Quand on est profondément inscrit dans le système néolibéral et que l’on veut, malgré tout, tenter de se démarquer pour exister, il faut proposer des solutions qui ont l’air d’être bonnes, car issues du bon sens commun, mais qui se révèlent partielles, inappropriées, voire inapplicables… Dans tous les cas, lesdites mesures ne remettent en cause ni la mondialisation, ni les politiques européennes et nationales néolibérales.
C’est l’exercice auquel se livre François Bayrou pour amorcer sa campagne présidentielle. Arrêtons-nous sur l’idée de génie de Bayrou : Acheter français !
Bravo, mais ceci dit, Bayrou n’envisage pas de mesures de protection du marché français, en taxant, par exemple, les produits non français. Il nous propose une sorte de démarche de consommation volontariste, militante et citoyenne à l’instar de celle qui préside au commerce équitable.
Il clame : « on est en train de crever, il faut inverser le mouvement et redonner envie d’acheter français, c’est une démarche civique… ». Pour lui, le civisme se résume à aller dans les rayons de son supermarché pour acheter des produits français. Manifester son opposition au « mouvement » (néolibéral ?) par un acte d’achat est moins « dangereux », pour Bayrou et ses amis, que de manifester bruyamment, voire violemment, dans les rues des villes de France.
Ceci dit, une question vient immédiatement à l’esprit : celle de déterminer quels sont les produits réellement français. On sait que la mondialisation de la production a éparpillé le processus de production sur le plan géographique. Alors peut-on dire qu’une automobile de marque Renault, Peugeot… est un produit de fabrication française ?
François Bayrou donne la réponse : créer un label France. Un organisme certificateur (privé sans doute) pourrait accorder un label aux produits français, en prenant en compte, par exemple, la part de la valeur ajoutée France incluse dans le produit. De façon similaire, les produits du commerce équitable bénéficient, moyennant finance, d’une certification attestée par un label.
Acheter français et acheter équitable présentent des similitudes évidentes. Dans les deux cas, « on » reconnaît que la « main invisible » qui guide les forces du marché, atteinte d’un syndrome parkinsonien, engendre des dysfonctionnements socialement nuisibles. Mais comme « on » ne veut pas toucher aux règles de la libre concurrence, « on » met en avant le commerce équitable ou l’acheter français pour corriger les errements du marché.
Le commerce équitable concerne les pays du Tiers-Monde. Dans le cadre de la Tiers-Mondialisation de l’Europe à travers la désindustrialisation, l’accroissement du chômage, la précarisation, l’appauvrissement généralisé des populations, l’euthanasie des classes moyennes et l’enrichissement continuel des plus riches, le commerce équitable sera prochainement étendu à notre continent.
Ainsi, pourrait-on voir apparaître des produits euro-équitables : du textile euro-équitable (pour lutter contre les importations chinoises), des automobiles euro-équitables (contre les importations coréennes), une médecine euro-équitable (contre l’importation de personnel de santé sous-payé), un enseignement euro-équitable (pour lutter contre les importations d’enseignants faiblement rémunérés)...
En fait, le problème des travers de la mondialisation néolibérale ne pourra être traité que lorsque nos politiciens eux-mêmes seront soumis à la concurrence internationale qui proposera mieux et moins cher. Il est certain que dans cette hypothèse, les dits politiciens prendront immédiatement les mesures de protection appropriées car le politicien euro-équitable aura certainement peu de chance de bénéficier d’un vote « citoyen »