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Vénézuéla : Analyse détaillée des politiques du gouvernement Chávez.

La lutte contre la pauvreté. Mission impossible ?

par Gregory Wilpert

3 janvier 2004

Depuis deux ans, le gouvernement et l’opposition se sont beaucoup disputés sur la question de la pauvreté. Chávez avait été élu [en février 1999, puis réélu en juillet 2000] sur un programme qui accordait une attention particulière aux besoins des pauvres du Venezuela. De plus, il ne fait aucun doute que les pauvres représentent la base électorale de Chávez. Les sondages d’opinion, dont la fiabilité peut légitimement être mise en doute vu les accointances des organismes de sondage avec l’opposition, montrent constamment que Chávez trouve son principal soutien auprès de cette partie de la population vénézuélienne.

Cependant, cherchant à discréditer Chávez et à semer le doute parmi ses supporters, l’opposition, avec l’aide de centres de recherche sur la pauvreté, comme l’Université catholique Andrés Bello (UCAB), prétend que la pauvreté a sérieusement augmenté depuis l’investiture de Chávez. L’un des spots publicitaires anti-Chávez les plus utilisés par l’opposition [qui contrôle l’essentiel des chaînes télévisées] et qui passent le plus sur les écrans, chaque fois que les stations cherchent à appeler les gens à manifester contre le président, montre une pauvre femme dans un quartier pourri du pays, qui dit : "Chávez disait qu’il éradiquerait la pauvreté, en réalité, il éradique les pauvres."

Que la pauvreté ait augmenté ou décru sous Chávez, un thème socio-politique est conjoint aux parties : la pauvreté est devenue l’enjeu politique principal au Venezuela depuis que Chavez est arrivé au pouvoir. Les partis d’opposition reconnaissent que s’ils veulent réellement battre Chávez au cours d’une élection, ils devront offrir une alternative crédible sur une question : le combat contre la pauvreté. N’ayant pas encore proposé un tel programme, ils savent qu’ils doivent combler leur retard.

Au-delà des programmes du gouvernement ou de l’opposition, lorsque l’on examine les données sur la pauvreté, une étrange contradiction surgit. D’un côté, de nombreux centres de recherche indiquent un accroissement de la pauvreté depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir, et de l’autre, certains indicateurs suggèrent que la pauvreté est devenue moins sérieuse ces cinq dernières années.

Par la suite, j’examinerai certaines données concernant la pauvreté et les politiques menées par l’administration Chávez ; cela en les comparant avec celles conduites par les présidences antérieures.

Données sur la pauvreté

Il y a clairement deux tendances incontournables à prendre en compte sur ces vingt dernières années, au Vénézuéla, et qui ont eu un impact considérable sur la croissance de la pauvreté. La première est une croissance constante des inégalités. La seconde est une décroissance constante du revenu par habitant. Ces deux tendances une fois combinées, le taux de pauvreté au Vénézuéla se trouve être le plus important d’Amérique Latine.

L’échelle standard de l’inégalité, appelée "Coefficient Gini", qui mesure les inégalités de revenus dans un pays, ne montre pas de changement significatif au cours de ces trente dernières années au Vénézuéla. Depuis 1971 jusqu’à 1997, il a régulièrement fluctué, mais s’est généralement maintenu entre 45 et 50, ce qui fait qu’il se cale au même niveau en 1997 qu’en 1971. [1] Cependant, il faut rappeler que le Coefficient Gini ne prend en compte que des revenus salariaux et pas des revenus du capital.

Au cours de ces trente dernières années au Venezuela, une autre donnée indique que le taux du revenu issu du capital (revenu issu des investissements divers en capital, entre autres de type rentier) a substantiellement augmenté, largement plus que celui des salaires. Une étude effectuée par Francisco Rodriguez montre que, entre les années 1970 et les années 1990, la part des revenus du travail a baissé de 11% dans le PIB et cela au profit des revenus du capital. [2]

Donc, si l’on prend le revenu du capital en compte, selon Rodriguez, les inégalités ont crû dramatiquement dans le pays, de telle sorte que le Venezuela est devenu l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde, dépassant même l’Afrique du Sud et le Brésil [3] . Plusieurs facteurs l’expliquent. Le plus important réside dans l’accroissement de la concentration du capital et un effondrement, conjoint, des revenus salariaux.

On peut relier cet effondrement au déclin des revenus pétroliers per capita au Venezuela. Même si les exportations pétrolières par habitant ont doublé entre 1973 et 1983, les revenus par tête, eux, ont décru. La raison principale se trouve dans la baisse du prix du pétrole, qui est passé de 15,92 dollars le baril en 1982 à 3,19 dollars en 1998 (à prix dollars constants de 1973) [4] . La valeur des exportations du pétrole, per capita, a donc baissé de 955 dollars en 1974 à 384 dollars en 1998 [5] .

Sachant que le pétrole est la principale source de revenu du Venezuela, son déclin, combiné avec la croissance des inégalités, a eu un impact significatif sur le taux de pauvreté. En fonction des méthodes de statistiques et de mesures que l’on adopte, la pauvreté s’accroît de manière dramatique, de 33% de la population en 1975 à 70% en 1995 [6] . Et pendant que la pauvreté fait plus que doubler, le nombre de ménages rattrapés par la pauvreté est passé de 15% à 45%. D’autres mesures de la pauvreté, en particulier celles qui ne concernent pas directement le revenu, sont sensiblement plus basses. Toutefois, toutes dépeignent un pays connaissant une augmentation de la pauvreté importante au cours des vingt-cinq dernières années. Si on le compare avec les autres pays d’Amérique latine, le Venezuela détient le record d’accroissement de la pauvreté sur la même période. Parmi les pays les plus grands, il détient la proportion la plus importante de population vivant dans la pauvreté.

Quelques tendances accompagnent l’accroissement de la pauvreté : déclin des salaires réels dans l’industrie et du salaire minimum. Les deux ont chuté de 40% par rapport à leurs niveaux de 1980. Ils s’établissent à un niveau inférieur à ceux de 1950 [7]. Les dépenses sociales totales du gouvernement ont passé de 8% du PIB en 1987 à 4,3% en 1997 [sous la présidence de Rafael Caldera]. De même, le pourcentage des travailleurs dans l’économie informelle a crû de 34,5% en 1980 à 53% en 1999. En définitive, le niveau de syndicalisation est tombé de 26,4% en 1988 à 13,5% en 1995.

Etrangement, cependant, l’Indice de développement humain (IDH) du Venezuela, mesuré par le Programme de développement des Nations unies (PNUD), ne répercute pas cette tendance de la pauvreté. L’IDH mesure non seulement le revenu par habitant d’un pays, mais aussi prend en compte des facteurs tels que santé, l’’éducation, la mortalité, la scolarité, l’alphabétisation, et d’autres encore. Entre 1970 et 1990, l’IDH du Venezuela a crû de 0,689 à 0,821. Il a ensuite décliné régulièrement au cours de la seconde moitié des années 1990 et s’est remis à croître entre 1999 et 2001, pendant les premières années de la présidence de Chávez, se fixant à 0,7694 en 2001 [8] .

Il est possible de faire ressortir deux explications principales dans cette apparente contradiction. La première réside dans la possibilité, alors que les inégalités ne cessaient de croître entre 1975 et 2000, que les segments les plus riches de la population contribuaient à l’accroissement de l’IDH, tout simplement parce que leur participation à cet indice s’accroissait de manière disproportionnelle par rapport à celle des pauvres, maintenant donc la moyenne de l’IDH à un taux fort élevé. Ensuite, il est possible que, même si la proportion de la population plongée dans la pauvreté s’accroissait, leur IDH, tout comme celui de la population en général, s’améliorait en raison des mesures gouvernementales renforçant le filet de sécurité sociale du pays. Bien que manquant de données concrètes permettant de conforter ce raisonnement, je pointerai sur un fait : un examen des politiques concernant la pauvreté indiquerait qu’une amélioration de l’IDH pendant la présidence de Chávez est le produit des politiques publiques nouvellement mises en place et qui se concentrent sur les secteurs sociaux les plus pauvre du pays.

Les politiques anti-pauvreté avant Chávez

L’évolution des politiques anti-pauvreté au Venezuela, avant Chávez, suivit le cours d’ensemble de la pauvreté et de l’économie. Elle accompagna le plein boom du milieu des années 1970 au milieu des années 1980. Elle déclina (tout comme les dépenses au niveau social) de la fin des années 1980 à la fin des années 1990. Avant le boom pétrolier, le principal programme gouvernemental contre la pauvreté se concentrait sur un programme de réforme agraire, ayant comme objectif la redistribution de terres à 150’000 familles ; ce qui se produisit au début des années 1960. Cependant, suite au boom pétrolier [avec la hausse des prix à l’exportation du pétrole], le Venezuela eut la prétention de devenir un pays industrialisé moderne et négligea le programme de réforme agraire, en favorisant des programmes de développement qui détacheraient le pays, lentement, de l’agriculture. Au début, pendant les années du boom, les politiques contre la pauvreté permirent la mise en place d’une éducation universelle et gratuite, de soins de santé gratuits, d’un salaire minimum décent et de la mise en oeuvre massive de travaux publics d’infrastructure [qui enrichirent un petit secteur de la population aujourd’hui dans l’opposition]. Cet ensemble de politiques dépendait des revenus pétroliers et eut un impact évident sur la réduction de la pauvreté au Venezuela. D’autres programmes d’aide sociale existaient également, mais tous souffraient du clientélisme et du paternalisme.

Cependant, à la charnière de ces vingt années, au milieu des années 1980, les mesures les plus importantes qui devaient bénéficier aux plus pauvres du pays finirent par profiter avant tout à la classe moyenne. Pendant que le pays s’appauvrissait, alors que les salaires bas et ceux inférieurs aux salaires médians baissaient considérablement, la classe moyenne ne disposa plus des ressources lui permettant de s’offrir l’éducation et les soins de santé privés. En conséquence, elle fit progressivement main basse sur l’éducation et la santé publiques. D’autres programmes qui avaient également pour cible les classes laborieuses, comme le programme d’assistance à l’achat de maisons, les bourses d’étude internationale ou les exonérations d’impôt sur les véhicules, furent détournés au profit des seules classes moyennes.

Un facteur important dans ce glissement graduel des bénéficiaires des programmes gouvernementaux est le suivant : les services cessèrent d’être gratuits. L’éducation publique, par exemple, institua graduellement des frais d’inscription et exigea des frais de plus en plus grands pour l’obtention des fournitures scolaires. Dans le même temps, les soins de santé, théoriquement gratuits ou à bas prix, n’étaient appliqués que contre le paiement, par les patients, de toutes les fournitures nécessaires au traitement. Les glissements par à -coups vers des mesures néolibérales lors de l’administration du [social-démocrate] Carlos Andrès Perez (1989-1993) et à la fin de la présidence de Rafael Caldera [élu en 1994 par la Convergence démocratique, coalition de 17 partis] aggravèrent encore les problèmes de pauvreté au Venezuela, sur fond de privatisations, de baisse de dépenses sociales et d’accroissement des coûts des services publics.

Il n’y a pas que la population cible qui a changé dans le cadre des politiques gouvernementales ; la pauvreté a aussi changé graduellement. Non seulement elle englobe une proportion plus importante de la population, mais, en outre, elle a commencé à affecter des gens dont nous dirions plutôt qu’ils font partie de la classe moyenne si l’éducation était une référence.

Les politiques anti-pauvreté sous la présidence de Chávez

- Plan Bolivar 2000

Chávez a été élu à la fin de 1998, avec trois engagements de base : premièrement, briser le vieux système politique du Venezuela, connu sous le nom de ’Puntofijismo’, d’après le lieu Punto Fijo, où les chrétiens-démocrates de la Copei et les sociaux-démocrates de l’Acción Democratica avaient signé un accord pour limiter le système politique vénézuélien à une compétition entre ces deux partis ; deuxièmement, Chávez promit de mettre fin à la corruption ; troisièmement, Chávez promit de réduire la pauvreté au Venezuela.

Cependant, Chávez consacra sa première année de présidence à rompre avec le système de Puntofijo, grâce à une nouvelle Constitution [l’Assemblée constituante est élue en avril 1999]. A cause de la récession qui frappa le Venezuela en 1999, peu de ressources étaient disponibles pour lutter contre la pauvreté. En conséquence, le gouvernement Chávez se concentra sur une institution qui était particulièrement dispendieuse sans rien rapporter réellement sur le plan social : l’armée. Il ordonna que tous les corps militaires se consacrent à des programmes d’aide aux pauvres. Le nom général pour le programme militaro-civil était ’Plan Bolivar 2000’. Chaque corps de l’armée vénézuélienne développa un programme différent sous l’égide du programme d’ensemble.

L’armée de l’air développa un plan de transport pour les gens qui n’avaient pas les moyens de voyager, mais en avaient un urgent besoin, et ce gratuitement, et dans différentes parties du pays. La marine développa le plan Pescar 2000 (Pêcher 2000), qui incluait la réparation des installations frigorifiques [conservation du poisson], l’organisation de coopératives et la diffusion de cours de formation professionnelle. La Garde nationale s’impliqua dans des activités policières, en particulier dans les endroits où la présence de l’Etat était très réduite. Elle réalisa également un autre programme : le Plan Avispa, destiné à construire des maisons pour les pauvres. Le Plan Revibaétait semblable à ce dernier, sauf qu’à la place de construire des nouvelles maisons à partir de rien, on rénovait d’anciens bâtiments. D’autres aspects du Plan Bolivar 2000 incluaient la distribution de nourriture dans des régions perdues du pays.

Le Plan Bolivar 2000 fut à l’origine de nombreuses controverses pendant les trois ans de son existence entre 1999 et 2001. Peut-être que la critique la plus importante contre lui était qu’il était peu et mal supervisé et peu transparent. En conséquence, il fut entaché de nombreuses attaques pour corruption contre des officiers respnsables.

Néanmoins, il faut admettre que, durant son existence, il permit la réparation de milliers d’écoles, d’hôpitaux, de cliniques, de maisons, d’églises et de parcs. Plus de deux millions de personnes reçurent des traitements médicaux. Près de mille marchés populaires à bas prix furent ouverts ; plus de deux millions d’enfants furent vaccinés et des milliers de tonnes d’ordures furent collectées, pour ne se limiter qu’à un nombre restreint de ses résultats.

Bien sûr, une grande partie du programme était de nature ad hoc, s’appliquant là où les officiels gouvernementaux et les forces militaires avaient identifié un problème social et ensuite essayé de trouver comment le résoudre sur le court terme. Cette critique est certes opportune, mais on doit replacer le programme dans son contexte, en se souvenant du manque de ressources au cours de l’année 1999.

De même, à la fin de l’année 1999, eut lieu la catastrophe de l’Etat de Vargas, provoquant la mort de plus de 10’000 personnes prises dans des glissements de terrains ; plus de 100’000 personnes se retrouvèrent sans domicile. Le dommage est estimé à près de 4 milliards de dollars. Malgré la gravité des problèmes, le manque de ressources et la priorité donnée par le gouvernement à la nouvelle Constitution [adoptée le 15 décembre 1999 par 71% des voix], le Plan Bolivar 2000 eut un impact positif significatif sur les conditions des pauvres au Venezuela, et donc, indirectement, sur l’IDH.

Mission Chávez : Long et moyen terme dans ses politiques anti-pauvreté

Ce n’est qu’en 2001 et 2002 que le gouvernement Chávez a pu concentrer ses moyens sur une politique macroéconomique de réduction de la pauvreté. Les éléments les plus importants de ce plan étaient les suivants : réduction de l’inflation, diversification de l’économie, accroissement des revenus non liés au pétrole. Chacun de ces éléments constituait des objectifs des gouvernements précédents, sous une forme ou une autre. Cependant, quasi tous les gouvernements antérieurs ne parvinrent pas à les atteindre. Il faut encore attendre pour voir si le programme de Chávez ’ pour autant qu’on lui laisse la possibilité de l’appliquer - peut connaître plus de succès.

En ce qui concerne les programmes de combat à court terme contre la pauvreté, 2002 fut une année de crise. Cela est dû à la tentative de putsch, aux grèves générales des employeurs et à la fermeture et au sabotage de la plus importante des industries du pays, celle du pétrole. A cause de tout cela, le gouvernement disposait de peu de ressources à consacrer aux programmes spécifiquement liés à la lutte contre la pauvreté, à part ceux qui étaient déjà mis en oeuvre. Les politiques en cours, et peut-être celles dites ’à moyen terme’ (si l’on exclut les orientations macroéconomiques qui prennent effet sur le long terme), intégraient des programmes de réformes urbaines et agraires, des programmes de micro-crédits, des dépenses accrues en matière d’éducation primaire et des efforts pour promouvoir les coopératives à travers tout le pays.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour juger de l’efficacité à long terme de ces programmes dans le combat contre la pauvreté, il est généralement reconnu par les chercheurs spécialisés dans ce domaine que la redistribution des terres, les possibilités d’instruction et la promotion des micro-entreprises aident des gens à s’extraire de la pauvreté. Examinons rapidement différents aspects de la lutte.

- La réforme agraire

La réforme agraire au Venezuela représente probablement l’un des axes cruciaux de la présidence de Chávez. Lorsqu’elle fut introduite en novembre 2001, dans un ensemble de 49 lois adoptées en même temps, elle était l’une des plus combattues par l’opposition. La loi établit de manière fondamentale que tous les Vénézuéliens adultes ont le droit de revendiquer un espace de terre pour leur famille, pour autant qu’ils respectent un certain nombre de conditions.

Cet espace doit être réquisitionné sur les propriétés de l’Etat, qui sont énormes et représentent la plus grande part des terres arables du pays. La loi ouvre également la possibilité pour l’Etat de redistribuer des terres jusqu’ici détenues en propriété privée, si elles font partie d’une propriété de plus de 100 hectares de terres de qualité arable importante ou de plus de 5000 hectares de qualité médiocre. La terre serait expropriée au prix du marché, faisant de cette réforme un programme relativement modéré dans l’histoire des réformes agraires du monde.

Le programme de réforme agraire prit un départ relativement lent, surtout en raison de l’infrastructure nécessaire qu’elle exigeait pour être mis en place. Mais si le gouvernement a distribué peu de terres en 2002, l’année suivante connut une nette accélération du processus. Plus de 1,5 million d’hectares furent distribués à environ 130’000 familles [9]. Cela représente une moyenne de 11,5 hectares par famille. Un nombre total de 650’000 personnes a bénéficié du programme (si l’on estime la moyenne de l’unité familiale à 5 personnes). Il faut noter que, jusqu’ici, aucune terre n’a été expropriée. Cependant, il y a eu beaucoup de conflits concernant des terres que le gouvernement considère comme propriété d’Etat, mais que de grands propriétaires terriens revendiquent comme étant les leurs, bien qu’ils ne disposent d’aucun document pour le prouver.

La réforme agraire est censée être un programme large, et cherche à éviter les problèmes que d’autres programmes semblables ont rencontrés à d’autres occasions, tels que celui de s’assurer que les nouveaux paysans bénéficient bien d’un encadrement, de crédits, de la technologie et des réseaux commerciaux permettant à leurs familles de vivre sur leurs nouvelles propriétés. Et donc, en plus de l’INTI (l’Institut national des terres), une autre institution fournit des crédits et des formations, ainsi qu’une organisation du marché agricole, afin de permettre aux bénéficiaires de la réforme agraire de pouvoir vendre leurs produits.

Dans son ensemble, le programme de réforme agraire poursuit des objectifs à la fois à long et à court terme. Tout d’abord, à long terme, il est supposé contribuer à la diversification de l’économie vénézuélienne et assurer ce que l’on appelle au Venezuela la ’souveraineté alimentaire’, c’est-à -dire la capacité pour le pays de satisfaire ses propres besoins en matière de nourriture de base. Ensuite, à moyen terme, le programme a pour but de réduire la pauvreté rurale (et y compris urbaine, dans une mesure restreinte, car il appartient aux populations urbaines de décider de quitter leurs bidonvilles et de se diriger vers la campagne).

- La réforme urbaine

Une autre mesure très importante contre la pauvreté prise par le gouvernement Chávez est la réforme urbaine. Elle consiste à redistribuer des terres des barrios- les quartiers populaires - à leurs habitants. Le concept est assez similaire à celui que Hernando de Soto [un libéral] a promu au Pérou et dans d’autres pays [10] . Toutefois, ce programme intègre d’autres éléments intéressants qui pourraient en faire un exemple pour d’autres pays.

Le concept de la redistribution des terres urbaines a plusieurs objectifs simultanés. D’abord, il s’agit de donner la possibilité aux personnes qui acquièrent un titre de propriété sur leur maison, généralement construite de leurs mains, d’avoir un sentiment de sécurité pour la première fois. Grâce à ce titre, ils savent que cette maison est bien la leur et qu’on ne la leur retirera pas. Ensuite, ils peuvent utiliser cette maison pour effectuer un petit emprunt, soit pour la rendre plus confortable, soit pour en acheter une autre, soit encore pour investir dans une micro-entreprise. Un troisième objectif consiste de créer un véritable marché, de fait, qui, s’il est régulé, peut améliorer la qualité générale du voisinage. Le processus d’acquisition des titres de propriété urbaine, par ailleurs, est un processus collectif, ce qui amène à renforcer les relations au sein du quartier, et donc à améliorer les infrastructures locales, comme les routes, les accès aux services, la sécurité, le confort, etc. Ce dernier point, concernant la nature collective du processus, est peut-être l’aspect le plus novateur du programme. En fait, pour acquérir un titre de propriété, il faut que 100 ou 200 familles se mettent ensemble et forment un comité. Ce dernier les représentera face au gouvernement afin de régulariser la propriété des terres des familles. Conséquence, peut-être inattendue, de ce processus : dans de nombreux cas, les comités de terres ont commencé à travailler sur d’autres sujets bien plus nombreux, une fois réalisées la négociation et l’acquisition des titres de propriété. Ils ont également formé des sous-comités qui négocient avec les compagnies de services publics comme la compagnie des eaux, celle de l’électricité, etc. Les comités de terres urbaines fournissent des partenaires inédits pour les différentes agences gouvernementales et celles des services publics afin de négocier avec eux directement. Auparavant, ces agences et ces services publics devaient négocier avec des officiels locaux de type exécutif, qui étaient généralement trop éloignés des problèmes des localités spécifiques pour connaître les différences.

Jusqu’à ce jour, le processus de réforme urbaine est basé sur un décret présidentiel, ce qui signifie que seules les terres détenues par le gouvernement peuvent être redistribuées aux habitants des barrios. Il y a une loi qui a été rédigée afin que tous les habitants des barrios puissent faire partie du processus. Mais cette loi a été mise au rencard au profit de lois plus urgentes. Cependant, ce seul décret présidentiel permet à environ un tiers des habitants des barrios d’acquérir des titres de propriété, puisqu’on estime à cette proportion les terres détenues par le gouvernement dans les barrios, un autre tiers est détenu en propriété privée, et le dernier tiers est indéterminé du point de vue de la propriété.

Le processus est très lent, malheureusement. En effet, il est assez compliqué au plan des étapes techniques et légales. En novembre 2003, ce sont 45’000 familles, 225’000 personnes, à travers le Venezuela, qui ont reçu des titres de propriété sur leurs maisons, et 65’000 autres familles (330’000 personnes) qui devraient prochainement bénéficier du décret.

- L’économie sociale

Le projet d’économie sociale du gouvernement Chávez n’est pas ’juste’ une mesure contre la pauvreté, mais constitue probablement l’élément central du projet bolivarien de Chávez. Il n’a pas seulement pour ambition d’alléger le problème de la pauvreté. Le site du gouvernement sur l’économie sociale définit l’économie sociale sur base des sept éléments suivant [11] :

1. L’économie sociale est une économie alternative.

2. Y dominent les pratiques démocratiques et autogérées.

3. Y sont privilégiées les formes de travail basées sur le partenariat et non sur le salariat.

4. La propriété sur les moyens de production y est collective (à l’exception des cas de micro-entreprises).

5. Elle est basée sur une distribution égale des surplus.

6. Elle est solidaire de l’environnement où elle se développe.

7. Elle tient à son autonomie face aux centres monopolistiques du pouvoir économique ou politique.

La définition ci-dessus est probablement le fruit d’une idéalisation. Elle a été écrite par une équipe réunie sous les auspices de l’ancien ministre du Plan et du Développement, Felipe Perez, et du vice-ministre pour la Planification locale, Roland Denis. Ces derniers furent démis de leurs fonctions au début de l’année 2003. Généralement, le projet d’économiesocialedugouvernementChávezaétéréduità la promotion des coopératives et du micro-crédit.

Le programme de micro-crédit est, en bien des points,modelé sur celui de la Bank Grameendu Bangladesh.Il repose néanmoins sur plusieurs bases institutionnelles différentes.En premier,il y a plusieurs banques qui se consacrent au micro-crédit,comme laBancode la Mujer(Banquedelafemme),la Bandes(Banquepour le développement économiqueetsocial), la Banfoandes(Banque pour la promotion de la région andine) et la Banco del Pueblo (Banque du peuple).Ensuite, il y a des institutions comme le Fonds pour le développement du micro-crédit et le Ministère du développement de l’économie sociale. Il y a également une loi bancaire controversée qui exige de toutes les banques traditionnelles qu’elles consacrent un certain pourcentage de leurs prêts au micro-crédit.

Entre 2001 et 2003, environ 50 millions de dollars de micro-crédits ont été accordés par les banques citées ci-dessus. La Banque de la femme et la Banque du peuple ont octroyé 70’000 micro-crédits à elles seules. Pour l’année suivante, le gouvernement a l’intention d’étendre le programme de micro-crédits jusqu’à le tripler, selon le ministre de l’Economie sociale, Nelson Merentes [12] . Les banques privées et publiques ont également alloué des micro-crédits pour un total de 75 millions de dollars pour la seule durée du mois de septembre 2003 [13] . Parmi les bénéficiaires principaux du programme de micro-crédits, on retrouve les coopératives, qui représentent le deuxième pilier de la vision de l’économie sociale du gouvernement. Alors que le Venezuela ne comptait qu’environ 800 coopératives au moment de l’accession de Chávez au pouvoir, elles sont aujourd’hui estimées au nombre de 40’000, soit cinquante fois plus nombreuses. La promotion active des coopératives a non seulement relancé le secteur de la petite entreprise, qui est généralement connue pour être le principal créateur d’emplois dans l’économie, mais a également promu une plus grande égalité puisque les membres d’une coopérative partagent leurs revenus de manière plus égalitaire que dans une entreprise traditionnelle.

- Les Ecoles bolivariennes et les programmes de garderies

Nous le rappelions dans l’introduction de cet article, le système d’éducationpublique, au Venezuela, avait exclu de l’école un nombre de plus en plus grand de pauvres, empêchant de plus en plus d’enfants en difficulté de recevoir un enseignement gratuit. Ces barrières prenaient généralement la forme de frais d’inscription qui étaient établis par chaque école individuellement, souvent pour compenser le manque de ressources budgétaires qu’elles recevaient du gouvernement central. En 1996, les dépenses publiques pour l’éducation n’équivalaient plus qu’à 2,1% du PIB.

Lorsque Chávez arriva au pouvoir, les dépenses dévolues à l’éducation étaient l’un des sujets qui occupaient le plus le gouvernement. En 2001, les dépenses étaient revenues à 4,3% du PIB, soit deux fois le taux de 1996, et l’un des plus élevés depuis vingt ans. La plus grande partie des investissements dans l’éducation se concentrait dans la construction de nouvelles écoles et la transformation des anciennes en ’Ecoles bolivariennes’.

Les Ecoles bolivariennes sont censées soulager la pauvreté de plusieurs manières différentes. En premier lieu, elles programment une occupation des enfants sur toute la journée, ce qui permet aux deux parents d’être dispensés de s’occuper de leurs enfants pour travailler. De même, ce programme étalé sur toute la journée permet l’inclusion d’activités plus culturelles et sportives. En second lieu, les Ecoles bolivariennes fournissent les repas du matin et du midi, ainsi qu’un goûter de fin d’après-midi, bref des repas réguliers aux enfants pauvres, ce qu’ils n’avaient pas, généralement, avant cela. En troisième lieu, ces écoles sont censées mieux s’intégrer à la communauté que les écoles publiques normales.

En 2003, près de 2800 Ecoles bolivariennes ont été ouvertes, parmi lesquelles la moitié étaient de nouvelles constructions. Ces écoles bénéficient à environ 600’0000 enfants, soit 12% des enfants en âge d’être scolarisés. [14] Le gouvernement prétend que, par l’élimination des frais d’inscription et l’expansion du système scolaire public, ce sont plus d’un million et demi d’enfants qui ont été réintégrés au système scolaire au Venezuela, entre 1999 et 2002. Le pourcentage des enfants scolarisés est remonté de 83% en 1999 à 90% en 2002.

Complémentaire à ce programme des Ecoles bolivariennes, le ’Plan Simoncito’ est censé fournir une aide quotidienne et une éducation préscolaire aux enfants de 0 à 6 ans, de sorte que les parents puissent s’occuper de leurs propres activités. De nombreux chefs de famille sont des parents uniques [femmes avec enfants] et ont de nombreuses difficultés pour allier famille et travail. Dès lors, ce programme permet d’aider de nombreux parents pauvres, souvent célibataires, souvent des mères.

Les programmes de garderie subventionnés par l’Etat ne sont en rien une nouveauté au Venezuela. Déjà , à la fin des années 1980, de tels programmes existaient. Toutefois, ils se sont accrus de manière importante. En 1989, 19’000 enfants étaient pris en charge par ce type de programmes ; ils étaient 150’00 en 1998. L’arrivée au pouvoir de Chávez a encore fait exploser ces chiffres pour atteindre 300’000. Le pourcentage d’enfants pris en charge est passé de 40 à 45%.

- L’Université bolivarienne.

De même que l’éducation avait exclu de plus en plus d’enfants pauvres du système scolaire, les études supérieures étaient devenues inaccessibles à un grand nombre de personnes issues de milieux défavorisés. Ce tendance s’accéléra particulièrement parce que la population du Vénézuéla croissait bien plus rapidement que le système universitaire. Techniquement, toute personne qui a atteint le stade de bachelier est censée avoir accès à l’université. En réalité, les universités publiques ont dû restreindre l’entrée par le biais d’examens d’entrée. Ceux-ci, comme c’est souvent le cas, ont clairement établi une discrimination envers les classes laborieuses et pauvres. Un facteur important dans ce processus de filtrage est que les étudiants des classes moyennes et supérieures pouvaient se préparer aux examens d’entrée par des cours spéciaux qui les y préparaient, cours qui n’étaient pas accessibles aux personnes issues des classes dites inférieures. Alors qu’en 1984, 70 pour cent des étudiants issus des classes pauvres et qui s’inscrivaient dans l’enseignement supérieur étaient admis, ce chiffre tombait à 19 pour cent en 1998 [15] . Pour les étudiants des classes laborieuses, le taux d’admission tomba de 67 à 27%.

En conséquence de cela, le nombre de Vénézuéliens remplissant les conditions, et qui auraient voulu suivre des études supérieures mais n’ont pas pu le faire parce que leurs résultats aux examens d’entrée étaient insuffisants, est estimé à plus de 400’000.

L’Université bolivarienne du Venezuela est censée, dès lors, combler ce fossé qui existe entre la demande et l’offre universitaire. Et même bien plus que cela, elle doit privilégier ses admissions aux étudiants issus des classes pauvres. Jusqu’ici, 2400 étudiants se sont inscrits dans cette université qui a commencé ses cours en octobre 2003, et 20’000 autres étudiants sont déjà pré-inscrits. L’université devrait s’étendre à travers le pays et a pour ambition d’atteindre les 100’000 inscriptions. [16]

Mesures à court terme contre la pauvreté - les Missions.

La crise sévère provoquée par la tentative de coup d’Etat en avril 2002 et par les grèves patronales du pétrole en décembre 2002 a réduit considérablement les ressources disponibles destinées à poursuivre le programme de mesures à court terme contre la pauvreté du Plan Bolivar.

Et donc, au cours de la majeure partie des années 2002 et 2003, ces programmes furent peu alimentés. Cependant, à la fin de 2003, les finances de l’Etat se sont améliorées. Le gouvernement pouvait donc à nouveau se concentrer sur ce complément de mesures à court terme. Bien évidemment, la procédure de référendum pour écarter le président et la nécessité de renforcer sa popularité ont probablement joué un rôle important dans l’urgence à remettre ces politiques en mouvement.

- Mission Robinson - Education primaire

En octobre 2003, le président Chávez annonça sept " Missions " différentes de combat contre la pauvreté. La première était la Mission Robinson, appelée ainsi d’après Simon " Robinson " Rodriguez, qui était le professeur de Simon Bolivar. La Mission Robinson est censée combattre l’analphabétisme. Bien que l’analphabétisme soit relativement peu élevé au Vénézuéla -de l’ordre de 7 pour cent (la moyenne latino-américaine et caribéenne est de 11 pour cent), il est certainement l’un des facteurs les plus sérieux contribuant à la pauvreté.

Et donc, à travers un accord de coopération avec Cuba, le Vénézuéla invita des centaines d’experts en alphabétisation à venir pour former des enseignants. Lors de la première phase du programme, lancée le 1er juillet 2003, des étudiants apprennent à lire et à écrire, en utilisant la méthodologie cubaine, basée sur les nombres, partant du principe que la plupart des personnes qui sont analphabètes savent cependant compter. D’après des statistiques gouvernementales, plus d’un million de Vénézuéliens bénéficient actuellement de ce programme, avec l’aide de 100.000 professeurs d’alphabétisation qui travaillent à travers tout le pays. La seconde phase, Mission Robinson II, dépasse l’alphabétisation et a pour ambition d’apprendre aux participants tout ce dont ils ont besoin pour réussir le 6e degré d’école primaire. Le programme est très compressé, de sorte qu’en deux ans, des étudiants accomplissent leur " grade Robinson II ", au lieu d’y passer 6. La Mission Robinson II a commencé le 28 octobre 2003 et entend incorporer 629.000 étudiants cette seule année, le plupart d’entre eux après avoir participé à la première Mission Robinson.

L’opposition prétend que ce programme n’est rien d’autre qu’une couverture favorisant un endoctrinement cubain. Cependant, même un simple coup d’oeil au matériel utilisé (les " bibliothèques " d’une douzaine de livres, que tout chef de famille ou participant reçoit gratuitement) et l’une ou l’autre conversation que l’on peut avoir avec les gens qui ont suivi ce programme montrent qu’il est impossible d’étayer de telles accusations. (Lire : Castro lave le cerveau des habitants innocents des bidonvilles du Venezuela- NDLR)

- Mission Ribas - Education secondaire

Parallèlement à ces programmes d’alphabétisation et d’éducation primaire, le gouvernement a créé la Mission Ribas, d’après le nom de José Felix Ribas, destinée à des individus qui ont dû abandonner le collège. Selon le gouvernement, il y a plus de 5 millions de Vénézuéliens dans ce cas. La Mission Ribas est censée incorporer ceux-ci dans un programme d’éducation qui devrait leur permettre de passer l’exemen adéquat en deux ans maximum. Le ministre de l’Energie et des Mines, qui est l’un des coordinateurs principaux de ce programme, a annoncé au début du mois de novembre qu’un peu plus de 700’000 Vénézuéliens avaient manifesté leur intérêt pour le programme de Mission Ribas. Les 200’000 premiers ont commencé le 17 novembre et les autres à une date ultérieure.

Comme les autres missions, ce programme est gratuit. Cependant, 100’000 participants recevront des bourses sur la base de leurs besoins propres. La plupart des cours seront sous la forme de ’télé-classes’, utilisant des vidéos, avec l’aide d’un facilitateur. Une fois les étudiants arrivés au bout de leurs études, la compagnie pétrolière propriété de l’Etat, la PDVSA, et la compagnie électrique, la CADAFE, offriront des emplois à ces étudiants dans les secteurs du pétrole et de l’énergie. L’ensemble du programme a été coordonné à sa base par la PDVSA et la CADAFE, qui assurent également la plus grande partie du financement du programme.

- Mission Sucre - Education supérieure

Pour les pauvres, l’un des principaux obstacles à l’accès à l’université est le manque de moyens financiers. Ils doivent généralement travailler en plus de leurs études, sans compter qu’ils ont souvent une famille, rendant ainsi leurs études quasiment impossibles. Mission Sucre, nommée ainsi d’après le héros de l’Indépendance, est essentiellement un programme de bourses pour l’éducation universitaire, à travers lequel, dans un premier temps ’ il a démarré en novembre 2003 -, 100’000 pauvres recevront l’équivalent de 100 dollars par mois pour leur éducation universitaire.

En septembre 2003, ce sont déjà 420’000 Vénézuéliens qui ont manifesté leur intérêt pour ces bourses. Guiseppe Gianetto, le recteur de la plus grande université du Venezuela, l’Universidad Central de Venezuela, qui est également un critique déclaré du gouvernement Chávez, a dit cependant que la Mission Sucre est démagogique en soi, parce que le gouvernement ne sera jamais capable de s’occuper de 400’000 étudiants qui veulent entrer dans le système universitaire, pour une simple question de manque de places. Les universités publiques existantes ne peuvent s’occuper d’autant d’étudiants, selon Gianetto. Le gouvernement, cependant, prétend que la plupart d’entre eux trouveront une place dans les universités bolivariennes, qui sont en phase d’ouverture à travers tout le pays. En 2004, on ne trouvera encore que 20’000 places dans le cadre de ce projet. Et même si 80’000 étudiants supplémentaires pouvaient rapidement trouver à s’intégrer dans les infrastructures nouvellement créées, il reste toutefois 300’000 étudiants potentiels exclus du système universitaire.

- Mission "Barrio Adentro" - Soins de santé à la communauté

Afin de faire face aux gros problèmes de santé dans les barrios, les communautés pauvres, le gouvernement Chávez lança un programme de santé communautaire appelé " Barrio Adentro ". Ce programme, lancé avec l’aide d’un peu plus de 1.000 médecins cubains, établit des petites cliniques de santé communautaire dans les barrios, dans des endroits qui, généralement, ne sont jamais visités par des médecins. Le programme fut d’abord lancé à Caracas en tant que projet pilote. Il s’est maintenant répandu à travers le pays. Après six mois d’existence, le programme desservait déjà trois millions de Vénézuéliens, principalement dans la grande métropole de Caracas et aux alentours.

Alors que les habitants des barrios accueillent de manière très positive ces médecins qui font même des visites à domicile, quelque chose qui n’arrivait jamais avant, l’Association des médecins du Vénézuéla s’éleva contre le phénomène. Une action fut intentée immédiatement devant un tribunal contre les médecins cubains, s’appuyant sur le fait que ceux-ci ne possèdent pas les accréditations exigées par la loi vénézuélienne. En juillet 2003, une cour admit la plainte comme fondée. Le Ministre de la Santé, cependant, dit que la santé du public était une plus grande priorité qu’une injonction du tribunal et que le gouvernement ne la reconnaîtrait pas. Maria Urbaneja, la ministre en question, dit que, bien que de nombreux médecins vénézuéliens se trouvent sans travail actuellement, on n’arrivait pas à en trouver assez qui veuillent bien travailler dans les barrios. Il existe un plan, cependant, qui a pour but de remplacer progressivement les médecins cubains par des Vénézuéliens, du moins si on en trouve.

- Mission Miranda - Réservistes Militaires

L’armée du Vénézuéla a longtemps été un endroit où les pauvres ont pu trouver une éducation et un travail. Cependant, une fois qu’ils quittent l’armée, ils se retrouvent généralement sans emploi. Et donc, par rapport à cette frange de la population, le gouvernement Chávez a lancé la Mission Miranda, d’après le nom d’un autre héros de l’indépendance, le général Francisco de Miranda. Cette mission créé une réserve militaire à partir de ces personnes qui ont servi dans l’armée. Tous ceux qui participent à ce programme recevront un revenu minimum, une instruction pour former des coopératives et l’opportunité de bénéficier de micro-crédits. Lorsque le programme fut annoncé le 19 octobre 2003, 50.000 anciens soldats s’étaient déjà inscrits et 50.000 autres allaient s’adjoindre avant la fin de l’année. Tous les réservistes qui se sont inscrits sont actuellement sans emploi.

L’opposition s’interrogea sur les intentions cachées de la Mission Miranda, prétendant que Chávez était en train de se construire une armée parallèle dont il prendrait directement les commandes. L’idée étant que Chávez aurait l’intention de militariser le pays et de créer une force armée qui lui serait totalement dévouée et ce précisément en vue de sa possible défaite lors du référendum. On le soupçonne encore de vouloir usé d’une force armée pour se permettre de conserver le pouvoir, même s’il perd le référendum. Croire ou non à ces assertions, cela dépend du degré de machiavélisme que l’on attribue au président Chávez. A ce jour, cependant, il n’y a aucune indication qui puisse indiquer que Chávez ait l’intention de conserver le pouvoir par la force, s’il était battu lors d’élections démocratiques.

- Mission Mercal - Distribution de nourriture

Enfin, il y a encore la Mission Mercal, qui se présente comme un réseau de distribution de nourriture à travers tout le pays, et ce à des taux légèrement inférieurs au marché, dans des supermarchés soutenus par le gouvernement. Le concept de ce programme est partiellement dû à la grève générale des employeurs de décembre 2002, dont l’un des effets avait été la fermeture du réseau commercial de distribution de nourriture. Le gouvernement Chávez décida donc d’établir un réseau de distribution de nourriture organisé par l’Etat. Le programme ne démarra pas très rapidement ; en novembre 2003, il n’y avait encore qu’à peine cent centres à travers tout le pays. Pour autant, le gouvernement accélère la construction de ces supermarchés, de sorte que leur nombre devrait doubler en décembre (2003) et atteindre même le nombre de 2000 en février 2004.

L’opposition critique ce programme également, bien sûr, prétendant que les marchés Mercal font du tort au secteur privé. C’est probablement le cas là où le marché Mercal se trouve à proximité de supermarchés classiques. Cependant, de même que pour le programme Barrio Adentro, les marchés Mercal sont censés desservir des localités où le secteur privé se trouve être absent. Ainsi donc, l’impact que ces marché auront sur le secteur privé ne devrait pas être si grand.

Conclusion

Passant en revue les nombreux programmes qui existent désormais pour combattre la pauvreté au Vénézuéla, il est clair que l’impact sur l’éducation est le plus manifeste. Les programmes à court et à moyen terme sont principalement centrés sur celle-ci. Cette idée suit très raisonnablement de nombreuses études qui ont montré que l’éducation est l’un des moyens les plus efficaces pour réduire la pauvreté. Cependant, il s’agit également d’une stratégie qui exige beaucoup de temps pour qu’elle récolte ses fruits. Si, au cours de l’établissement de cette stratégie, le gouvernement rencontre à nouveau une sévère déconvenue, comme ce fut le cas lors des années 2002-2003, ses mesures contre la pauvreté risquent de n’avoir aucun effet apparent à court terme.

La présidence de Chávez est, à ce jour, à observer en quatre phases. La première, 1999, connut une grave récession économique, une réforme constitutionnelle et un désastre naturel [17] au cours de laquelle on ne put faire grand chose contre la pauvreté, à l’exception de la mise en place du Plan Bolivar 2000. La seconde phase, 2000-2001, fut une période relativement heureuse, au cours de laquelle, le gouvernement Chávez consolida son pouvoir politique et commença à implanter ses programmes de réduction de la pauvreté à long et à moyen terme, sur base de réformes macro-économiques, de réformes urbaines et rurales, de créations d’écoles bolivariennes et de soutien aux micro-crédits et aux coopératives. La troisième phase, de décembre 2001 à mai 2003, fut la plus difficile. Le gouvernement dut affronter des grèves générales d’employeurs, un coup d’Etat manqué et la paralysation de l’entreprise la plus importante du pays, celle du pétrole. Durant cette phase, le pays et le gouvernement souffrirent leurs plus grands revers en terme de réduction de la pauvreté. Il ne fait aucun doute que, avec l’accroissement de l’inflation et du chômage, la pauvreté a également crû. En outre, peu de ressources ont pu être mobilisées dans le cadre des programmes de réduction de la pauvreté.

Mai 2003, pourra-t-on dire, marque le début d’une quatrième phase, parce que l’entreprise pétrolière fut remise en place et l’opposition se concentra sur des stratégies plus politiques qu’économiques ou militaires pour tenter de se débarrasser du président Chávez. Au cours de cette phase, le gouvernement put disposer de plus grandes ressources, notamment grâce à la hausse du prix du pétrole, afin de soutenir les mesures à court terme et de se recentrer sur les stratégies à moyen terme, en particulier les réformes urbaines et rurales et l’Université bolivarienne. Combien de temps cette phase durera-t-elle, ceci dépend malheureusement avant tout de l’opposition. Si elle joue loyalement le jeu concernant le référendum, le gouvernement sera capable de poursuivre ses programmes existants plus ou moins comme prévu. Pour autant, si l’opposition essaie de provoquer une nouvelle crise, les programmes pourraient s’en retrouver handicapés une fois de plus et la pauvreté continuera de croître comme elle l’a toujours fait depuis 20 ans...

Gregory Wilpert

 Sur le référendum anti-Chavez du 15 août 2004, LIRE :

La bataille du référendum, par Frédéric Lévêque http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1012

 Source : RISAL http://risal.collectifs.net

 Peinture : Margari margari@wanadoo.fr.


[1L’Index ou coefficient Gini va de 0, niveau où tous les revenus sont identiques, à 1, niveau indiquant une inégalité complète, tous les revenus étant individualisés. Source : Francisco Rodriguez (2000), " Factor Shares and Resource Booms : Accounting for the Evolution of Venezuelan Inequality ", in World Institute for Development Economics Research - Research Paper from World Institute for Development Economics Research - Research Paper (www.wider.unu.edu/publications/wp205.pdf).

[2ibid., p.5.

[3Rodriguez : "Si nos calculs sont corrects, le Vénézuéla, aujourd’hui, est un des pays où les inégalités sont les plus grandes dans le monde, selon son Index Gini [de 62.6], dépassant celui de l’Afrique du Sud (62.3) et celui du Brésil (61.8).", ibid., p.6.

[4OPEC Statistical Bulletin, 2001.

[5En dollars de 1985. Calculs personnels, basés sur la valeur des exportations du pétrole (IMF, International Financial Statistics Yearbook 1993), sur la population (Instituto Nacional de Estadistica, Venezuela, (www.ine.gov.ve), et du taux d’échange de 1985 (Banco Central de Venezuela : (http://www.bcv.org.ve/)

[6Selon la ligne de pauvreté basée sur le revenu, utilisée par le Projet Pauvreté de l’Université catholique Andres Bello (Matias Riutort, "El Costo de Eradicar la Pobreza" in Un Mal Posible de Superar, Vol. 1, UCAB, 1999).

[7Kenneth Roberts, "Social Polarization and the Populist Resurgence in Venezuela," p.59, in Venezuelan Politics in the Chávez Era, édité par Steve Ellner and Daniel Hellinger (2002), Lynne Rienner Publishers.

[8Instituto Nacional de Estadistica : (www.ine.gov.ve)

[9Note du traducteur : Selon une dépêche de la Radio Nacional de Venezuela, le 29 décembre 2003, quelques 2.260.000 hectares de terre auraient été distribués dans la cadre de ce que l’on appelle au Venezuela la révolution agraire.

[10Voir : Hernando de Soto (2000), The Mystery of Capital.

[12Source : El Mundo, Nov. 4, 2003 (http://www.venezuelanalysis.com/news.php ?newsno=1087).

[13Source : Bulletin #56 (October, 2003) du Ministère des Finances (http://www.mf.gov.ve/acrobat/Boletin Finanzas Ed.2056.pdf)

[14Sur base d’une population en âge d’aller à l’école primaire de 5 millions (degré 1 à 6 ou âge de 6 à 13 ans), selon les statistiques de l’Institut National de Statistiques du Vénézuéla.

[15Voir : 3 Años de la Quinta Republica (http://www.mpd.gov.ve/3 A%D1OS/3AnosdelaVRepublica.pdf).

[16Selon Aló Presidente, #168, du 19 octobre 2003.

[17Le glissement de terrain dans l’Etat de Vargas, qui eut lieu en décembre 1999 et au cours duquel plus de 10.000 personnes perdirent la vie et plus de 150.000 personnes leurs maisons.


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