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Côte d’Ivoire : un témoignage de première main

Un ami me fait parvenir un témoignage partiel (mais non partial) de ce qu’il a vécu pendant les récents événements dramatiques de Côte d’Ivoire. A noter tout particulièrement ce qu’il dit de l’exfiltration de Gbagbo de la Présidence.

Le 31 mars, nous sommes partis pour l’école en passant par le Plateau où nous devions déposer la petite à son collège. La présence de barrages de "jeunes patriotes" (favorables à Gbagbo, stipendiés pour contrôler les identités et fouiller les véhicules) nous a incités à nous diriger vers Koumassi. Vers dix heures, la fantasia s’est déclenchée dans tous les quartiers anti Gbagbo (tout Abidjan sauf Plateau, Cocody et Yopougon). Rafales en l’air, braquages de véhicules (il s’agissait, pour les acteurs, de se procurer les moyens de piller et/ou de partir attaquer les partisans de Gbagbo qui tenaient le Plateau).

Nous sommes restés six jours bloqués à Koumassi. Sans problème de nourriture. Mais, le lundi suivant, l’eau a été coupée dans tout Abidjan-Sud. J’ai appelé les forces de la Licorne qui sont venus nous exfiltrer le mercredi 7 avril, en toute discrétion : un camion haut sur pattes encadré de deux automitrailleuses, dont les servants faisaient pivoter nonchalamment l’arme tous azimuts, et d’un blindé léger. Au moins trois cents badauds du quartier, prudents cependant, pour nous voir embarquer. Dans le camion, casque et cotte de mailles d’au moins quinze kilos pour chacun. Le trajet jusqu’au camp a duré deux heures car il fallait aller prendre d’autres évacués à Marcory. Le poids du gilet pare-balles m’a endolori l’arrière-train, douillettement installé sur un moelleux banc de bois, pour trois jours.

Nous étions, six jours auparavant, partis au boulot dans les conditions ordinaires : pantalon-chemisette pour moi, bien entendu sans passeports. Nous sommes restés huit jours au camp Licorne (ex RIMA de Port-Bouët) et ce n’est que le mercredi 13 avril que le fiston a pu traverser Abidjan pour récupérer nos documents de voyage. Le lendemain, nous avons quitté Abidjan dans un avion militaire italien à destination de Rome, via Tamanrasset pour un ravitaillement. Nous sommes arrivés à destination soixante heures après. N’ayant ni chéquier ni carte de crédit restés à l’appartement, nous n’avons pu prendre Alitalia qui ne demandait que 660 euros par personne (nous étions six, nous avions pris en charge trois autres compagnons d’infortune, Noirs de nationalité française, une femme et son gosse et une jeune métisse qui est ensuite restée quinze jours à T. avec nous). Nous avions raclé tout l’argent liquide que nous pouvions mais il n’y en avait pas assez en euros. Nous nous sommes rabattus sur le train mais les directs Rome-Paris par Milan étaient complets jusqu’au lundi 18. Sauts de puce : Rome-Vintimille, train pour Nice dans la foulée (nous n’avons rien payé, les guichets étaient fermés et il n’y avait pas de contrôleur français dans le convoi), nuit à l’hôtel Ibis à cent mètres de la gare et départ pour paris en TGV le lendemain matin, en "surréservation". L’avion militaire était gratuit mais nous avons quand même lâché trois mille euros dans le périple.

Nous n’avons subi aucun préjudice, ni au travail ni à l’appartement situé dans la cité à côté de la télévision ivoirienne, où l’on tirait encore quarante-huit heures après que Gbagbo eut été capturé. Le temps que nous avons passé cloîtrés à K., nous avions accès à internet ; par contre, la messagerie électronique a été coupée dès le samedi soir. Beaucoup de sociétés, de commerces, d’installations et de domiciles ont été pillés par les jeunes de tous bords. La première nuit à l’école, nous entendions la dévastation des magasins à cinquante mètres de nous. Dans une situation de ce genre, j’ai la particularité de n’être pas l’objet de manifestations organiques particulières. Ce n’est qu’ensuite que l’émotion s’évacue par le rêve. La nuit, je retrouve des "rebelles", le camp Licorne et ses militaires spéciaux dans des paysages non identifiables.

La noria incessante des hélicoptères décollant portes ouvertes pour aller récupérer les gens isolés dans les quartiers, les forces spéciales venues d’Afghanistan extirper Gbagbo de sa cachette (des barbus qui passent sans doute inaperçus là -bas mais qui, pour l’heure, étaient en uniforme), les sections abandonnant les plateaux quelquefois même pas entamés et giclant du snack, où mangeaient militaires et civils, parce que leur chef venait de recevoir un ordre au téléphone, nous ont quand même durablement marqués.

Les huit jours passés au camp ont été "enrichissants" : aucune communication tangible avec l’extérieur hormis les appels téléphoniques aux uns et aux autres gentils membres, qui faisaient aussitôt circuler avec ce que cela suppose d’informations partielles et partiales. En fin de compte, on n’en savait pas plus que ce nous en proposait le diplomatique bulletin quotidien que le général faisait placarder. Nourriture satisfaisante, meilleure que celle que j’ai pu consommer dans tous les selfs que j’ai pu fréquenter, que j’ai évaluée à quinze tonnes par jour (3 500 rations par repas).

On mettra du temps à effacer tout cela, tant du point de vue général que du point de vue personnel.

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