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De la dignité humaine à la dignité des peuples : La faute des intouchables et des institutions

« Selon que vous soyez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
La Fontaine, « Les Animaux malades de la peste »

Un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage ! C’est ainsi que l’on pourrait interpréter l’annonce de l’arrestation puis la décision de la justice américaine de maintenir en détention Dominique Strauss-Kahn. Ancien ministre de Lionel Jospin en France, ce professeur d’économie né au Maroc, fut nommé en novembre 2007 directeur général du FMI.

L’image est forte et à la hauteur du crime reproché, symbolisant en une fraction de seconde la très haute idée de l’égalité que se font les Etats-Unis : l’omnipotent, l’intouchable Dominique Strauss-Kahn est apparu, hier soir à 23h, les traits tirés, menotté, les mains dans le dos, sous escorte policière Une humiliation suprême qui a fait vaciller de son piédestal un puissant parmi les puissants, jouisseur invétéré et notoire, qui jouissait de tout et, notamment d’une impunité inacceptable depuis de nombreuses années. Un traitement de faveur que la police américaine a allègrement piétiné, en l’exposant sous les feux des projecteurs. A mille lieues de l’omerta à la française, qui protège, étouffe, et pire, absout, depuis la nuit des temps, avec une complicité bienveillante, les double, voire triple vies de nos grands hommes, les dédouanant de tous leurs secrets d’alcôve même s’ils virent au drame, l’intégrité des autorités américaines, qui ne fléchit pas devant les princes du monde, force le respect. (1)

Jean Daniel abonde dans le même sens d’une façon quasi automatique . « Nous avons assisté, écrit-il, à l’organisation médiatique d’une mise à mort, comme dans une corrida où l’on sait que le taureau va mourir, sauf qu’il n’y avait cette fois, aucun torero qui prenne des risques. Strauss-Kahn donnait bien l’impression d’un taureau blessé qui met un genou à terre et attend l’estocade. (...) Voilà comment l’on transforme, salit et déshonore des principes qui ont eu leur noblesse. C’était au contraire une inégalité savamment organisée et appliquée. La transparence ? Mais laquelle ? (...) L’année dernière, j’ai eu l’impression que s’ouvrait un fossé entre le peuple américain et nous. J’ai même pensé que nous n’appartenons pas à la même civilisation. » (2)

Rien que ça ! il y a là motif à déclarer la guerre à l’Amérique qui nous envie. Plus que la gravité des faits dont DSK est inculpé, ce dont il ne semble pas concerné par le sort de la jeune fille, lui l’humaniste à compassion variable. Remuant pour les besoins de la cause, le marécage de la persécution. Certains vont plus loin, ne résistant pas à voir des complots partout et une vengeance non assouvie, certains hommes politiques et journalistes sont allés jusqu’à accuser la justice américaine de régler ses comptes aves la douce France.

Nous lisons dans un post consacré tout entier au crime de lèse majesté de la France : « Sans présumer de la culpabilité ou de l’innocence de Dominique Strauss-Kahn, il y a maintenant quelque chose de profondément choquant dans l’attitude de la justice américaine. Jack Lang a donné son sentiment là -dessus : « Il n’est pas impensable qu’il y a de la part de certains magistrats, le procureur en particulier ou la juge, la volonté de se payer un Français, un Français qui plus est connu. On a le sentiment d’un acharnement médiatico-judiciaire, d’un lynchage ». La justice américaine s’est chargée de lui rappeler qu’il n’était rien, juste un Français arrogant, ce qui outre-Atlantique est un pléonasme, et, après une exécution médiatique dans les règles, après que l’image de la déchéance a fait le tour du monde. (3)

Le son de cloche est totalement différent dans d’autres pays européens où la réalité est dévoilée dans sa totale dimension. A titre d’exemple, Pierre Ruetschi fait un portrait sans concession de DSK. Nous le lisons : « Médiatiques, financières ou encore politiques : les conséquences de l’affaire Strauss-Kahn sont sans mesure. Triste destin que celui du patron du FMI, qui se croyait visiblement trop important pour être inquiété. DSK inaugure l’ère du scandale mondial. Rarement les supposées déviances d’un seul homme n’auront eu un impact politico-économique d’une telle puissance, et cela alors que les faits ne sont pas encore établis. Comme s’il avait fallu le scandale, propagé à la vitesse sidérante des nouveaux médias, pour dévoiler le formidable pouvoir d’un seul homme aux casquettes multiples. (...) A quoi il convient enfin d’ajouter les relations de défiance qui menacent de s’installer entre Paris et Washington. Les Américains, confortés dans la vision la plus méprisable qu’ils peuvent avoir des Frenchies, auront humilié la France, en livrant DSK aux caméras dans une mise en scène spectaculaire à laquelle pas un média ne résiste. En lui refusant la libération sous caution, ils confirment. Les déviances sexuelles prêtées à un seul homme pourraient donc dérégler le climat mondial comme le battement d’ailes du papillon peut provoquer le chaos, la poésie en moins. S’il était jaugé à la mesure des banques, DSK aurait été jugé too big to fail, trop gros pour s’effondrer. Et serait donc sauvé. (...) Mais l’affaire pourrait aussi être petite, simplement minable et sordide. (...) A ce stade, une seule certitude : « He’s fried », il est cuit comme disent les Américains, politiquement mort. Ce sont les précédents et ses trop nombreuses casseroles, resurgissant avec un effet dévastateur, qui l’ont fait tomber. Pas les préjugés ». (4)

L’arrogance des puissants et les traitements médiatiques différenciésQu’en est-il justement de la dignité de la personne qui se dit outragée ? Personne n’en parle parmi les biens, pensants ; toute la sollicitude va à DSK. Seules des associations féministes ont déploré le peu de place faite à la victime présumée dans les réactions à l’inculpation de DSK : « Dominique Strauss-Kahn est présumé innocent », mais « jeter le soupçon sur les propos de la plaignante est également grave ».

Ce qui m’a le plus interpellé c’est l’absence d’empathie vis-à -vis de la victime. A croire qu’elle n’existre pas, qu’elle ne souffre pas. Il ne lui est même pas accordé le bénéfice du doute. Pour les lobbys de l’information et de la politique, elle a tort car DSK : ne peut pas avoir tort. Indexant ce faisant, une affaire en fait, simplement crapuleuse, si les faits étaient avérés, sur un complot mondial - certains ont même convoqué le capitaine Dreyfus- contre l’homme le plus puissant du monde après Obama dixit, une de ses laudatrices.

Pourtant, être arrêté, traduit en justice n’est pas nouveau et ne donne pas lieu à protestation quand il s’agit des damnés de la terre. Quand des dirigeants africains sont arrêtés, ils n’ont eu droit à aucune retenue de la part des médias. Le cas de Charles Taylor détenu, Ben Ali et Moubarak avilis par leurs peuples sous l’oeil ravi des médias et de l’Occident, le slogan « dégage » étant devenu une marque déposée avec sa traduction en arabe « Irhale ». Personne ne s’est offusqué de voir le président Gbagbo en tricot de peau demandant une serviette pour s’essuyer après avoir été brutalisé ainsi que sa femme. On trouve cela normal quant aux cas de Omar el Bechir et El Guedaffi. Ils attendent d’être jugés par le TPI. Mieux, un ancien officier allemand de 94 ans est traîné sur une civière au tribunal pour être jugé. Demandant à être dispensé du procès, on l’accuse de simulation...

Le cas le plus douloureux est celui de Saddam capturé dans une cache. Les médias occidentaux aux ordres, ne se sont pas privés de photographier Saddam sous tous les angles, hirsute, hagard, obligé devant les caméras d’ouvrir la bouche pour laisser un médecin farfouiller dans sa dentition à la recherche d’une dent cariée.. Le film de sa pendaison est une insulte à la dignité humaine, le tournage en principe interdit l’a été fait à dessein pour montrer urbi et orbi comment le lion de Babylone se liquéfie devant la mort. Il n’en fut rien. Saddam regarda la mort en face, il refusa la cagoule, il eut le courage et la force de lire la chahada dans une atmosphère irréelle, des chiites lui promettant l’enfer. Ce crime, dont la responsabilité est celle de l’Occident et de ses bourreaux irakiens, rappelons-le, s’est déroulé le jour de l’Aïd el adha, donnant à penser, dans l’imaginaire musulman, au sacrifice du mouton. Enfin, on ne peut pas ne pas évoquer le cas Ben Laden dont on nous dit qu’il a été immergé. L’Occident s’est illustré tout au long de son parcours de colonisateur par des meurtres et des pendaisons ; la pendaison de Omar el Mokhar en est aussi un exemple mais elle ne fut pas mondialisée comme c’est le cas maintenant

On le voit, nous nageons en France en plein « apartheid » ; d’un côté, les puissants, intouchables, à qui on peut permettre tout. De l’autre les sans-grade que l’on peut exhiber comme des animaux de foire, et à ce propos, l’Occident européen a une grande expérience des zoos humains qui ont égayé tout au long du XIXe et même XXe siècle la mélancolie des Européens au point qu’un certain Geoffroy de Saint Hilaire, directeur du Jardin d’acclimatation, exposait au voyeurisme des Parisiens, des villages entiers de Noirs d’Afrique derrière des grilles. La dignité humaine est ainsi problématisée dans les pays qui se veulent les chantres des droits de l’homme blanc.

Cependant, même cette arrogance des grands en Europe commence à être dénoncée. Pour Michela Marzano, professeur de philosophie morale à l’Université Paris Descartes, « les citoyens ont baissé la garde vis-à -vis de l’attitude des élites ». J’ai le sentiment qu’apparaît une corrélation entre l’homme de pouvoir et le sentiment d’impunité. Et cela, c’est nouveau en démocratie. Comme si le seul fait d’occuper un poste de responsabilité légitimait toutes sortes de conduites, et en particulier vis-à -vis des femmes. La position sociale d’un homme rendrait légitime l’utilisation de la violence et de la contrainte ? C’est évidemment inacceptable. (...) En France ou en Italie, les citoyens ont baissé la garde et perdu leur « vigilance ». Montesquieu ajoutait que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser (...) il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». (..) (5)

Pour Michela Morzano, aux Etats-Unis c’est différent ; il existe aux Etats-Unis des garde-fous réels pour la protection de l’égalité et de la liberté substantielles des citoyens. C’est à l’honneur de ce pays. On considère par exemple qu’une femme de chambre a exactement les mêmes droits qu’un important homme politique. (...) Les Américains sont très sensibles au contraire, aux abus de pouvoir. Comme le soulignait déjà Tocqueville, c’est le propre d’une véritable société démocratique de garantir l’égalité entre le président des Etats-Unis et une simple femme de chambre ». (5)

On l’aura compris, la justice est la même, une, aux Etats-Unis Cela prouve une chose à mettre à l’actif des Etats-Unis c’est que dans ce pays, personne n’est au-dessus des lois. En 1807 Thomas Jefferson, président des Etats-Unis, fut jugé comme un simple citoyen bien plus tard dans les années soixante-dix du XXe siècle ; un autre président,Richard Nixon, dut démissionner pour avoir menti au peuple américain.

Le FMI broie la dignité des peuples

Il est une autre dignité que nous devons ne pas oublier, c’est celle des peuples. L’affaire DSK nous amène à faire l’inventaire des méfaits du FMI l’institution qu’il dirigeait, Il faut cependant, se souvenir que le FMI que l’on présente comme le remède pour les pays en difficulté, a toujours trainé une réputation sulfureuse méritée. Cela n’a pas changé malgré les laudateurs actuels qui louent la politique humaniste de DSK allant même jusqu’à insinuer que c’est pour cela qu’il est tombé.

Pour le Cadtm, le FMI n’est pas l’institution qui aide les pays en crise, c’est au contraire celle qui impose des programmes draconiens d’austérité et qui défend un modèle économique structurellement générateur de pauvreté. (...) Profondément antidémocratique, puisque les pays les plus riches disposent de plus de la moitié des voix au sein du conseil d’administration, le FMI est en fait, un instrument des grandes puissances pour veiller au maintien du système capitaliste et aux intérêts des grandes sociétés transnationales. (...) Partout, le FMI prétend que l’initiative et les intérêts privés doivent être soutenus par les politiques des pouvoirs publics au détriment des politiques sociales. Partout, il donne raison aux banquiers contre les intérêts des peuples. Partout, il favorise le creusement spectaculaire des inégalités, le développement de la corruption, le maintien des peuples dans la soumission au néolibéralisme. (...) Le FMI en tant qu’institution doit aussi être poursuivi en justice pour les violations multiples des droits humains fondamentaux qu’il a commis et qu’il continue de commettre dans de nombreux pays. (6)

Pour le site Attac, l’histoire retiendra peut-être que le plus grand complot qui ait été fomenté à la charnière des XXe et XXIe siècles aura été de plonger le monde dans une crise monumentale, parce qu’elle est sociale, économique, financière et écologique. Le FMI et toutes les institutions soeurs comme la Banque mondiale et l’OMC, les directoires autoproclamés comme le G8 et le G20, tous ont mené et mènent des politiques qui mettent à genoux les peuples. (...) Le FMI et l’Union européenne n’ont pas sauvé la Grèce, ils l’ont assommée. Ils n’ont pas sauvé l’Irlande et le Portugal, ils ont conforté leurs gouvernements dans la volonté de ceux-ci de faire payer la crise aux victimes de la crise et non à leurs fautifs. Voilà la nouvelle essentielle de ce week-end : le FMI met le monde à terre et, avec de telles politiques, les classes dominantes veulent se l’approprier définitivement. Le FMI est un symbole : celui de l’argent, celui du pouvoir, celui de l’arrogance, celui du mépris. C’est ce symbole-là qu’il faut rejeter ». (7)

Dans son dernier ouvrage, Georges Corm fait justement, le procès de la mondialisation comme étant le fossoyeur des solidarités qui rentraient dans les prérogatives de l’Etat-Nation. « (...) Il y a une formidable concentration de pouvoir politique, financier et économique, mais aussi médiatique, aux mains de quelques dirigeants politiques ou économiques et directeurs d’agences de financement et de fonds de placements et de banques. (...) L’ ""industrie publicitaire’’ est le bras armé de ce système qui nous emprisonne. Il coûte 400 milliards de dollars par an qui sont payés par les victimes du système, c’est-à -dire les consommateurs. Vous imaginez ce qui pourrait être accompli avec cette somme dans le domaine des protections sociales qui se réduisent partout comme une peau de chagrin sous l’effet de l’idéologie néolibérale ? (...) » (8)

Malgré ses limites, l’État-Nation « exprime le désir d’une collectivité humaine d’être maîtresse de son destin par des mécanismes de représentation de ses membres et le contrôle des actes de ses dirigeants élus afin d’assurer la conformité et l’intérêt de la collectivité et de tous ses membres ». Il faut démondialiser selon le mot de Corm. L’Etat retrouvera alors sa légitimité. (9)

L’affaire DSK est un tournant. Il est à espérer que la dignité humaine et la dignité des peuples ne soient pas des slogans creux. La fable de Lafontaine s’applique merveilleusement bien à l’anomie du monde actuel. Seuls les sans grade sont jugés. Louis Ferdiand Céline disait que presque tous les désirs de pauvres sotn punis de prison. Sans être naïfs, il est à souhaiter que justice soit faite, c’est à ce prix qu’il y aura la paix dans le monde.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. DSK, le puissant déchu Nouvel Obs. 16 mai 2011

2. Jean Daniel : Affaire DSK : l’organisation d’une mise à mort, Nouvel Obs. 17.05.2011

3. http://www.lepost.fr/article/2011/05/17/2497060_affaire-dsk-.html

4. Pierre Ruetschi. DSK au coeur d’un scandale planétaire Tribune de Genève 17.05.2011

5. Michela Marzano. Par Eve Roger. Le Nouvel Observateur. 17.05.2011

6. Cadtm : DSK : en finir avec le FMI qui défend un système capitaliste. 16.05.2011

7.Attac France, Paris, Le FMI met le monde à terre. 17 mai 2011

8. Entretien avec Georges Corm Quotidien Al Balad. Beyrouth. 2 Décembre 2010

9. C.E.Chitour http://www.mondialisation. ca/index.php ?context=va&aid=22928


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LA CRISE, QUELLES CRISES ?
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Les médias et les économistes de la tendance dominante donnent généralement à propos d’un phénomène aussi profond qu’une crise des explications partielles, partiales et biaisées. Cette vision teintée de myopie caractérise tout ce qui touche aux questions économiques. Damien Millet et Eric Toussaint en spécialistes de l’endettement lèvent le voile sur les racines profondes et durables du déséquilibre économique qui caractérise toute la vie sociale. En 2007-2008 a éclaté la crise (…)
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« Nous pouvons faire sauter un navire américain et en rejeter la faute sur les Cubains. La publication des listes des victimes dans les journaux américains accroîtrait encore l’indignation. Nous pouvons aussi détourner des avions. Dans des endroits bien choisis où l’impact serait énorme, nous pourrions poser des charges de plastic. Nous pourrions également repeindre des B26 ou C46 de nos forces aériennes aux couleurs cubaines et nous en servir pour abattre un avion de la République dominicaine. Nous pourrions faire en sorte qu’un prétendu appareil de combat cubain abatte un avion de ligne américain. Les passagers pourraient être un groupe de jeunes étudiants ou de vacanciers. »

Général Lyman LEMNITZER (1899 – 1988)
Chef d’état-major des armées (1960-62) et Supreme Allied Commander de l’Otan (1963-1969)

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