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Après la « pikettymania », ce qui restera du livre de Piketty

Le livre du Français Thomas Piketty sur les inégalités de patrimoine et de revenu triomphe aux Etats-Unis. Un succès justifié au pays des inégalités galopantes, mérité par les chiffres accumulés, mais aussi fragile.

Après la « pikettymania », ce qui restera du livre de Piketty

Battus à plate couture, les Daft Punk, Jean Dujardin et autres Jacques Derrida ! L’étoile française qui brille aujourd’hui aux Etats-Unis s’appelle Thomas Piketty, et c’est un économiste. Son Capital au XXIe siècle, publié en anglais six mois après sa sortie en français aux éditions du Seuil, est selon les critiques le livre le plus important de l’année, de la décennie, voire du siècle. La semaine dernière, c’était le livre le plus vendu aux Etats-Unis par Amazon, toutes catégories confondues. Un éditeur estime que les ventes de la version anglaise pourraient dépasser le million d’exemplaires. En tournée aux Etats-Unis, Thomas Piketty a fait salle comble, s’imposant comme la vraie vedette face aux Nobel Joe Stiglitz et Paul Krugman. Pourquoi un tel succès ? Et ce succès sera-t-il durable ?

Les raisons du succès d’abord. Dans son livre, Thomas Piketty montre que les inégalités de revenus et de patrimoine s’accroissent après avoir beaucoup baissé au cours du XXe siècle. L’ancien directeur de l’Ecole d’économie de Paris, où il enseigne toujours, évoque le retour au « capitalisme patrimonial » de la Belle Epoque. Cette montée des inégalités est particulièrement forte dans les pays anglo-saxons. Le président étasunien, Barack Obama, dont Thomas Piketty a rencontré les proches conseillers lors de son récent voyage, en parle souvent - à défaut d’agir. Il faut dire que les chiffres de Piketty, moulinés la semaine dernière par l’OCDE , sont impressionnants. En une génération, les 1 % de foyers les plus aisés ont récupéré la moitié de l’accroissement des revenus aux Etats-Unis contre le quart au Royaume-Uni et un peu plus du dixième en France, en Espagne et en Italie. Les travaux précédents de Piketty avaient mis en évidence cette inégalité radicale, contribuant à l’émergence du mouvement « Occupy Wall Street ». En montrant dans son livre que les écarts sont encore plus grands sur le patrimoine, l’économiste met à mal le rêve américain lui-même - l’idée que chacun peut trouver sa place au soleil par un travail forcené.

C’est la première clef du succès de Piketty : une montagne de chiffres. A une époque où la recherche d’un économiste commence souvent par la constitution d’une base de données pour ensuite la malaxer, Piketty a accumulé de quoi faire des centaines de thèses ! En quinze ans de travaux, il a constitué, avec une équipe internationale de premier plan, des séries complètes de revenus et de patrimoines pour les grands pays, sur un siècle voire deux pour la France ( des chiffres accessibles à tous sur Internet). L’édition française de son livre ne comprend d’ailleurs pas de bibliographie ou d’index, mais... la liste des tableaux et graphiques. Les chiffres donnent à son oeuvre une vigueur et une autorité jusqu’à présent absentes sur le terrain des inégalités.

La deuxième clef du succès vient d’un choix essentiel de son auteur : il ne se laisse pas enfermer dans les chiffres et les équations ni même dans l’économie. Contrairement à ce que font tant d’économistes aujourd’hui, aux Etats-Unis en particulier, il ouvre le jeu en se référant beaucoup à l’histoire, un peu à la sociologie et à la science politique. Ses références à Honoré de Balzac et à Jane Austen ont beaucoup impressionné.

Des chiffres, une ouverture d’esprit, puis un raisonnement et des préconisations de politique économique : « Le Capital au XXIe siècle » offre toute la palette d’un vrai grand livre d’économie. Et pourtant, il est vraisemblable que les éloges vont se calmer dans les prochains mois. D’abord parce que la thèse centrale du livre est au fond fragile. Thomas Piketty soutient que le taux du rendement du capital est en général supérieur au taux de croissance (c’est le fameux « r > g », indispensable désormais pour briller dans les dîners en ville). Ceux qui ont du capital accumulent donc fatalement de plus en plus d’argent au détriment des autres. Sauf que, comme le rappelle Piketty lui-même, l’histoire n’est jamais mécaniste. Au XXe siècle, les guerres, l’inflation et la forte croissance ont empêché cet effet boule de neige. Au XXIe siècle, d’autres événements vont déjouer la mécanique pikettyenne, à commencer par les chocs économiques et financiers. La crise débutée en 2007 n’ayant apparemment pas changé la donne, d’autres vont donc sans doute venir.

Ensuite, les chiffres eux-mêmes sont aussi fragiles. Une équipe de chercheurs de Sciences po (1) vient de montrer que la forte accumulation du capital recensée au fil des décennies en France par Thomas Piketty vient du seul logement, et que la montée de sa valeur reflète l’envolée des prix de l’immobilier et non les loyers versés (qui contribuent au « r » du « r > g »). « Il est donc difficile de maintenir la thèse d’une dynamique divergente d’accumulation du capital », concluent les auteurs. Piketty pourrait bien sûr contester leur approche. Ce qui n’empêchera pas d’autres chercheurs de montrer les forces et aussi les faiblesses de ses chiffres, ses définitions, ses raisonnements. Son livre ne laissera pas dans l’histoire une trace comparable à celle du Capital de Karl Marx ou de la Démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville, pour rappeler deux auteurs auxquels il a été comparé. Mais nombre de ses séries de chiffres seront citées pendant des décennies. Et Thomas Piketty a le temps d’écrire d’autres livres : il aura quarante-trois ans demain.

Jean-Marc Vittori

(1) « Le capital logement contribue-t-il aux inégalités ? », par Odran Bonnet, Pierre-Henri Bono, Guillaume Chapelle, Etienne Wasmer, LIEPP Working Paper n° 25, avril 2014.

»» http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0203478649466-apres-la-pike...
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