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Juif et antisémite

Peut-on être juif et antisémite militant ? Oui, et cela vient d’arriver à l’eurodéputé hongrois Csanad Szegedi, un des dirigeants du parti d’extrême droite Jobbik, connu pour son discours antisémite et anti-rom.

L’historien Robert Paxton, qui a beaucoup écrit sur le pétainisme et l’antisémitisme de l’entre-deux-guerres en France, disait récemment que le fascisme arrivait généralement au pouvoir par des moyens légaux et qu’il se cachait (à peine) aujourd’hui en Europe sous des désignations neutres du style « Mouvement pour la Renaissance » ou « Droite patriotique et sociale ». En hongrois, Jobbik signifie à la fois « le plus à droite » et « le meilleur ». Le nom officiel du parti est « Alliance des jeunes de Droite-Mouvement pour une meilleure Hongrie ». Il s’inscrit dans le droit-fil (sic) de la régence de l’amiral Horty. Sous l’autorité de cet amiral bien fasciste, la Hongrie prit, dans les années vingt et trente, des mesures antisémites pour limiter le nombre de Juifs pouvant accéder à l’université, puis restreignit à 5% l’accès des Juifs à certaines professions. Les mariages mixtes furent interdits, ce qui fit perdre leur nationalité hongroise à 250000 Juifs. On sait que parmi les dernières victimes massacrées à Auschwitz figuraient de très nombreux Juifs hongrois. Horty mourut en exil dans le Portugal de Salazar à l’âge de 89 ans.

Mais revenons à Csanad Szegedi. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a manqué de vigilance et de perspicacité. Il ne pouvait pas ignorer que l’une de ses grands-mères, s’appelant Magoldna Klein, portait un patronyme allemand d’usage courant chez les Juifs de la Mitteleuropa. Csanad concède qu’il lui faudra « un certain temps pour digérer » son nouvel état civil. Mais le plus pathétique est peut-être la pirouette, le rétablissement idéologique par lequel il tente de se sortir de ce mauvais pas : « Je pense que ce qui compte, ce n’est pas de savoir qui est hongrois de race pure, mais l’important est la façon dont on se comporte en tant que Hongrois. Être hongrois pour moi, cela a toujours été une responsabilité (envers mon pays), cela n’a rien à voir avec une suprématie raciale. » C’est d’ailleurs cette « responsabilité » envers son pays qui l’avait amené, en 2009, à se présenter à la première session du Parlement européen dans un uniforme de la Garde hongroise, l’émanation paramilitaire du Jobbik, dissoute depuis. Parmi ses Kameraden, le débat fait rage. L’un d’entre eux l’a apostrophé de la sorte : « Szegedi, tu es la honte des Hongrois et la honte des Juifs, tu dois démissionner de tes postes. » Heureusement, le président de son parti a déclaré soutenir Szegedi qui « gardera tous ses postes ».

Cette sinistre pantalonnade m’a remis en mémoire une conversation très émouvante que j’ai eu en Côte d’Ivoire, vers 1980, avec un collègue français, professeur de littérature française, dont le nom était aussi courant que Dupont ou Durand. Il était passionné par sa matière, ne parlait que de littérature. Il lisait quatre à cinq romans par semaine, et l’on pouvait le voir régulièrement attablé à la terrasse d’un café de Cocody, le nez plongé dans un livre, vers dix-huit heures, alors qu’il venait d’acheter ce même ouvrage dans une librairie voisine.

Un jour, je m’assis d’autorité à sa table et je l’entrepris en raillant gentiment cette activité obsessionnelle.

" Connais-tu la pétanque ou la planche à voile, lui demandai-je ? Tu sais qu’il y a de la vie en dehors des livres…

Il devint soudain très sombre et me dit, bizarrement : « la littérature m’a donné la vie avant de me la reprendre ».

Cette phrase était aussi incompréhensible que prometteuse.

" Tu en as trop dit, ou pas assez, avançai-je prudemment.

" Comme dans la chanson de Bécaud, me dit-il, j’ai une croix dans la tête, très lourde à porter.

Je nous commandai deux bières et mon collègue me raconta son secret de famille.

" J’ai découvert à l’âge de seize ans que mon père ne s’appelait pas M…, mais Cohen. Un jour, ma passion des livres me propulsa au grenier de la maison familiale. Mes parents étaient absents. J’étais seul avec ma grand-mère paternelle. Je tombai sur la collection des classiques Vaubourdolle de mon père. Il y en avait une bonne vingtaine, tous poussiéreux. Sur chaque première page figurait le nom de mon père : " André M… " . Je remarquai que le M… avait été systématiquement écrit sur un nom gommé. En arrivant au dernier exemplaire, je lus un nom que mon père avait omis de biffer : " André Cohen " . A priori, cette bizarrerie ne signifia rien pour moi. Mais mon inconscient me rappela très vite à l’ordre et m’incita à demander à ma grand-mère une explication. Ce qu’elle m’accorda avec soulagement.

« Nous sommes une vieille famille de Montpellier, poursuivit-il. Mon grand-père avait épousé une non juive, tout comme mon père, d’ailleurs. Ni l’un ni l’autre, totalement laïcs, n’ont jamais mis les pieds dans une synagogue. Pour les Juifs, ils n’étaient pas juifs, mais pour les nazis et les pétainistes, ils l’étaient. Par miracle, aucun membre de la famille ne fut inquiété pendant la guerre. Certes, tous durent porter l’étoile jaune, mais ils ne furent pas expropriés de leur maison, ils purent continuer à avoir une activité professionnelle, et aucun ne fut déporté.

En 1945, l’histoire ne repassant jamais les plats, mon père pensa que, puisque, de toute façon, il n’éprouvait strictement aucun lien avec la judéité, il valait mieux donner à sa famille, dont la présence était attestée dans la région depuis au moins sept cents ans, un nom bien français. Comme la France avait beaucoup à se faire pardonner à cette époque, le changement de nom fut une formalité. Les classiques Vaubourdolle m’ont donc donné la vie en m’apprenant que j’étais juif, et me l’ont repris par un coup de gomme de mon père.

Comme je lui demandai s’il s’était douté du secret, il me répondit que, avant la découverte du grenier, il avait toujours ressenti qu’il y avait trop de bonheur sous le toit parental, que tout semblait trop lisse, trop joyeux. Sauf quand son père avait refusé qu’il prenne allemand en seconde langue. Il en voulut pendant longtemps à ses parents de lui avoir caché la vérité. « C’est un peu comme s’ils m’avaient coupé une main, me dit-il, la main avec laquelle je tiens les livres que je lis tous les jours… »

Bernard Gensane

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