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« L’Algérie est dans la ligne de mire des prédateurs occidentaux »

Décidément, à chaque nouvelle déstabilisation d’un pays, l’Occident fait appel à ses éclaireurs médiatiques. Une grande campagne de désinformation est orchestrée contre le Mali. Pourquoi ? Après le retour à l’ordre constitutionnel auquel plusieurs parties ont appelé, cela se conçoit, que se cache-t-il derrière ce double jeu d’un Occident qui ne lâche pas prise ? L’encouragement des Touaregs à constituer un « Etat » indépendant ne serait-il pas conçu dans cette logique de balkanisation de la région ? On est tenté d’y croire si l’on se réfère aux richesses dont regorge le nord du Mali. Dans cette perspective prédatrice, l’Occident ne s’embarrasse pas d’appliquer sa politique du « deux poids, deux mesures ». Y aurait-il de bons et de mauvais putschistes ? Dans cette nouvelle escalade à nos frontières, quels seraient les enjeux et le rôle de l’Algérie ? Questions que nous avons abordées avec le Dr Ley-Ngardigal Djimadoum, secrétaire général d’ACTUS/PRPE (Action tchadienne pour l’unité et le socialisme/ Parti révolutionnaire populaire et écologique) et d’ALAC (African Libyan Action Committees).

La Nouvelle République : Au vu des informations véhiculées par les médias occidentaux, c’est l’apocalypse au Mali. Comment peut-on décrire la situation qui prévaut actuellement ?

Ley-Ngardigal Djimadoum : Après les guerres impérialistes d’occupation en Irak, Libye et Côte d’Ivoire, aucun esprit rationnel et objectif peu soit-il ne pourrait encore croire aux médias mensonges occidentaux sur le Mali. A cet effet, un bref rappel historique des trois croisades occidentales de cette dernière décennie, serait nécessaire pour rejeter les intoxications médiatiques impérialistes sur le Mali. La désinformation médiatique est une redoutable arme utilisée systématiquement à satiété par les prétendues « puissances démocratiques » et impérialistes occidentales afin de recoloniser les pays du Sud. Ces mensonges érigés en mode de gouvernance universelle, remplacent dorénavant les lois internationales. Depuis la guerre contre le Président Saddam Hussein et le peuple irakien le 20 mars 2003, la désinformation ou les mensonges éhontés ont permis la recolonisation de ce pays et de la Libye par les puissances impérialistes USA, Grande-Bretagne et France. Au palmarès de cette prédation coloniale il faudrait ajouter la Côte d’Ivoire où la France s’était illustrée toute seule par une expédition militaire coloniale punitive en bombardant le palais présidentiel puis kidnappé et déporté le président légitime insoumis, Laurent Gbagbo. Elle a ensuite intronisé son nervi Alassane Ouattara. La démocratie à la canonnière jette de l’opprobre sur la France qui se dit défenseur des valeurs démocratiques universelles.

Souvenez-vous encore du petit tube à essai de laboratoire, exhibé par le secrétaire d’Etat américain Colin Powell, lors d’une conférence de presse. Ce mensonge ubuesque voudrait démontrer la présence d’armes de destruction massive (ADM) que détiendrait le président Saddam Hussein. Le résultat, nous le connaissons : les USA et leur allié britannique ont occupé le pays après des mois d’intenses bombardements. Ce fut un véritable crime contre l’humanité, le président Saddam fut assassiné, plus d’un million d’Irakiens morts, le pays détruit est occupé par les armées US et britannique, le pillage du pétrole continue. Paradoxalement, à ce jour, aucune ADM n’a été découverte !

Ce bref rappel historique, me semble-t-il, est nécessaire pour comprendre les cyniques objectifs de la campagne médiatique orchestrée par les médias mensonges occidentaux contre la prise de pouvoir par les jeunes officiers du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE) dirigé par le Capitaine Amadou Haya Sanogo.

Cette aile de l’armée malienne ne serait pas inféodée à la Françafrique. En effet, si ces militaires et leur coup d’Etat avaient reçu l’aval de l’impérialisme français, il n’y aurait pas eu cette avalanche de campagnes de désinformation médiatique et de condamnation de la part des autorités françaises. Il n’y a jamais eu d’apocalypse au Mali, causée par les militaires comme le pérorent les médiamensonges occidentaux.

Où sont les images des manifestations de masse en faveur du régime du président déchu Amadou Toumani Touré (ATT) à Bamako ? En revanche, ces médiamensonges ont occulté les manifestations monstres organisées par le Mouvement populaire du 22-Mars (MP 22) en soutien au CNRDRE. Une telle campagne de haine des impérialistes occidentaux est un prélude à une guerre contre le peuple frère malien. Les exemples de l’Irak, de la Libye et de la Côte d’Ivoire sont présents pour nous rappeler la logique de guerre de recolonisation et de rapine de ces puissances prédatrices occidentales. A ce sujet, l’écrivain et activiste malien Mountaga Fané Kantéka qui a vécu en direct les événements de Bamako, confiait dans un entretien réalisé par le journaliste Chérif Abdedaïm du quotidien algérien La Nouvelle République du 11 avril 2012, le constat suivant : « Comme je l’avais mentionné dans un article, il y a eu toute une campagne de désinformation autour des putschistes sur le web et sur des médias occidentaux comme RFI, France 24 ou La voix de l’Amérique, faisant croire que c’était l’apocalypse au Mali, alors que dans la réalité, ce n’était guère le cas ».

Dans son blog l’écrivain ajoutait : « Sur les antennes des mêmes médias spécialisés dans la désinformation, j’ai entendu aussi qu’il y aurait eu ce lundi 26 mars 2012 un « millier » de manifestants (selon RFI et France 24) et « deux mille » selon la Voix de l’Amérique, dans les rues de Bamako, pour protester contre le coup d’Etat. Sauf s’il n’est pas vrai que je vis à Bamako, je n’ai eu aucun écho de ces protestations.

Pourtant, je me suis promené en ville et me suis rendu jusqu’à Kati, fief des putschistes ».

Quelles seraient d’après vous les motivations profondes de ces putschistes ?

Un certain nombre de faits sociaux gravissimes égrenés par le CNRDRE dans sa première déclaration du 22 mars 2012, justifient l’éviction du président ATT. La paupérisation exponentielle des masses populaires maliennes est inversement proportionnelle à l’accaparement des richesses nationales par une poignée de personnalités, le gouvernement est corrompu et incompétent, l’armée nationale délaissée et sous-équipée est confrontée à la rébellion dans le nord du pays. Elle a perdu de nombreux hommes de troupe.

Les motivations profondes du CNRDRE seraient incontestablement le sursaut patriotique afin de résoudre les cruciaux problèmes sociaux et politiques.

Sa conférence de presse du 13 avril 2012, le Capitaine Sanogo a réitéré les raisons de l’éviction d’ATT : « Nous étions face à une situation chaotique, l’impasse politique, la corruption généralisée, et j’en passe. Notre ambition, c’est le Mali, le Mali en premier lieu, c’està - dire l’intérêt supérieur de la nation.

Nous poserons des actes concrets au profit du peuple malien »[Le Prétoire du 13 avril 2012]

Les jeunes officiers du CNRDRE appartiennent à l’aile patriotique de l’Armée selon la déclaration du MP22, qui sont animés par un élan nationaliste afin de stopper la descente aux enfers dans laquelle ATT, sa poignée de corrompus, les narcotrafiquants et autres petits bourgeois compradores, conduisent le Mali.

Pourquoi devrions-nous douter de la bonne volonté de ces jeunes officiers qui de surcroît ont subi dès les premières heures de leur action salvatrice les hostilités de l’impérialisme français ?

Le CNRDRE serait par conséquent une organisation autonome, indépendante de l’impérialisme français qui serait par ailleurs pris de court, malgré son contrôle par ses agents de renseignement qui essaiment les pays de son pré-carré africain.

Ce coup d’Etat pourrait-il constituer un alibi pour une intervention militaire étrangère ?

Sous le fallacieux prétexte de rétablissement de l’ordre constitutionnel, en réalité la défense de l’ordre colonial établi et des intérêts hexagonaux, les impérialistes, notamment la France, interviendraient militairement à l’instar de la Côte d’Ivoire. Pour cette dernière, la Françafrique doit être préservée par tous les moyens économiques, politiques, y compris militaires.

L’ultimatum de 72 heures lancé par la Cédéao au CNRDRE pour céder le pouvoir en rétablissant l’ordre constitutionnel, a été martelé dès les premières heures par la France.

L’ordre colonial français a été donné à la Cédéao d’intervenir militairement au Mali. Cette organisation sous-régionale, présidée par Ouattara, s’affirme au grand jour comme le bras armé des impérialistes, notamment de la France. Rappelons que le coup d’Etat militaire du 11 avril 2011 de l’armée française contre le président légitime Laurent Gbagbo, a permis d’introniser M. Ouattara. Ce dernier qui doit tout à son maître, le Président Sarkozy, fera du zèle en commettant des massacres s’il le faut.

D’après vous, les militaires qui ont pris le pouvoir ont-ils les moyens de contrôler la situation sécuritaire sans subir d’influence de récupération par l’Occident ?

Le régime d’ATT était responsable de l’affaiblissement matériel et moral de l’Armée nationale. Il serait difficile au CNRDRE de contenir dans un premier temps très court l’insécurité insidieusement et cyniquement programmée par les puissances impérialistes au Mali et dans cette sousrégion africaine saharo-sahélienne.

Le Mali affaibli militairement, non seulement verrait se renforcer l’influence occidentale mais l’impérialisme français récupérerait puis atomiserait l’esprit patriotique qui a conduit à la création du CNRDRE. Sous prétexte de réorganiser l’armée malienne et de l’aider à combattre les groupes rebelles au nord du pays, la France exigerait en retour l’installation d’une base militaire.

Au demeurant, rappelons que l’Hexagone a toujours souhaité installer une base à Mopti. Cependant le régime socialiste de Modibo Keita s’était opposé.

Les régimes successifs étaient contraints de répondre par la négative ou hésitaient car l’opinion malienne en général est farouchement opposée à une présence militaire française sur le sol national. Vous voyez pourquoi la France a aussi contribué à l’affaiblissement militaire du Mali en permettant au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) de rentrer au Mali suréquipé depuis la Libye. Des milliers de Maliens ont perdu la vie.

Le cynisme des impérialistes occidentaux à l’égard de l’Afrique est sans limite lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts.

Ont-ils les moyens nécessaires pour contenir la révolte des Touareg et éviter le démembrement du Mali ?

La proclamation de l’indépendance de l’Azawad le vendredi 06 avril 2012 n’est pas une surprise pour les observateurs, peu avertis soient-ils. En effet, les moyens matériels de l’armée malienne sont évidemment insuffisants en qualité et en quantité face à l’armada des groupuscules armés (Aqmi, Ansar Dine) et le MNLA, surarmés grâce aux arsenaux libyens. Dans sa déclaration du 20 mars, le CNRDRE a accusé le régime d’ATT d’avoir été responsable de l’affaiblissement matériel de l’Armée nationale. Cette dernière ne serait pas en mesure de contenir les assauts des groupuscules armés dans un premier temps car une guerre ne saurait être définitivement gagnée ou perdue que si la victoire ou l’échec s’inscrit dans la durée.

La farouche volonté commune de rétablir l’intégrité territoriale du Mali et son unité d’avant la proclamation d’indépendance de l’Azawad a été maintes fois affirmée par tous les partis, associations et société civile. Cette unanimité ne vaincrait-elle pas le démembrement du pays ?

Peut-on imposer à un peuple uni, jaloux de son indépendance et de l’intégrité territoriale du pays, la désintégration de sa patrie ? Le Président de transition du Mali Dioncounda Traoré a haussé le ton contre les rebelles sécessionnistes du MNLA :

« Nous n’hésiterons pas à mener une guerre totale et implacable pour recouvrer notre intégrité territoriale, pour bouter hors de nos frontières tous ces envahisseurs porteurs de désolation et de misère que sont Aqmi et tous ces trafiquants de drogue qui opèrent depuis trop longtemps dans le nord de notre pays (…) Nous préférons la paix, mais si la guerre est la seule issue, nous la ferons », a-t-il promis. » [Le Nouvel observateur du 12 avril 2012]. Le capitaine Sanogo, président du CNRDRE, a aussi résumé cette volonté unanime relative à l’intégrité du Mali en ces termes : « Il y a d’abord le dialogue, et l’armée est la dernière solution. Et si l’on devait passer par cette option, on s’est donné comme mission de défendre l’intégrité territoriale.

Nous sommes en train de voir dans quelle mesure on pourra outiller l’armée. Le reste on verra bien. » [Le Républicain du 16 avril 2012]

Estimez-vous que la « révolte » des Touareg contre l’exrégime malien est légitime ou serait-elle dictée par ceux qui veulent instaurer une nouvelle configuration géopolitique dans la région du Sahel ?

Il conviendrait de souligner que les révoltes des Touareg dans le nord du Mali et dans d’autres pays de la Françafrique sont récurrentes et à caractère social. Leurs causes sont d’origine exogène et/ou endogène.

Dans tous les pays du précarré français d’Afrique, y compris le Mali, l’héritage des antagonismes sociaux créés par le colonisateur entre les peuples demeure conflictuel. Par exemple, au Mali, l’administration coloniale avait institué les premières discriminations entre nomades « blancs » et sédentaires « noirs » . Dans les années 1950, les actuelles régions du Nord, peuplées de plusieurs centaines de milliers d’habitants pour une superficie de 822.000 km2, disposaient seulement de 4 cercles, 10 écoles dont 4 dites régionales (primaires au niveau des chefslieux de cercle), 10 dispensaires et infirmeries. Voici le vrai visage de l’impérialisme français qui refuse tout véritable développement social économique des colonies. Le MNLA et les Touareg auraient effacé de leur mémoire ce fait colonial accablant pour s’allier aujourd’hui à leur bourreau d’hier afin de dépecer leur pays, le Mali ? Depuis l’« indépendance », les gouvernements nationaux ont accompli des efforts substantiels en matière de structures de santé et d’éducation par rapport à l’administration coloniale française qui avait délaissé sciemment cette région du Nord, une sorte de bombe à retardement dans sa stratégie de recoloniser l’Afrique.

La question touarègue est, par conséquent, l’une des survivances des problèmes des nationalités (d’origine sociale) léguées par la puissance coloniale française au jeune Etat malien à son accession à l’indépendance nominale de 1960. La stratégie impérialiste de « diviser pour régner » trouve ici au Mali, comme dans tous les autres pays du précarré français, sa concrétisation.

Les antagonismes ethniques, régionaux (nordistes contre sudistes), religieux (chrétiens contre musulmans)… ont été exacerbés par la France afin de fragiliser puis de soumettre à sa domination totale les Etats. L’impérialisme occulte ainsi sa responsabilité historique dans le pillage des ressources naturelles et l’exploitation des peuples, lesquels ont conduit à leur paupérisation.

C’est dans ce contexte de revendications sociales légitimes contre les affres du système d’exploitation capitaliste que des populations entières africaines se sont soulevées contre les dictateurs imposés par la France. Les légitimes révoltes sociales contre les régimes dictatoriaux imposés par la France sont légions. Ces dernières devraient-elles nécessairement conduire à la proclamation unilatérale d’indépendance le 06 avril 2012 d’un Etat touareg (Azawad) ? Les injustices sociales institutionnalisées par les dictateurs « gouverneurs-délégués » de la France en Afrique touchent tout autant les autres peuples et les régions maliennes, à l’exception d’une ultraminorité de nouveaux riches prédateurs, pro-impérialistes, constituée des dirigeants politiques, de leurs familles élargies et de clans. La révolution populaire de 1991 contre la dictature de Moussa Traoré au Mali, à laquelle les Touareg ont participé, est un exemple qui transcende tous les clivages régionalistes jadis semés par la puissance coloniale.

Les revendications sociales des Touareg et celles des autres populations face aux affres du régime étaient convergentes et nationales. L’intégrité territoriale et l’unité nationale ont été préservées. Ce constat reste encore valable aujourd’hui, et le MNLA se doit de le reconnaître.

Il ne doit pas se laisser manipuler par les criminels desseins de l’impérialisme français contre le peuple malien auquel il fait partie intégrante. La balkanisation de l’Afrique la transformera en proie encore plus facile pour les puissances impérialistes occidentales prédatrices. Dans ces conditions d’injustices généralisées au niveau national, ne serait-il pas plus judicieux de fédérer toutes les révoltes sociales en luttes révolutionnaires nationales démocratiques populaires et antiimpérialistes afin de renforcer

l’unité nationale ? A cet effet, le MP22, qui regroupe 126 partis, organisations, associations et personnalités, a fait un pas décisif dans l’unité d’action en soutenant le CNRDRE, tombeur du régime d’ATT.

Que pensez-vous de l’indépendance autoproclamée de l’Azawad par le MNLA ? Quel rôle aurait joué la France ?

La France, qui bombardait à l’époque la Libye, dispose toujours de bases militaires au Tchad et contrôle le Niger. Elle pourrait, si elle le voulait, intercepter les colonnes des Touareg lourdement armées partant de Libye vers le nord du Mali. L’impérialisme français concocterait déjà son plan de la partition du pays. Un deal aurait été conclu entre le MNLA et la France pour la proclamation de l’indépendance de l’Azawad le 06 avril 2012. Nous y reviendrons plus tard. Mieux encore, si la France était tant attachée à l’intégrité territoriale du Mali, pourquoi n’a-t-elle pas aidé en armes l’Armée malienne ? Pourquoi n’a-telle pas convoqué le Conseil de sécurité de l’ONU pour une question territoriale aussi importante ? Elle sait pourtant bien ameuter les instances onusiennes quant il s’agit d’aller bombarder les régimes insoumis.

Le deal conclu entre la France et le MNLA fait de ce mouvement son protégé. En effet, la France n’a pas mobilisé l’opinion internationale sur les crimes contre l’humanité commis par le MNLA dans les territoires qu’il occupe dans le Nord du Mali. Les intérêts de l’impérialisme français sont plus importants que les vies humaines et les droits de l’homme au Mali.

Des actes gravissimes ont été commis par le MNLA sur les populations : viols de femmes, assassinats de civils, pillages, traitements humiliants et dégradants, exécutions sommaires des militaires faits prisonniers…

La ville d’Aguehoc, dans le nord du pays, fut le théâtre de la barbarie du MNLA et de son allié AQMI. L’Indépendant du 13 février 2012 rapporte les propos du président déchu ATT sur ces massacres d’Aguehoc : « Lorsque le MNLA a quitté les lieux, nous avons découvert une tragédie : soixante-dix de nos jeunes étaient alignés sur le sol, les Noirs avaient les poignets ligotés dans le dos et ont été abattus par des balles tirées à bout portant dans la tête. Ceux qui avaient la peau blanche, les Arabes et les Touareg, ont été égorgés et souvent éventrés. » Selon le même journal, à la mi-février, de retour d’une mission au Mali, le ministre français de la Coopération Henri de Raincourt avait avancé un bilan de 82 morts et fait état de « méthodes barbares et expéditives dans l’exécution des victimes ». Le quotidien malien L’Essor du 17 février 2012 écrit : « Du 18 au 24 janvier dernier, la localité d’Aguelhoc, dans le nord du pays, a été brutalement attaquée par des éléments se réclamant du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Des dizaines de militaires des forces armées et de sécurité ont été faits prisonniers avant d’être froidement exécutés, les mains ligotées dans le dos, avaient témoigné deux jours plus tard les élèves de l’Institut de formation des maîtres, qui ont pu s’échapper de cet enfer ». Les déclarations du gouvernement français, « désapprouvant » cette indépendance mais ne la condamnant pas fermement, ne sont qu’une imposture.

Le président Sarkozy a déclaré : « Il faut travailler avec les Touareg pour voir comment ils peuvent avoir un minimum d’autonomie. » [Le Monde du 13 avril 2012] Pourquoi ignore-t-il les accords de paix entre le gouvernement malien et le MNLA signés à Tamanrasset sous l’égide du gouvernement algérien le 6 janvier 1991 ? N’y aurait-il pas là une certaine volonté manifeste de torpiller la médiation algérienne afin de réaffirmer sans complexe la suprématie coloniale de la France dans son précarré ? S’agissant de l’autonomie des 6e et 7e régions du Nord du Mali, le procès-verbal de cet accord stipule : « Les deux parties ont convenu que les populations des trois régions du Nord du Mali géreront librement leurs affaires régionales et locales par le biais de leurs représentants dans des Assemblées élues, selon un statut particulier consacré par la loi. » De quelle « autonomie » nouvelle qu’évoquait subtilement le président si ce n’est l’indépendance autoproclamée de l’Azawad dont la France est la cheville ouvrière ?

A l’heure où les impérialistes occidentaux, malgré leurs rivalités internes inhérentes au système capitaliste, s’associent militairement pour recoloniser l’Afrique, ne serait-il pas suicidaire pour notre continent de favoriser sa balkanisation en aidant à la réalisation de leur doctrine qui est : diviser pour régner ? Le MNLA, cantonné dans l’Azawad Land, serait une proie encore plus vulnérable pour les prédateurs occidentaux qui le dépèceront davantage en Azawad occidental, oriental, centre, nord, sud… au gré de leur boulimie d’exploitation en appliquant la même stratégie d’indépendance programmée. Ils inciteront plus tard d’autres populations (Songhaï, Maures, Bambara, Peuls, Dialonke, Mossi, Bambara...) qui vivent dans cette région septentrionale du Mali à proclamer aussi unilatéralement leurs indépendances.

L’exploitation capitaliste des peuples africains se traduit par le bonheur et le bien-être croissant des prédateurs.

Le MNLA serait piégé dans des accords de dupes avec les puissances impérialistes qui l’auraient encouragé et soutenu dans sa proclamation unilatérale d’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012. Les Touareg déchanteront et leur réveil sera brutal.

Les peuples africains se doivent d’intégrer dans leurs actions la dimension panafricaine de notre riche continent qui est devenu aujourd’hui au XXIe siècle l’enjeu majeur de géostratégie pour les puissances impérialistes occidentales.

Les puissances impérialistes, notamment la France et les Etats-Unis, sont en rivalité entre elles d’une et d’autre part avec les puissances émergeantes, notamment la Chine, pour l’exploitation des gigantesques ressources minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphate bauxite, manganèse…) du Sahara.

La position géostratégique de la région saharo-sahélienne attise aussi les convoitises de ces deux puissances occidentales. A cet effet, depuis 2002, les Etats- Unis ont élaboré le Pan Sahel Initiative (PSI) qui deviendra en 2004 Trans-Sahara Counter Terrorisme Initiative (TSCI), dont l’objectif officiel est d’aider les forces de sécurité des pays riverains et limitrophes du Sahara (Niger, Mali, Algérie, Tchad, Maroc, Tunisie, Mauritanie, Sénégal, Ghana) à contrôler les frontières et à lutter contre les activités illégales et le terrorisme incarné par AQMI [Source : globalsecurity. org du 26 mars 2012]. Des manoeuvres et entraînements militaires ont eu lieu entre les unités de ces armées africaines et les troupes états-uniennes sur notre continent.

La France, quant à elle, dispose de bases en Afrique (Tchad, Djibouti, Gabon, Côte d’Ivoire, Sénégal et Centrafrique) et des accords de coopération ou de défense avec un certain nombre de pays de la Françafrique. Ces structures lui permettent de maintenir sa domination, voire de bombarder le palais présidentiel au cas où le dirigeant africain manifesterait des velléités d’indépendance, d’insoumission comme le fut le président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire.

Certains évoquent la reprise du célèbre plan d’Alain Peyrefitte sur la création d’un Etat pour les Touareg chevauchant sur quatre pays : le Nord du Niger et du Mali, le Sud de l’Algérie, le Sud et l’Ouest de la Libye. Partagez-vous cet avis ?

Je partage cette analyse. En effet, l’activisme militaire de la France autour du Sahara l’atteste. La question du Sahara a toujours été l’une des préoccupations majeures de l’impérialisme français suite à la guerre de Libération nationale du FLN. L’intérêt de la France pour cette région africaine est d’autant plus aigu avec la montée en puissance de la Chine dans le domaine économique sur le continent. Cette « intrusion » chinoise dans le pré carré a affaibli considérablement la suprématie impériale de la France. Son sursaut impérialiste se traduit par un activisme guerrier dans cette région africaine (Libye, Mali, Tchad, Niger, Mauritanie).

La France s’attellerait à concrétiser son vieux projet de 1957 de créer l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS). Cette structure consistait à rassembler les régions sahariennes d’Algérie, du Mali, de Mauritanie, du Niger et du Tchad dans un ensemble unique sous contrôle de l’ancienne puissance coloniale. Les troubles qui affectent cette région ces dernières années, comme par exemple dans le Nord-Mali frontalier avec le Sahara algérien, impliquerait la France.

Selon le docteur Assadek Aboubacrine, un universitaire malien, un deal a été conclu entre la France et le MNLA en ces termes : Le deal convient que la France s’engage à soutenir financièrement, diplomatiquement et stratégiquement les séparatistes jusqu’au bout, c’est-à -dire jusqu’à ce qu’ils atteignent leur objectif. En contrepartie, les séparatistes devront s’engager à éradiquer AQMI du Nord du Mali et aussi à confier aux sociétés françaises l’exploitation du pétrole du Nord [sites : Blog regardscroises du 7.4.2012, RFI du 10.4.2012 et Médiapart du 18.4.2012]. La question du Sahara était déjà , à la veille des indépendances des colonies africaines, une des préoccupations majeures de la France.

En effet, elle voudrait amputer l’Algérie de son Sud (Sahara algérien), provoquant ainsi l’échec des premières négociations franco-algériennes d’Evian entre le 20 mai et le 13 juin 1961 et les pourparlers de Lugrin du 20-28 juillet 1961. Le Front de libération nationale (FLN) a organisé des manifestations populaires dans tout le pays.

On suspecte notamment la main des services de renseignements français dans cette nouvelle crise malienne ? Etes-vous de cet avis ?

Les guerres de l’ombre ou secrètes que mènent les services secrets occidentaux pour recoloniser l’Afrique sont une réalité. En Libye, comme en Côte d’Ivoire, les agents de la DGSE étaient en action. Il en est de même pour le Mali aujourd’hui. Au Mali, le deal conclu entre la France et le MNLA évoqué précédemment se trouve renforcé par la croisade guerrière dirigée par la France contre la Libye, son rôle dans les prises d’otages au Niger et Mali, ses implications militaires au Niger, en Mauritanie et au Tchad dans les affaires d’otages. Cette cartographie qui épouse les contours du Sahara et qui cerne l’Algérie confirme si besoin est les interventions des services de renseignements français. Cette guerre de l’ombre est un prélude à la vraie bataille ouverte contre l’Algérie et pour cause. Dans cette région, la République algérienne démocratique et populaire (RADP) est incontestablement la plus puissante et importante. Elle est aussi indépendante, insoumise depuis la victoire du FLN en 1962 sur l’impérialisme français. La RADP empêche de facto la réalisation du projet de 1957 d’Alain Peyrefitte de la création d’un Etat saharien touareg, le contrôle de la bande saharo-sahélienne (riches en richesses minières stratégiques) par les puissances occidentales.

En conclusion, la RADP doit être déstabilisée voire détruite afin de voir se réaliser les projets des impérialistes. Le quotidien algérien Le Temps d’Algérie du 11 septembre 2011 écrit : « Les services de renseignements français qui organisent le trafic de missiles libyens, un lot de 20 000 Sam 7 russes et Stringer américains passés aujourd’hui aux mains d’Al Qaïda au Maghreb (AQMI), avaient planifié au début des années 1990 la révolte des Touareg dans le Nord du Mali. Une rumeur sur la prétendue arrestation d’Akhamoukh, véhiculée par ces services secrets au moment de l’affaire Hadj Batou avait été exploitée pour élargir l’insurrection dans l’Azaouad à la région de Tamanrasset ». D’autres sources affirment par ailleurs que parmi les 7 otages occidentaux détenus au Sahara par AQMI, l’un d’entre eux serait un agent des services secrets français, la DGSE. Cette guerre secrète que mène la France sous prétexte d’infiltrer les réseaux terroristes afin de les combattre ou de libérer les otages n’aurait- elle pas aussi d’autres objectifs que ceux invoqués ?

L’Algérie a connu des années noires, elle a su faire face courageusement toute seule et vaincre les terroristes. A qui profiterait une nouvelle déstabilisation de ce pays africain ? Curieuse coïncidence ou pur hasard, on observe les accointances entre les impérialistes occidentaux et Al-Qaïda ces derniers temps : En Libye, Abdelhakim Belhaj, l’un des chefs militaires rebelles, aujourd’hui gouverneur militaire de Tripoli, un djihadiste bien connu des services secrets américains et son groupe, ont été aidés par Sarkozy-Obama-Cameron et les bombes de l’OTAN pour prendre le pouvoir à Tripoli au sein du CNT. A propos de cet homme, le quotidien français le Monde du 26.08.2011 écrit : « Plus connu de la CIA sous le nom d’Abou Abdallah Al-Sadek, il est l’un des fondateurs et même l’émir du Groupe islamique combattant (GIC) libyen, une petite formation ultra radicale qui, dans les années précédant le 11 septembre, possédait au moins deux camps d’entraînement secrets en Afghanistan ».

Une configuration similaire de cette alliance contre nature est en cours en Syrie contre le président Bachar Al Assad. L’Algérie et son juteux Sahara échapperaient-ils à ce plan diabolique des impérialistes ? Il est de notoriété publique que le prétexte de « lutte » contre AQMI et autres groupuscules terroristes au Sahara, invoqué par les prédateurs occidentaux, masque en réalité leur farouche volonté de s’incruster et d’installer leurs bases militaires. Ils pourraient ainsi garantir le pillage à ciel ouvert et à haut débit des immenses richesses minières de la région saharosahélienne au détriment de l’Afrique.

Le schéma classique de la nouvelle stratégie des impérialistes pour recoloniser l’Afrique et les autres pays du Sud dirigés par des Présidents insoumis repose sur les actions déstabilisatrices des services secrets. Voici par exemples quelques pays qui sont dans la ligne de mire, en cours de déstabilisation ou ceux déjà victimes : l’Algérie de Bouteflika, la Libye de Kadhafi, la Côte d’Ivoire de Gbagbo, le Zimbabwe de Mugabe, la Corée du Nord de Kim Jong Un, l’Iran d’Ahmadinejad, le Venezuela de Chavez, Cuba de Castro, la Bolivie de Morales, la Syrie de Bachar Al Assad… Les puissances impérialistes envoient leurs agents sur le terrain fomenter des troubles, infiltrer et dévier les mouvements normaux de revendications sociales existants de leurs objectifs initiaux, livrer une guerre médiatique en relatant généralement les prétendus massacres des populations civiles par les régimes... La suite, vous la connaissez.

Les puissances impérialistes encore appelées « communauté internationale » imposent alors une résolution au Conseil de sécurité permettant ainsi de légitimer les bombardements des pays, de capturer ou d’assassiner les dirigeants wanted et, enfin, de recoloniser légalement les pays et pratiquer le pillage à haut débit et à ciel ouvert avec l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU.

Hier, les pays tels que Haïti, l’Irak, la Côte d’Ivoire, la Libye étaient victimes de cette guerre de l’ombre. Au Mali, cette guerre est en cours. A qui demain le tour ? L’Afrique doit réagir énergiquement et collectivement contre cette guerre de recolonisation qui nous est imposée.

C’est une question de survie de notre continent et des peuples.

Selon l’agence chinoise Xinhua du 26 mars 2012, « le ministère français des Affaires étrangères a réitéré le 26 mars son exigence du "retour à l’ordre constitutionnel" au Mali ». Pour vous, c’est une déclaration de guerre. Pourquoi ?

L’impérialisme français a toujours eu un mépris atavique à l’égard des Etats subsahariens. Ce constat est insupportable, humiliant et dégradant pour l’Afrique. Les indépendances nominales de 1960 n’ont rien changé dans l’attitude de la France, car elle détient tous les leviers qui lui permettent d’asservir nos Etats. Les déclarations du ministère français des Affaires étrangères sur le "’retour à l’ordre constitutionnel’’ est effectivement une déclaration de guerre contre le peuple malien qui a osé lever la tête. Cette déclaration est aussi un ordre qui traduit cette réalité du rapport « maître-esclave » que la France voudrait maintenir pour l’éternité contre la volonté d’émancipation des peuples du pré carré français d’Afrique. Il serait utile de rappeler les trois principaux leviers qui permettent à la France de tenir en laisse les Etats du pré carré français d’Afrique :

- La monnaie : Parmi les premières mesures de rétorsion imposées par la France contre le CNRDRE et les organisations affiliées, la plus importante est le blocage des avoirs dans les banques des pays membres de la CEDEAO.

Le Mali appartient à la zone monétaire du FCFA que dirige la France. Une asphyxie monétaire et économique du pays aurait des effets immédiats.

Rappelons pourquoi cette monnaie est contraire au développement de l’Afrique. Créé le 26 décembre 1945 par la France, le FCFA (franc des colonies françaises d’Afrique » est appelé à partir de 1958 franc de la communauté française d’Afrique. Il est utilisé par 15 anciennes colonies françaises d’Afrique. Le FCFA étant lié à l’ancien franc français (FF) se retrouve aujourd’hui sans l’avis des Africains avec une dévaluation sans précédent dans la zone euro (1 euro = 655,957 CFA). Une telle parité monétaire permet aux puissances impérialistes, notamment à la France de piller nos ressources naturelles et non de les acheter à leur juste prix. De plus, ce sont les multinationales occidentales qui spéculent en Bourse sur les cours des matières premières. Afin de garantir la stabilité du FCFA avec un taux de change fixe arrêté par la France, cette dernière a imposé aux 15 pays africains de placer 65% de leurs recettes d’exportation encore appelées réserves de change en devises étrangères sur un compte du Trésor français. Une domination et un vol qui ne permettront jamais un développement de nos Etats et le bien-être des masses populaires africaines . Prenons un exemple : si le Tchad vend du pétrole pour la valeur d’un milliard de dollars, il a l’obligation de laisser un dépôt de 650 millions de dollars sur son compte domicilié au Trésor français à Paris. Cet argent enrichit de toute évidence la France. La Banque de France dispose ainsi et gratuitement d’importantes réserves en devises étrangères et de liquidités permettant à l’Etat français de faire face aux dépenses courantes, alors que les travailleurs africains cumulent des retards de paiement de plusieurs mois parfois par manque de liquidités. Cette servitude coloniale monétaire est aussi caractérisée par l’absence d’une politique monétaire indépendante conforme au développement et aux intérêts des peuples, car la France dispose du droit de veto au sein des conseils d’administration des Banques centrales africaines (BEAC et BCEAO).

- La Défense et la Sécurité : les accords militaires et de sécurité conclus avec les Etats africains, la présence des bases militaires françaises sur le continent, permettent à la France de tout surveiller et d’exercer des pressions militaires sur les gouvernements.

- La Diplomatie : elle dépend des deux premières. Les Etats de la Françafrique, non seulement sont pillés économiquement, mais ils constituent un socle sur lequel la France s’appuie pour pouvoir avoir encore le statut de puissance moyenne à l’ONU en faisant entendre sa voix. Au demeurant, rappelons que les dirigeants (gouverneurs-délégués) de la France en Afrique, imposés aux peuples et soutenus par Paris, votent comme un seul homme à l’ONU. Ces harkis de l’impérialisme français sont aussi coupables de la tragédie ivoirienne, libyenne et de la recolonisation de ces deux pays. Au niveau de la crise malienne, nous avons assisté à l’exécution servile des oukases de la France contre le Mali par les harkis de la CEDEAO dirigés par Ouattara. Ce dernier, furieux par la manifestation de soutien au CNRDRE organisée par le MP22, brûlait d’impatience d’envoyer 3 000 hommes grâce à la logistique de l’armée française d’occupation en Côte d’Ivoire pour massacrer les Maliens et rétablir l’ordre colonial. Quelle humiliation pour notre continent !

Vous considérez la crise malienne comme une recrudescence des agressions impérialistes occidentales contre l’Afrique, afin de la recoloniser. Pouvez-vous expliciter ?

En l’espace d’une année, deux guerres de rapine et de recolonisation ont été livrées contre l’Afrique. La Côte d’Ivoire et la Libye sont aujourd’hui sous occupation impérialiste occidentale. La crise malienne est une extension de la croisade guerrière contre la Libye. Cette guerre embrasera incontestablement toute la région saharo-sahélienne. Mais cette fois-ci, la stratégie de l’impérialisme est d’abord de déstabiliser, d’affaiblir puis d’occuper toute la région saharo-sahélienne qui renferme de gigantesques ressources stratégiques (pétrole, gaz, uranium, wolfram, or) mais aussi pour sa position géostratégique. Le vieux projet d’Alain Peyrefitte de 1957 de création d’un Etat saharien touareg est sorti des tiroirs de la Françafrique.

La proclamation unilatérale de l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012 au nord du Mali par le MLNA n’est pas fortuite. Elle concrétise le dessein de la France. Si le Mali a été choisi en premier pour ce projet saharien, c’est pour la proximité immédiate de l’Azawad avec le Sud algérien, où se trouve la ville la plus importante de tout le Sahara : Tamanrasset. Ceci d’une part. D’autre part, le MNLA a conclu un deal avec la France.

La présence de la République algérienne démocratique et populaire (RADP) indépendante et insoumise dans cette région du Sahara empêche incontestablement la concrétisation du grand projet impérialiste pour le Sahara. Par conséquent, cet Etat africain est dans la ligne de mire des prédateurs occidentaux qui rêvent de le plonger dans le chaos, le dépecer à l’instar de la Libye. L’impérialisme impose à l’Afrique des guerres de recolonisation. Nous avons le devoir et le droit de nous défendre.

Cette « gangrène » qui a touché la Libye (actuellement en proie à une guerre civile généralisée), la Côte d’Ivoire et maintenant le Mali va-telle s’étendre à d’autres pays africains ou s’arrêter à ce niveau ?

La crise monétaire et économique du système capitaliste qui frappe les puissances impérialistes depuis 2008, la montée en force des pays émergeants : Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud (BRICS) notamment la Chine, se traduit par le déclin irréversible des anciennes puissances occidentales. Dans l’espoir de pouvoir maintenir leur rang politique sur la scène internationale, leur haut niveau de vie par le pillage des ressources des pays du Sud, les puissances impérialistes se sont fixé pour objectif la recolonisation de l’Afrique, cet « espace vital ». Elles déclenchent sans complexe des guerres meurtrières de rapine certifiées par les résolutions scélérates du Conseil de sécurité de l’ONU. Hier, c’étaient la Côte d’Ivoire et la Libye. Aujourd’hui, c’est au tour du Mali qui est en déliquescence programmée par les impérialistes. A qui demain le tour si l’Afrique ne s’organise pas collectivement pour se défendre ? Le Mali subirait le même sort suivant la stratégie française éprouvée en Côte d’Ivoire où un nervi de la Françafrique a été imposé et certifié par l’ONU et la France. Rappelons que la France a sanctuarisé la région Nord de Côte d’Ivoire où s’étaient retranchés les rebelles Ouattara et Soro, permettant ainsi à ces derniers de se renforcer militairement avant de les introniser suite au coup d’Etat de l’armée française le 11 avril 2011 contre le président légitime et insoumis Laurent Gbagbo. Cette offensive de recolonisation de « l’espace vital » par les prédateurs occidentaux s’étendra à toute l’Afrique si nous laissons faire. Stoppons par tous les moyens cette boulimie de reconquête occidentale de l’Afrique. Nous devons nous organiser collectivement à l’échelle continentale pour vaincre cette guerre qui nous est imposée. C’est de la légitime défense. Il y va de l’existence de notre continent et des Africains.

Malgré la situation actuelle, vous êtes de ceux qui semblent confiants quant au sursaut d’orgueil des enfants de l’Afrique. Dans quelle mesure cela pourrait-il déjouer les complots tramés par les Occidentaux afin d’accaparer les richesses africaines ?

Les deux événements majeurs du début de ce XXIe siècle, qui marqueront à jamais les consciences des masses populaires africaines sont :

- les bombardements du palais présidentiel de Côte d’Ivoire par l’armée française, causant la mort de plusieurs centaines d’Ivoiriens, la capture et la déportation à La Haye du président légitime Laurent Gbagbo pour y être jugé par la CPI, un tribunal raciste antiafricain

- la croisade contre la Libye par le trio criminel Sarkozy-Obama- Cameron, dirigée par le président Sarkozy. Les bombardements des forces de l’OTAN ont causé la mort de plus de 100 000 Libyens et enfin l’assassinat du Guide Kadhafi par ces mêmes impérialistes et leurs supplétifs harkis du CNT de Benghazi. Le pays jadis développé est aujourd’hui transformé en un champ de ruines.

Une conscience militante de lutte anti-impérialiste chez des jeunes prend de l’ampleur. Ils affirment leur attachement au panafricanisme et à la création des Etats- Unis d’Afrique (EUA), un sublime projet initié par le héros africain, le Guide Kadhafi et pour lequel il fut assassiné par les prédateurs occidentaux. La balkanisation de l’Afrique programmée par les impérialistes, sera mise en échec par cette jeunesse conscientisée qui sera le futur de notre continent.

Les EUA permettront la survie des peuples africains. Si l’Afrique subit encore cette domination occidentale, c’est que certains intellectuels africains, assoiffés de pouvoir personnel, sont devenus des harkis des impérialistes occidentaux. Ils oeuvrent en faveur des intérêts de leurs maîtres occidentaux contre ceux de l’Afrique. Le comportement de traître, indigne, abject et criminel de ces « intellectuels harkis », associé à celui de certains leaders politiques et chefs d’Etats africains (gouverneurs délégués) de la France en Afrique a encouragé les impérialistes occidentaux à commettre des crimes contre l’humanité et à infliger des humiliations à toute l’Afrique en 2011.

Ces « harkis-intellectuels » qui ont applaudi les crimes impérialistes contre l’humanité en Côte d’Ivoire et en Libye, ces « gouverneurs-délégués » qui ont voté les résolutions scélérates du Conseil de sécurité contre leur mère-patrie, l’Afrique, commencent à sentir la montée en puissance du sursaut patriotique anti-impérialiste de la jeunesse. Ils seront contraints de se soumettre à cette volonté populaire . C’est aussi cela la vraie démocratie et non celle qui a servi de prétexte aux puissances prédatrices pour recoloniser l’Afrique. La « défense de la démocratie » et la « protection des populations civiles » sont les raisons toujours invoquées par les puissances occidentales pour intervenir militairement et recoloniser l’Afrique. Cependant, force est de constater aujourd’hui que le masque est désormais tombé.

En effet, les pays sous occupation (Côte d’Ivoire et Libye) ne sont ni démocratiques, ni pacifiés. L’arbitraire et le désordre sont institutionnalisés et règnent. Face à cette imposture démocratique et à la recolonisation de l’Afrique, la résistance anti-impérialiste s’organisera et triomphera.

Je reste optimiste pour l’avenir de l’Afrique, car le sentiment de révolte qui tonne chez les jeunes et la paupérisation exponentielle des masses populaires se transformeront en une révolution, qui comme un tsunami brisera sur son passage les chaînes de l’esclavage. Un sursaut patriotique est encore possible car notre continent doit exister et devenir la superpuissance du prochain siècle. L’Afrique, vaste continent, dispose en effet, des colossales ressources humaines, naturelles minières… indispensables à son envol vers cet objectif. L’absence manifeste de volonté politique chez certains dirigeants inféodés aux impérialistes et dont la mission est de torpiller le projet des EUA résisterait- elle encore longtemps à la volonté des peuples tant humiliés, exploités et méprisés par les puissances impérialistes occidentales et leurs valets ?

Les peuples algériens et vietnamiens conscientisés, déterminés ont vaincu les puissantes armées impérialistes françaises et étasuniennes. Un tel objectif à l’échelle des EUA serait d’autant plus facile que le niveau global de notre développement s’est largement amélioré en comparaison avec celui de la période des luttes de libération nationale.

Affaiblir le Mali pour le soumettre ? Quels sont les enjeux que représente le Mali dans cette nouvelle crise ? Serait-il une étape pour de nouvelles escalades déstabilisatrices dans la région ?

En permettant aux Touareg de s’équiper en armements depuis les arsenaux libyens, en les laissant transiter librement par le Niger (qui est sous son contrôle) pour rejoindre au final le nord du Mali, frontalier avec le Sahara algérien (Tamanrasset), l’impérialisme français vise 4 objectifs :

- affaiblir le Mali afin de le contraindre à accepter l’installation de la base militaire française à Mopti car l’opinion publique en général est très hostile à la présence des forces étrangères dans le pays.

- permettre aux entreprises françaises de participer à l’exploitation de l’or (confiée aux canadiennes), à l’exploration du pétrole et d’autres minerais. La France n’a pas digéré que son pré carré accueille d’autres partenaires économiques. Toute velléité d’insoumission est sanctionnée par la déstabilisation programmée du pays.

- affaiblir les relations entre l’Algérie et le Mali, surtout après les accords de paix de Tamanrasset du 6 janvier 1991, signés entre le gouvernement malien et le MNLA, sous l’égide de la République algérienne démocratique et populaire (RADP).

- contrôler la région saharo-sahélienne pour sa position géostratégique et ses immenses richesses minières stratégiques.

A cet effet, l’impérialisme voudrait à tout prix déstabiliser la RADP, voire l’amputer de sa partie saharienne si besoin est, afin de ressusciter le projet de 1957 d’une région française au Sahara. Le choix du Mali pour cette criminelle opération tient à sa proximité directe avec Tamanrasset.

La proclamation unilatérale de l’Azawad par le MLNA concourt à ce projet de l’impérialisme français malgré ses déclarations hypocrites sur le respect de l’intégrité du Mali. Son deal avec le MNLA cité plus haut montre son vrai visage.

Avec l’instabilité en Libye et au Mali, comment voyez-vous le rôle et la place de l’Algérie au milieu de ce brasier, si l’on peut le qualifier ainsi ?

La République algérienne démocratique et populaire (RADP), je préfère l’appeler littéralement car cela évoque dans l’esprit de tous les patriotes africains révolutionnaires l’épopée glorieuse de la lutte de libération de ce pays, héroïquement menée par le Front de libération nationale (FLN) contre l’impérialisme français. Ce même impérialisme français a repris aujourd’hui le haut du pavé en déclenchant des guerres de rapine et de recolonisation de l’Afrique, par exemple en Côte d’Ivoire, en Libye et en cours de réalisation au Mali. Ce brasier allumé à dessein par les impérialistes en Afrique pour la balkaniser selon leur principe de « diviser pour régner ». Ces guerres de recolonisation nous incitent à relire l’histoire des luttes de libération de notre continent. L’exemple de la RADP reste une source d’inspiration et, à ce titre, nous estimons qu’elle a un rôle historique important à jouer dans la lutte anti-impérialiste et contre la recolonisation de l’Afrique.

Nous avons dans des déclarations de notre parti, ACTUS/PRPE, relatives aux situations en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali, fustigé les guerres impérialistes de la France en Afrique. Nous avons exprimé notre solidarité avec le peuple algérien, qui en 1962 a infligé une cuisante défaite aux troupes coloniales françaises, arrachant son indépendance. Cette humiliation infligée à la France par les vaillants moudjahidine ou « fellaga » de l’Armée de libération nationale (ALN), bras armé du FLN, resterait encore tenace dans la mémoire de la puissance coloniale, qui voudrait à tout pris prendre sa revanche afin de piller le pétrole et le gaz dont elle en est dépourvue.

Après l’exécution de son plan criminel en Libye, au Mali, deux Etats frontaliers de la RADP, l’impérialisme français ne s’arrêterait pas en si bon chemin. La déstabilisation de la RADP prendrait son envol par l’activation des antagonismes régionaux (Berbères, Kabyles, Arabes, Touareg…) ou des réseaux confessionnels islamistes (AQMI, GIA, GSPC)… Cependant, nous souhaitons et espérons que l’esprit révolutionnaire et nationaliste du FLN d’antan resurgisse afin d’infliger un second échec à toute velléité de balkanisation et de reconquête de la RADP. Cette dernière est dans la ligne de mire des prédateurs occidentaux notamment de la France qui rêve encore de réaliser son projet du Sahara français de 1957. Après l’indépendance du pays, la RADP a aidé de nombreux mouvements de libération des pays du Sud. Aujourd’hui, plus que jamais, ce devoir internationaliste prend tout son sens et son importance en Afrique face à la recolonisation occidentale rampante de notre continent.

La RADP devrait perpétrer cette noble tradition révolutionnaire, car l’impérialisme n’a guerre changé. Il a muté sous la forme de la « communauté internationale » constituée en réalité des USA, de la France et de la Grande-Bretagne.

C’est ce trio qui impose au Conseil de sécurité sa volonté impériale par des résolutions scélérates et criminelles en Côte d’Ivoire et en Libye.

La RADP indépendante et insoumise ne serait-elle pas la prochaine cible de ces puissances prédatrices ? Ces dernières ne se seraient-elles pas alliées à AQMICNT en Libye pour assassiner le Guide Kadhafi, tuer 100 000 libyens par de bombardements afin d’occuper le pays ?

La défense de la RADP commencerait aussi par son aide à tout pays africain visé par les actions multiformes de recolonisation impérialiste.

C’est à ce niveau que la patrie du FLN devrait jouer un rôle important décomplexé et ce, d’autant plus que la sous-région saharo-sahélienne est convoitée par les puissances occidentales assoiffées de ressources minières stratégiques et d’installation des bases militaires. Nous pensons que si la RADP s’était impliquée davantage aux côtés de la Libye, elle aurait incontestablement imposé et entraîné l’Union africaine (UA) à résister ensemble contre les impérialistes.

Entretien réalisé par Chérif Abdedaim

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Georges Séguy. Résister, de Mauthausen à Mai 68.
Bernard GENSANE
Il n’a jamais été le chouchou des médias. Trop syndicaliste, trop communiste, trop intransigeant à leur goût. Et puis, on ne connaissait même pas l’adresse de son coiffeur ! Seulement, à sept ans, il participe à sa première grève pour obtenir la libération de son professeur qui a pris part aux manifestations antifascistes de Février 34. Huit ans plus tard, à l’âge de quinze ans, il rejoint les rangs de la Résistance comme agent de liaison. Lui et les siens organisent de nombreuses évasions (…)
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