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le Monde Diplomatique, janvier 2011

Dans la livraison de janvier 2011 du Monde Diplomatique, Serge Halimi revient sur les révélations de Wikileaks. « En octobre 1962, le monde frôle la guerre nucléaire. Peu avant des élections de mi-mandat, le président John Kennedy va répétant qu’aucune implantation de missiles offensifs soviétiques à Cuba n’interviendra " ni ne serait acceptée. Moscou passe outre, mais sans pouvoir apprécier si les déclarations américaines visent à apaiser l’électorat ou constituent une réelle mise en demeure. Des communications " secrètes " vont préciser les intentions des protagonistes et leur permettre de dénouer la crise. Les Américains suggèrent qu’ils consentiront sans doute " mais plus tard et discrètement " à une des contreparties que Moscou réclame : le retrait de missiles de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) déployés en Turquie. Côté soviétique, une lettre confidentielle de Nikita Khrouchtchev signale à Kennedy qu’un engagement américain de ne plus envahir Cuba lui permettrait d’ordonner le retrait des missiles de l’île sans perdre la face.

Les révélations de WikiLeaks gêneront-elles la diplomatie qui, comme en 1962, évite les guerres, ou plutôt celle qui les prépare ? Car les fuites ne sont pas toutes appréciées avec la même sévérité. Quand le plan « Potkova » serbe fut inventé par des militaires allemands pour justifier la guerre du Kosovo, quand le New York Times fit écho aux bobards du Pentagone sur les armes de destruction massive en Irak, la Maison Blanche ne réclama pas de sanction particulière.

Certains prétendent que la révélation de telle ou telle visite à l’ambassade des Etats-Unis aurait mis en danger la vie de quelques-uns des visiteurs. Mais, si le péril d’une divulgation était réel (nulle victime de ce type n’a encore été identifiée), comment expliquer que le secret fut si mal gardé ? Les risques politiques, alors ? Le dirigeant socialiste français qui confia en 2006 à une émissaire de M. George W. Bush que l’opposition de Paris à la guerre d’Irak avait été « trop ouverte » (M. François Hollande) ou celui qui minauda que les rapports entre les deux pays « furent toujours meilleurs quand la gauche était au pouvoir » (M. Pierre Moscovici) auraient juste préféré que ces conversations-là soient divulguées dans quelques dizaines d’années...
Toutefois, un ambassadeur n’est pas un messager ordinaire. Pour faire valoir son efficacité, il peut exagérer l’adhésion des personnalités qu’il rencontre aux positions de son pays. Or les propos attribués aux interlocuteurs des diplomates américains n’ont pas été authentifiés auprès de ceux qui les auraient tenus. Pour qu’on les publie, il a apparemment suffi qu’ils paraissent criants de vérité, c’est-à -dire qu’ils correspondent... à ce qu’on soupçonnait déjà .
Quant à la mise en cause de la sécurité de l’Amérique, M. Robert Gates, patron du Pentagone, se montre serein : « Les gouvernements qui traitent avec les Etats-Unis le font parce que c’est leur intérêt. Ni parce qu’ils nous aiment, ni parce qu’ils nous font confiance, ni parce qu’ils croient que nous savons garder un secret. »

Philippe Pons a vu en Corée une société qui s’éveille, qui « bouillonne », malgré les missiles tirés par le pays et les manoeuvres militaires américano-sud coréennes.

Pierre Rimbert dresse un constat sévère sur la pensée critique dans l’enclos universitaire :
« De plus en plus décrié en raison des dégâts qu’il occasionne, le système économique suscite manifestations populaires et analyses érudites. Mais aucune théorie globale ne relie plus ces deux éléments en vue de construire un projet politique de transformation sociale. Les intellectuels critiques n’ont pourtant pas disparu. Que font-ils ? Les institutions qui les forment et les emploient leur permettent-elles encore de concilier culture savante et pratique militante ?

Des rues noires de monde, des slogans offensifs, des chants au poing levé, des directions syndicales dépassées par leurs bases. Le combat social de l’automne 2010 contre la réforme des retraites aura mobilisé plus de manifestants qu’en novembre-décembre 1995. Cette fois, pourtant, nulle controverse opposant deux blocs d’intellectuels, l’un allié au pouvoir et l’autre à la rue, ne vint troubler la bataille. Quinze ans auparavant, en revanche...
Un hall bondé de la gare de Lyon, des banderoles, des visages tournés vers un orateur qui ne parle pas assez fort. Le sociologue Pierre Bourdieu s’adresse aux cheminots. « Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation associée à l’existence du service public. » Un intellectuel français de réputation internationale aux côtés des travailleurs ? Scène devenue insolite depuis les années 1970. Ce mardi 12 décembre 1995, deux millions de manifestants ont défilé contre le plan de « réforme » de la Sécurité sociale et des retraites porté par le premier ministre, M. Alain Juppé. La grève installe un climat où l’inconnu se mêle aux retrouvailles. Car revoici le salariat, dont philosophes, journalistes et politiques avaient cru riveter le cercueil lors des restructurations industrielles des années 1980. Et revoilà des chercheurs critiques, décidés à mener la bataille des idées tant sur le terrain économique que sur les questions de société.
Deux pétitions aux tonalités antinomiques révèlent alors une fracture du monde intellectuel français. La première, intitulée « Pour une réforme de fond de la Sécurité sociale », salue le plan Juppé, « qui va dans le sens de la justice sociale » ; ses signataires se recrutent par cercles concentriques au sein de la revue Esprit, de la Fondation Saint-Simon, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et, plus généralement, d’une gauche ralliée au marché. »

Laurent Cordonnier annonce une suite à la lamentable émission de 1984 présentée par Yves Montand (« Vive la crise ! ») : « La télévision publique récidive le 11 janvier. Mais, cette fois, le climat idéologique a changé. Trois années de Maelström financier ont terni la réputation du laisser-faire. Alors, pour dépeindre le libéralisme sous un jour plus avenant, de nouveaux ménestrels (Arditi, Orsenna, qu’on ne savait pas économiste) réécrivent l’histoire économique de notre temps. » Je donne 20/20 à cet article (prof un jour, prof toujours).

Gwénaëlle Lenoir et Marie-Line Darcy ont enquêté sur la précarité au Portugal. « Elle frappe un tiers des salariés et va s’étendre. Déjà , on peut mesurer les conséquences du plus précaire des contrats précaires, le reçu vert. »

Une brève sur Wikileaks et Sarkozy : « En annonçant à l’ambassadeur étatsunien à Paris son intention de se présenter à la présidentielle, Sarkozy évoquait la nécessité pour la France d’une période similaire à celle de Reagan ou Thatcher.

Alors, se demande Felix Stalder, « pourquoi les institutions peinent-elles à conserver leurs secrets ? » Le constat est amer pour les gouvernants : rien ne peut désormais empêcher les fuites de se produire, même si, comme suggère Bob Beckel de Fox News, il faut « buter illégalement ce salopard d’Assange ».

Christophe Wargny revient d’Haïti, qu’il a vue « entre Dieu et ONG ». Un pays ravagé désormais par la crise politique.

Marina Da Silva décrit, au Liban, « le double exil des Palestiniens » qui tentent de revenir dans le camp de Nahr Al-Bared, détruit en 2007.

Alain Gresh a pris la route de la soie rouverte en Pékin et Ryad. « Depuis une dizaine d’années, de solides relations se sont tissées entre les deux pays dans les domaines économique, culturel, religieux, et parfois militaire. » Alliance insolite…

Gbagbo (qui a désormais le soutien de Roland Dumas et de Jacques Vergès) refuse de laisser la place à Ouattara (Vladimir Cagnolari). « Les raisons de ce bras de fer sont à rechercher dans la succession ratée de Félix Houphouet-Boigny ».

Très intéressant reportage de Cathy Fourez dans un centre de détention pour femmes au Mexique : « Près de 2000 détenues subissent la violence disciplinaire de l’univers carcéral. Un atelier d’écriture révèle pourtant qu’un tel environnement, d’où les hommes sont absents, autorise certaines d’entre elles à mieux appréhender leur identité, à mieux comprendre leur histoire et, dans une certaine mesure, à s’émanciper un peu. »

Camille Sarret analyse le renouveau du féminisme au Sud : « le prisme paternaliste à travers lequel est souvent perçu le sort des femmes du Sud a tendance à occulter les combats qu’elles mènent. Comme en Occident, leur condition, loin d’être un invariant culturel, fait l’objet de luttes visant à arracher de nouveaux droits et à mettre fin à des situations de violence ou de discrimination. »

Un dossier très intéressant de Dominique Vidal sur « les extrêmes droites à l’offensive ». « Décidément, l’extrême droite n’est plus ce qu’elle était. Culte machiste des « hommes forts » ? La présidence du Front national (FN) reviendra sans doute à une femme " fille, il est vrai, de son fondateur... Benoît XVI rabiboche l’Eglise avec les intégristes ? Des formations longtemps arc-boutées sur la morale chrétienne défendent les droits des homosexuels et portent à leur tête des dirigeants qui s’affichent gays... Complaisance traditionnelle à l’égard de l’antisémitisme et du négationnisme ? La plupart des mouvements d’extrême droite manifestent désormais leur soutien à l’actuel gouvernement d’Israël, avant-garde de l’Occident.
Et pour cause : la dénonciation de « l’invasion musulmane » devient le principal ciment unificateur de formations qui, par ailleurs, divergent sur la mondialisation, l’Etat-nation, l’Europe, le protectionnisme, le welfare state, les services publics, les rapports avec les Etats-Unis... Peut-on dès lors parler de « nouvelle extrême droite européenne » ? A cette question, les meilleurs observateurs répondent " comme les jésuites, dit-on " par une question : chacun de ces termes ne contient-il pas un piège ?
« Nouveaux », ces courants ? « A l’exception du Parti [néerlandais] pour la liberté [Parti Voor de Vrijheid, PVV] de Geert Wilders, il s’agit d’anciennes formations d’extrême droite. assure Piero Ignazi, professeur de sciences politiques à l’université de Bologne. Et la démarche de celles qui tentent de s’intégrer au système en devenant respectables se heurte à leur propre tradition néofasciste. » La véritable nouveauté tient aux paradigmes propres à la période : la disparition de l’ennemi communiste, remplacé par l’ennemi islamiste, voire simplement musulman.
Comme un retour au philosophe allemand Oswald Spengler, dont Le déclin de l’Occident. paru en 1918 et 1922, arma intellectuellement les apprentis dictateurs opposants à la république de Weimar. » (articles sur l’Espagne, les Pays-Bas, l’Europe de l’Est).

On croyait qu’ils avaient commis toutes les saloperies contre le peuple. Non : les laquais du CAC 40 ont de la ressource. Au nom de la concurrence libre et non faussée qui figurait déjà dans le Traité de Rome de 1957, et à la demande du Medef, les associations vont se voir soumises au droit commun de la concurrence et privées de subventions. Fillon s’est livré à une « interprétation extensive de la réglementation européenne » (Didier Minot) et porte un coup sévère à la liberté d’association, pourtant garantie par la Constitution.

Evelyne Pieiller nous emmène dans « la caverne d’Alain Badiou » : « Alors que l’idéal communiste semblait périmé, Alain Badiou interroge les conditions de l’égalité véritable et affirme la nécessité d’une rupture radicale avec le consensus démocratique. »

Bernard Cassen rend hommage à Perry Anderson, figure marquante du marxisme anglais.

Marcel Détienne redécouvre les polythéismes : « L’histoire des religions présente souvent le monothéisme comme une étape évidente de l’évolution des croyances humaines. Pourtant son expansion, conflictuelle, n’a pas fait disparaître le polythéisme de nos imaginaires. Au contraire. »

De manière roborative et ironique, Sébastien Lapaque revient sur la consécration du repas gastronomique à la française, en rappelant que 30% des enfants se plaignent de ce qu’on leur sert dans les cantines et que la droite, en obligeant un maximum de Français à travailler le dimanche (donc en revenant sur une législation de la Belle Epoque, les empêche de se livrer aux joies de ces plantureux repas.

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