’opposition vénézuélienne ?

Après la nouvelle réélection de Chavez, peut-on encore présenter celui-ci comme le grand Satan d’Amérique latine ? Pour Jorge Magasich, spécialiste de ce continent, la réponse est clairement non. Et l’opposition à Chavez l’a bien compris.

Le fait le plus marquant des élections présidentielles vénézuéliennes, ce 7 octobre, n’est probablement pas la troisième réélection d’Hugo Chavez avec 55%, plutôt attendue, mais le changement de ton et de style du candidat de l’opposition, Henrique Capriles, qui a obtenu 44%.

Au delà du débat sur la sincérité de ses propos -nouvelle perception ou stratégie conseillée par ses spécialistes en communication ?-, il y a un fait nouveau. Cette fois l’opposition a compris qu’invectiver à outrance et crier à la dictature n’avait guère de liens avec la réalité du pays et qu’un tel discours la mettait hors jeu. Désormais, elle reconnaît certains progrès sociaux et ne conteste plus le caractère démocratique du régime. Cette nouvelle donne confronte maints journalistes et chroniqueurs européens, souvent farouchement opposés au gouvernement bolivarien, à un dilemme : suivront-ils l’évolution de l’opposition vénézuélienne ?

Austérité et privatisations

Quand la majorité des Vénézuéliens s’est tournée vers Chavez en 1998, le pays se trouvait sous les coups d’une politique d’austérité, très dure pour les démunis. Pendant des décennies, le Venezuela avait été gouverné par deux partis : le COPEI, lié aux sociaux-chrétiens, et l’Action Démocratique (AD), membre de l’Internationale socialiste. Pendant les années 1960 ces partis avaient nationalisé le pétrole et pris l’initiative de créer l’OPEP pour éviter la baise des prix du brut. Mais au cours des années 1980 l’un et l’autre seront rongés par la corruption, dilapideront les revenus pétroliers et endetteront le pays, finissant par accepter un plan d’ajustement rédigé par le FMI. L’augmentation du prix de l’essence et des transports provoque une explosion de mécontentement populaire à Caracas. Officiellement il y a 300 morts, officieusement 3.000.

A la fin des années 1990, le COPEI et AD préparaient la privatisation de la Compagnie pétrolière (PDVSA), à l’instar de l’YPF argentine, vendant des parts à Exxon, Chevron, et d’autres multinationales. En même temps, ils s’apprêtent à sortir de l’OPEP, pour se dégager des quotas et produire de grandes quantités de brut à bon marché.

Dès son élection en décembre 1998, Hugo Chavez obtient une nouvelle constitution qui garantit des droits sociaux et, surtout, arrête le processus de privatisation du pétrole. De nouvelles lois garantissent sa propriété publique. En cas d’association avec des compagnies étrangères, la participation de la PDVSA doit être supérieure à 50%.

Complots et boycotts ne paient pas

La première réaction des élites, habituées à régner sans contrepoids, est de tenter de renverser ce gouvernement. Les syndicats patronaux organisent la déstabilisation, imitant les méthodes utilisés contre Salvador Allende au Chili, en 1972-73. La crise, fabriquée, devait provoquer une " intervention " militaire. S’ensuivent grèves et manifestations agressives des associations de la classe moyenne, sur un fond de campagnes de presse déversant un flux d’invectives inimaginables, et cela avec l’aide de Washington.

Pourtant, le putsch d’avril 2002 échoua grâce a la loyauté de nombreux militaires et à une colossale mobilisation populaire. Or, malgré cet échec, les tentatives d’abattre le gouvernement continuent. Les administrateurs de la PDVSA, acquis à la privatisation, organisent en 2003 une grève qui paralyse l’entreprise pendant 62 jours, entrainant des pertes de 14 milliards d’U$. Enfin, l’opposition refuse de participer aux élections parlementaires de 2005.

Mais après une décennie de complots et de boycotts, l’opposition constate que cette stratégie ne paie pas. Au contraire. Peut-on continuer à crier au " dictateur " contre un chef d’État qui, entre 1998 et 2012, a gagné quatre élections présidentielles, deux législatives, et quatre des cinq référendums ? Plus, peut-on continuer à dénoncer une situation chaotique là où le nombre de pauvres est tombé en flèche et où des millions de personnes ont désormais accès à la santé et à l’éducation gratuite ? La réalité est que les déshérités vivent mieux et que, malgré la corruption et l’insécurité qui persistent, la société vénézuélienne est plus politisée. Dans le bon sens du terme.

En 2012 Capriles se montre bien différent de ce bourgmestre exalté qui, en 2002, se mêlait, lors de la tentative de putsch, à la foule qui assiégeait l’ambassade de Cuba et exigeait de visiter les locaux pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’exilés [1]. Aujourd’hui il se présente comme un " progressiste " mesuré, comparable à Lula, désireux de conserver une partie des acquis sociaux, et reconnaissant sans rebiffer la correction du processus électoral.

Le respect d’un choix démocratique

Ceci contraste avec le traitement que des médias comme El Paà­s, Le Monde, Libération, et parfois la presse nationale, ont réservé au Venezuela. Une couverture qui sort souvent des limites du journalisme, même du journalisme d’opinion, pour participer aux campagnes de déstabilisation d’un gouvernement élu. Moyennant quelques mises hors contexte, ou simplement des montages, ils ont fait porter au " moribond " Chávez le Sanbenito [2] des péchés modernes, le comparant même à Hitler et Mussolini : dictateur, populiste, antisémite, pro-iranien lié au terrorisme islamiste, allié des FARC, autoritaire collectiviste, fossoyeur de la liberté de presse, gauche de la gauche…[3]

Il est donc temps qu’à l’instar de l’opposition vénézuélienne, les médias européens qui tirent à boulets rouges contre Chávez, réexaminent cette politique. Leur lectorat a le droit de savoir pourquoi la majorité des Vénézuéliens, spécialement les plus démunis, continuent à soutenir le projet bolivarien. Si leur défense d’un certain ordre mondial est sans doute légitime, celle des peuples qui ont choisi une option différente l’est également. Et ce choix démocratique mérite le respect.

Jorge Magasich, chargé de cours à l’IHECS

http://www.rtbf.be/info/opinions/detail_la-presse-europeenne-suivra-t-...

Professeur d’histoire contemporaine, d’Amérique latine et des relations Nord-Sud, Jorge Magasich a fuit la dictature de Pinochet et fait ses études en Belgique. Il y a défendu une thèse sur les militaires qui ont refusé de participer au coup d’état contre Allende publiée au Chili : "Los que dijeron " No " Historia del movimiento de los marinos opuestos al golpe de Estado de 1973", (Santiago, 2008)

[1] Le document filmique de Pedro Palacios " Asedio a una embajada " a enregistré le dialogue entre Capriles, alors maire de Baruta, et l’ambassadeur de Cuba qui refuse l’inspection.

[2] Écriteau portant les péchés des condamnés par l’inquisition espagnole, signe d’ignominie.

[3] Un exemple est le montage produit par l’AFP lors de la visite de Mahmoud Ahmadinejad en janvier 2012 : Hugo Chavez serait disposé à bombarder les États-Unis depuis Caracas !


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