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Les ravages de la LRU (suite)

Parmi les nombreux ravages de la LRU (et ceux qui avaient précédé le vote de cette loi scélérate que le Parti socialiste ne veut pas abroger s’il revient aux affaires), il est une pratique institutionnelle directement inspirée des lois de la finance : l’évaluation des revues scientifiques. Absurde et imbécile, cette pratique - acceptée et encouragée par de nombreux universitaires - contribue à mettre les intéressés en compétition les uns avec les autres et à faire d’eux des marchandises.

Jusqu’alors, on pouvait penser que la valeur d’un article était intrinsèque. Aujourd’hui, elle est fonction du classement de la revue dans laquelle il est publié. Si Louis de Broglie donnait maintenant à une revue française de deuxième catégorie son célébrissime article sur la nature ondulatoire de l’électron, non seulement sa découverte ne lui apporterait rien en termes de carrière scientifique, mais elle ne serait peut-être pas même prise en considération par les professionnels de la profession. Si Einstein livrait les résultats de ses travaux sur la relativité au Petit Bleu de Quimperlé, parce qu’il aime bien cette feuille locale, parce qu’il y a des copains (il était capable de tout, Einstein), on lui rirait au nez.

Comme les pays, les revues scientifiques sont donc évaluées par des agences de notation. Leur classement peut donc être « dégradé », comme ceux des pays. Un mot sur cet ignoble anglicisme avant de poursuivre. En bon français tout simple, on « baisse » une note. En sabir financier anglo-saxon, on « dégrade ». Le problème est qu’en anglais comme en français, « degrading » a aussi le sens figuré d’avilissant.

Les revues sont évaluées par l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’évaluation de l’enseignement supérieur), une autorité administrative « indépendante » mais parfaitement opaque et non démocratique. L’AERES « s’inspire » des critères du European Science Foundation Standing Committee for the Humanities, le comité permanent pour les sciences humaines de la fondation européenne pour la science.

Choisir une revue, pour un chercheur, revient désormais à jouer en bourse. Le directeur d’une revue classée A vous demande un article. Vous le livrez six mois plus tard (un délai minimum si vous travaillez sérieusement), l’article paraît un an après (délai normal dans l’édition universitaire), mais, entre-temps, la revue a été « dégradée » en B. Votre article fera l’objet d’une considération distraite. Si, ce qui peut arriver, elle est classée C, votre publi (qui a nécessité des centaines d’heures de travail) ne vaut plus rien. Ceux de vos pairs qui ne vous aiment pas rigolent.

Puisqu’on parlait de l’AERES, on vient d’apprendre qu’en plus de ses vices bien connus, elle se livrait à des pratiques discriminatoires (Le Nouvel Observateur, 22 mai 2011). L’hebdomadaire cite un document de l’Agence qui décrit la manière dont sont notés les laboratoires scientifiques. Le principe même de la notation (A, B, C) avait été dénoncé en son temps par les instances scientifiques du CNRS :

« Dans tous les débats sur le rôle de l’AERES, et nous avons pu encore le vérifier lors des deux réunions du groupe de travail, on voit clairement se développer, et parfois s’opposer, deux points de vue assez différents quant au rôle premier du processus d’évaluation. Vu du CoNRS, il doit servir avant tout à tirer vers le haut l’activité de recherche, et donc à conseiller, suggérer, aider les unités. Pour ce faire, l’évaluation doit être précise, s’appuyer sur une bonne connaissance du contexte scientifique global, mais aussi local, faire partie d’un processus de suivi sur la durée, et déboucher sur des recommandations. Vu par les tutelles qui mandatent l’AERES, c’est surtout un moyen de discriminer pour affecter des moyens (humains et financiers). Une forme étalonnée, une note leur semble alors utile, quels qu’en soient les effets secondaires néfastes. C’est par exemple le cas du Ministère qui pondère les moyens affectés aux universités sur la base de ces fameuses notes AERES. Et l’on peut craindre également qu’une telle approche gestionnaire ne se développe dans certaines universités, ce qui ressortait d’ailleurs des propos d’un représentant de la CPU au groupe de travail. Prévaut ici bien souvent l’idée que la simple compétition pour optimiser cette « note » serait suffisante pour engendrer de la qualité scientifique. Ce mouvement d’automatisation de la prise de décision en algorithmisant un ensemble d’indicateurs soi-disant objectifs n’est bien sûr pas limité, loin s’en faut, au secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche » (http://www.sncs.fr/imprimer.php3?id_article=2246&id_rubrique=11) .

Pour qu’un labo soit « attractif » (c’est comme cela qu’on cause, maintenant), il doit désormais attirer des chercheurs étrangers de haut niveau, avec leur financement, en provenance des pays « développés » (traduire : États-Unis, Royaume-Uni, à la rigueur). En outre, l’AERES prend aujourd’hui en compte dans son évaluation l’aptitude des labos à s’autofinancer (voir Mediapart : http://bernard-gensane.over-blog.com/ext/http://www.mediapart.fr/journ...). Ceux qui n’ont pas encore compris ce qu’est la marchandisation de l’Université devraient se soumettre à une évaluation sérieuse de leur QI.

L’argent allant à l’argent, les financements publics et privés des labos iront inexorablement vers les labos classés A (voire A+), c’est-à -dire ceux des labos qui auront su s’autofinancer en attirant des étudiants d’outre-Atlantique munis de leur bourse.

Didier Houssin, le tout nouveau directeur de l’AERES, a reconnu la « maladresse » de cette directive. Mais, sur le fond, il justifie la préférence pour les doctorants et postdoctorants issus des pays riches :

« Une unité est jugée très attractive si elle attire des chercheurs venant de laboratoires ayant une grande notoriété. Et l’idéal est que les étudiants arrivent aussi avec un financement. Quand un très bon laboratoire des États-Unis veut nous envoyer un postdoctorant et est prêt à le financer deux ans, c’est quand même un signe qu’ils tiennent vraiment à travailler avec nous. On ne peut pas nier que ce soit un élément d’attractivité. Cela permet de distinguer les laboratoires qui ont une forte visibilité internationale des autres. »

L’étudiant est devenu une marchandise en ce qu’il est désormais considéré, au premier chef, comme une source de financement. Ce qui, selon Étienne Boisserie de Sauvons l’Université, « condamne des branches entières de la recherche sur des critères financiers. » Boisserie donne l’exemple de ses propres recherches sur l’Europe centrale qui ne pourront jamais être A+ selon les critères marchands en vigueur.

Croire que l’on va faire disparaître les pays émergents du paysage est une absurdité alors que, selon une étude de la Royal Society, les chercheurs de ces pays (Chine, Brésil, Inde, Iran, Tunisie, Turquie) publient de plus en plus à un très bon niveau.

Dans la logique capitaliste dans laquelle l’Université est aujourd’hui inscrite, le pouvoir politique est obligé d’inventer en permanence de la discrimination. Comme de très nombreux laboratoires sont classés A et A+, le ministère ne peut pas appliquer sa propre politique de financement par manque de crédits. Il a donc décidé de discriminer pour que la proportion de laboratoires privilégiés ne dépasse pas 25%.

C’est à ce moment précis que Pécresse et ses affidés vont utiliser leurs deux armes secrètes : le pifomètre et le copinage.

Bernard Gensane

http://bernard-gensane.over-blog.com/

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