« La France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique. Les flux entre la France et l’Afrique représentent 2% de notre économie ». 18 mai 2006 à Bamako au Mali.
« Il nous faut construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, équilibrée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autres de la Méditerranée. Cela implique plusieurs changements de fond…
D’abord, cette relation doit être plus transparente. Il nous faut la débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés.
Il nous faut aussi ne pas nous contenter de la seule personnalisation de nos relations. Les relations entre des Etats modernes ne doivent pas seulement dépendre de la qualité des relations personnelles entre les chefs d’Etat, mais d’un dialogue franc et objectif, d’une confrontation des intérêts respectifs, du respect des engagements pris.
… Notre relation doit être décomplexée, sans sentiment de supériorité ni d’infériorité, sans sentiment de culpabilité d’un coté ni soupçon d’en jouer de l’autre, sans tentation de rendre l’autre responsable de ses erreurs. A nous Français de renier tout paternalisme, d’exclure toute condescendance à l’endroit des Africains. Et surtout plus de respect. Nous ne savons pas mieux que vous quel est le bon chemin. Je refuse la posture d’une France donneuse de leçon. » 19 mai 2006 à Cotonou au Bénin.
L’auteur de ces propos cités est Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur et de l’immigration, candidat de l’UMP à la présidentielle de 2007. Sarkozy sera élu président de la France un an après avoir tenu ces propos en terre africaine. On aurait donc attendu que les relations entre la France et ses territoires africains sous sa présidence se déroulent autrement. Erreur ! Les mots sont les mots. Les actes sont autre chose. La françafrique, ces relations mafieuses que la France entretient avec l’Afrique depuis les années De Gaulle s’est renforcée à la grande déception des optimistes béats qui avaient vu dans l’avènement de Sarkozy au pouvoir une nouvelle donne.
Pourtant, les choses s’annonçaient bien pour ces optimistes. Jean-Marie Bockel, transfuge du parti socialiste a rejoint Sarkozy qui lui attribua le secrétariat d’Etat chargé de la coopération et de la Francophonie. Le ton se voulait volontariste et en rupture avec le passé fait de vols et de pillages en faveur de la France et les satrapes qu’elle a placés à la tête des territoires africains. Dans une interview publiée dans Le Monde du 16 janvier 2008, Bockel déclarait : « j’ai adhéré au discours de Nicolas Sarkozy sur l’Afrique. Je souhaite que les choses changent. Or la rupture tarde à venir. Il y a encore trop de rentes de situation, trop d’intermédiaires sans utilité claire, trop de réseaux parallèles pour permettre un partenariat assaini, décomplexé, d’égal à égal. La "Françafrique" est moribonde. Je veux signer son acte de décès. Il ne s’agit pas de faire la morale, mais d’aider au développement. » Le 18 mars 2008, Bockel est mis dehors, renvoyé au dossier des Anciens combattants et remplacé à la coopération par Alain Joyandet, un françafricain bon teint que Claude Guéant s’empressa de présenter à Omar Bongo Ondimba. Reçu sur France24, Alain Joyandet assèna : "le détournement d’argent public en Afrique ? Ce sont vraiment des sujets qui ne me semblent pas devoir être au coeur de notre expression" "¨", le pillage des cerveaux africains ? C’est nous qui allons envoyer des cerveaux en Afrique","¨ "je souhaite plus d’influence française, j’ose le mot, plus d’influence française" "¨ou encore "si nous ne sommes pas les partenaires économiques privilégiés, alors on ne pourra plus défendre nos valeurs". La petite tempête dans le Bockel prit fin et tout est redevenu normal dans la continuité affairiste comme au temps de De Gaulle, de Pompidou, de Giscard, de Mitterrand et de Chirac.
Parmi tous ces présidents français, l’arrivée de Mitterrand à l’Elysée est celle qui avait le plus suscité chez de nombreux tiers-mondistes l’espérance d’une rupture avec la françafrique. Erreur là aussi. Puisque Jean-Pierre Cot, ministre délégué à la Coopération et au Développement, qui en « faisait trop » pour que le pillage de l’Afrique soit réduit -réduit, pas supprimé - fut démis de ses fonctions le 7 décembre 1982 et remplacé par Christian Nucci. A l’époque, Lionel Jospin, Premier secrétaire du PS et très proche de Mitterrand, justifia le remplacement de Jean-Pierre Cot par Christian Nucci en affirmant qu’il" n’est pas lié au fait qu’un homme incarne la lutte pour les droits de l’homme, les autres se situant sur le terrain du réalisme ". La suite est connue : assassinat de Thomas Sankara, coups d’état, tartufferie discursive de la Baule, sabotage des soulèvements populaires des années 90 déviés vers les fameuses conférences nationales souveraines, appui à la répression sanglante des tyrans africains…génocide au Rwanda en 1994. Le bilan de la Gauche française en Afrique est tout autant lourd que celui de la Droite. Aucun des dirigeants français n’a désobéit aux lois qui gouvernent les relations avec l’Afrique définie par Foccart comme « l’arrière-cours » de la France. Ces pratiques s’inscrivent d’ailleurs dans la logique coloniale qui déclara la France une puissance africaine. Faut-il rappeler que les initiateurs de la colonisation française que furent Gambetta, Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum étaient des Républicains de gauche ?
Curieusement, on voit aujourd’hui beaucoup d’africains se réjouir de l’arrivée de François Hollande à l’Elysée en remplacement de Nicolas Sarkozy. Ces réjouissances ont quelque chose de triste et d’aberrant. Car c’est à croire que le changement de maître change soudainement le statut de l’esclave. Au lieu d’appréhender sa situation dans son exactitude et se battre pour s’affranchir de ses chaînes, l’esclave préfère compter sur l’humanité du nouveau maître, la bonté de son coeur, sa gentillesse et sa bonne mine. L’esclave attend des réformes. Des africains espèrent un soulagement opéré par décret depuis l’Elysée. Quelle lucide appréciation des réalités des relations entre la France et l’Afrique ? C’est désespérant ! Cette attitude d’espérance fondée sur le sourire et les mots du nouveau locataire de l’Elysée confirme ce qu’a dit Thomas Sankara : « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Oui, l’esclave qui confie sa libération à la bonne volonté de son maître a fait le choix de ses chaînes. Il ne mérite donc pas d’être pleuré.
Nos prédécesseurs Samory Touré, Béhanzin, Chaka, Lumumba, Biko, Sankara, Olympio, Um Nyobè, Moumié et les millions d’africains assassinés par le colonialisme sont-ils morts pour rien ? Ces martyrs se sont-ils sacrifiés pour voir leurs descendants se complaire dans une espérance réformatrice indiquée par Paris, Londres, Washington, Bruxelles…Pékin ? Ces dignes fils d’Afrique auraient-ils espéré une amélioration des choses de ces capitales que leurs noms n’auraient même pas figuré dans notre patrimoine. En ayant les yeux rivés sur un éventuel « geste », « quelque chose » de ces capitales, nous leurs successeurs nous montrons indignes de nos prédécesseurs et dignes de nos fers.
Au fond qu’a promis François Hollande ? La fin de la françafrique. Au point 58 de ces 60 engagements il promet : « Je développerai la relation de la France avec les pays de la rive sud de la Méditerranée sur la base d’un projet économique, démocratique et culturel. Je romprai avec la « Françafrique », en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité. Je relancerai la francophonie. » Rompre avec la Françafrique et construire de nouveaux rapports basés sur l’égalité et la solidarité. Voilà la promesse que certains font semblant de n’avoir jamais entendu. C’est nouveau chez beaucoup d’africains incapables de saisir la place qu’occupe l’Afrique dans ce qui est appelé les relations internationales. Même si en pleine campagne électorale en février 2012 on avait vu Laurent Fabius, pressenti au ministère des affaires étrangères sous Hollande chez l’héritier Ali Bongo au Gabon, un des plus grands financeurs de la vie politique française, pour beaucoup d’Africains, « le changement c’est maintenant ».
Sarkozy avait-t-il promis et dit autre chose à propos de la Françafrique ? Et Chirac ? Et Mitterrand ? Et Giscard ? Et Pompidou ? Et De Gaulle ? Qu’ont-ils de leur promesse ? Les peuples qui ignorent les faits du passé sont condamnés à les revivre. En faisant comme si les dirigeants français n’avaient jamais parlé de la fin du pillage françafricain, les africains qui sautent de joie aujourd’hui pour la promesse Hollandaise vont vers une immense désillusion. Le Franc CFA sera maintenu, les bases militaires françaises aussi, la francophonie et ses rituels seront maintenus, les coups d’état nécessaires seront réalisés, les tyrans stabilisateurs seront confirmés et renforcés, les immigrés africains « inutiles » et jetables seront toujours renvoyés, les multinationales françaises seront toujours reines sur nos terres. Peut-être que tout ceci se fera avec moins de bruits et moins d’ostentation que par le passé, mais ça se fera. Car, plus que tout ce sont la logique de puissance et celle des intérêts qui guident les puissances mondiales parmi lesquelles se trouve la France. Il n’y a pas eu Révolution en France. C’est l’alternance démocratique avec tout ce qu’elle implique y compris dans le principe de continuité de l’Etat, notamment sur le plan international. Il n’est pas non plus débuté une Révolution dans les territoires africains pour remettre la main sur ce qui appartient au peuple africain. De plus, la parole d’un socialiste français ne vaut pas plus que celle d’un libéral français. Les intérêts nationaux priment sur les promesses électorales en direction de l’Afrique. La logique déclarative aurait voulu que Sarkozy qui était allé jusqu’à dire en terre africaine que la France n’a pas besoin de l’Afrique sorte son pays du continent dès son arrivée à l’Elysée. Que nenni ! La France a renforcé sa présence et a fait de multiples interventions armées directes, soit pour sauver ses satrapes comme au Tchad, soit en détruisant des dirigeants insoumis comme en Libye et en Côte d’Ivoire montrant effectivement que la France est une puissance africaine. Les réseaux, promis à la destruction par Sarkozy dans son discours à Cotonou en mai 2006, ont plutôt prospéré avec Robert Bourgi, Bruno Joubert, Claude Guéant et leurs différents référents tapis dans l’ombre.
Dans les milieux africains où la confiance dans la volonté du maître est plus forte que tout, on dit que Hollande sera « moins pire que Sarkozy ». Oui, Sarkozy a été brutal. Qui peut le nier ? Il a parlé aux africains qu’il déteste avec arrogance, mépris et condescendance du haut de ses 155 centimètres talonnettes comprises. Il est raciste. Par ses discours, Nicolas Sarkozy a injurié ouvertement les africains à de nombreuses reprises. Par les guerres qu’il a menées ouvertement en Afrique, Sarkozy est vu comme le plus mauvais des dirigeants français vis-à -vis de l’Afrique. Ce jugement, au fond, n’est qu’une mauvaise appréciation des réalités. Aucun locataire de l’Elysée n’est disposé, compte tenu de l’importance de l’Afrique dans la politique française, à lever la main. Tous ont eu et auront une politique ouvertement ou secrètement d’exploitation et de mépris à l’égard de l’Afrique tant que les africains ne décideront pas d’y mettre fin. Qu’elle soit ouverte ou discrète, la domination c’est la domination. Le Hard Power (puissance militaire) qu’on peut attribuer à Sarkozy ou le Soft Power (diplomatie d’influence) qu’on peut attribuer à Hollande sont appelés à produire le même résultat : le renforcement d’une Afrique au service de la France. Il faut souligner que le Soft Power, grâce à sa discrétion et ses pratiques de réseaux, avançant un discours apaisant et visiblement pacifique et humanitaire à la bouche, se révèle très souvent plus efficace que le bruit et les canons déployés par le Hard Power. Ce serait donc une grave erreur de penser que parce que le nouveau président français a un style différent, une méthode de travail différent il serait porteur de la rupture.
Toutes les sociétés qui se sont affranchies de la tutelle extérieure l’ont fait par leurs propres actions. Des actions endogènes qui, peut-être, finissent par la conclusion d’un accord ou un traité autour d’une table. Visiblement, nous autres Africains aimons la liberté donnée, des indépendances octroyées et pas conquises de hautes luttes. En voulant la liberté sans en payer le prix, nous faisons le choix de la servitude pour toujours. Car, quiconque confie la décision de sa libération à son maître est condamné pour toujours à la servitude. Il en est ainsi aussi bien des individus que des peuples.
Nous voulons toujours ramer à contre courant des lois de l’histoire. Nous offrons le visage d’un peuple qui n’a rien compris et qui ne veut rien comprendre dans un monde où être faible signifie disparaître et avoir des maîtres signifie misère, appauvrissement, sous-développement éternel. En nous présentant en agneaux dans un monde de loups, nous faisons de la provocation en direction des loups.
Les peuples qui trouvent des solutions à leurs problèmes ne sont pas ceux qui attendent qu’une puissance ouvertement coloniale leur ouvre les portes du paradis. Ce ne sont pas ceux qui espèrent que de bons esprits finiront par surgir dans la métropole pour mettre définitivement fin à leur exploitation ou leur apportent un « léger mieux ». Au contraire, ce sont les peuples qui se rassemblent, qui font leur unité et se battent pour refaire leur unité territoriale. Ce sont les peuples qui maîtrisent leur espace, qui l’occupent effectivement et le protègent par des dispositifs aussi bien juridiques que militaires. Ce n’est qu’à ce prix que ces peuples peuvent constituer des entités vivantes, solides, autonomes, respectées et peuvent échanger avec les autres sur la base de l’égalité et de confiance. Le reste n’est qu’ignorance suicidaire. En espérant la natte des autres, on finit par dormir à même le sol.
Nous avons affaire à un système avec des ramifications diverses et non à un individu, tout puissant président fut-il. Et ce système françafricain ne bougera pas tant que nous, africains, resterons immobiles. La mission libératrice nous revient. Ou bien nous sommes capables de la mener et nous serons maîtres de notre destin collectif, ou bien nous en sommes incapables et dans ce cas nous serons condamnés à espérer vainement des réformes promises par nos dominateurs.
10 mai 2012
Komla KPOGLI
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RAPPEL : Hollande a dirigé le Parti Socialiste français en tant que Premier Secrétaire de 1997 à 2008. Il n’a pas opposé de résistance à la politique française en Afrique. Le parti socialiste n’émet jusqu’ici que de molles critiques contre la Françafrique faite de hold-up électoraux, de coups d’état, de corruption, de pillage des richesses africaines par les entreprises françaises avec la complicité des tyrans au pouvoir. Récemment, François Hollande a soutenu les guerres de la France contre la Libye et la Côte d’Ivoire. Pour François Hollande, le président Laurent Gbagbo est infréquentable et se comporte comme un "dictateur, il n’y a pas d’autres mots, il n’a aucune place dans les réunions socialistes au plan international". Les intérêts français avant tout ! C’est normal.