« Le Mouvement des non-alignés ? Combien de divisions ? » - Appréciation dévalorisante de l’Occident
Du 28 au 30 août s’est tenu à Téhéran le XVIe Sommet des pays non-alignés, et ce, dans l’indifférence la plus totale des pays occidentaux et du black-out des médias occidentaux main stream. Malgré cela, vingt neuf chefs d’État ou de gouvernement ont fait le déplacement, tandis que la majorité des 120 membres de ce mouvement étaient représentés au niveau ministériel. A l’issue de ce sommet, l’Iran prendra pour trois ans la présidence du Mouvement des non-alignés. Le mouvement des non-alignés, lit-on dans l’encyclopédie Wikipédia est une organisation internationale regroupant 118 États en 2008 (17 États et 9 organisations internationales y ont en plus le statut d’observateur), qui se définissent comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale. Le but de l’organisation tel que défini dans la « Déclaration de La Havane » de 1979 est d’assurer « l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non-alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques » et de promouvoir la solidarité entre les peuples du tiers-monde ».(1)
« L’organisation, dont le siège est à Lusaka, en Zambie, regroupe près des deux tiers des membres des Nations unies et 55% de la population mondiale. La Déclaration de Brioni, du 19 juillet 1956, proposée par Gamal Abdel Nasser, Josip Broz Tito, Norodom Sihanouk et Jawaharlal Nehru marque l’origine du mouvement, qui vise alors, dans le contexte de la guerre froide, à se protéger de l’influence des États-Unis et de l’Urss les deux grands qui gouvernaient le monde. Le terme de « non-alignement » a été inventé par le Premier ministre indien Nehru lors d’un discours en 1954 à Colombo. On peut considérer que la Conférence de Bandung, qui avait réuni une trentaine de pays d’Afrique et d’Asie, est une étape importante vers la Constitution du Mouvement des non-alignés Voilà pour l’histoire.(1)
A quoi sert actuellement le Mouvement des non-alignés aujourd’hui ?
Qu’en est-il du mouvement des non-alignés après la disparition du bloc soviétique, l’émergence d’une hyper-puissance et de la doctrine du néolibéralisme et de nouveaux blocs ?
Pour Yves Lacoste, fondateur de l’École française de géopolitique « ce mouvement était unifié et porté par l’idée de la fraternité entre les pays pauvres. Et enfin, il était incarné par des hommes au prestige international comme Tito, Nasser ou Nehru. Ce mouvement s’est fissuré avec la guerre entre le Cambodge et le Vietnam en 1979. Ce conflit a porté un coup très grave à l’idée de Tiers-monde, qui n’a plus grand sens aujourd’hui. Après la chute du mur de Berlin, la fin de l’ex-Yougoslavie et l’extension de la mondialisation, il y a eu comme une éclipse du mouvement des Non-Alignés jusqu’à ce sommet de Téhéran. On assiste peut-être aujourd’hui à un renouveau de celui-ci. Tous les représentants des pays membres ont fait le déplacement à Téhéran, même des pays comme l’Égypte qui n’avait plus de relations avec l’Iran depuis la conclusion des accords israélo-égyptiens en 1980. Les liens privilégiés qui existent entre le président iranien Ahmadinejad et le président vénézuélien Hugo Chavez permettent aux pays sud-américains de retrouver une place qu’ils n’avaient plus depuis les riches heures de Cuba ». (2)
La deuxième vie du Mouvement des non-alignés
Cette audience n’a pas échappé au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, qui a fait lui-même le déplacement. Ces pays sont aujourd’hui animés par la volonté de se démarquer de la diplomatie américaine et européenne, par le projet de peser dans les organes de décision des Nations unies - d’obtenir des places permanentes au Conseil de sécurité - par la volonté d’accéder à l’industrie du nucléaire. L’Inde et l’Afrique du Sud sont aujourd’hui des piliers de ce mouvement. Mais il faut aussi compter avec l’Iran qui, comme on le voit au cours de ce Sommet, veut incarner l’opposition à l’Occident.
Pour Zaki Laïdi, de l’Institut d’études politiques de Paris : le Mouvement des non-alignés exprime la volonté d’un grand nombre de pays de garder ses distance vis-à -vis de l’Ouest. Les grandes heures du mouvement étaient en fait, déjà révolues. Ces grandes heures, c’était les années 1960 et 1970, avec la création du groupe des 77 aux Nations unies ou la revendication, en 1973, lors du Sommet d’Alger, d’un nouvel ordre économique international, portée aux Nations unies l’année suivante par le président Boumediene. Autant de combats pour faire entendre la voix du tiers-monde sur la scène internationale.
Pourtant, le Mouvement des non-alignés - en tous cas certaines de ses idées - suscite un regain d’intérêt. Les années 90 et le début des années 2000 ont vu le renouveau de concepts que ces fondateurs défendaient. L’altermondialisme, par exemple, qui prône un rééquilibrage des relations économiques entre pays riches et pauvres, est l’enfant du tiers-mondisme.
En outre, les pays émergents pèsent de plus en plus sur la scène mondiale. La Chine, bien sûr, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et beaucoup d’autres ébranlent sérieusement les Etats-Unis et les autres Etats occidentaux. Ces nations du Sud réussissent petit à petit, là où les dirigeants du tiers-monde avaient échoué dans les années 1960 et 1970. « Le Mouvement des non-alignés conserve une signification politique en ce qu’il exprime la volonté d’un grand nombre de pays de garder ses distances vis-à -vis de l’Ouest, analyse Zaki Laïdi, Le non-alignement aujourd’hui, c’est ne pas s’aligner complètement sur l’Occident, au moment où, d’ailleurs, on s’intègre de plus en plus dans l’économie mondiale. Plus vous vous intégrez dans la mondialisation, à l’économie capitaliste, plus vous vous dites : dans ce monde quelle marge de manoeuvre et d’appréciation personnelle je garde. » Il reste à savoir si c’est au sein du Mouvement des non-alignés qu’ils peuvent faire entendre leur voix. Il existe aujourd’hui d’autres instances à travers lesquelles ils peuvent s’imposer. A commencer par le G20 qui regroupe les vieilles nations riches et les pays émergents comme l’Inde, la Chine, la Corée du Sud, le Brésil, le Mexique ou l’Afrique du Sud. Un forum aujourd’hui incontournable. Il y a également le groupe informel des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), ou encore le Groupe de Shanghai, qui réunit la Chine, la Russie et les pays d’Asie centrale producteurs de pétrole ou de gaz. « Ce qui est important c’est la proclamation du respect de la souveraineté nationale économique et politique. Et la non-reconnaissance du droit de certains pays à s’autoproclamer communauté internationale, je parle de l’ambassadeur des Etats-Unis suivi dans les minutes qui suivent par les ambassadeurs des pays européens et avec deux ou trois acolytes comme les ’’grandes démocraties’’ l’Arabie Saoudite et le Qatar », martèle l’Egyptien Samir Amin, figure de la mouvance tiers-mondiste et anticapitaliste depuis les années 60 ». (3)
L’énigme Ban Ki-moon
Constants dans leur diabolisation de l’Iran, les pays occidentaux (l’Empire et ses vassaux) ont tout fait pour dissuader Ban Ki-moon de faire le voyage qu’il fit à l’insu de son plein gré. Ce dernier « décida » finalement d’y aller avec des instructions claires. Tancer l’Iran sur son programme nucléaire et ressasser la vieille fausse rengaine faisant dire à Ahmadinejad qu’il veut la destruction d’Israël. Mieux encore pour Ban, la remise en cause de l’holocauste est un crime abominable. : « Je rejette fermement les menaces émises par un État membre (de l’ONU, Ndlr) d’en détruire un autre, ou les commentaires révoltants niant des faits historiques comme l’Holocauste ».
Hypocritement, Ban Ki-moon a rappelé les idéaux du Mouvement aux membres des non-alignés (MNA) et a appelé à une campagne mondiale pour leur mise en place : « Nous devons défendre les idéaux du mouvement que sont la paix et l’égalité et faire des efforts pour la réalisation de ces idéaux. Il a défini le Mouvement comme un élément clé dans le maintien de la paix mondiale et souligné que le MNA devait travailler en coordination avec l’ONU afin que ces institutions internationales, y compris le Conseil de sécurité, soient le reflet de la réalité d’aujourd’hui. A l’instar du Guide suprême, le secrétaire général de l’ONU a décrit la prolifération des armes nucléaires comme « une menace majeure contre les pays du monde », ajoutant que « l’Iran pouvait jouer un rôle constructif dans la lutte contre la prolifération des armes nucléaires ». Il n’explique pas pour autant l’impunité d’Israël sur le dossier nucléaire.
Pour Karim Sadjadpour, chercheur associé : « Manifestement, il apparaît que l’opération de communication de Téhéran a réussi », « L’Iran va se servir de cette caisse de résonance médiatique pour sa propre propagande et ses gesticulations sur la scène internationale. » A l’ouverture jeudi, l’Ayatollah Khamenei a répété que l’Iran « ne cherchera[it] jamais à avoir l’arme atomique ». « Comment expliquer que les pays disposant de la bombe atomique n’aient pas réduit leur arsenal, comme le stipule le Traité de non-prolifération (TNP) ? Comment expliquer que l’Iran, signataire de ce traité, aujourd’hui toujours sous contrôle de l’Aiea, qui ne dispose d’aucune preuve qu’elle cherche la bombe, demeure aujourd’hui la principale menace dans les relations internationales ? Pendant ce temps, d’autres pays, qui n’ont pas signé le TNP, ne posent aucun problème », souligne le chercheur. Le dernier rapport trimestriel de l’Agence internationale de l’énergie atomique sur l’Iran, attendu jeudi ou vendredi, doit révéler que l’Iran a encore augmenté sa capacité d’enrichissement d’uranium, ce que lui permet le TNP, dans un but strictement civil. (4)
120 pays sur 193 à l’ONU, soit plus de 62% de la planète ont un avis à donner
« A partir du moment où des pays refusent la politique du Nouvel Ordre basée sur une rapine des pays vulnérables (BM, FMI, OMC) avec le bras armé de l’Otan, tout est fait pour les discréditer. Depuis la chute de l’Urss, le monde ne s’est jamais aussi mal porté et les pays non-alignés - en majorité arabes et musulmans - sont dépecés au gré de la prédation et de la curée, l’Afghanistan, l’Irak, le Soudan, le Yémen, la Libye, ou reformatés selon le GMO comme la Tunisie, l’Egypte qui, franchement, écrit François Asselineau peut désormais être contre ces grands principes ? Principes qui sont d’ailleurs en parfaite harmonie avec les principes du droit international, tel qu’il a été codifié par la Charte des Nations unies ? Le Guide suprême de la République islamique d’Iran a prononcé le discours d’inauguration du 16e Sommet du Mouvement des pays membres non-alignés au cours duquel il a déclaré que le monde est désormais « en mouvement vers un nouvel ordre international où le Mouvement des non-alignés (2/3 de la population mondiale) peut et doit jouer un nouveau rôle. Ce nouveau système doit être fondé sur la participation de toutes les nations et sur l’égalité de leurs droits. [...] La gestion du monde ne doit pas être exclusivement aux mains de quelques pays occidentaux. » Les médias occidentaux se sont focalisés sur l’incident survenu lorsque le président égyptien Morsi a qualifié le gouvernement d’Assad d’ « oppressif et a souhaité son renversement ». Son intervention a provoqué le départ de la délégation syrienne. Jeudi 30 août, le représentant du commissaire des droits de l’Homme à l’ONU a qualifié de fausses les informations diffusées sur les événements syriens : « Les médias ne couvrent pas tel qu’il le faudrait les incidents en Syrie, les médias accusent le pouvoir en Syrie de tout crime qui y survient alors que nos informations témoignent du contraire. » (5)
L’Iran a marqué un point contre les Occidentaux qui tentent de l’isoler en recevant cette semaine les représentants de 120 pays non-alignés, mais ses efforts pour redorer son prestige international ont été mis à mal par son dossier nucléaire controversé, estiment les analystes.
L’Iran a marqué un point contre les Occidentaux qui tentent de l’isoler L’événement a ’’permis à l’Iran de montrer qu’il a encore des amis et des partenaires en dépit des efforts internationaux pour l’isoler’’, admet Dina Esfandiary, analyste à l’Institut international des études stratégiques (IISS) de Londres interrogée par l’AFP. Publié en plein Sommet, le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est toutefois venu rappeler la controverse autour du programme nucléaire iranien. Les représentants des 120 pays membres ont adopté une déclaration finale affirmant notamment le droit de tous les pays à l’énergie nucléaire pacifique, le refus de toutes sanctions unilatérales et menaces militaires contre un pays, le soutien à la création d’un État palestinien et la nécessité du désarmement nucléaire. Les États-Unis ont réagi en avertissant à nouveau Téhéran que le temps de la diplomatie pour résoudre le problème nucléaire ne durerait pas « indéfiniment ».(6)
Conclusion
Cela dit, ce Sommet s’est tenu en Iran, pays isolé par les Occidentaux qui ont toujours la fâcheuse manie de parler au nom de toute la planète. La volonté de nuire à l’Iran et de perturber le « Sommet du Mouvement des non-alignés » a été manifeste. Malgré des présences intempestives telles que celles des pays « aux avant-postes de la démocratie et des droits de l’Homme » tels que le Qatar et surtout l’Arabie Saoudite. Le Sommet de Téhéran est une réussite puisqu’il a abouti à un rééquilibrage des relations internationales. Ce rééquilibrage constitue une nouvelle étape sur la voie d’un monde multipolaire après celle des trois double veto russe et chinois qui ont empêché les États-Unis d’utiliser « le Conseil de sécurité » pour mettre en oeuvre leurs politiques d’agression.
Ce Sommet de Téhéran, malgré toutes les embûches et les couacs, montre que la vraie communauté internationale est soucieuse de la paix du monde, de l’harmonie et de l’égale dignité des peuples. Aura-t-elle les coudées franches pour asseoir ses idées à l’Assemblée des Nations unies dans les votes concernant la Syrie, la Palestine, la dénucléarisation ? Rien n’est moins sûr ! La doxa occidentale est toujours à la manoeuvre. De plus, il faut bien le dire, le monde a profondément changé, avec l’apparition de nouveaux blocs (Brics, les pays du groupe de Shangaï), voire la position énigmatique de l’Inde, qui se regroupent non plus par idéologie généreuse mais par intérêt économique. Ce qu’il y a de sûr est que l’Iran a gagné une bataille médiatique mais la paix du monde est loin d’être acquise.
Il reste que les voeux utopistes de l’économiste Samir Amin sont toujours d’actualité. Aux « Damnés de la Terre » de les concrétiser en ne comptant que sur eux-mêmes c’est cela leur vraie boussole.
Chems Eddine Chitour