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Amine Maalouf à l’Académie Française : le talent et la tolérance

« Celui qui vient d’une autre société doit commencer par assimiler ce qui existe déjà : l’histoire, la langue, les symboles de reconnaissance, le mode d’existence, les valeurs essentielles telles que la laïcité, ensuite seulement il a le droit et même, dirais-je, le devoir d’apporter sa contribution, d’imprimer sa marque. »

Amine Maalouf, Entretien au Figaro en 2004.

Un feu d’artifice dans un ciel littéraire parisien structuré par le formalisme et les consensus mous. Pour la seconde fois, l’Académie française vient de désigner un heureux immortel, en l’occurrence, un autre Arabe. Après Assia Djebar, c’est le cas cette fois, de Amine Maalouf, romancier de talent. Les immortels montrent une nouvelle fois leur souhait de voir sous la Coupole, des écrivains d’origine étrangère après avoir élu en 1996 Hector Bianciotti né en Argentine, en 2002, François Cheng né en Chine. C e qui ne gâte rien l’écrivain algérien Yasmina Khadra reçoit le prix de Littérature de la même vénérable institution. C’est à ces signes que l’on reprend espoir à savoir que les Académiciens dans leur ensemble sont en règle générale insensibles au discours ambiant politicien qui aurait fait par exemple qu’un Arabe aussi brillant soit -il, n’a aucune chance de faire l’objet d’un consensus pour son élection comme cela est arrivé à Amine Maalouf, élu si l’on peut dire dans un fauteuil avec 17 voix sur 24.

Qu’est au juste l’Académie française ?

La vénérable institution a été fondée par Richelieu en 1635. Le rôle de l’Académie française est double : veiller sur la langue française et accomplir des actes de mécénat. La première mission lui a été conférée dès l’origine par ses statuts. Pour s’en acquitter, l’Académie a travaillé dans le passé à fixer la langue, pour en faire un patrimoine commun à tous les Français et à tous ceux qui pratiquent notre langue. Aujourd’hui, elle agit pour en maintenir les qualités et en suivre les évolutions nécessaires. Elle en définit le bon usage. Elle le fait en élaborant son dictionnaire qui fixe l’usage de la langue, mais aussi par ses recommandations et par sa participation aux différentes commissions de terminologie. La seconde mission - le mécénat -, non prévue à l’origine, a été rendue possible par les dons et legs qui lui ont été faits. L’Académie décerne chaque année environ, soixante prix littéraires. Mention particulière doit être faite du grand prix de la Francophonie, décerné chaque année depuis 1986, qui témoigne de l’intérêt constant de l’Académie pour le rayonnement de la langue française dans le monde. (1)

Qui est Amine Maalouf ?

Né le 25 février 1949 à Beyrouth, dans une famille chrétienne, Amin Maalouf est l’auteur de sept romans, de livrets d’opéra et de plusieurs essais, dont Les Identités meurtrières, paru en 1998, où il menait une réflexion sur les notions d’identité et d’appartenance, en corrélation avec la langue. Originaire de multiples patries, de coeur et d’hérédité, le Libanais francophone Amin Maalouf a obtenu, jeudi 23 juin, la reconnaissance de ses pairs écrivains dans son pays d’adoption. Après le prix Goncourt et plusieurs récompenses littéraires, il est reçu à l’Académie française. En octobre 2010, il avait reçu le prix Prince des Asturies pour les lettres, récompense la plus prestigieuse en Espagne, dotée de 50.000 euros, et en mars dernier il avait été le seul écrivain français sélectionné pour le Man International Booker Prize.

L’oeuvre de celui que l’on a parfois surnommé « Monsieur Tolérance » s’intéresse au rapprochement des civilisations, au thème de l’exil et de l’identité. L’écrivain franco-libanais est élu au fauteuil de Claude Lévi-Strauss. Il a fait du rapprochement des civilisations et des confessions la pierre angulaire de son oeuvre.

Dans son dernier essai, Amin Maalouf, connu pour avoir publié, entre autres, Léon l’Africain, Samarcande, Les Identités meurtrières, décrit le « dérèglement du monde » Pour lui, le dérèglement du monde tient moins à la guerre des civilisations « qu’à l’épuisement simultané des civilisations, l’humanité ayant atteint en quelque sorte son « seuil d’incompétence morale ». A l’âge des clivages idéologiques qui suscitait le débat, succède celui des clivages identitaires, où il n’y a plus de débat. Islam et Occident : les deux discours ont leur cohérence théorique, mais chacun, dans la pratique, trahit ses propres idéaux. Pour Amine Maalouf, l’Occident « est infidèle à ses propres valeurs », ce qui le disqualifie auprès des peuples qu’il prétend acculturer à la démocratie. Sa tentation : préserver par la supériorité militaire ce que ne lui assure plus sa supériorité économique ni son autorité morale.

Amin Maalouf se penche au chevet de deux ensembles culturels qu’il chérit également, analysant d’un côté la perte des valeurs, de l’autre l’indigence morale qui frappe le Monde arabe. « Jamais le double langage de l’Occident n’a été aussi manifeste que durant l’ère Bush, et jamais le monde arabo-musulman n’a paru plus enfermé dans une impasse ». (2) Bien avant Amin Maalouf, l’Emir Abdelkader dans « El Maoukef » écrivait à propos de la défaite de la pensée en Occident : « Plutôt que d’interroger, nous nous interrogeons sur l’avenir de l’homme en général et de l’Occident en particulier puisque c’est lui qui dominera le monde matériel. Cet Occident est malade de son intelligence. Il a beau être savant, il n’arrive pas à saisir une vérité essentielle tant il est vrai qu’il est assoiffé de conquête et de pouvoir, aveuglé par l’illusion de sa puissance, prônant l’argent pour Dieu. » Le philosophe René Guénon, à son tour, dans les années 1920 du siècle dernier, avait pointé du doigt l’inanité d’un Occident pétri de certitudes. « Comme ces causes sont précisément en même temps, celles qui empêchent toute entente entre l’Orient et l’Occident, on peut retirer de leurs connaissances un double bénéfice : travailler et préparer cette entente, c’est aussi s’efforcer de détourner les catastrophes dont l’Occident est menacé par sa propre faute. » (3)

Les réactions : De nombreux hommages et une invective incompréhensible

Il est de tradition de féliciter le vainqueur d’une élection marquant de la sorte, pour tous et, notamment pour le concurrent, l’élégance et le fair-play. En l’occurrence, je veux rapporter au lecteur, en honnête courtier, les deux types de réactions, celle classique de l’éloge et celle incompréhensible, de notre point de vue, et qui consiste « à descendre en flammes » surtout de façon injuste, l’auteur en l’occurrence Amine Maalouf donnant en creux l’illusion que tout le monde s’est trompé sauf l’inquisiteur...

Parmi les témoignages nombreux et objectifs qui ont salué cette élection, citons d’abord la contribution de Cecile Mazin : « L’élection d’Amin Maalouf sous la Coupole s’est finalement faite sans trop d’encombres. Avec 17 voix en sa faveur, le romancier franco-libanais compte désormais parmi les 40 Immortels, alias Papys la tremblote, comme disait Desproges... » (4)

« L’occasion pour Bertrand Delanoë de féliciter l’auteur, sans manquer d’exprimer toute son émotion. Saluant l’oeuvre « extraordinairement féconde et inspirée », le maire de Paris se montre sensible à « une langue extraordinairement vive et originale, le choc du particulier et de l’universel ». « C’est aussi une grande voix du Liban qui est honorée aujourd’hui, et c’est une satisfaction très particulière de voir entrer sous la Coupole un représentant de ce pays amoureux de la vie, qui se situe au confluent de tant de cultures et de civilisations. » (...)Notons également qu’Alain Juppé a salué cette nomination. « Au carrefour des identités et des fraternités méditerranéennes, l’oeuvre et la personne d’Amin Maalouf constituent le merveilleux reflet de notre diversité et de la francophonie qui la soude », considère le ministre des Affaires étrangères. « Amin Maalouf a choisi d’habiter la langue française sans renier sa première patrie, le Liban, cher au coeur des Français. » (4)

A l’autre bout du curseur, je laisse le lecteur apprécier à sa juste valeur ce réquisitoire. Avec des mots choisis pour faire mal, David Caviglioli du journal Le Nouvel Obszervateur nous informe qu’Amine Maalouf est un chantre béat qui, d’une certaine façon, a usurpé la place puisque il met en doute le mérite. Nous lisons : « Le romancier franco-libanais, chantre béat de la tolérance entre monothéismes, entre à l’Académie française et occupera le fauteuil de Claude Lévi-Strauss. Le mérite-t-il ? Pas sûr. (...) Le philosophe Yves Michaud, autre candidat, est crédité de trois voix. Personne, en revanche, n’a voté pour le rigoureux sociologue Michel Maffesoli, dont nous étions les supporters silencieux ». (5)

Nous remarquons au passage que le journaliste juge l’Académie en donnant un avis différent sans être académicien à même de juger. Poursuivant son bréviaire d’intolérance, il écrit : « Amin Maalouf à l’Académie ? On n’aurait rien contre, sachant que les Immortels intronisent depuis quelques années le pire comme le meilleur. (...) Maalouf trouverait volontiers sa place dans la catégorie des académiciens sympathiques, mais trop insignifiants pour vivifier ce cénacle endormi. » (5)

Il informe ensuite le lecteur qu’il y a une deuxième usurpation, celle post mortem de Claude Levi Strauss, il écrit : « Le problème est que ledit Amin Maalouf est destiné à occuper le vingt-neuvième fauteuil. Ce n’est pas n’importe lequel. (...) Amin Maalouf, auteur d’agréables romans dans les années 1980, méritait-il de succéder au dernier des géants ? » S’ensuit ensuite un descriptif de la vie et de l’oeuvre de Maalouf. Citant les ouvrages pour les démolir en minimisant leur portée et en insinuant qu’il sont bas de gamme car s’adressant à des jeunes.

Nous lisons : « En 1981, on lui propose d’écrire un livre d’histoire : en sortira « les Croisades vues par les Arabes » (...) Trois ans plus tard, il publie « Léon l’Africain », roman gentillet sur le Grenade du XVIe siècle. Il y décrit, sur un ton pittoresque propre à séduire les jeunes lecteurs, la cohabitation truculente entre chrétiens, juifs et musulmans. (...) Il nous informe ensuite qu’Amine Maalouf oriental vit dans une terre musulmane : « Le public est séduit par cet Oriental qui rappelle que l’Orient n’est pas une terre uniquement musulmane ». (5)

Poursuivant son épreuve de démolition, il parle de petit roman à propos de Samarcande et d’Omar Khayyam qui ont marqué la culture universelle. Nous lisons : « Dans la foulée de ’Léon l’Africain’’, Amin Maalouf publie ’Samarcande’’, joli petit roman consacré à Omar Khayyam, poète persan du XIIe siècle. En 1993, le Goncourt lui offre la consécration en primant « le Rocher de Tanios ». (...) Au passage, il remet en cause la légitimité du Goncourt. « Il faut dire qu’à l’époque, le Goncourt faisait bien pire en termes de lauréats : l’année d’après, il tressa des lauriers à Didier Van Cauwelaert. » (5)

David Caviglioli pense avoir condamné dans l’imaginaire des lecteurs Amine Maalouf en brocardant sa philosophie qu’il pense à la portée de tout le monde : « La philosophie à l’oeuvre chez Amin Maalouf semble ainsi se résumer aux questions mainstream de l’identité et de la tolérance. (...) » (5)

Revenant sur l’usurpation, il nous met en perspective son modèle dont « l’humanisme est autrement plus fécond : « Cette élection est donc surtout l’occasion de se souvenir de Claude Lévi-Strauss, décédé en novembre 2009, et d’un humanisme autrement plus fécond ». Le journaliste ressort, mais est-ce un hasard, un texte mille fois repris et sorti dans son contexte : « Il écrivait en 1955 dans « Tristes tropiques » : « Il n’y a plus rien à faire : la civilisation n’est plus cette fleur fragile qu’on préservait. L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. » (5)

Justement, à propos de l’oeuvre immense de Claude Levi Strauss, nous ne verserons pas dans le même travers de l’invective gratuite. Nous retenons que Levi Strauss montre que toute société humaine est structurée comme un langage : vêtement, parure, manières de table, système de parenté, architecture, artisanat et art et les mythes fondateurs, tout est chargé de sens. d’où il suit que tout groupe humain, y compris le plus isolé et le plus démuni, mérite estime et considération. Levi Strauss nous a appris à comprendre et aimer nos frères de la jungle, du désert, de la toundra...

Ce qui n’a pas empêché l’ethnologue d’avoir par la suite et sur le tard, des propos ambigus sur l’altérité qu’il a tant chanté cinquante ans plus tôtet qui amènent à questionnement. Nous lisons : « J’ai commencé à réfléchir à un moment où notre culture agressait d’autres cultures dont je me suis alors fait le défenseur et le témoin. Maintenant, j’ai l’impression que le mouvement s’est inversé et que notre culture est sur la défensive vis-à -vis des menaces extérieures, parmi lesquelles figure probablement l’explosion islamique. Du coup, je me sens fermement et ethnologiquement défenseur de ma culture » (6)

Pour sa part, Amine Maalouf se veut déférent pour son prédécesseur : interrogé sur la prise du siège de Claude Lévi-Strauss, Amin Maalouf est baigné de joie : « C’est un fauteuil prestigieux, intimidant et stimulant, et je m’en approche avec humilité et une immense joie. »

On ne peut pas rester indifférent à la lecture des ouvrages d’Amine Maalouf- si on les a lus- qui sont à la fois des livres d’histoire du réel et des livres de vie. Le premier paragraphe de « Leon L’Africain » est lui-même une description du monde méditerranéen au XVIe siècle quand les Juifs, à l’mage de « Sarah la bariolée » et des Musulmans dans les derniers moments de Grenade la tolérante,vivaient ensemble en harmonie partageant bonheurs et malheurs.

David Caviglioli aurait du lire le premier paragraphe du « Leon L’Africain qui est à lui seul tout un programme qui résume la culture méditerranéenne de ce temps au moment où l’Europe n’avait pas encore émergé de la période sombre de l’Inquisition et la Reconquista qui jeta à la mer des centaines de milliers d’Andalous ( Musulman et Juifs ) qui trouvèrent refuge dans un Maghreb tolérant. Ce même Maghreb qui peine à se redéployer du fait des ingérences de tout ordre d’un Occident sûr de lui et dominateur de lui et de dirigeants installés confortablement dans les temps morts pour le plus grand malheur de leurs peuples.

Nous lisons ce paragraphe : « Moi Hassan, fils de Mohamed le peseur, moi Jean Leon de Medicis, circoncis de la main d’un barbier et baptisé de la main d’un pape, on me nomme aujourd’hui l’Africain... De ma bouche tu entendras parler l’arabe, le turc le castillan, le berbère, l’hébreu, le latin et l’italien vulgaire, car toutes les langues, toutes les prières m’appartiennent. » C’est tout dire !

Pourquoi, alors, cette intolérance des mots que rien ne justifie venant d’un journal qui a connu des périodes autrement plus fécondes que celles actuelles de confier « l’aura » ou ce qu’il en reste à des contributions qui -outre le fait qu’elles sont partiales- ne s’expliqueraient que par une ligne de conduite « partisane » loin de l’honnêteté intellectuelle ?

Pour nous, cette élection est une reconnaissance méritée. La langue française a besoin de se vivifier au contact d’autres langues et civilisations. L’apport de l’Orient arabe est une juste reconnaissance de la visibilité des Arabes, ces autres sémites qui ont droit, eux aussi, à une égale dignité.

J’espère qu’ Amine Maalouf continuera à nous « enchanter » avec un nouveau roman de la taille et de l’élégance de Léon l’Africain ou mieux encore, de l’histoire merveilleuse de Manes (le Jardin des Lumières). L’Homme a plus que jamais besoin de croire au merveilleux. Il a toujours besoin de re-symboliser le monde du XXIe siècle. Il nous faut raconter les histoires et écouter celle des autres. C’est peut- être cela l’altérité qui verra l’avènement de la sagesse et nous mènera à la paix.

Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. http://www.academie-francaise.fr/role/ index.html

2. Amine Maalouf : Le dérèglement du monde - Editions Grasset 2009

3. Chems Eddine Chitour http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-dereglement-des-mondes-selon-54975

4. Cecile Mazin http://www.actualitte.com/ actualite/26769-amin-maalouf-academi-francaise-election.htm 24 06 2011

5. David Caviglioli Académie française : Amin Maalouf succède à Lévi-Strauss Nouvel Obs.23-06-11

6. Claude Lévi-Strauss (par Dominique-Antoine Grisoni, Magazine littéraire, hors-série, 2003).


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