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Assistance sexuelle ou prostitution ? entre criminalisation et désir…

Soyons immédiatement clairs : je suis pour l’abolition de la prostitution comme je suis pour l’abolition du travail salarié et contre toutes les oppressions. Et cependant, cela ne m’empêche nullement d’être pour l’assistance sexuelle des handicapé-e-s de même que favorable à l’expression des syndicats des travailleuses et travailleurs du sexe.

L’assistance sexuelle est une revendication de l’Association des paralysé-e-s de France qui a ouvert une pétition sur ce sujet.

Il est pourtant fort tentant d’envisager l’assistance sexuelle comme une prostitution et la fourniture de prestations sexuelles sous le seul aspect du travail forcé. Là encore, il faut être clair, l’esclavage est une abomination, et le travail forcé concerne encore plus de 150 millions d’enfants dans le monde. Une extraordinaire violence est aussi faite à des centaines de femmes emmenées clandestinement dans les pays plus riches pour s’adonner à la prostitution sous l’emprise de passeurs qui marchandent leurs dettes de voyage ou la légalisation de leur séjour. L’exploitation odieuse des femmes et des enfants se continue largement dans la dynamique du capitalisme patriarcal. Une immense brutalité est à l’oeuvre qui construit une vision pornocratique et marchande du désir. Il semble cependant que le refus de ce qu’on nomme la légalisation ou la réglementation de la prostitution ne soit pas si facilement réductible au travail forcé. Rappelons-le. Pour le moment et depuis fort longtemps, la prostitution « volontaire » est légale en France et n’a nul besoin d’être légalisée. En revanche, le proxénétisme est un délit.

Alors pourquoi existe-t-il un débat refusant la « légalisation » et exigeant l’abolition des prestations sexuelles « volontaires » ? Ici, l’abolitionnisme n’est que de « l’interdictionnisme », c’est-à -dire que le raisonnement développé conduit à la criminalisation et à l’interdiction des pratiques actuelles offrant des prestations sexuelles immédiatement jugées comme entraînant une oppression des femmes. Les premiers abolitionnistes de la fin du XIXème siècle avaient d’abord pour but d’en finir avec le fichage policier et les sanctions permanentes contre les personnes prostituées et de leur ouvrir un suivi médical. En même temps, une volonté de prohibition a souvent demandé d’interdire la pratique de la vente de prestations sexuelles. L’ « abolition » immédiate de la prostitution est envisagée à travers des mécanismes de répression du client ou de la personne prostituée. En outre, la culpabilisation morale n’est jamais loin qui travestit une offre (évidemment discutable) de prestation sexuelle en « vente du corps des femmes ». C’est à travers une vision intrinsèque simpliste d’asservissement et de déchéance sociale qu’est pensé ce type de prestation sexuelle. Le problème est que ce point de vue simplificateur et misérabilisme est partagé par la droite bien pensante et la droite extrême, les barbus, les anti-IVG et les puritains qui amalgament alors pêle-mêle avortement, prostitution et débauche dans une même opprobre criminelle. Enfin, la stigmatisation du racolage ou des clients devient le point de vue officiel d’une répression camouflée des désirs sexuels qui ne sont plus tolérés que dans la sphère privée.

La réalité est pourtant plus complexe. Il existe réellement des personnes qui se prostituent volontairement. Certes, la prostitution « volontaire » résulte le plus souvent d’une condition élémentaire, la précarité de la survie, ce que connaissent bien les pauvres, les exclu-e-s, les étudiant-e-s, les étranger-e-s. C’est souvent la précarité qui entraîne des personnes en situation de grande détresse à pratiquer ce type de prestation moralement réprouvée et habituellement largement méprisée. Mais le travail salarié est aussi lié à la précarité, quand bien même il n’encourt pas la même indignité. Le salarié ne travaille jamais librement, le travail est la condition de sa survie et la violence de la précarité y est permanente. Le chômage est l’envers du décor de l’exploitation salariale qui refuse le droit à un revenu vital. Le choix d’un type ou d’un autre type de travail n’est pas aussi aisé qu’il y paraît et de nombreux travailleurs n’exercent simplement que l’emploi qu’ils ont pu obtenir, parfois bien éloigné de leurs compétences ou de ce qu’ils espéraient. Il ne reste que la mendicité pour vivre sans travailler si on ne dispose pas de rentes. Au demeurant, il existe bien des situations professionnelles discutables qui s’avèrent très proches d’une prostitution volontaire de l’esprit, sinon des corps, et où l’obéissance abêtie est réputée comme une vertu. De nombreux contrats marchands ne se signent qu’à l’ombre de frasques grivoises et bien des entreprises ou des dirigeants étayent leurs échanges à l’aide de call-girls, que, parfois, ils mépriseront ensuite. Cette hypocrisie capitaliste qui use d’une prostitution de confort n’empêche pas les mêmes de déclarer indécente la prostitution qu’ils ne contrôlent pas.

Pourtant, le client n’est pas toujours le pervers annoncé et la personne qui se prostitue n’est pas toujours une pauvre fille perdue. L’oppression des femmes et des enfants dans un monde patriarcal est une chose trop grave pour la simplifier. Dans le contexte d’inégalité marchande et de néocolonialisme, il existe aussi bien des femmes que des hommes pour combler leur misère sexuelle en cherchant des jeunes gens jusque sous les tropiques. Si l’exploitation pornocratique est plutôt masculine, le « tourisme sexuel » reste assez partagé. La vente de prestations constitue aussi une forme de thérapie contre la privation pour des personnes inaptes à la rencontre sexuelle. Il faut aussi dire que le travail du sexe « volontaire » ne concerne pas que des femmes. Bien que les clichés aient la vie dure, il existe une certaine proportion d’hommes, homosexuels, travestis, transsexuels qui vendent des prestations sexuelles. En outre, le répertoire contient des prestations qui ne sont pas toutes sexuelles. Alors que la vente de photos nues, de vidéos même dégradantes, de conversations érotiques ou de petites culottes usagées n’est pas assimilée à de la prostitution, certaines masseuses ou les « dominas » par exemple pratiquent rarement autre chose que l’organisation de situations sensuelles ou fantasmatiques sans acte sexuel.

On argumente généralement que l’argent des prestations sexuelles est détourné par le proxénète lorsqu’il existe. C’est malheureusement vrai. Mais les prestations s’avèrent également une source de revenu pour les personnes « volontaires » qui les vendent. Le travail salarié ne diffère pas ici. Une grande partie de la valeur du travail est détournée au profit du patron ou d’actionnaires, et pire, dans ce cadre là , ce détournement est légal. Les relations de travail connaissent largement le harcèlement et la pression, et les marges de choix restent bien limitées. Seules les luttes sociales ont permis que soient arrachés quelques aménagements, congés payés, arrêts maladies, périodes de repos, retraite. Pareillement, les prostitué-e-s disposent de possibilités de refus d’une prestation ou d’un client et peuvent négocier le type de prestation. Même si cette marge de manoeuvre reste réduite, l’offre de prestation sexuelle « volontaire » n’est pas enfermée dans un rapport de domination absolue où la personne prostituée n’aurait rien à dire. La personne prostituée peut même partager des sentiments avec un « souteneur ».

Mais la criminalisation de l’activité, le délit de racolage, et l’absence de syndicat des travailleurs du sexe entraînent des conditions de travail exécrables. Réprimer la prostitution ou pénaliser les clients peut vider les trottoirs, mais cela détériore d’abord la pratique de l’activité, la rend clandestine, empêche de protester contre la violence faite aux personnes et en réduit le suivi médical, pourtant indispensable. D’autant que l’organisation du travail du sexe est refusée au motif que ce serait accepter un sexisme inadmissible. Pourtant, la défense syndicale et la revendication de l’amélioration des conditions de travail n’empêchent nullement d’exiger l’abolition du travail salarié. Refuser que s’organisent les travailleuses et travailleurs du sexe, c’est risquer de les cantonner à un isolement propice à l’oppression et au néocolonialisme. C’est faciliter le harcèlement et le fichage policier. C’est n’accorder aucun droit d’expression, aucun sentiment, ni aucun rôle aux personnes concernées. C’est rester myope sur la réalité sociale de leur propre détresse.

Enfin, et surtout, comment se peut-il que l’assistance sexuelle aux personnes handicapées soit aussi facilement assimilée à de la prostitution ? Les deux arguments fondamentaux généralement réprouvés, argent et contrainte, en sont totalement absents. Dans l’assistance sexuelle, il n’existe pas de transactions marchandes, seuls les frais sont pris en charge, et la prestation sensuelle est seulement basée sur le volontariat, pas sur la contrainte, même économique. En outre, les volontaires disposent d’une formation adaptée aux réalités du handicap. Chacune des deux parties peut à tout moment refuser la proposition de l’autre et souvent la prestation reste plus sensuelle que sexuelle. Alors, pourquoi cette assimilation avilissante à la traite d’êtres humains et ce refus d’officialisation sinon par affirmation idéologique de la toute puissance d’un ordre puritain ? Les assistant-e-s sexuel-le-s ont été formé-e-s pour favoriser une certaine latitude affective et sexuelle des personnes et savent procurer une attention intime, sensuelle, érotique et sexuelle. Ils/elles conduisent des ateliers de séduction et d’estime de son corps. Il faut en finir avec des préjugés rigoristes de dames patronnesses. La prestation d’assistance sexuelle ne maltraite ni les assistant-e-s, ni la personne privée d’autonomie.

L’occultation de la question de la sexualité des handicapé-e-s révèle combien d’interdits sont encore en place contre la liberté des personnes. Car la frustration sexuelle et sensuelle est aussi responsable de nombreuses souffrances. Pour une personne handicapée, dépendre sans cesse du bon vouloir d’autrui dans les actes quotidiens ou dans les relations, c’est déjà souvent subir une infantilisation qui réduit toute recherche amoureuse. Mais comment faire, comment parler de ce vide émotionnel avec les soignant-e-s, les parents ou les aidants familiaux ? La société oppose toujours une grande réticence envers les manifestations sexuelles des handicapé-e-s comme si l’abstinence était un enjeu de l’ordre normal.

Être privé de sexualité est pourtant un vrai tourment émotionnel et ce n’est pas normal de le subir. Ici, aucun sexisme primaire. Cela concerne évidemment aussi bien des hommes que des femmes, les handicapé-e-s que les prisonnier-e-s et tous ceux qui sont privé-e-s d’autonomie. Les religieux de tous poils contraignent la femme à dissimuler ses charmes, voire enferment toute velléité d’affirmation sexuelle quand la publicité exhibe sans cesse le mannequin idéal du désir masculin. La mini-jupe a toujours été la cible immédiate des réactionnaires. Le patriarcat exerce une réduction de la femme à la procréation maternelle ou à l’objet de désir. Mais l’anti-sexisme ne peut se comprendre comme une volonté de désexualisation des personnes humaines. La question de la libre expression des désirs est essentielle contre l’oppression machiste et puritaine et il ne faudrait pas que les révolté-e-s, les antisexistes, les anti-homophobes, les antiautoritaires, les libertaires et tout ceux qui sont attaché-e-s à la liberté ne se fourvoient à admettre des dénis moraux, religieux et pudibonds au nom d’un étrange « féminisme » vertueux ou d’une recherche assidue de la normalité du vieux monde

Évidemment, avoir un petit moment de sexe ou de sensualité n’est pas vivre le grand amour, mais vivre le sexe fait intégralement partie du développement émotionnel, sensible et intellectuel des personnes humaines. La grande majorité des êtres humains connaissent quelques expériences sexuelles préalables à leur attachement amoureux et ces expériences participent à l’épanouissement de leur vie affective. C’est cette expérience émotionnelle qui est refusée aux handicapé-e-s, aux prisonnier-e-s et à tous ceux qui sont privés d’autonomie. Les personnes handicapées rencontrent mille obstacles au cours de leur vie, mais voilà un droit humain qui peut enfin leur être reconnu. Le droit à la sexualité est une exigence libertaire qui ne peut se réduire ni à la négation de l’autre, ni au harcèlement.

La grande victoire du féminisme a été de réussir à faire reconnaître que l’anti-sexisme était une force d’émancipation gagnante pour les femmes aussi bien que pour les hommes. Il faut prolonger la critique des idéologies pornographiques particulièrement avilissantes qui construisent encore un érotisme fondé sur la domination masculine. La vacuité des comportements machistes et pornocrates privilégie les immatures, les violents et les égocentriques en justifiant l’exploitation marchande. Cette grossière oppression est en outre accompagnée depuis le plus jeune âge par un étalage de phallocratie jusque dans les livres d’enfants (voir mon papier sur les animaux habillés par exemple). Cette hégémonie machiste n’est pas non plus vraiment tempérée par le semblant d’éducation sexuelle scolaire qui oublie toute émotion érotique. Il faut délivrer l’humain de cette guerre des sexes primitive. Et cette libération réclame que soit aussi déchiffrés les désordres du désir, les labyrinthes des fantasmes sexuels, dans lesquels règnent aussi bien l’amour que la domination, le rêve que le fantasme, le pire et le meilleur. Une sexualité libérée est possible.

Mais la seule limite qui devrait cerner la sexualité humaine reste le libre consentement des adultes averti-e-s. Entre droit à la sexualité et exigence de pudeur, la mise en place d’assistants sexuels formés est une réponse simple, nécessaire et surtout humaine à la privation d’autonomie.

Ce n’est encore que le début de la lutte pour la libération sexuelle...

Thierry Lodé

Pétition de l’Association des Paralysés de France :

http://www.faire-face.fr/archive/2011/09/06/oui-a-l-assistance-sexuelle-des-personnes-en-situation-de-ha.html

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Daniel Dupuis
La pratique des arrestations illégales, des tortures et des exécutions en dehors de tout procès régulier puis de la dissimulation des dépouilles (d’où le terme de « disparus ») est tristement célèbre en Amérique latine où les dictatures ( l’Argentine de la junte militaire, le Paraguay dirigé par le général Alfredo Stroessner, le Chili tenu par Augusto Pinochet...) y ont eu recours. De 1980 à 2000, sous un régime pourtant démocratique, l’armée du Pérou n’a pas hésité à recourir à la terreur (…)
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