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La doctrine des attaques préemptives et le nouvel unilatéralisme américain

Il manquait en effet à cette administration une doctrine qui marque son entrée dans l’histoire politique des Etats unis. On se rappellera que c’est à un certain George Kennan, haut fonctionnaire de l’ambassade américaine à Moscou que l’on doit la doctrine du « containment ». Cette dernière a trouvé son application politique lorsque G. Truman s’est engagé à soutenir « les peuples libres qui veulent résister à l’assujettissement par des minorités armées ou par des pressions extérieures ». Elle fut en premier lieu appliquée à la Grèce. Il n’y pas si longtemps on disait aussi qu’à l’égard de l’Iran la doctrine de l’administration Clinton correspondait à une mixte de « containment » et de « coexistence ». Quelle est donc la doctrine de la toute nouvelle administration Bush ?

Le discours de West Point

Ce n’est pas une question à laquelle il est aisé de répondre. A certains égards cette toute nouvelle administration est plus ancienne que celle qui l’a précédée. Certains de ses membres ont servis sous Nixon, mais l’essentiel de cette équipe a aussi fait partie des administrations Reagan et Bush. Lors des dernières élections présidentielles cette caractéristique était justement présentée comme un élément rassurant. L’inexpérience de Bush devait être compensée par celle des membres de son cabinet. Elle l’aura été au delà de toute expectative.

Lors de son Discours à West Point, Georges Bush a donné une idée de la doctrine de son administration. Après avoir affirmé que les Etats Unis « se battent, se battent toujours pour une paix juste, une paix qui sert la liberté des hommes. » Il ajoute : «  Nous défendrons la paix contre les menaces des terroristes et des tyrans. Nous préserverons la paix en bâtissant de bonnes relations avec les grandes puissances. Et nous étendrons la paix en encourageant les sociétés libres et ouvertes dans tous les continents ».

C’est alors seulement qu’il commence à exposer les éléments de la nouvelle doctrine américaine : « Tout au long de ce siècle, dit-il, la stratégie de défense américaine reposait sur les doctrines de la guerre froide que sont la dissuasion et l’endiguement. Dans certains cas ces stratégies continueront à avoir cours. Mais les nouvelles menaces requièrent aussi de nouveaux mode de pensée. La dissuasion, soit la promesse d’une réplique massive contre les nations [qui nous attaqueraient] ne signifie rien contre les réseaux terroristes travaillant dans l’ombre sans pays ou citoyens à défendre. L’endiguement n’est plus de cours quand des dictateurs déséquilibrés disposant d’armes de destruction massive peuvent livrer ces armes ou missiles ou les fournir secrètement à leurs alliés terroristes. »

Voici donc le coeur de la doctrine de l’actuelle administration :

« la sécurité du territoire et le programme antimissile sont une partie de notre effort de sécurité, et ils constituent des priorités essentielles pour l’Amérique. Mais la guerre contre le terrorisme ne sera pas gagnée en restant sur la défensive. Nous devons mener le combat chez l’ennemi, semer la confusion dans ses projets. Dans le monde où nous entrons, la seule voie pour la sécurité est la voie de l’action. Et cette nation agira … Notre sécurité nécessitera la transformation des armées que vous dirigerez, en armées qui doivent être prêtes à attaquer à tout moment dans n’importe quel coin caché du monde. Et notre sécurité exige des américains qu’ils soient tournés vers l’avenir et résolus, prêt à toute action préemptive quand il leur sera nécessaire de défendre leur liberté et leur vie. »

Pour ceux d’entre nous qui n’avaient pas encore compris, il n’y a rien de plus clair :

l’action préemptive n’est pas un nouveau nom pour la légitime défense. L’administration américaine prévient plus de soixante pays qu’ils constituent une cible potentielle. Et si l’envoi de militaires n’est qu’une option parmi d’autres (lutte financière, activités de renseignements, envoi de conseillers militaires, envoi de diplomates), c’est tout de même une option clairement assumée.

Ce que Bush signe avec ce discours c’est ni plus ni moins que la fin de plus de cinquante ans de déploiement de stratégies multilatérales visant justement à éviter les conflits. Mais si la légalité des attaques préemptives est acceptée, c’est la fin de l’appareil onusien visant à maintenir la paix dans le monde. Tout état peut maintenant attaquer n’importe lequel, à partir du moment où il pourra prétexter une quelconque menace, fut-elle distante dans le temps ou dans l’espace. Et il ne s’agit plus de légitime défense.

Ceci était certes déjà possible par le passé (Israël a usé du prétexte de la légitime défense, pour bombarder la centrale nucléaire irakienne en 1981, Reagan pour bombarder la Libye, Clinton pour le Soudan), mais l’usage de ce prétexte était de fait limité et en tout les cas circonscrit aux limites de l’interprétation possible de l’article 51 permettant aux états d’agir en situation d’autodéfense.

La doctrine de Bush qu’il a développée au début du mois de juin, devant les cadets de West Point témoigne par contre d’une profonde et explicite modification des enjeux : dorénavant les troupes américaines doivent se préparer, même sans menace imminente, à frapper tout état qui menacerait la sécurité des Etats unie, sécurité dont le gouvernement américain sera toujours seul juge.

Mais il n’y pas là de quoi s’inquiéter. En échange de cette perspective si sombre, l’administration américaine n’a pas manqué de proposer un rêve à partager : « Nous avons là une grande occasion d’apporter une paix juste, en substituant l’espoir de meilleurs jours à la pauvreté, la répression et au ressentiment dans le monde  ».

La nouvelle approche unilatérale

Les premières victimes de cette doctrine interventionniste et unilatérale auront d’abord été les traités internationaux. La liste des traités que la Maison blanche a rejeté ou affaibli voire seulement tenté d’affaiblir est interminable.

En tant que gouverneur du Texas, Bush avait déjà refusé d’appliquer l’article 36 de la convention de Vienne qui impose aux autorités locales de prévenir rapidement les détenus étrangers de leur droit à une assistance consulaire. Son administration avait argué que l’état du Texas n’était pas signataire de la convention de Vienne (sic !) (juin 1997).

Depuis qu’il est au pouvoir la Maison blanche a violé, contesté ou retardé le traité de défense antimisile, celui de Kyoto, le traité ABM (missiles anti-balistiques), le traité de la cour criminelle internationale de la Haye, le traité pour les mines antipersonnelles, le traité sur la protection des droits de l’enfant, le protocole de vérification et de contrôle de la Convention internationale bannissant les armes biologiques, la convention préparatoire pour le contrôle du tabac(2 auout 2002) , un protocole contre la torture (24 juil), etc.

Le renforcement des capacités militaires américaines

Cette défiance croissante à l’égard de la communauté des nations s’est accompagnée d’un renforcement sans précédent des capacités militaires.
Lors du vote du budget de la défense pour l’an 2003, l’administration américaine a requis 396 milliards de dollars, ce qui équivaut à une augmentation en valeur absolue de 48 milliards de dollars (14%) par rapport au budget 2002.

Les dépenses militaires auront cru de 30% soit 88 milliards de dollars depuis 2001, et vont être, en valeur réelle, supérieures de 15% à la moyenne de ce qui a été dépensé pendant la guerre froide. Il s’agit aussi de la plus grande augmentation de budget depuis la guerre du Vietnam. Les Etats Unis à eux seuls, vont consommer 40% de toutes les dépenses militaires mondiales.

La guerre contre le terrorisme, même au sens américain du terme, ne peut pourtant être comparée aux guerres menées par ce pays durant la dernière moitié du 20éme siècle. La guerre de Corée, la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe étaient des conflits militaires de premier ordre où d’importantes forces américaines étaient confrontées à des armées dotées d’une puissance significative. En 1950, 300 000 hommes ont été envoyés contre 2 million de nord coréens et de chinois. Les forces américaines présentes au Vietnam ont atteint le pic de 579 000 en 1968. Prés de 500 000 irakiens furent envoyés contre l’Irak en 1971.

L’armée américaine a occupé l’Afghanistan avec moins de 5000 soldats et moins de sorties d’avions qu’il ne lui en a fallu pour le Kosovo. Et en ce qui concerne Al quaeda, un récent rapport du FBI précise qu’elle ne dispose pas plus de 200 inconditionnels à travers le monde.
L’explication donnée par le Pentagone depuis la fin de la guerre froide est que les Etats unis doivent se préparer à faire face à deux conflits majeurs simultanément. sa priorité étant de maintenir une force militaire suffisante pour mener et remporter simultanément deux « conflits régionaux majeurs. » Avec les moyens dont il dispose maintenant, le Pentagone peut même aller au delà .

Les capacités militaires américaines sont maintenant sans commune mesure avec celles qu’aucun autre empire aurait jamais eu dans l’histoire. Cela signifie-t-il que ce pays va en user pour asseoir son pouvoir sur le reste du monde ?

Voici quelques exemple des dérives qui sont promises.

Le président Bush a donné à la CIA l’autorisation de mener des actions contre toutes cible jugée menaçante pour la sécurité américaine. L’appel à éliminer Saddam, outre le fait qu’il visait à bloquer toute tractation entre l’Irak et l’Unscom, rappelle que ces actions ne concerneront pas que des prétendus terroristes mais éventuellement des chefs d’état en place.

Les Etats-Unis on lancé la fabrication de mini-bombes atomiques qu’ils pourraient utiliser pour lutter contre des terroristes cachés dans des bunker ou des grottes. Ce faisant, le gouvernement américain assume qu’il est prêt à violer les principes qui ont régulé l’usage de la bombe atomique depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Le pentagone envisage enfin d’envoyer ses équipes frapper n’importe quelle cellule d’Al Qaeda n’importe où dans le monde. Plus que cela, il envisage de recourir à ces équipes de Marines ou de l’US qui agiraient en territoire étranger pour frapper toutes groupement qui aurait attenté à la vie d’un américain. Les zones tribales pachtounes, la Palestine, la Colombie, les philippines sont pour l’instant des cibles désignées.

Il n’y a semble-t-il pas de limites au refus manifeste de l’administration Bush de s’engager dans une quelconque approche multilatérale d’un quelconque problème.
Mais si la lecture de l’agenda international de l’administration américaine se révèle pour le moins inquiétante, celle de l’agenda national ne le sera pas moins.

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