Il y un presque un an, j’ai publié un article au journal La Presse intitulé : « La Constituante menace-t-elle le Code de Statut Personnel (CSP) ? ». Aujourd’hui, sept mois après l’installation de la Constituante, nous sommes amenés à nous poser la question sur la pérennité de la citoyenneté de la femme !
Oui, malheureusement, cette citoyenneté est réellement menacée sous prétexte que la femme est une épouse et une épouse doit obéir à son mari. En obéissant à son mari, la femme n’est plus objective et sous influence. En conséquence, elle n’est pas apte à prendre des responsabilités politiques de premier ordre. Voilà comment on pose aujourd’hui la problématique de la femme. Que vaut le CSP dans ce cas ? Plus rien !
Oser proposer l’inscription dans la Constitution la non-éligibilité d’une femme au poste de Présidente de la République constitue une atteinte à la dignité de la femme tunisienne et une insulte au peuple tunisien. Ceux qui ont osé faire une telle proposition doivent comparaitre devant la justice pour sexisme. La femme est de son droit d’accéder à de telles fonctions au même titre que l’homme.
Ces obscurantistes prétendent que « Dieu a créé le mari pour qu’il soit le gardien de sa femme. Il est son maître, son homme, et elle doit lui obéir ». Pour ces salafistes, la femme n’est pas libre, elle est subordonnée à un autre citoyen, son mari. L’obéissance de la femme à son conjoint exclue cette dernière des fonctions présidentielles et de la vie politique en général. Le projet obscur des islamistes est de ramener définitivement la femme au foyer et de la reléguer au rôle de reproductrice et bonne à tout faire, esclave en d’autres termes. Femmes, réveillez-vous, votre statut de citoyenne n’est plus à l’ordre du jour…
Pourquoi ces islamistes oublient-ils que l’Egypte a eu Shajar Al-Durr, une souveraine au 13ème siècle qui a réussi royalement son règne ? Dans l’histoire de l’humanité, aucune femme-présidente n’a échoué ! Golda Meir, Thatcher, Andira Gandhi et tant d’autres ont marqué, chacune à sa manière, l’histoire de son pays voire de la planète. Prétendre que les femmes sont incapables d’occuper de telles fonctions relève de l’hystérie.
Heureusement que des bonnes nouvelles nous parviennent de temps à autre de la Turquie : Kemal KılıçdaroÄŸlu, président du principal parti d’opposition (Parti républicain du peuple) n’exclut pas une candidature féminine. "Une femme présidente conviendrait bien à la Turquie du 21ème siècle. On pense d’abord à àœmit Boyner, à la tête de l’Association des industriels et des hommes d’affaires turcs (TàœSIAD). Emine àœlker Tarhan, vice-présidente du groupe parlementaire du CHP. Et enfin Güldal Mumcu, vice-présidente du Parlement.
Selon le Conseil de l’Europe, l’égalité des femmes et des hommes implique : "l’égale visibilité, autonomie, responsabilité et participation des deux sexes à /dans toutes les sphères de la vie publique et privée. Le concept d’égalité entre les sexes, (…) s’oppose simplement au concept d’inégalité entre les sexes, c’est-à -dire aux disparités des conditions de vie des femmes et des hommes." Si la Tunisie a toujours l’intention de revendiquer le statut de partenaire privilégié de l’Union Européenne, elle doit respecter scrupuleusement cette approche intégrée de la dimension de genre. Elle a intérêt de mener des actions urgentes afin de compenser les désavantages liés au sexe, en vue de garantir une pleine égalité dans la pratique.
Exclure la femme de la vie politique, c’est condamner notre pays au sous-développement et à l’ignorance. La femme aux responsabilités publiques n’est pas un choix, c’est une obligation historique non négociable. Nous estimons que l’égalité totale entre les hommes et les femmes demeure une revendication fondamentale et doit être inscrite dans la Constitution « promise ».
Pour mettre fin aux pratiques sexistes dans notre pays, il y a lieu d’inscrire dans la Constitution une procédure de "test gender" exigeant un rapport d’évaluation de l’impact de chaque projet d’acte législatif ou réglementaire sur la situation respective des femmes et des hommes afin de développer le "réflexe genre" dans toutes les activités publiques. Sans ce précieux outil, nous risquons de remettre, chaque jour un peu plus, les acquis du CSP.
Le monde progresse d’une manière continue en matière de parité entre les hommes et les femmes et la Tunisie, post 14 janvier 2011, songe à faire marche arrière en instituant des dispositions constitutionnelles pour faire barrage à la femme aux plus hautes fonctions de l’Etat. C’est un obscur projet de société qui se dessine à l’horizon, un projet rétrograde, réactionnaire et complètement anachronique.
Nous attendons de nos constituants une feuille de route pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui consolide les acquis et ouvre des horizons pour l’égalité intégrale entre les hommes et les femmes en matière de parité dans les instances de prise de décision dans tous les domaines, politique en particulier.
Dix-huit mois après le déclenchement de la Révolte, le rôle des femmes dans la prise de décision s’est-il accru, leur visibilité dans l’espace public est-elle plus patente ? Le gouvernement intérimaire de Béji Caïd Essebsi a mis des jalons concrets comme la parité dans les listes électorales des dernières élections mais la Constituante est en train de découdre les acquis et remettre en cause les fondamentaux républicains.
Femmes, continuez de revendiquer, continuez de vous révolter contre les diktats de ces obscurantistes-salafistes. Saisissez l’évènement pour vous organiser et faire échouer leur projet diabolique de vous renvoyer au foyer. Nous sommes avec vous car nous croyons toujours à la devise d’Aragon « la Femme et l’avenir de l’Homme » et nous adhérons fermement à la formule qui dit « l’homme est le passé de la femme ».
Mustapha STAMBOULI