RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Arizona : Indian Removal* ou reducciones modernes ? (Dissident Voice)

A Tom Horne, John Huppenthal, Russel Pearce, Joe Arpaio et Jan Brewer d’Arizona : Cette lettre ouverte est un appel à votre conscience et à votre humanité.

Il y a des gens qui disent que vous, les principaux leaders de l’Arizona, êtes activement engagés dans une campagne de nettoyage ethnique contre les peuples à la peau rouge et brune de cet état.

Je suis sur que vous n’êtes pas d’accord avec cette allégation et que cela vous met même en colère car vous vous considérez sans doute comme le fer de lance d’un mouvement dont le principal souci est de sceller la frontière poreuse entre les USA et le Mexique pour des raisons de sécurité nationale, au moyen de campagnes contre l’immigration illégale et de la promotion des vertus de la culture étasunienne, une culture dont vous craignez qu’elle ne disparaisse chaque jour un peu plus à cause de l’invasion de hordes débridées en provenance du sud de la frontière. Et en plus vous croyez probablement que cette invasion cause la banqueroute financière, culturelle et spirituelle de la nation.

Et cependant je suis certain que vous avez conscience que le 31 décembre, Tom Horne, l’un d’entre vous qui est directeur en chef sortant des écoles publiques, a l’intention de déclarer que le programme K12**, programme d’études de Tucson destiné aux Américains d’origine mexicaine n’est pas conforme à la loi HB 2281***, la nouvelle loi contre les Etudes Ethniques en Arizona qui doit prendre effet le jour suivant.

Malgré ça, vous ne comprenez pas que votre action puisse être interprétée comme faisant partie d’une campagne de nettoyage ethnique ? Laissez-moi vous offrir à chacun une paire de huaraches ou de mocatzin. Cela vous aidera peut-être à comprendre pourquoi beaucoup d’entre nous le pensent. Vous n’avez pas envie de mettre des huaraches ni des mocassins ? Parfait ! Alors gardez vos bottes pendant que je vous explique.

Une partie du problème, quand on discute de ces sujets, vient de ce que vous et nous utilisons des mots différents et vivons dans des univers différents. Cependant le problème est au-delà du langage. Il faut vous mettre à notre place ou bien avoir été discriminé à cause de votre peau rouge ou brune pour comprendre pourquoi nous voyons le monde différemment et pourquoi nous pensons que vous en voulez à notre existence même.

Laissez-moi vous proposer une autre façon de qualifier ce que vous êtes en train de faire. Disons que ce n’est pas tant du nettoyage ethnique que la continuation de la politique coloniale des reducciones - une politique mise en oeuvre de 1500 à 1800 par l’empire espagnol dans les Amériques ainsi que dans la région qu’on appelle aujourd’hui le sud-ouest des USA.

Vous n’en avez jamais entendu parler ? Elle ressemblait beaucoup à la politique de déportation des Indiens menée au 19ème siècle dans ce pays (Indian Removal Policies). Les pensionnats pour les enfants indiens en faisaient partie intégrante. La suppression des Indiens prenait soit la forme du génocide pur et simple soit celle de la déportation forcée. Des peuples qui avaient vécu dans ce qu’on appelle aujourd’hui les USA pendant des milliers d’années étaient arrachés à leurs terres et déracinés. La justification philosophique des pensionnats était : Tuer l’Indien pour sauver l’homme". En d’autres termes cela signifiait à la fois christianisation et américanisation. L’idée de base était que les Indiens d’Amérique étaient des sauvages sans foi ni loi qu’il fallait sauver.

"Trail of Tears" - la Piste des Larmes
En 1838, 15.000 indiens Cherokees furent "escortés" vers leurs "nouvelles terres". Un tiers mourut en chemin.

La politique des reducciones était très similaire : "Tuer l’Indien pour en faire un Chrétien".

Cette politique était aussi basée sur la croyance que les peuples indigènes étaient des sauvages, sans Dieu ... et diaboliques. Dans les années 1500, on débattait avec violence des questions suivantes : Les peuples autochtones avaient-ils une âme ? Etaient-ils vraiment des êtres humains ? Et devait-on leur accorder les mêmes droits civiques ? Ce n’est pas une coïncidence si l’on entend les mêmes propos aujourd’hui concernant les "étrangers illégaux". La grande différence est qu’à cette époque-là , la plupart des Européens qui participaient au débat étaient certains que la ou les cultures des peuples indigènes américains venaient littéralement du démon.

Tout comme le génocide et le vol des terres, l’objectif premier des Reducciones était d’éradiquer toute trace de culture, d’histoire et de mémoire indigènes et de convertir tout le monde au christianisme. Cela incluait la destruction totale des temples, des écoles des peintures murales, des bibliothèques, etc. Cela incluait aussi de brûler tous les livres- parce que les livres ainsi que les savoirs contenus dans les calendriers (mathématique, science et astronomie), les plantes et la nourriture étaient aussi "des oeuvres de Satan".

Ces sordides faits historiques ont engendré un système de jurisprudence européen qui a déterminé ce qui est légal/légitime, ce qui est considéré comme un savoir, qui est humain (et même qui et ce qui est beau) et qui a le droit de bénéficier de tous les droits civiques. Malgré les rapports optimistes rédigés par des Européens, c’est la même dynamique qui a été à l’oeuvre sur ce continent pendant les 518 dernières années, ce sont toujours les mêmes qui décident de qui peut jouir de tous les droits civiques et de qui est le bienvenu. Suivant les moments, la réponse a été les chrétiens, les Européens, les Caucasiens, les êtres humains, les gens civilisés, les gens de pure race, les gens qui réfléchissent ou sont intelligents, les gens qui savent lire et écrire et de nos jours les citoyens. Ceux qui ont été rejetés hors du filet sont les peuples indigènes, les soit-disant païens, les sauvages et les bâtards, les non-Européens, les non-civilisés, les gens impurs du point de vue de la race, de la culture ou de la spiritualité, ceux qui ne savaient ni lire ni écrire et toujours et encore, les "étrangers". A tous ceux-là , on n’a jamais accordé historiquement ni les droits civiques élémentaires ni la liberté.

Ce qui vient d’arriver en Arizona n’est pas une anomalie comme le pense certains, c’est en fait dans la droite ligne des 500 dernières années de l’histoire de ce continent.

La discrimination au faciès ? C’est l’histoire de ce continent. Le déni de notre histoire et de notre culture ? Ca aussi c’est la norme.

Nous autres, Américains originaires du Mexique (et c’est pareil pour les Américains du centre et du sud), avons intégré le fait qu’il nous faut sans cesse prouver notre humanité. Aux yeux de la loi, nous ne sommes jamais assez humains. Ni assez Américains. Ni assez loyaux. Ni assez purs. Ni assez légaux. Ni assez légitimes. Même dans la sphère du langage, ni notre Anglais ni notre Espagnol ne sont jamais assez bons.

Et, c’est le bouquet, en dépit de la couleur de notre peau et en dépit d’une culture basée sur le maïs qui remonte à 7 000 ans sur ce continent, nous ne sommes jamais assez autochtones.

Aussi quand vous promulguez des lois qui nous demandent de prouver notre citoyenneté, quand vous promulguez des lois qui nous interdisent d’étudier les cultures millénaires de notre continent, vous nous envoyez encore et toujours le même message : Vous devez prouver que vous êtes des êtres humains. Vous nous envoyez aussi un autre message : Vous n’êtes pas les bienvenus. Mais cela ne vous suffit pas encore. Vient ensuite en Arizona l’annulation du droit de citoyenneté par la naissance et l’annulation du 14ième amendement (selon lequel les discriminations sont anticonstitutionnelles NdT). Et, suite logique, vous voulez maintenant que les enfants dénoncent aussi leurs propres parents.

Vous n’êtes pas surs que nous soyons des êtres humains ? Prenez un peu de recul et regardez ce que vous faites. Vous nous faîtes une guerre implacable mais nous y sommes habitués. Vous voulez nos âmes ? Vous ne les aurez pas. Vous semblez être obsédés par la volonté de conduire à son terme le projet impérial entrepris il y a 518 ans. Mais même mille lois ne parviendront pas à vider nos mémoires et rien, ni la diabolisation incessante, ni la désinformation ni le bourrage de crâne permanent, rien ne parviendra à détruire la relation que nous entretenons avec cette terre. Et maintenant nous lisons la frustration sur votre visage et nous percevons votre volonté de faire disparaître le plus grand nombre possible d’entre nous et nous entendons votre conseil de garder notre histoire et notre culture pour nous.

C’est ce que nous avons déjà fait pendant des centaines d’années. Pourquoi ce savoir vous fait-il peur ?

Craignez-vous d’entendre une autre histoire ? Une histoire bien plus ancienne que "Pilgrim’s story" ? Pourquoi avez-vous peur de nous et de nos anciens savoirs indigènes ?

Avez-vous peur des concepts philosophiques issus de la culture du Maïs de In Lak Ech, Panche Be et Hunab Ku ?****

Avez-vous peur que nous n’apprenions à nos enfants à se voir dans tout un chacun -une philosophie qui promeut l’amour, la justice et l’égalité, et pas la haine ni l’inégalité ? Craignez-vous que nous n’apprenions à nos enfants à chercher la vérité - par la pensée critique- à l’opposé de la croyance aveugle en des mythes rabattus au sujet de ce continent et de ce pays ? Et craignez-vous que nous n’apprenions à nos enfants qu’ils ne valent pas plus mais pas moins que les autres - que nous avons tous été créés égaux- au lieu de leur dire qu’ils ont des racines barbares et diaboliques ?

Pourquoi avez-vous si peur de ce programme éducatif ? Parce que 97,5% des élèves obtiennent le diplôme ? Craignez-vous que si ce succès s’étendait au pays tout entier, alors il ne resterait plus personne pour faire la moisson ? On dirait que vous voulez nous maintenir dans un état permanent de servilité, en admettant que vous vouliez de nous du tout. On dirait que pour être admis en tant que citoyens nous devons renoncer à notre mémoire collective, à notre identité et à notre relation avec cette terre. Vous semblez vouloir de nous, nous craindre et nous mépriser, tout cela en même temps. Et cependant nous aimons ce pays. Vous ne comprenez pas ça ?

J’en appelle à votre conscience et à votre humanité. Pourquoi ne pas nous accueillir à bras ouverts comme des êtres humains à part entière. Et pourquoi ne pas adhérer à ce programme éducatif : Il fabrique des étudiants de haut niveau et des êtres humains de qualité. N’est-ce pas le but de l’éducation ?

Roberto Rodriguez est professeur à l’université d’Arizona.
On peut le joindre à  : XColumn@gmail.com

Notes :

*L’Indian Removal Act (littéralement Acte de déplacement des Indiens) est une loi des États-Unis datant du 26 mai 1830, proposée par Andrew Jackson, et ordonnant la déportation des Amérindiens vivant dans les territoires compris entre les treize États fondateurs et le Mississippi, vers un territoire situé au-delà de ce fleuve. Elle concernait 60 000 Indiens d’Amérique. Wikipédia

**Le programme d’études ethniques K 12 de Tucson Arizona inclue l’histoire et la littérature des Américains d’origine mexicaine, des Américains noirs et des Indiens natifs d’Amérique.

*** La loi contre les études ethniques HB 2281 s’appuie sur l’allégation que les programme d’études ethniques sont du "chauvinisme ethnique" et s’apparentent à du racisme anti-blanc car ils visent à faire croire aux enfants d’origine sud-américaine qu’ils sont opprimés et haïs par les blancs. Elle est déjà dénoncée par des organisations des droits de l’homme de l’ONU.

**** Lak Ech : tu es mon autre moi, Panche Be : chercher la racine de la vérité, et Hunah Ku : nom que les Mayas donnaient au Grand Architecte de l’Univers, sont les fondations philosophiques des études ethniques (études Raza).

Pour consulter l’original : http://www.dissidentvoice.org/2010/12/arizona-indian-removal-or-modern-days-reducciones/

Pour se référer à un article antérieur du même auteur sur le même sujet : http://www.dissidentvoice.org/2010/07/in-lak-ech-panche-be-&-hunab-ku-the-philosophical-foundation-for-raza-studies/

traduction : D. Muselet

URL de cet article 12379
   
L’horreur impériale. Les États-Unis et l’hégémonie mondiale
Michael PARENTI
Enfin traduit en français. Notes de lecture, par Patrick Gillard. La critique de l’impérialisme made in USA La critique de l’impérialisme américain a le vent en poupe, notamment en Europe. Pour preuve, il suffit d’ouvrir Le Monde diplomatique de novembre 2004. Sans même évoquer les résultats des élections américaines, dont les analyses paraîtront en décembre, le mensuel de référence francophone en matière d’actualité internationale ne consacre pas moins de deux articles à cette (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

« A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie. »

Karl Marx

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.