Il vaut d’ailleurs mieux parler de colère. Même les politesses d’usage disparaissent tant ce dernier et sa clique sont honnis et tant la haine est forte. Dans Médiapart (1) il est dit que "les ouvriers et employés vivent la rage au coeur". N Sarkozy a beau vouloir changer son image de "Président des riches", celle-ci lui colle désormais bien à la peau. Ce qui est positif c’est que ce phénomène de rejet touche toute la droite, y compris celle de centre droit de Bayrou. Ce qui est beaucoup plus inquiétant c’est qu’une partie des mécontents lorgnent vers le FN de Marine Le Pen.
Au sein du peuple-classe il semble exister chez certains une sorte d’atavisme nationaliste qui fait en quelque sorte blocage à toute critique de la bourgeoisie et du capitalisme. Pour le dire schématiquement, il semble que sous l’effet d’un long conditionnement il soit plus aisé de riposter contre un "eux" externe que contre un "en-haut" interne. Or la période impose une double contre-attaque parfois complexe : contre l’oligarchie nationale et contre la troïka (FMI, BCE, UE) . Mais si la critique d’un "mal" externe est ici plus facile - et ce aussi bien contre les migrants que contre les capitalistes externes - il est aussi désormais certain que la contestation de la bourgeoisie nationale est désormais bien réelle y compris chez les couches populaires qui votaient à droite. Ce n’est pas rien !
Pour autant, ici, l’internationalisme n’est pas adopté et encore moins le cosmopolitisme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réponse radicale façon "Philippe Corcuff" ne parait pas être la bonne. Trois pas en avant des masses disait l’autre ! Mon propos n’est pas de rabaisser la perspective de transformation sociale, environnementale et démocratique mais de la mettre en prise avec un électorat qui semble prêt au changement. Il ne s’agit pas de cacher par exemple des mesures antiracistes ou antisexistes afin de "séduire" un électorat populaire. On garde tout mais on adapte le corpus à une base sociale qui nous est idéologiquement différente. Pour revenir au texte (2) de PCorcuff, il faut dire tout d’abord que son amalgame entre Jean-Luc Mélenchon et la droite nationaliste est malheureux, décevant et injuste. Cela génère un brouillage des pistes et empêche d’offrir une réponse précisément "de gauche" aux critiques populaires de Sarkozy. Ensuite, proposer un "cosmopolitisme métissé" - ce qui est positif de mon point de vue- risque néanmoins d’être laissé totalement de côté si un ancrage social et national n’est pas fait.
Il en va de même de la critique autogestionnaire d’un Jean-Pierre Lefebvre sur les services publics et la fonction publique. Une telle perspective est tellement hypercritique de l’Etat que l’on ne voit pas toujours en quoi elle se distingue de celle de droite qui glose faussement sur "l’Etat modeste" en construisant un Etat pénal et sécuritaire au service des gros actionnaires et du capital soit "la main droite" de l’Etat (Bourdieu) . D’accord il y a l’autogestion mais combien d’ouvriers et employés ne la croient pas possible. Il faut donc partir de la conscience des prolétaires pour avancer. Là à la différence des débats universitaires ou académiques le syndicalisme aide : il oblige à remettre les théories bien en prise avec la subjectivité des travailleurs et travailleuses de base, pas la petite-bourgeoisie libérale ou salariée (3) . Ce n’est pas que les théorisations soient inutiles bien au contraire mais en politique elles doivent s’adapter à la classe dominée à laquelle on s’adresse. Je me permet de renvoyer à mon "Quelle gauche contre la pensée d’extrême-droite ?" (4)
Le social avec le national, le national avec le démocratique élargi et extension à des changements sociaux et écologiques en Europe et dans le monde : tel pourrait être le fil conducteur "de classe" et "à gauche". Car ce que veulent les prolétaires ce sont bien des services publics en capacité de satisfaire les besoins sociaux , des services publics fortement distributeurs de valeur d’usage et donc à tarifs réduits soit la "main gauche" de l’Etat (Bourdieu) . Ils veulent un Etat social avec une véritable protection sociale et une retraite par répartition et pas un Etat néolibéral anti-social vendu à la finance. Un Etat social est certes national mais il est avant tout une conquête du peuple-classe français contre la classe dominante car l’oligarchie financière n’en veut plus. Elle veut toujours et encore privatiser et soumettre à la finance. De l’Etat social pour le peuple-classe, elle n’en a d’ailleurs jamais voulu mais elle a du composer après la deuxième guerre mondial avec un "contrat social" réservé à la métropole et devenu obsolète. Aujourd’hui il n’y a plus de "contrat social" de progrès possible, du moins pas sans un rapport de force conséquent. Les peuples-classes d’Europe doivent donc peser aussi fortement que le faisaient les pays de l’Est entre 1945 et 1975. Le problème n’est pas que la dynamique soit absente. Il est que la gauche social-démocrate ne s’appuie pas dessus en reprenant ses revendications.
Christian DELARUE
1) Ouvriers, employés, ces oubliés qui vivent la rage au coeur | Mediapart
http://www.mediapart.fr/journal/france/030112/ouvriers-employes-ces-oublies-qui-vivent-la-rage-au-coeur
2) "De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, de la xénophobie d’extrême-droite au nationalisme des républicains de gauche"
suivi de en petit et ensuite : Je ne cherche pas ici à tout amalgamer...
in Métissage cosmopolitique contre chauvinisme : Todd et Enthoven outrepassés par Chamoiseau le visionnaire
http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-corcuff/211211/metissage-cosmopolitique-contre-chauvinisme-todd-et-enthoven-outre
3) Les trois types de "petite-bourgeoisie"
http://blogs.mediapart.fr/blog/christian-delarue/150911/les-trois-types-de-petite-bourgeoisie
4) Quelle gauche contre la pensée d’extrême-droite ? C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1590