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Les potentas arabes : le refus de la liberté

dessin : www.jffra.com

« Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre »
Churchill s’adressant à Chamberlain après Munich

Cette phrase de Churchill s’applique sans conteste à la dernière réunion des potentats arabes qui autorisent l’Occident comme en Irak, à envahir un autre pays arabe. Mieux, ils proposent même de participer à la curée en allant combattre El Gueddafi. Depuis plus de trois mois, en effet, la « rue arabe » pour utiliser une expression occidentale visant à inculquer l’idée qu’il n’y a pas de réflexion politique et que c’est l’émotion qui dirige les Arabes ; pour une fois, les stratèges occidentaux ne peuvent pas si bien dire, c’est, dit-on, la rue qui dirige les dirigeants en Egypte, en Tunisie. Partout il y a un vent de liberté qui souffle, le problème est de savoir si ce vent est endogène ou s’il ne souffle pas de l’extérieur, en clair, il y a un doute. La Toile est saturée de contributions, notamment dans les sites alternatifs qui revendiquent une certaine crédibilité, pour affirmer que le remodelage du Moyen-Orient est en train de se faire et que toutes les révoltes sont téléguidées. Notamment celle des faceboukistes égyptiens qui recevraient leurs instructions des Etats-Unis à travers un manuel décrivant comment faire la révolte, parer à des coups, se protéger des coups...Si cela s’avérait vrai, et il n’y a pas de raison d’en douter, toutes les espérances placées dans ces révoltes devant apporter en théorie la liberté, la démocratie, l’alternance, seraient un gigantesque et macabre canular car des jeunes meurent.

Un rapide état des lieux nous montre une situation pour le moins chaotique dans les pays qui ont connu des révoltes. La situation est loin d’être limpide en Tunisie où la période transitoire d’exutoire de toutes les frustrations dure et fragilise les acquis. Même impression en Egypte où les jeunes sont plus déterminés que jamais, leur dernière « victoire » est la suppression de la police politique. « Même l’Arabie Saoudite n’est pas épargnée » : ""Des appels ont été lancés sur une page Facebook pour une "journée de colère le 4 mars dans l’Est à majorité chiite de l’Arabie Saoudite’’, rapporte L’Orient-Le Jour. Enfin, la jeunesse palestinienne au nombre de plusieurs milliers aussi bien à Ghaza qu’à Ramallah est sortie protester en exigeant des deux responsables du Hamas et du Fatah de faire immédiatement la paix. Le leader du Hamas aurait demandé à Mahmoud Abbas une réunion urgente. A Bahreïn, la situation est plus problématique car les révoltés sont chiites et le pouvoir du roi est sunnite depuis deux siècles ! Résultat des courses : la débâcle depuis deux mois, des morts et l’appel du roi au nom du Conseil de coopération du Golfe, à ses alliés : l’Arabie Saoudite envoie mille hommes et les Emirats cinq cents pour aider le pouvoir à rétablir l’ordre !

Lionel Froissart décrit le clivage qui s’opère entre chiites et sunnites. Nous lisons : « Après un mois de manifestations contre la monarchie, les partis de l’opposition dénoncent une « occupation étrangère ». La tension est montée d’un cran, lundi, dans le petit royaume de Bahreïn, où les sept partis d’opposition, dont le puissant Al-Wefaq, ont dénoncé « l’occupation étrangère ». Le bloc Al-Wefaq, le plus organisé des mouvements islamistes d’opposition de gauche, décide alors d’abandonner les 18 sièges sur les 40 qu’il détient à l’Assemblée consultative depuis les élections législatives de novembre, ne souhaitant plus être associé à « un pouvoir qui massacre son peuple ». Le chef d’Al-Wefaq réclame de plus, l’instauration d’une « monarchie constitutionnelle, dans laquelle le gouvernement serait élu par le peuple ». Une revendication qui apparaît alors comme tout à fait utopique. (...) A ce jeu de la démesure, le Premier ministre, le cheikh Khalifa ibn Salman al-Khalifa, oncle du prince héritier et qui occupe ce poste depuis 1971, soit depuis l’indépendance du Royaume, bat tous les records. (...) Autant de points de friction qui entretiennent la grogne sociale et nourrissent la tension, grandissante, entre les communautés sunnite et chiite. Malgré les appels à la fraternité de certains leaders, la tension se fait chaque jour plus explosive entre les communautés. » (1)

Justement, les révoltes chiites à Bahreïn, mais aussi au Koweït et en Arabie Saoudite sont soupçonnées d’être téléguidées par l’Iran qui a protesté contre l’envoi des troupes à Bahreïn. Ce qui se passe actuellement en Libye n’est pas comparable à ce qui s’est déroulé en Tunisie et en Egypte. Nous avons assisté à la naissance d’un mouvement populaire sans armes en Egypte et en Tunisie. Mais, en Libye, nous avons affaire à une révolution armée menée par des tribus. L’armée loyale au président El Gueddafi est en train de reprendre le terrain. Ce qui est en totale contradiction avec ceux qui veulent atteindre les pays occidentaux, attachés à une intervention humanitaire, qui sous-entend une attaque armée. Pour des raisons « humanitaires », les trois pays cités ont débarqué des militaires, des agents des services secrets dans le but de soutenir les chefs des insurgés.

C’est un grand problème qui se complique maintenant avec le fait que l’armée d’El Gueddafi a repris le terrain et les grandes villes du pays. Les calculs des pays occidentaux voulant intervenir militairement ont été faussés par la réaction des soldats libyens. La stratégie des pays de l’Occident était basée sur l’accaparement des 4% des réserves mondiales de la Libye, c’est-à -dire des 48 milliards de barils. Pour pouvoir accaparer cette réserve, il faudrait enfanter une guerre qui va servir aussi à faire sortir leurs concurrents, les Chinois. Ceci explique d’ailleurs l’agitation de Nicolas Sarkozy et de David Cameron à la réunion des 27 de l’Europe. Mais ils n’ont pas pu convaincre l’Europe de décider d’une intervention pour pouvoir créer une zone d’exclusion. Cette situation nous rappelle ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle, lors des accords de partage des richesses de l’Empire ottoman. Les pays occidentaux veulent reprendre la zone Est de la Libye, où il y a 80% des gisements pétroliers. Mais avec la reprise en main de la Libye par le président El Gueddafi, c’est toute une stratégie qui est en train de capoter. La France, à titre d’exemple, a reconnu le comité des insurgés au détriment d’un pays souverain. Ce qui se passe en Libye est quelque chose de dramatique. Pour reprendre le contrôle de la situation, El Gueddafi est en train de supprimer carrément ses concitoyens. Nous sommes donc face un problème de fond et global. Fort de l’appui de la Ligue arabe, Sarkozy pensait convaincre les membres du G8 réunis à une action rapide, en vain, car El Gueddafi va rentrer à Benghazi et ce sera le massacre des insurgés.

Il ne faut pas se faire d’illusions. La Ligue des Etats arabes est pilotée depuis des années par les Etats-Unis d’Amérique. Le vote de samedi pour une exclusion aérienne en Libye n’est pas en soi une surprise. A la tête de la Ligue arabe, il y a l’Egyptien Amr Moussa, qui ambitionne aujourd’hui d’être le futur président de l’Egypte. Pour ce faire, il doit montrer des signes d’allégeance aux Américains. De ce côté-là , il a eu le soutien des Saoudiens, dont on connaît les liens historiques avec les Américains, les Koweïtiens, les Jordaniens, les Tunisiens, qui sont embourbés dans leurs propres problèmes, sans compter les Marocains. Cela ne veut pas signifier évidemment qu’il faille cautionner les assassinats d’El Gueddafi et de son armée, au pouvoir depuis 42 ans. La position officielle de l’Algérie a été exprimée par le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, qui avait déclaré samedi au journal français Le Monde que l’Algérie n’avait pas vu venir des révolutions en Tunisie et en Egypte. Il a rappelé que l’Algérie ne veut pas s’ingérer dans les affaires internes des pays voisins.

Certains pays arabes ont reçu certainement instruction de ne pas agir dans le sens de la paix et du dialogue entre les Libyens. Il ne faut pas se faire d’illusions sur le fonctionnement du monde. Les interventions dites humanitaires dans les temps actuels sous-entendent une vision d’accaparement des richesses et des matières premières. C’est un nouveau système de partage des richesses d’autrui qui se met en branle. C’est la théorie des dominos et du plan du Grand Moyen- Orient qui se mettent en place par des méthodes moins musclées que celles de Bush. Mais, la finalité est toujours la même. Le principe de non-ingérence doit être conforté. D’un autre côté, il faut admettre qu’il y a une grande partie du peuple libyen qui souffre de la dictature et de la guerre civile. On parle de 6000 morts. Il va falloir vérifier les chiffres et se méfier des annonces médiatiques. Lorsqu’on voit le « philosophe » Bernard-Henri Lévy intervenir à partir de Benghazi et appeler l’Elysée pour soutenir la rébellion, nous sommes en droit de douter de cette rébellion d’autant plus qu’elle a jailli du néant. Nous avons vu le drapeau de l’ancienne Libye coloniale, du temps du roi Idriss, brandi par les Libyens. En clair, on veut instaurer un nouvel ordre colonial. De ce point de vue-là , je comprends parfaitement la position algérienne, une position de méfiance et de prudence. Les Américains sont en train de peser le pour et le contre, étant donné que la situation est en faveur d’El Gueddafi, qui va certainement accepter de redistribuer les richesses entre les compagnies pétrolières au détriment de la Chine.

Pour Ginette Skandrani « (...) ce n’est pas à l’Otan, ni aux USA, ni aux Européens ni à la Ligue arabe à décider qui doit ou ne doit pas gouverner la Libye. Que Sarkozy, qui a reçu en grande pompe Mouamar El Gueddafi parce qu’il voulait lui fourguer des Rafale et une centrale nucléaire, mais surtout pour l’entraîner dans l’Union pour la Méditerranée afin d’y faire accepter Israël dont les pays arabes ne voulaient pas, se permette tout à coup de prôner une intervention militaire, me semble aberrant et surtout stupide à brève échéance. Tous ceux qui appellent à cette couverture aérienne qu’ils ont surnommée faussement humanitaire, ou demandent l’aide des Américains pour déloger le Guide, devraient se souvenir de ce qu’a donné l’aide américaine à l’Irak ».(2)

Que faut-il faire alors ?

Faut- il couper la Libye en deux avec une Libye utile, entendons par-là celle qui a le pétrole qui aura une saveur particulière maintenant que le nucléaire a montré ses limites ? Marcel Boisard, docteur en sciences politiques, ancien sous-secrétaire général de l’ONU, prône, par réalisme, une résolution pacifique du conflit, en incluant El Gueddafi ou ses proches : « La Libye n’est pas une nation. Elle est constituée de trois provinces disparates, elles-mêmes divisées en de nombreuses tribus. L’Italie arracha ces territoires à l’Empire ottoman, en 1912, et eut grand peine à les dominer. (...) La Libye n’est pas davantage un Etat, mais un « pouvoir de masse », Jamahiriya, néologisme arabe intraduisible et salmigondis incompréhensible, confondant les philosophies politiques les plus dissemblables. Le résultat en est qu’il n’existe aucune véritable structure de gouvernement. El Gueddafi ne se considère pas comme un chef d’Etat, mais comme un « guide » ou un « frère colonel ». (...) La population de Cyrénaïque prit les armes, en pillant les dépôts existants, puis marchant vers l’Ouest. La presse occidentale s’est enthousiasmée pour cette jeunesse courageuse et s’est déchaînée contre le tyran, alors que l’on assiste à une guerre civile ou, plus précisément, à une guerre de sécession. Embourbées en Afghanistan et en Irak, incapables d’aider au règlement de la question israélo-palestinienne, les puissances occidentales ne sauraient considérer une intervention militaire. Un siècle exactement après le dernier incident retenu par l’histoire et survenu dans la même région géographique, la « diplomatie de la canonnière », illustrative de la politique coloniale, semble réintroduite ! (...) Faut-il pour autant demeurer spectateurs et laisser les massacres potentiels se dérouler ? Evidemment non. D’abord, la Libye ne pourra pas continuer d’exister comme entité politique unique. Il faut donc considérer une partition, sinon et quel que soit le vainqueur, les représailles seront terribles (...)Reconnaître le « Conseil national de transition », dont on ne sait rien, comme l’unique représentant du peuple libyen, ainsi que vient de le faire Nicolas Sarkozy, est absurde et suicidaire. L’issue de la négociation pourrait être la création d’un Etat de Cyrénaïque, démocratique teinté d’Islam, et d’un Etat de Tripolitaine auquel pourrait être adjoint le Fezzan, trouvant une forme humaniste de gouvernance. »(3)

On remarquera au passage comment cette personnalité décrit sans état d’âme une partition du pays à l’instar de celle du Soudan et des autres à venir. Le remodelage est une réalité. L’accord donné par le gouvernement du monde à normaliser la Libye est lourd de signification, nul doute que la Libye s’enfonce durablement dans le chaos. La France de de Villepin parlant de la vieille Europe qui ne croit plus aux guerres, est contredite huit ans plus tard par Juppé qui dit exactement l’inverse. A l’instar de la partition de fait de l’Irak, celle de la Libye est inéluctable. Les seuls gagnants sont ceux qui se répartiront encore sa dépouille encore fumante mais suintant 48 milliards de barils.

Le besoin de liberté des jeunes est réel et irréversible

Pourtant, le ras le bol des jeunes libyens est légitime, sauf que les potentats arabes vissés sur leur trône ,n’ont que peu de considération pour ce besoin de printemps.. Antoine Reverchon et Adrien de Tricornot pensent que l’argent ne suffit pas pour calmer les révoltes. Ils écrivent : « Mais tous ces milliards de dollars, qui feraient en temps normal le bonheur des populations, ne suffiront peut-être pas à stopper l’enchaînement des bouleversements politiques qui déstabilisent peu à peu la principale région productrice de pétrole de la planète. Car la rente pétrolière est le seul élément qui distingue les pays du Golfe, mais aussi l’Algérie et la Libye, de la Tunisie ou de l’Egypte. La concentration de la richesse entre les mains d’autocrates au pouvoir depuis des décennies, l’insuffisance et l’opacité de sa redistribution, la corruption, et surtout le refus de la jeunesse de continuer à accepter cela, sont les détonateurs de la révolte dans le Golfe et ailleurs dans le Monde arabe. Dans un texte publié par l’International Herald Tribune, un professeur d’université omanais, Najma Al-Zidjalya a d’ailleurs joliment baptisé ces bouleversements du nom de youthquake ("tremblement de jeunesse"). Mais, comme l’explique M.Sarkis, "ce ne sont pas tant des revendications économiques que politiques, pour la liberté d’expression, pour participer à la vie publique, qui sont aujourd’hui portées par les manifestants". L’extraordinaire développement économique est en effet largement confisqué par les familles régnantes et leur clientèle ou, en Algérie et en Libye, par les clans politico-militaires au pouvoir. « La plus grande demande du "printemps arabe" est une aspiration complexe à changer fondamentalement les modes de fonctionnement des sociétés », ajoute Samir Aita, président du Cercle des économistes arabes. "Toute la région était un volcan éteint. Il se réveille avec d’autant plus de force qu’on le croyait éteint. Et il a de nombreux cratères, qui s’allument les uns après les autres’’, affirme M.Sarkis. » (4)

Le Monde arabe ne sera plus jamais comme avant, les répliques des jeunes vont s’atténuer. La Rue arabe ne se laissera plus faire et les morales, voire les recettes à l’ancienne, n’ont plus cours. Il faut parler aux Jeunes et les convaincre, largement formatés par le Web 2.0. Il sera de plus en plus difficile de les contraindre surtout avec la mentalité de ceux qui veulent toujours avoir raison. Il est des moments dans la vie d’une nation où les hommes et les femmes refusent de courber l’échine et retrouvent, pour un temps, la sublime générosité du coeur et la grandeur des sacrifices. La révolution est toujours belle lorsqu’elle naît d’une idée supérieure que des hommes et des femmes se font de leur idéal commun. Les Jeunes Arabes, à l’instar des Jeunes Turcs, Algériens, Tunisiens du siècle dernier, ont pris le chemin de l’espérance, à nous de les accompagner.

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz

1. Lionel Froissart : Bahreïn, http://www.letemps.ch/Page/Uuid/ebe3a680-4e7e-11e0-8142-b21198a5c286/Larriv%C3%A9e_des_troupes_saoudiennes Mardi15 mars 2011

2. Ginette Skandrani. Libye : je me refuse à hurler avec les loups Oulala.com 13.03.2011

3. Marcel Boisard. Couper la Libye en deux ? Le Temps. 14 mars 2011

4. A.Reverchon, A. de Tricornot : La rente pétrolière ne garantit plus la paix sociale Le Monde 14.03.11

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