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La prime à j’me casse

Fakir est un fanzine « lié à aucun parti, aucun syndicat, aucune institution. Il est fâché avec tout le monde ou presque. »

On le trouve en kiosque. Pour 3 euros seulement on devient propriétaire d’une quarantaine de pages avec pleins d’articles fouillés, des dessins à profusion et des photos.

Au toucher, Fakir est un peu moins agréable que le Nouvel-Obs ou Marianne (le papier n’est pas glacé). Au feuilletage, on n’est pas contraint de chercher les articles entre les pubs comme chez ses concurrents. A la lecture, ça vous tient plusieurs heures sans ennui. Au moral, Fakir fait du bien avec son parti pris d’humour, de dérision, de causticité et d’irrespect, le tout au service du sérieux (si, c’est possible).

Fakir n’est pas le frère jumeau du Grand Soir, mais peu de choses nous contrarient à sa lecture. C’est pourquoi nous vous invitons à le découvrir.

LGS.


Derrière la « crise » et la « reprise », un mouvement historique se poursuit : la délocalisation vers les « pays à bas coût de main d’oeuvre ». Exemple dans l’industrie automobile.

« Le marché automobile français finit l’année 2009 en fanfare. » C’est la bonne nouvelle
économique de cet hiver - claironnée de télés en radios : « + 10 % par rapport à 2008 » ! Une « année record grâce à la prime à la casse », se félicite Christian Estrosi, le ministre de l’industrie. D’autant que « les constructeurs français ont été les premiers bénéficiaires ».
Super.
Super puisque, évidemment, ces « constructeurs français » ont embauché + 10 % de travailleurs…
Eh bien non : les licenciements - pardon : les « plans de sauvegarde de l’emploi » - se
poursuivent tranquillement, à la fois chez Renault, Peugeot, et chez les équipementiers. Car dans ce secteur, comme dans toute l’industrie, la « crise » ou la « reprise » ne changent pas grand-chose à un mouvement historique : la délocalisation continue. Depuis vingt ans, les ventes de voitures en France sontdemeurée stables - tandis que la production sur notre territoire, elle, a diminué de moitié...

La Twingo go ailleurs

C’est la voiture qui a cartonné en 2009 : « N°1 du segment des citadines », annonce fièrement Renault, avec « près de 11 000 unités vendues » rien qu’en novembre - « une progression de + 72,1 % » par rapport à 2008. Après le communiqué de presse, on dépiaute l’ « Atlas Renault ». L’usine de Flins, en grande banlieue parisienne, fabrique la Twingo depuis son lancement, en 1997. En 2006, près de 52 000 Twingo sont sorties de ces chaînes. Puis moitié moins, 29 000, en 2007. Et en 2008, dans le tableau du document, il y a juste un trait : « - ». Qui veut dire zéro. Car la dernière
Twingo a été fabriquée le 28 juin 2007. Depuis, on est passés à la « Twingo II ».
Et on est passés en Slovénie.
En 2007, l’usine de Novo Mesto a pondu plus de 75 000 « Twingo II ». Et 132 416 en 2008. Une montée en puissance si rapide, là -bas, que les dirigeants envisagent de
simplifier l’obtention de permis de travail - au cas où la main d’oeuvre slovène manquerait. Tandis qu’à Flins, les effectifs ont diminué de moitié : de 5 125 employés, encore, en 2003 - à 2 657 aujourd’hui. Ces ouvriers se concentrent sur la Clio… mais la prochaine version, la 4, sera réalisée à Bursa, en Turquie : « Cela ne produira ni licenciement ni fermeture de l’usine [à Flins] », assure le porte-parole du groupe.
C’est pour cette raison qu’en France (et pas en Slovénie), Renault a lancé un grand « Plan Volontariat » : début 2009, « 4 400 salariés ont choisi de quitter l’entreprise ».

La Picasso se casse

Chez Peugeot, c’est la 207 qui arrive en tête des ventes. Avec Poissy et l’Espagne, c’est à Trnava, en Slovaquie, que le Lion a installé une chaîne de montage - afin de « s’implanter au plus près de la demande des consommateurs. Il s’agit donc, pour cette nouvelle usine, de produire pour les marchés locaux que sont la Croatie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et Slovénie. » Tu parles Charles ! Avec 3 000 salariés recrutés et 184 000 véhicules sortis en 2008, la production dépasse largement les ventes sur ces marchés locaux - qui n’en représentent pas la moitié. Le site de Poissy, lui, a connu « plan de départs volontaires », « mutations internes », « cellule de reclassements » - avec la perte, au final, de 2 000 emplois en trois ans, plus 900 intérimaires. Et c’est à l’Est que se dessine l’avenir chez Citroën : la Picasso C3 a pour « unique centre de production l’usine de Trnava ».

Même topo chez les équipementiers. Pour la fabrication de pneus, par exemple : depuis dix ans, en Europe de l’Ouest, les ventes des boudins stagnent. Tandis que les emplois, eux, s’effondrent…

Continental se taille

Continental, souvenez-vous : 1 120 salariés à Clairoix (Oise) qui ont appris, d’un coup, la fermeture de leur usine. Ca a failli passer pour un dommage collatéral, « la faute à la crise ». Sans la mobilisation des ouvriers, on y aurait cru. Les documents sont parus, ensuite : le coup était prévu depuis plus d’un an. Surtout, le chiffre d’affaires de ses pneus tourisme augmentait sur douze mois (+ 1,2 %). Enfin, tandis qu’en France et en Allemagne les ouvriers morflaient, la direction embauchait en Roumanie… Pour quatre fois moins cher. En 2005, Continental se fixait un objectif : que, à l’horizon 2009, 60 % de ses pneus soient fabriqués dans des pays « low cost ». Le but est atteint, dépassé même : 64,5 %.

Goodbye, Goodyear

On joue la montre, à Amiens : depuis 2007, la direction tente de supprimer 400, puis 800 emplois. Mais en ce début 2010, à force de manifestations et de recours juridiques, les licenciements n’ont toujours pas démarré ! L’issue de la bataille n’en est pas moins connue : ça fermera. Comme Valleyfield, au Canada. Comme Huntsville, en Alabama.
Comme etc. Car tout s’intègre dans un « plan mondial » pour « réduire les coûts ».
Dans le même temps, « la société étudie par ailleurs d’autres augmentations de production en Europe de l’Est pour saisir des opportunités de croissance qui se présentent dans cetterégion », a ajouté Arthur de Bok, directeur de Goodyear sur notre continent. Et de fait, en plus des 100 millions d’euros investis en Pologne, la firme américaine s’implanterait bientôt en Russie : « L’usine serait située à 5 heures au nord de Moscou et produirait plus de 5 millions de pneus par an », d’après le quotidien financier Kommersant. Ceci, « malgré la forte baisse du marché automobile russe »…

Michelin en MichelInde

Afin d’obtenir une « rentabilité des capitaux d’au moins 10 % », Bibendum mise sur une
« baisse des coûts ». Ce qui, en langage moins actionnarial, s’est traduit en 2009 par la
fermeture de l’usine de Toul et la suppression de 826 emplois. Mais « c’était pour mieux conserver une base industrielle en France », expliquait Michel Rollier, le patron de Michelin. Et d’ailleurs, promis : « Aucune autre usine ne sera fermée en France ».
Quelques mois s’écoulent et, en juin dernier, « les salariés de l’usine Michelin à Noyelles-lès-Seclin ont été cueillis à froid mercredi matin avec l’annonce de la fermeture de leur usine » : 276 employés dans le Nord - pour un plan qui prévoit, au total, 1 800 « départs volontaires » dans le pays. Mais tout ça, jure - sans rire - Michel Rollier, c’est « pour garder des usines en France » !
Le même jour, le 18 juin, pour avoir des nouvelles de Clermont-Ferrand, il fallait lire
un journal de New Delhi : The Economic Times - des informations confirmées plus
tard par le PDG : Michelin aurait programmé, au sud-est de l’Inde, un investissement de « 40 milliards de roupies », soit 600 millions d’euros. Pour une usine qui accueillerait 1 500 à 2 000 salariés…

Chez Renault, Peugeot, Continental, etc. Partout, les mêmes causes produisent les
mêmes effets.
Sans désir de nuire.
Sans volonté de mal faire.
Juste la recherche planétaire, logique, des plus bas coûts de main d’oeuvre.
Pour la relance de la consommation, les gouvernements sont prêts à beaucoup - et même à n’importe quoi. Pas question, en revanche, d’enrayer cette course au moins-disant social : là , aucune solution n’est imaginée. Car la solution serait inimaginable : pas touche à la libre circulation des marchandises ! .

Nicolas Séné et François Ruffin
http://www.fakirpresse.info/

Le journal Fakir est un journal papier, en vente chez tous les bons kiosquiers ou sur abonnement. Il ne peut réaliser des enquêtes, des reportages, que parce qu’il est acheté.

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François RUFFIN
GoodYear, Continental, Whirlpool, Parisot-Sièges... Depuis dix ans, à travers la Picardie d’abord, la France ensuite, j’ai visité des usines de robinets, de pistons, de cacao, de lave-linge, de canapés, de chips ; de yaourts, avec toujours, au bout, la défaite. Ca m’a lassé de pleurnicher. Mieux valait préparer la contre-offensive. C’est quoi, leur grande trouille, en face ? Leur peur bleue ? Il suffit de parcourir le site du MEDEF. Ou de lire leurs journaux, Le Monde, La Tibune, Les (…)
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Rien ne fait plus de mal aux travailleurs que la collaboration de classes. Elle les désarme dans la défense de leurs intérêts et provoque la division. La lutte de classes, au contraire, est la base de l’unité, son motif le plus puissant. C’est pour la mener avec succès en rassemblant l’ensemble des travailleurs que fut fondée la CGT. Or la lutte de classes n’est pas une invention, c’est un fait. Il ne suffit pas de la nier pour qu’elle cesse :
renoncer à la mener équivaut pour la classe ouvrière à se livrer pieds et poings liés à l’exploitation et à l’écrasement.

H. Krazucki
ancien secrétaire général de la CGT

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