A la veille du XIVème Sommet de la francophonie organisé à Kinshasa du 12 au 14 octobre 2012, le Président français François Hollande a distribué les bons points et les mauvais… La palme d’or est revenue à deux pays : le Qatar et la Turquie qu’il a tenu à saluer pour leur attitude et/ou leur retenue en tant que chantres de la démocratie et/ou de l’action humanitaire à l’égard du « conflit syrien » ! Les mérites de l’Émir qatari faisant couler beaucoup d’encre dans notre bel Hexagone, laissons nos parlementaires et responsables démocrates, tel Monsieur Yves Bonnet ancien Préfet et ancien Directeur de la DST, éclairer le débat comme il l’a fait sur France 5. Puis, après avoir écouté ou lu les points clés de l’intervention de notre Président sur France 24, intéressons-nous au dessous des « cartes », notamment celle correspondant à cette fameuse « zone tampon », couloir humanitaire ou zone protégée, c’est comme on voudra, et qui tarde à se concrétiser pour nos ex et actuel gouvernements, pressés d’en finir avec l’État syrien, sa géographie, son peuple, sa civilisation, son Histoire et ses infrastructures qu’on n’a pas fini de démolir… Un petit bout de carte parmi d’autres cartes remaniées pour les besoins de l’Occident, un siècle après l’autre… Simple « Re-partition » d’un Moyen-Orient, éternellement convoité, et qu’on espère bien concrétiser le moment venu coûte que coûte !
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I. Les points clés de l’intervention de Monsieur Yves Bonnet sur France 5 [1]
[…] Il y a tout de même une propagande salafiste. Il faut quand même appeler un chat, un chat ! Il y a des pays étrangers, deux en particulier : le Qatar et l’Arabie saoudite… Ils ne se contentent pas seulement de payer les footballeurs du PSG ! Quand je vois le Qatar se préoccuper de la situation dans nos banlieues… De quoi se mêle-t-il ? C’est une grande démocratie le Qatar ! Tout le monde sait qu’il y a une vie démocratique… J’ai été Préfet, je trouve absolument intolérable qu’un certain nombre de pays étrangers viennent s’occuper de la situation de nos banlieues… Et l’Arabie saoudite ? Quelle est la tolérance religieuse de ce pays ? Ce sont des pays qui sont la négation même de l’expression démocratique. Et ce sont ces pays qui viennent s’occuper de nos affaires… Il y a une propagande salafiste ! Tout le monde sait qu’aujourd’hui les propagandes salafistes, mais pas seulement en France, dans les pays de l’Afrique sub-saharienne aussi, sont payées par l’Arabie saoudite et le Qatar ! Moi, je pense qu’il faut tout de même que nous posions le problème de façon assez claire avec ces pays qui se prétendent nos alliés, nos amis…
[…] Ce que je voudrais dire aussi, si vous permettez de donner un petit coup de projecteur de plus haut. C’est que nous sommes, nous qui sommes une démocratie, en train d’assimiler en quelque sorte, par ce vieux processus français, des populations nouvelles qui sont des populations musulmanes et qui globalement ne posent pas de problèmes… Et, nous sommes aux confluents de deux grandes stratégies. Il y a eu la stratégie américaine de démolition de tous les régimes arabes laïcs. Ca a été fait systématiquement. On voit les merveilleux résultats ! Avec, je me permets de le dire et je vous le dis quand même, le problème des Chrétiens d’Orient dont personne ne parle… qui ont disparu… qui sont en train de disparaître de l’Irak… qui vont disparaître de la Syrie ! Et moi, je suis désolé, je ne vois pas pourquoi on n’y prêterait pas attention ! Je pense qu’il y a là un gros problème aussi…
[…] Alors, il y a cette stratégie américaine de démolition des régimes arabes laïcs suspectés d’entretenir des relations plus ou moins sympathiques avec L’Union soviétique. Ce sont quand même les Américains qui ont fabriqué Al-Qaà da… je suis désolé, ça c’est un fait qui n’est plus contesté par personne ! Deuxième chose : il y a cette stratégie des pays du Golfe qui est de faire monter le salafisme, de le répandre un peu partout… je pense que nous sommes bien d’accord. Je dis au passage d’ailleurs, que le terme d’antisémite, moi, ne me convient pas du tout, parce que les arabes sont des sémites et que vous avez les deux tiers des juifs qui ne sont pas sémites… mais enfin, passons ! Alors parler de judéo-phobie… non mais, parlons français ! Ces deux politiques ont convergé parce que ces deux pays du Golfe, et en particulier le plus puissant est l’allié indéfectible des États-Unis. Et nous, nous sommes pris dans cette espèce de maelstrom où nous essayons de préserver notre identité, notre démocratie avec beaucoup de difficultés. Mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain. Je pense que nous sommes tout de même dans une société qui est en voie d’apaisement sur le plan de la vie entre les communautés…
[Transcription partielle de l’émission, mais mot à mot.]
II. Les points clés de l’intervention du Président Hollande sur France 24 [2]
[…] Le Qatar soutient l’opposition à Bachar el-Assad après avoir été, je le rappelle, dans l’Histoire récente… un de ses soutiens. Il est dans l’opposition. Il veut favoriser l’opposition. Nous aussi ! La France aussi ! Nous disons donc qu’il faut fédérer l’opposition et il faut préparer l’après Bachar el-Assad ! Et cette transition doit être une transition vers la Démocratie… pas vers le chaos… vers la démocratie… c’est-à -dire que le projet doit réunir toutes les forces de l’intérieur, et de l’extérieur, qui demain voudront une Syrie libre et démocratique ! Le Qatar a sa place. Il peut aider. Il peut soutenir et nous le faisons en bonne intelligence. Mais pour nous, il n’est pas question de fournir des armes, et nous l’avons dit… à des rebelles dont nous ne saurions rien des intentions. Pour les « territoires qui ont été libérés », j’ai demandé à ce que ces territoires puissent être protégés. Ensuite, j’ai dit au Qatar, mais pas simplement au Qatar, qu’il mène des « oeuvres humanitaires » dans un certain nombre de pays… dont le Mali ! Je leur ai dit : « Faites attention, vous pensez parfois être dans l’humanitaire et vous pouvez, sans que vous ne soyez pour autant responsables, vous retrouver à financer des initiatives qui peuvent être au bénéfice des terroristes ». Ils m’ont répondu… les autorités du Qatar, et donc… l’Émir et son Premier ministre, qu’ils sont extrêmement vigilants par rapport à cela, et je veux les croire ! Donc… je suis dans une position où je ne laisse rien passer !
[…] Plus tôt Bachar partira, plus sûre sera la transition en Syrie… Plus le conflit dure, plus les risques ensuite sont grands… risque d’abord de guerre civile, risque de chaos après… ou de « partition ». Je m’y refuse ! Donc… la France, elle est aux avant-postes. Elle a beaucoup été « regardée » ces derniers mois… depuis mon élection ! Regardez ce que nous avons fait. C’est nous qui avons demandé que l’opposition puisse se réunir, ce qui a été fait d’ailleurs, au mois de Juillet, ici, à Paris… et se fédérer dans un « gouvernement provisoire » ! Nous avons été les premiers à le dire ; les premiers à dire aussi qu’il fallait « protéger les zones libérées » ; premiers à faire en sorte qu’il puisse y avoir une « aide humanitaire »… ce que nous faisons en Jordanie [3] ; premiers à dire également que nous devons nous coordonner pour que les « personnes déplacées et les réfugiés » puissent être accueillis dans de bonnes conditions, notamment pour l’hiver qui arrive ; premiers à dire que nous devons tout faire pour que Bachar el-Assad parte et que nous trouvions une solution, y compris proche de lui… J’ai entendu la proposition de la Turquie par rapport au vice-président [4]. Il y a des personnalités « encore » en Syrie, qui peuvent être des solutions de transition, mais il n’y a pas de compromis avec Bachar el-Assad !!!
[…] La Turquie a été « particulièrement retenue » et je veux saluer l’attitude de ses dirigeants, parce qu’il y a eu des agressions, il y a eu des provocations [5] ! Donc… la Turquie fait tout pour éviter le déchaînement… qui serait d’ailleurs dans l’intérêt de la Syrie : « Créer un conflit international qui pourrait souder la Syrie contre un agresseur supposé venir de l’extérieur » ! Donc… nous devons tout faire pour que le conflit syrien, plus exactement, « la Révolution syrienne » ne fasse pas de débordements en Turquie, au Liban, en Jordanie. Donc… ma responsabilité est très grande, parce que la France veut que le Liban garde son intégrité ! Ma responsabilité est grande parce que je soutiens ce qui se passe en Jordanie [6]… là aussi, un processus démocratique… et puis des réfugiés qui sont quand même très nombreux !
[Transcription partielle de l’émission, mais mot à mot.]
III. La carte de la « zone tampon » qu’Erdogan tarde à concrétiser [7]
Le projet d’une « zone tampon » en territoire syrien, que le gouvernement turc voudrait mettre à exécution par le feu et le sang en massant et en soutenant les « bandes armées » venues de tout horizon à travers la frontière nord et nord-ouest de la Syrie, concerne une région qui devrait s’étendre du poste frontière syrien d’Al-Salama jusqu’à la côte nord en passant par la région d’Idlib [8] ; les points cibles essentiels à sa concrétisation étant les suivants :
1. A’zaz et les petites villes situées au nord d’Alep, notamment Maaret Al-Nouman, Khan Shaykhun et Jisr al-Shughour se situant autour de la ville d’Idlib, que l’opposition armée destine à devenir sa capitale grâce à l’appui du voisin turc !
Cette zone représente 5% de la superficie de la Syrie, est densément peuplée [17% de la population], est riche de ses élevages et de son agriculture [40% des surfaces agricoles]. Elle permettrait d’ouvrir la voie vers la côte méditerranéenne en passant par la belle région dite des Al-Kassatel , puis Kassab, Al-Hafa, et les villages turkmènes et kurdes de la campagne environnant Lattaquié, sans oublier la jonction escomptée avec le « Sandjak d’Alexandrette » usurpé suite au « Traité de Lausanne » de 1923.
En effet, il est important de noter que ces localités quasi frontalières de la Turquie sont caractérisées par une population mixte d’arabes et de turkmènes encore influencés par la culture, les traditions et les coutumes turques. D’où la manoeuvre du gouvernement turc précédant la concrétisation de « son complot armé » et qui a consisté à gagner la confiance des Syriens de cette zone en leur facilitant les passages aller-retour de la frontière et, chemin faisant, la contrebande lucrative d’armes expédiées ensuite aux quatre coins du pays en prélude à la création de la nécessaire zone tampon, une fois les opérations armées portées à leur paroxysme dans Alep, ses zones d’accès à Idlib, et tout autour de la ville de Lattaquié.
C’est ainsi que le gouvernement d’Erdogan a planifié l’isolement de ce riche et stratégique territoire du nord-ouest syrien avant de l’annexer à la Province du Hatay correspondant à peu près au Sandjak d’Alexandrette limitrophe préalablement annexé. Finalement, cela reviendrait à concrétiser le plan du mandat français du siècle dernier visant la partition de la Syrie en trois petits états, tel que l’illustre le drapeau à « trois étoiles » brandi par les soi-disant valeureux révolutionnaires de la liberté !
2. Jabal Al-Zawiya dont le relief accidenté a grandement aidé les bandes armées à se propager pour tenter de contrôler la région dès le début de la dite « crise syrienne », et où elles se sont réfugiées fuyant l’armée régulière syrienne dès qu’elle est arrivée à Idlib.
3. Maaret Al-Nouman devenue le refuge, l’arsenal, et la base principale de redéploiement de ces bandes, maintenant que Jabal al-Zawiya a tenu ses promesse.
4. La province d’Idlib particulièrement stratégique du fait qu’elle se situe au point de convergence de trois grandes villes : Alep, Hama, Homs jusqu’à Lattaquié.
Tel est le plan assigné au gouvernement turc qui s’acharne à créer sa fameuse zone tampon sous couvert d’une aide humanitaire prétendument destinée à la protection de « personnes déplacées et réfugiées sur son territoire ». Derrière l’engagement d’Ankara à accueillir et à financer les terroristes djihadistes, en partance vers la Syrie, se profile le rêve néo-ottoman ; celui de restaurer l’hégémonie de l’Empire ottoman déchu sur la région, à commencer par la Syrie !
[Traduction intégrale de l’article original du de Salloum Abdallah pour TopNews-Nasser Kandil].
IV. Carte, parmi d’autres, du « Moyen-Orient redessiné » pour les besoins de l’Occident [9]
« How a better Middle East would look ! » déclarait le colonel Ralph Peters dans le « Armed Forces Journal » des militaires US [10], présentant la refonte du Moyen-Orient comme un arrangement « humanitaire » et « juste ». Selon lui : « Les frontières internationales ne sont jamais tout à fait justes. Mais le degré d’injustice qu’elles infligent à ceux qu’elles forcent à se regrouper ou à se séparer fait une énorme différence… souvent la différence entre la liberté et l’oppression, la tolérance et la barbarie, l’autorité de la loi et le terrorisme, ou même la paix et la guerre ». Comprendra qui voudra !
Sans oublier les tragédies palestinienne, irakienne, libyenne… à vous de juger des conséquences d’un tel cynisme, apparemment partagé par nombre de dirigeants occidentaux, sur les citoyens syriens martyrisés et livrés à la « horde terroriste » soutenue par les puissances civilisées et démocrates, sous couvert de la Responsabilité… de protéger !
Mouna Alno-Nakhal
[Biologiste]
16/10/2012