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Incohérence économique et double pensée

Le chef de l’Etat a parlé à la télé, l’autre soir. Il parlait de justice, d’honnêteté, de vérité, et se complaisait à évoluer à travers des valeurs dont les concepts sont tout de même assez relatifs. Et parallèlement à ce discours de façade, il développait cependant une argumentation économique pour appuyer les actions menées et à venir, à travers un pragmatisme dont l’incohérence invalide les valeurs dont il se targuait d’être le défenseur.

Il faut avouer tout d’abord que la force des politiques réside avant tout dans leur langage, et que les peuples ne sont ni formés ni volontaires pour être en capacité de comprendre tous les enjeux du système, c’est à dire le fonctionnement du capitalisme, avec toutes les conséquences que cela entraîne. On ne peut donc reprocher au peuple, dont ce n’est pas le travail, de ne s’intéresser que de loin aux affaires de gouvernement, car le principe même de gouvernement implique le transfert du pouvoir démocratique à un petit groupe dont l’élection est censée être le résultat objectif de la reconnaissance de ses compétences. En d’autres termes, le peuple se dessaisit de la direction des affaires au profit d’hommes et de femmes dont le travail est de les diriger. Le peuple n’étant pas expert de la chose publique, il est naturel que ces « spécialistes » de la direction des hommes s’expriment à travers un langage aisément compréhensible par le plus grand nombre : comme des vulgarisateurs, des transmetteurs de la majorité qui les a élu, leur rôle est d’expliquer en quoi les réformes adoptées, les actions menées, vont dans le sens de l’intérêt général, qui est le suprême bien recherché par la démocratie.

Seulement aujourd’hui, le système mondialisé, celui qui contraint les peuples et les Etats, est exclusivement dominé par l’individualisme et la satisfaction de l’intérêt privé. Comme je l’ai déjà dit ailleurs (voir "de la nécessité du complot"), cet intérêt est donc nécessairement contraire à l’intérêt général, et doit être caché au peuple, qui doit continuer à croire en son pouvoir tout en s’en croyant indigne.

Ainsi commence la double pensée, exprimée par le double langage : l’objectif des gouvernants s’étant transformé, passant de l’intérêt général à l’intérêt particulier, et ne pouvant pas avouer au peuple ce changement de cap, il faut aux politiques redoubler d’ingéniosité pour continuer à expliquer que les mesures proposées sont bonnes pour le peuple, alors qu’en réalité elles lui nuisent. C’est ainsi que le discours dispensé au peuple est rempli de concepts, de valeurs, de morale, car seule la relativité de ces concepts permet aux politiques de s’en sortir : là où la mathématique ne peut tricher, le langage a le pouvoir de travestir la réalité pour la remplacer par la vérité, car l’homme à qui on n’a pas appris que la vérité n’est tout simplement qu’une opinion majoritaire tend à croire qu’elle est absolue.

En se cachant derrière ces concepts, nos politiques peuvent donc en toute « honnêteté » parler de « justice », car ces deux valeurs sont toutes aussi relatives que la vérité : la justice étant l’émanation de la Loi, et les lois étant votées par et pour « le peuple » (selon l’illusion démocratique de l’intérêt général), alors une loi injuste peut devenir « juste » du point de vue juridique. Qu’elle soit réellement juste ou non n’importe que peu, car la Loi est une force contraignante. Et il devient alors honnête pour un homme politique de se référer à la loi pour agir dans les limites qu’elle impose, et cela même si la loi est injuste d’un point de vue social.

Ainsi, le président peut légitimement se servir de ces concepts pour étayer son argumentation : dans le système capitaliste, dont le principal objectif est la satisfaction de l’intérêt particulier, il est juste de favoriser les riches et honnête de l’assumer, car la vérité est que seuls les plus « aptes » à la réussite économique « méritent » l’ascension sociale. En détournant ainsi le sens de la démocratie, il devient donc possible, avec les mêmes mots, de faire le contraire de ce que l’on dit, en accord avec ce que l’on pense sans le dire.

Ce tour de passe-passe, théorisé par le concept de « double-pensée », est également à mettre en perspective avec les arguments économiques rapidement évoqués par le président. Car bien entendu, la réalité finit toujours par rattraper la vérité, et les beaux concepts, les belles paroles ne suffisent pas à remplir le frigo de ceux qui les écoutent. Il leur faut des chiffres, des explications sur le décalage flagrant existant entre les promesses successives d’augmentation du pouvoir d’achat et sa réelle et continuelle baisse. Le mensonge, l’interprétation des chiffres, le contexte international peuvent parfois être utiles, mais ne suffisent pas toujours pour endormir les « veilleurs » du quatrième pouvoir, avec leur clique d’experts et d’analystes toujours aux aguets, et qui ont la mauvaise habitude de servir d’informateurs aux contestataires de tous poils.

Mais le véritable problème avec les chiffres, c’est que la théorie ne correspond pas à la réalité : la somme des intérêts particuliers ne favorise pas l’intérêt général, et ce pour des raisons que j’ai déjà expliquées ailleurs (voir "la rationalisation de l’individu"). Sachant cela mieux que moi, il devient somme toute assez difficile aux économistes (et même au président) d’expliquer au peuple le paradoxe suivant : le système fonctionne très bien, mais la crise (créée par le système) met en péril le système. En d’autres termes, il fonctionne très bien pour nous et pas pour vous, mais c’est à cause de vous !

Et c’est comme cela qu’on arrive à une aberration économique comme celle que nous a offert notre président, et que j’ai déjà entendu maintes fois dans d’autres bouches : le traditionnel et révoltant slogan concernant la relation emploi-consommation-croissance-investissement-

En effet, à propos de la baisse des charges pour les entreprises, le président indique qu’une augmentation d’impôts incite les entreprises à délocaliser, c’est à dire à licencier, c’est à dire moins de consommation… moins de croissance.

Ensuite, et à propos des fonctionnaires, le même président défend cette fois les deniers publics, en estimant que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux est inévitable pour faire des économies… comme si, d’un coup de baguette magique, la baisse de consommation due aux licenciements des fonctionnaires n’allait pas ralentir la croissance mais « assainir » les finances de l’Etat. Comment est-ce possible ? Alors que toute la théorie économique est basée sur l’investissement (qui est censé créer de l’emploi et donc de la consommation), en réalité les faits expriment tout à fait le contraire : un cadeau de plus pour les entreprises (sans augmentation de salaire ni embauche) d’une part, et une dette moins grande pour les Etats au bord du gouffre de l’autre. Conclusion de l’affaire, rien de bon pour les salariés, et un avenir pour eux loin d’être radieux. En échange, de plus grands profits pour les entreprises, et l’augmentation, à terme (car moins d’emplois c’est moins de consommation et à terme moins de croissance…) du déficit public.

Finalement, le président ne nous aura pas menti, et on devrait le remercier. Si le but du capitalisme était réellement la satisfaction de l’intérêt général, l’investissement serait la seule politique à mener. Mais si on l’écoute bien, on comprendra rapidement comment tout cela va réellement se terminer : après s’en être mis plein les poches et après avoir ruiné les peuples, nos gouvernants nous acculeront à faire un choix décisif. Et alors même qu’ils ne pourront plus nous cacher le double-jeu qu’ils mènent, ils nous proposeront l’alternative suivante : la gouvernance mondiale pour nous sortir d’une démocratie déviée, ou la guerre pour remettre le capitalisme en place. Mais il se peut que la réponse ne les intéresse pas, car dans un cas comme dans l’autre, une chose aura bel et bien disparu, la liberté. Pour que nous n’ayons plus la possibilité d’avoir le choix.

Caleb Irri
http://calebirri.unblog.fr

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