Journée de Solidarité avec Cuba à Paris : un 11 novembre pas comme les autres.

Par Rémy HERRERA*

Ce 11 novembre 2003 occupera dans nos coeurs, à nous autres amis de Cuba
vivant en France, une place spéciale. Nous étions nombreux, Français et
Cubains côte à côté, Européens et Latino-Américains mélangés, à nous rendre
ce jour-là , veille de l’ouverture du Forum social européen, au théâtre de la
Confédération Générale du Travail à Pantin, en Seine-Saint-Denis, dans la
proche banlieue Nord de Paris, pour participer à la journée de Solidarité
avec Cuba. Nous y étions conviés par plusieurs associations, celle des
Imprimeurs et Rotativistes, celle des Anciens Combattants, France Cuba, Cuba
Solidarité, le Collectif contre le blocus, le Comité Nord-Pas-de-Calais pour
la Solidarité avec Cuba, Cuba Si, la Fédération nationale d’associations de
la Refondation communiste. La salle du théâtre, plus de 450 places, était
pleine à craquer, à tel point qu’une autre salle mitoyenne, de plusieurs
centaines de places et équipée d’un écran géant, a dû être ouverte pour
accueillir le flux des invités venus des « quatre coins de l’hexagone ». L’
activité dura près de cinq heures, qui passèrent comme autant de minutes :
elle fut un succès total, une fête de fraternité, de mobilisation et d’
émotion.

Il est vrai que ce jour est particulier : le 11 novembre reste pour beaucoup
de Français un jour de souvenir, commémorant la fin de la Grande Guerre
(1914-18), au cours de laquelle le peuple français envoya combattre 8,5
millions des siens, et y perdit 1 350 000 de ses fils. Ce conflit, qui vit s
’affronter les blocs impérialistes, transforma le monde : y surgit la
Révolution russe victorieuse d’octobre 1917, qui mit fin au carnage sur le
front Est ; s’y organisa la lutte anti-guerre des camarades allemands et la
Révolution spartakiste de 1919, écrasée dans le sang par la
social-démocratie ; y furent bouleversés les contours du Proche Orient,
démantelé l’Empire ottoman, dessinées les frontières de l’Irak. C’est en ce
jour chargé d’histoire que nous étions venus apporter notre soutien
indéfectible à la révolution cubaine, produit de l’histoire des luttes
héroïques du peuple cubain, et cible depuis des mois de la calomnie
impérialiste, orchestrée par l’extrême droite états-unienne.

Ce jour de solidarité avec Cuba marqua un point d’inflexion, pour plusieurs
raisons. Il apporta tout d’abord la preuve que la communauté cubaine
résidant en France, jusque-là hétérogène et éparpillée, répond présent à l’
appel de la patrie et sait s’unir autour de sa révolution. Il montra que de
nombreux Latino-Américains vivant en France gardent au coeur la Cuba
socialiste comme une part de leur terre chérie, participant des combats pour
l’indépendance du continent tout entier. Il démontra que la solidarité
manifestée par le peuple français au peuple cubain est bien réelle, et sans
commune mesure avec l’impression erronée qu’ont pu donner les mensonges
diffusés par les médias, sous l’influence du lobby anti-castriste, et
soumettant à la censure les amis de Cuba, ou par les critiques formulées par
les directions des principaux partis de gauche. Nous avions eu la preuve
empirique, en septembre dernier, à la Fête de L’Humanité (du Parti
communiste) que les militants français restent lucides, anti-impérialistes
et solidaires de Cuba, en récoltant (en deux jours seulement !) plusieurs
milliers de signatures contre les sanctions imposées par l’Europe à Cuba.
Nous savons depuis ce 11 novembre que la solidarité avec Cuba constitue pour
eux un front de première importance dans la lutte anti-impérialiste menée
dans notre pays.

Ce front commence à s’organiser en France, contre le blocus, contre la « loi
d’ajustement cubain », contre les menaces que le gouvernement Bush fait
peser sur Cuba, et à se mobiliser activement pour la libération des cinq,
pour le droit du peuple cubain à garantir sa souveraineté nationale, pour le
développement de son projet socialiste. Ce front dépasse le peuple de gauche
 : « Chaque fois que Cuba sera menacée, les communistes trouveront à leurs
côtés des gaullistes pour défendre Cuba ! », déclara l’un des parlementaires
de droite présents, avec nous, à Pantin. Et ce front anti-impérialiste
concerne l’Europe toute entière, que nous voulons de gauche : dans un
formidable esprit internationaliste, les délégués de partis, de syndicats et
d’associations européennes, Espagnols, Portugais, Belges, Italiens,
Britanniques, Allemands, Grecs, Hollandais, Irlandais, Chypriotes. ont
affirmé, par de chaleureux messages, leur soutien total à la Cuba
socialiste. Des camarades venus des Etats-Unis étaient également là ,
témoignant du fait que l’opinion publique états-unienne, manipulée comme on
le sait par les puissants outils de propagande entre les mains de la
finance, n’est pas monolithique, qu’elle est traversée de très profondes
contradictions en ces temps de néo-libéralisme guerrier dévastateur.

Dans une ambiance de fermeté et de joie, et en présence d’Aleida
Guevara -fille du Che-, de Ramiro Valdés et Eusebio Leal auxquels nous fîmes
une ovation, se succédèrent les déclarations de solidarité, les spectacles
musicaux (d’Orisha et de musiciens cubains vivant en France) et la
projection du film « Desafio ». Merci, Cubaines et Cubains, merci d’être ce
que vous êtes. Sachez que vous avez, en France, un peuple frère à vos côtés
 : celui, fait d’ouvriers, de simples employés, de petits paysans, de
chômeurs, de travailleurs immigrés, de jeunes, de millions d’anonymes, le
peuple héritier de 1789, de 1848, de la Commune de Paris, celui de la
Libération, des luttes anti-coloniales, celui des grandes grèves de 1995, le
peuple de France qui continue d’espérer et de lutter pour un monde meilleur,
de dignité et de justice, celui qui a su accueillir tant d’étrangers sur son
sol et qui affirme aujourd’hui sa volonté de construire une société de
progrès social et de démocratie, de métissage et de fraternité humaine,
celui qui se lève contre la barbarie impérialiste actuelle, pour la défense
du droit international, de l’ONU, des droit des peuples, celui qui sait que
le bien-être des enfants, leur éducation, leur santé, leur sécurité, leur
épanouissement culturel, leur bonheur, auxquels vous consacrez tant d’
énergie, est le premier des droits de l’Homme et la condition sine qua non
de toute démocratie. Ce peuple de France, camarades cubaines et cubains,
frères et soeurs, se bat et se battra toujours avec vous !

* L’auteur est chercheur au CNRS et enseigne l’économie à l’Université de
Paris 1 Panthéon-Sorbonne.