Aujourd’hui, c’est Claude Berger qui nous le dit dans un texte de février 2006 :
« Or la société antique ne fut pas simplement « antique », ce fut celle de l’esclavage. Quant à la société féodale, elle fut celle du servage. La société de classe capitaliste est d’abord celle du salariat...Si tant est que c’est le mode d’exploitation du travail qui caractérise une société. Par conséquent le socialisme réel ne peut être que celui qui abolit le salariat. Mais syndicats et partis butent sur la définition du salariat. »
Esclavagisme, servage, salariat... où est la différence ?, interroge-t-il.
LE SALARIAT : L’EXPLOITATION ET L’OPPRESSION
« Le salariat, poursuit-il, c’est la forme la plus subtile de l’exploitation et de l’oppression. On se croît « libre travailleur » mais on subit l’enfermement au travail tout en n’étant soi-même qu’une marchandise concurrente des autres travailleurs sur le marché du travail.
« Pour le reste, on est soumis au Pouvoir comme à tous les pouvoirs, au soi-disant savoir, à la consommation marchande, à l’individualisme, à tous les enfermements, à la vie en miettes enfin.
« Le salariat, ce n’est pas seulement le salaire, c’est-à -dire la prétendue rétribution du travail, une fois ôtée la plus-value drainant le sur-travail extorqué au travailleur.
« Ce n’est pas non plus la simple exploitation d’un travail qui pourra ne pas être exploité...
« Non, le salariat désigne un mode particulier - capitaliste - bourgeois - marchand - d’exploitation du travail au moyen d’une oppression elle-même très particulière du travailleur dans son travail et hors du travail.
IL FAUT DES INSTITUTIONS, DES POUVOIRS
Claude Berger considère que cette oppression vise précisément à engendrer le travail sous forme de marchandise, à produire et à maintenir les travailleurs par le biais de ce travail et des institutions, sous la forme de simples vendeurs-concurrents entre eux, de leur force de travail.
« Le salariat, dit-il, nécessite donc des lieux de travail bien coercitifs, bien séparés les uns des autres, bien concentrés ou éparpillés selon les circonstances et selon les impératifs qui ne relèvent nullement de la technologie mais de la réalisation du taux de profit ou de la seule tranquillité du capital face à la résistance ouvrière...
« Le salariat nécessite tout un ensemble d’institutions destinées à préparer ou à perpétuer l’oppression du travail et la soumission des travailleurs dans l’existence elle-même...
LA SOUMISSION A L’ETAT
« Le salariat, poursuit Claude Berger, repose, outre notre concurrence mutuelle, sur notre soumission aux pouvoirs : concurrents à l’intérieur de l’usine, de la « boîte », au moyen de la division du travail, de la parcellisation des tâches, de l’attachement au même poste de travail toute une vie, de la cotation par poste et soumis aux commandements du capital et du savoir qui lui est allié...
« Concurrents sur le marché du travail et soumis à l’Etat...
« Concurrents sur les bancs de l’école où nous avons été sélectionnés, notés, soumis à l’autorité du maître-agent de l’Etat, il ne nous restera plus que le « petit choix » d’acheter des choses.
« LIBRES » CONSOMMATEURS ET CITOYENS
« Et, poursuit-il, nous serons alors des « libres » consommateurs de biens périssables, souvent dangereux, renforçant l’isolement des salariés et perpétuant notre soumission à la puissance de la super-marchandise qui réalise enfin la plus-value extorquée sur notre travail.
« Il nous restera encore l’autre « petit choix », celui de voter : nous serons de « libres » citoyens votant chaque vingt-huit saisons pour renouveler la tête de l’Etat qui nous opprime et maintenir le règne du travail salarié.
« Le travail capitaliste - le salariat - c’est donc un processus qui permet d’extorquer de la plus-value mais aussi du pouvoir, du savoir, de la culture, du temps libre, des loisirs pour les concentrer dans des lieux clos et séparés qui, tous, dominent les travailleurs hors de leur travail : l’Etat, l’Ecole, l’Armée, l’Université, l(information, la Culture avec un grand C, la Famille, les Partis, la Classe Bourgeoise et ses Alliés...
« Le travail capitaliste - le salariat - engendre, exige, l’atomisation des travailleurs, leur solitude, la division de leur vie au travail et hors travail, leur soumission institutionnelle, la division entre ce qui serait « politique » et non-politique, économique, existentiel ; bref l’oppression du travail salarié engendre, exige la décomposition de l’existence des travailleurs. »
POURQUOI L’ABOLITION DU TRAVAIL A ETE OUBLIEE ?
Dans un autre texte (Marx, l’Association, l’Anti-Lénine, vers l’abolition du salariat), Claude Berger interroge :
« Abolir le salariat » : Par quel mystère ce contenu essentiel de la révolution sociale, si largement populaire au 19ème siècle, a-t-il été « oublié » sinon rayé des programmes dits « ouvriers » ou « démocratiques » ?
Claude Berger constate : « De parole vivante, partagée par une multitude d’ouvriers, de programme immédiat des Communards de 1871, l’abolition du salariat, au début du 20ème siècle et dès la Révolution d’octobre, ne fut plus déjà qu’un voeu pieux.
« Référence incatatoire, puis royaume messianique de la fin des temps d’un Etat qui serait pour longtemps « ouvrier », elle vient de disparaître, il y a peu, des statuts et des objectifs de la CGT française.
« En « réaliste », la grande centrale syndicale préfère suivre le déroulement d’une « réalité » qui, dans les pays dits « socialistes » (exception faite de la Chine) et dans les pays capitalistes, ne va pas d’elle-même dans ce sens...
« Mais « l’oubli » de l’abolition du salariat (ou l’idéalisme qui lui fut attaché) est aussi l’oubli ou la déformation de la définition du salariat lui-même. »
LEVER LE VOILE SUR L’OUBLI
Claude Berger rappelle que, sans le salariat, comme dit Marx, « point de capital, point de bourgeoisie, point de société bourgeoise », et que donc il y a lieu de lever le voile sur l’oubli ou la déformation de la méthode d’analyse de Marx du travail, du capital et de la société bourgeoise.
« Voile si épais », dit-il, que la majeure partie des commentaires et des pratiques de la tradition prétendue « marxiste » se résume à un refoulement, à une déformation, à une immense censure non seulement de la méthode, de la pensée et de la pratique de Marx, mais aussi de ce qui dans les luttes fonde le procès révolutionnaire menant à la suppression du salariat.
POUR MARX ET ENGELS, C’EST L’ASSOCIATION
Pour Marx et Engels, poursuit Claude Berger, toute lutte revendicative comporte une esquisse d’association qui abolit les catégories salariales divisant et produisant les hommes.
Esquisse inconsciente certes, mais qu’il s’agit de perpétuer au-delà de la lutte par une Association des travailleurs pour une nouvelle existence et une lutte commune : pour l’abolition du salariat lui-même.
L’Association maintenue, précise-t-il, peut alors espérer affronter le capital sur le terrain des masses en voie de révolution.
Au lieu de se limiter à l’opposition de deux intérêts, celui du capital et celui des travailleurs (sans que jamais on ne voie comment révolutionner la société sur la base de la défense du seul intérêt de classe ouvrier nécessairement déterminé par le système, autrement que par le règne d’interminables médiations : la conscience de l’avant-garde, le rôle envahissant du Parti ou bien le temps ou encore la « théorie »), l’association oppose deux modes d’existence.
DES COMMUNES LIBREMENT FEDEREES
Le mode d’existence de l’association prolonge la fin de la concurrence des travailleurs entre eux inaugurée dans la lutte par une politique qui tente d’abolir les effets de la division du travail et de la division sociale.
L’autre, celui de la bourgeoisie, est fondé sur la division du travail, sur la division sociale et sur la domination des travailleurs par des institutions : l’Etat, l’Ecole, la Famille, la Politique, la Culture, qui leur sont extérieures.
« L’association, poursuit-il, comme structure et comme procès de lutte aboutit à une organisation sociale communautaire instaurant le pouvoir des Communes librement fédérées, répartissant le travail associé au sein de la fédération des producteurs dans le sens du contrôle égalitariste de la division du travail.
« L’association résulte donc de la recomposition de l’existence collective par la base des travailleurs.
« Loin d’attribuer un rôle économique à l’Etat dans la société révolutionnaire, elle implique la suppression des instances oppressives (donc de l’Etat) dont le rôle est majeur dans la production de l’homme salarié : dans l’oppression des travailleurs.
LE SOCIALISME IMMEDIAT
Claude Berger poursuit : « L’association désigne la structure de la lutte révolutionnaire et son aboutissement : la révolution du travail et de l’existence, la suppression de leurs formes marchandes ou étatiques, la fin du salariat et conséquemment la suppression de l’argent.
« Le procès révolutionnaire débouche donc sur le socialisme immédiat qui est transition au communisme. »
Claude Berger précise que cette théorie du procès révolutionnaire se distingue de tous les projets de transition au socialisme, médiations nouvelles qui naissent sur le sens uniquement revendicatif que l’on a coutume d’attacher aux luttes et selon l’ordre même de la spécialisation politique et syndicale réclamée par le capitalisme.
LE SALARIAT A-T-IL CHANGE DE NATURE ?
Si, dit-il, cette théorie a été « oubliée » et, avec elle, si la réalité cachée mais pourtant essentielle d’association des luttes a été « oubliée », il y a lieu de poser une question : le salariat aurait-il changé de nature d’un siècle à l’autre ?
Certes non.
Par contre, le mouvement ouvrier organisé s’est radicalement transformé sous l’effet du mouvement bolchévik décrivant le cycle qui de Lénine l’amène à Brejnev en passant par Staline, qui de la révolution violente détruisant la « démocratie » bourgeoise le fait aujourd’hui opter pour le choix pacifiste du respect de la « légalité » de cette démocratie, en allant jusqu’à fonder le socialisme sur son maintien.
« Au 19ème siècle, poursuit Claude Berger, le mouvement ouvrier organisé, « spontané » dans ses tendances pacifistes ou violentes, proudhoniennes ou bakouninistes, sociaux-démocrates ou blanquistes, anarchistes ou étatistes, affrontait nécessairement les théories et les critiques nombreuse de Marx et d’Engels...
L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
Si ce mouvement avançait des projets, dit-il, « Marx et Engels lui opposaient un procès (et une méthode d’analyse des contradictions de la réalité pour le fonder).
« Le même mouvement ouvrier butait également sur la pratique militante des deux hommes au sein de l’ « Association internationale des travailleurs » fondée en 1864 et dissoute en 1872, association dont l’influence fut loin d’être négligeable sur la Commune qui, comme le dira Engels, fut « absolument, quant à l’esprit, l’enfant de l’Internationale » puisqu’elle « instituait l’association des travailleurs », son « décret le plus important » qui « devait aboutir finalement au communisme. » (Introduction de Engels de 1891 à « La guerre civile en France »)
« Théorie et pratiques marxiennes obligeaient à concevoir l’abolition du salariat non pas comme une « idée » mais comme une pratique née dans la réalité des luttes et impliquée par la force des choses dans le procès révolutionnaire menant à la révolution pour cette abolition.
« Pratique émancipatrice, réellement libératrice et, par là , contagieuse au simple plan de l’existence. »
C’était, Claude Berger l’a dit, au 19ème siècle.
AU 20EME SIECLE, LENINE VINT...
« Au 20ème siècle, Lénine vint...avec dans ses bagages beaucoup « d’idées » reprises de Kautsky première manière : du Kautsky théoricien de la Seconde Internationale et partisan de la révolution violente avant qu’il n’en devienne l’adversaire farouche, décrivant ainsi personnellement le cycle ultérieur du Bolchévisme.
« Au 20ème siècle, Lénine mit Kautsky première manière en pratique et dénonça le « renégat Kautsky » seconde manière, sans imaginer qu’il allait, lui Lénine, inaugurer le cycle de Kautsky à l’échelle historique de l’URSS et plus généralement du mouvement dit abusivement « communiste »...