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La relation entre les USA, Cuba et la Jamaïque : Le triangle caribéen de la drogue

photo : Jamaique - patrouille antidrogue.

Parmi les documents les plus fascinants que Wikileaks a rendu publics il y a un télégramme qui a apparemment été envoyé par Jonathan Farrar, le responsable du Bureau des Intérêts des USA de la Havane, le 11 août 2009.

Le document est une bombe diplomatique virtuelle. Il peut embarrasser les gouvernements des trois pays concernés : les USA, la Jamaïque et Cuba.

Il semble que les Etasuniens fassent tout leur possible pour que les câbles de Wikileaks ne soient pas publiés dans les médias de la région, en particulier ceux qui viennent de leurs ambassades dans les Caraïbes. Le contenu des dépêches s’est cependant répandu dans tous les médias de la Jamaïque.

Ils vont être une nouvelle source d’embarras pour l’Administration dirigée par Bruce Godling et dont la crédibilité dans la lutte contre le trafic de drogue est déjà remise en question, à l’intérieur de la Jamaïque. Plus tôt dans l’année il y a eu de violentes protestations lorsque le gouvernement jamaïcain a refusé d’extrader aux USA un présumé baron de la drogue qui se trouvait dans la circonscription électorale du Premier Ministre lui-même et qui avait des liens puissants avec le Labour Party jamaïcain au pouvoir. Le parti d’opposition, le Parti National du Peuple a déjà dénoncé cela avec force.

Le télégramme énumère plusieurs occasions où les officiels de la police et du Ministère de l’Intérieur ont manifesté très peu de diligence à répondre aux demandes de coopération pour empêcher l’utilisation de l’espace aérien et des eaux territoriales de Cuba par des cargaisons de drogues, notamment de marijuana, en provenance de Jamaïque.

Le Ministre de la Sécurité Nationale jamaïcain a dénoncé avec violence ces accusations de non-coopération. D’après ce qu’on sait, il ne semble pas avoir pour autant nié que la véracité des incidents spécifiquement mentionnés dans les fuites de Wikileaks.

Quant aux autorités étasuniennes, les implications des contenus du télégramme sont fascinantes. Car Cuba a constamment été diabolisé par le gouvernement et les médias des USA au point d’avoir été mis sur la liste (publiée par le Département d’Etat US - NdR) des états qui soutient le terrorisme.

Et cependant il apparaît que le Spécialiste de la Prohibition des Drogues des Gardes Côtiers détaché au Bureau des Intérêts Etasuniens de La Havane a eu de nombreux réunions et entretiens avec le Ministre de l’Intérieur cubain jusqu’en août 2009.

Ils ont même fait ensemble un voyage de deux jours à Camaguey, où le haut gradé étasunien a reçu des informations sur un chargement de drogue jamaïcaine en route vers les Bahamas qui avait du atterrir d’urgence. L’équipage était détenu par les Cubains.

Les officiels étasuniens ont eu des conversations collectives ou individuelles avec au moins 15 officiels du Ministère de l’Intérieur de Cuba, et ont fait parfois avec eux des déplacements à l’extérieur de Cuba. Il semble que les officiels étasuniens aient été accueillis physiquement et officiellement avec beaucoup de générosité à Cuba.

Les Cubains se plaignaient souvent du manque de coopération des Jamaïcains dans le partage de l’information. Une fois une réunion a été organisée entre les officiels cubains et jamaïcains de la lutte anti-drogue. La réunion avait été organisée par l’Attaché à la Défense britannique et s’est tenue sur un navire de lutte contre la drogue britannique qui se trouvait dans le port de La Havane. Le télégramme rapporte qu’à ce meeting les officiels jamaïcains sont "juste restés assis sans rien dire".

Une autre fois, en mai 2009, les Gardes Côtiers Cubains, agissant selon les informations simultanées des USA, ont intercepté un navire rapide jamaïcain et saisi 700 kg de marijuana jamaïcaine. Cette opération s’appelle d’ailleurs "interdiction conjointe".

Interdicion conjointe ? Les USA et Cuba ? Est-ce qu’on parle là de l’état terroriste qui menace la sécurité des USA ? (Dans un autre mémorandum qui a fuité et qui a récemment été publié aux USA, les experts en stratégie des forces étasuniennes manifestent une grande inquiétude pour la sécurité des USA si le "régime venait à changer "à Cuba. On peut comprendre maintenant pourquoi. Pour commencer ils ne pourraient plus compter sur les formes de coopération actuelles).

Cuba, qui est une des îles des Caraïbes qui a la plus grande longueur de côtes, a sans doute le meilleur système de sécurité côtière de la région.

La raison en est claire. L’île a vécu ces 50 dernières années sous la menace permanente d’une invasion étasunienne. Les Cubains ne baissent jamais la garde.

Il est fort ironique de constater que c’est ce même système qui est aujourd’hui le principal atout pour protéger les USA des trafiquants de drogue.

En ce qui concerner les Cubains, les révélations de Wikileaks sont à double tranchant.

Le gouvernement cubain a toujours affirmé qu’il était contre le trafic de la drogue et qu’il faisait tout son possible pour empêcher que Cuba ne soit utilisé pour le trafic en coopération avec les autorités étasuniennes.

Les USA ne le nient pas. Mais l’intimité de leur coopération peut surprendre de nombreux habitants des deux pays. A ce stade, les révélations ne feront probablement pas de tort à Cuba. Elle peuvent faire quelque tort toutefois à leurs relations avec le gouvernement jamaïcain, avec qui les rapports ont été très cordiaux ces dernières années.

La semaine dernière justement (le 8 décembre) la Journée Cuba-CARICOM a été célébrée simultanément à La Havane et dans plusieurs capitales de la CARICOM par des réceptions diplomatiques et des discours.

Le fait qu’on voit Cuba en train de se plaindre aux USA - sans doute dans l’espoir que la pression étasunienne réussisse là où celle de Cuba a échoué - ne va pas avec l’image amicale que Cuba a cultivé toutes ces années.

Pourtant les Cubains ont des raisons d’être contrariés si les informations rapportées dans les câbles sont exactes.

Pourquoi avoir des problèmes avec les USA à cause de l’inaction de la Jamaïque, surtout quand l’enjeu est crucial pour Cuba ?

Quant au fait que ce soit révélé, les Cubains ont une réponse idéale : Ce n’est pas notre faute, c’est celle de Wikileaks (15.12.2010).

Tout cela se trouvait en première page du Jamaica Gleaner du 15.12.2010.

C’est passionnant à lire, c’est le moins qu’on puisse dire.

A moins que le document soit un faux, ce qui est peu probable, que signifie-t-il ?

1. Pour les relations USA-Cuba ? (Meilleures qu’on ne le croyait)
2. Pour les relations entre les USA et la Jamaïque ? (Pires encore qu’on ne croyait)
3. Pour les relations entre Cuba et la Jamaïque ? (Moins bonnes qu’on ne croyait)
4. Pour l’efficacité du système de défense cubain contre le trafic de drogue ? (Vraiment très bon)
5. Pour l’efficacité du système de défense jamaïcain contre le trafic de drogue (Rien qui vaille la peine d’être mentionné)

On peut joindre Noman Girvan sur son site Web

Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/girvan12162010.html

Traduction : D. Muselet pour LGS


COMMENTAIRES DU GRAND SOIR

Le Grand Soir a cru utile de publier cet article (dans le cadre des "effets Wikileaks") mais se doit de tempérer les propos de l’auteur. Son étonnement devant la "collaboration" entre Cuba et les Etats-Unis résulte principalement de son ignorance de la réalité sur le terrain, car cette collaboration a toujours été proposée et favorisée par Cuba - et parfois acceptée par certains services US locaux (gardes côtes, lutte antidrogue, services météo pour les alertes cycloniques...). Ca marche un certain temps, jusqu’à ce qu’un politicien US s’en mêle et mette les bâtons dans les roues, et ensuite - lorsque le politicien est occupé à autre chose - ça repart... Donc, lorsque l’auteur écrit "Mais l’intimité de leur coopération peut surprendre de nombreux habitants des deux pays. " il se trompe. Elle ne peut surprendre que les étatsuniens et, apparemment, l’auteur lui-même...

MISE A JOUR

Depuis la publication de cet article dans Counter Punch et le commentaire du Grand Soir, l’auteur a complété la version publiée sur son propre site avec ceci (traduction Le Grand Soir) :

Postscript December 17, 2010.

1. Dans l’article initial, j’ai omis de mentionner un détail important qui fugure dans le premier article de Gleaner : "Le rapport signalait aussi que les officiels cubains ont précisé que la cause des problèmes auxquels ils avaient à faire face était la forte demande de drogues de la part des consommateurs US"

2. A la suite du premier article du Gleaner (...) le bureau du premier ministre jamaicain a publié une note officielle, le 15 décembre 2010, qui confirme que les autorités cubaines se sont plaintes auprès de la Jamaique en 2009. Par conséquence, "l’officier en charge de l’unité qui avait été nommé en 2006 a été remplacé et l’unité réorganisée et rebaptisée "Crime Narcotics Division". La déclaration précise aussi que "Depuis, la coopération entre la Jamaique et Cuba dans la lutte contre les narco-trafficants est entière et aucune réserve n’a été formulée par les officiels du gouvernement cubain".

VOIR AUSSI :

WikiLeaks cables : Jamaica accused of aiding drug smugglers
http://www.guardian.co.uk/world/2010/dec/14/wikileaks-jamaica-accused-...

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