Stéphane Sirot. Détox. Petit dictionnaire de la novlangue XXIe siècle des relations sociales

… et autres termes connexes souvent utilisés mais peu définis. Tome 1. Problématiques sociales et syndicales. Hors-série n° 8, décembre 2021.

Je l’ai exprimé à maintes reprises : dire le monde c’est le tenir dans sa main. L’économiste Stéphane Sirot se dit agacé par la réduction progressive des droits sociaux et « l’usage d’un vocabulaire qui tend à laisser penser que les lois votées et les accords conclus par certaines organisations syndicales et patronales participent d’une amélioration des protections individuelles et collectives ». Il est donc très regrettable que la majorité des syndicats – pour l’instant seule la CGT tient à peu près bon – aient intégré dans leur discours des concepts forgés par des gens qui les combattent et les neutralisent par la parole.

Selon l’auteur, un virage important a été pris en la matière au milieu des années 1980 quand du vocabulaire, du discours patronal, ont réussi à assimiler (rendre semblables) les acteurs sociaux afin que la notion de conflits soit remplacée par celle d’intérêts partagés. Le mot « syndicat », un des plus beaux mots de la langue française, a été remplacé par l’expression « partenaires sociaux », le mot « négociation » par « concertation » ou « consultation », le mot « licenciement » par « plan de sauvegarde de l’emploi ». Dans le même temps, et en conséquence, le mot « néolibéralisme » s’est imposé, en France et dans le monde entier, comme une évidence incontournable, comme l’alpha et l’oméga de tous les rapports sociaux, économiques et politiques. Avec de nouveaux crédos non discutables : « La compétition généralisée est saine », « Le marché s’auto-régule », « Il faut limiter les dépenses publiques et baisser les impôts », « L’État est un mauvais gestionnaire » qu’il faut non pas « diluer dans le marché » mais « instrumentaliser » pour parvenir à « l’autonomisation du système économique ».

Stéphane Sirot étudie donc par le menu les nouveaux mots et expressions de la classe dominante. J’en retiendrai une poignée.

- L’accord-cadre qui favorise le contrat aux détriments de la loi et qui incite le patronat et les syndicats à négocier en dehors de l’intervention des pouvoirs publics.

- La compétitivité en matière de relations sociales, ce « marché de dupes dont le prolongement est la suppression d’emplois », accepté par la majorité des syndicats au nom de la sortie – « sans tabou » – de la lutte des classes. Cela se passe dans un contexte où l’entreprise est conçue plus comme une communauté humaine « composée d’intérêts partagés que comme cadre d’une lutte des classes rangée dans le placard des dénis archaïques ».

- La consultation. Mise à la mode vers 1985. Alors que la négociation présuppose l’existence d’un processus multilatéral au cours duquel les demandes des organisations de travailleurs sont intégrées au moins a minima à un projet final, la consultation fait des syndicats « de pures et simple lobbys invités à exprimer leur avis et à essayer de convaincre leurs interlocuteurs de son bien-fondé sans que ces derniers s’estiment pour autant tenus de l’admettre. » D’où l’absolue obligation du « dialogue social », cet « art d’associer les syndicats et les représentants des salariés à des décisions déjà prises » visant à restreindre les droits et les conquis sociaux ».

- Le corporatisme. Une manière simple de discréditer l’action syndicale (selon le patron de la CFDT, la grève des pilotes d’Air France en 2020 était « corporatiste »). L’ironie de l’histoire étant que l’ordre dominant a toujours pris soin « d’enfermer l’action syndicale dans le périmètre de la défense des intérêts professionnels », empêchant ainsi les organisations de travailleurs de s’immiscer dans l’espace politique.

- La crise. Si elle n’était pas là, il faudrait l’inventer. Théoriquement, une crise économique est une baisse d’activité durant au moins deux trimestres consécutifs. Mais l’utilisation de ce terme par le discours dominant depuis l’ère Giscard-Barre laisse à penser que la France subit un désordre mondial qui lui échappe, à elle comme à tous les autres pays, et qu’elle se situe fatalement dans une pente décliniste. Or, comme le remarque l’auteur, si la production de richesses s’est ralentie après les trente glorieuses, la France n’a jamais été en crise économique.

- La flexibilité et la flexisécurité. Elles sont apparues, dans les années 1990, aux Pays-Bas et au Danemark. La flexisécurité signifiait une grande flexibilité du marché du travail, avec des règles de licenciement souples, un système d’indemnisation généreux des salariés en situation de chômage, des politiques actives de l’emploi, visant à éviter le chômage de longue durée et à contrôler la disponibilité et la motivation des chômeurs. Pour bénéficier de ces générosités, les travailleurs devaient être « adaptables », faire preuve de « souplesse », accepter la précarité, des modifications du temps de travail, voire des diminutions de salaire. Sirot cite bien à propos un professeur de la Lyon Business School (sic) : « Si le capital est vu comme une source d’opportunités, de placements créatifs et de fluidités, le travail est regardé comme difficile à gérer, lent à s’adapter et peu flexible. D’où l’obsession, depuis deux décennies, de transformer la ‘ force de travail rigide ’ en ‘ capital humain fluide ’ ».

- Les partenaires sociaux. Il convient de regrouper dans un même ensemble les syndicats des travailleurs et des patrons, pour faire croire que « les dominés et les dominants ont un destin et des intérêts communs excluant la lutte des classes au profit de la pérennisation du système capitaliste ».

- Le plan de sauvegarde de l’emploi. L’arme radical et ultime de la classe patronale contre les travailleurs. Il s’agit d’une expression typiquement orwellienne qui « désigne un dispositif consistant au mieux à préserver quelques emplois parmi tous ceux appelés à être supprimés ». Le 3 juillet 1986, la loi Séguin – du nom de ce ministre qui, outre-tombe, passe pour un gaulliste social (oxymore) – « supprimait l’autorisation administrative de licenciement : la réalité du motif économique invoquée par l’employeur n’était plus contrôlée par l’inspection du travail. »

- La réforme. Toujours plus orwellien, ce mot signifie exactement « contre-réforme ». Pendant longtemps, en tout cas jusqu’au XIXème siècle le mot « réforme » fut synonyme de progrès, voire de révolution. Depuis les années 1970, la droite s’en est emparée pour justifier toutes les dérégulations, pour pourfendre tous les immobilismes. De généreuses, les réformes, dit l’auteur, sont devenues douloureuses.

COMMENTAIRES  

29/04/2022 18:39 par Andrés

Et vous oubliez le pire : "collaborateurs" pour s’adresser aux salariés.

Comme ça on oublie que dans le contrat de travail il y a un rapport de subordination et que l’employeur tient tout seul l’autorité et le pouvoir disciplinaire.

Et malgré l’évidence, il y a des organisations syndicales (de vrais partenaires sociaux) que ne sont pas choquées que dans les accords d’entreprise on parle de "collaborateurs" à la place des salariés.

Comme disait Filoche, le mot "collaborateur" n’existe pas ni dans le Code du Travail ni dans la loi (pour l’instant)

Fraternellement
Andrés (militant CGT dans la lutte de classes)
SG CGT Beaulieu (adhérent à la FSM)

30/04/2022 15:01 par Chklakla

Le parachèvement de cette destruction de la lutte des classes dans le mouvement syndical adviendra avec la possible nomination de Nicole Notat comme 1ere ministre du gouvernement Macron II.

Je me trompe si je dis que ce processus s’est amorcé avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir et les putains de Lois Aurroux ?

Enfin, d’après l’histoire communiste que Bernard Friot fait du régime général de la Sécurité sociale, il faudrait définitivement abandonner le concept de " gaullisme social" qui n’est qu’une fable. C’est la force du parti communiste, parti de masse à l’époque, qui a infléchi par la lutte des classes les avancées sociales.

Autre point : Stéphane Sirot conteste l’existence de " crise économique en France" . Est-ce à dire qu’il ne croit pas à la baisse tendancielle du taux de profit ? Laquelle serait masquée par la politique monétaire de la BCE qui rachète les dettes publiques ? Mais je m’aventure sur un terrain que je ne comprends pas tout à fait

02/05/2022 21:43 par alain harrison

Bonjour.
Cet article donne un éclairage instructif sur les manipulations capitalistes, le mot néo-libéralisme est un mot four tout, ça référence nous échappe par la confusion installé pas à pas depuis plus de cent ans (passé par tâtonnement (?) au début, mais aujourd’hui clairement exprimé). Pour faire court, le mot classe a été atténué par l’idée de modes (imprécis) par clientélisme (on peut parler d.émergence narcissique).
L’article suivant exprime bien ce dernier mot.
Chili : Propositions pour la nouvelle Constitution
19 Janvier 2022, 20:12pm | Publié par Bolivar Infos
par Federica García

L’Éducation doit servir à harmoniser l’individuation et la représention groupale (c’est mal nommé).
« « Krishanamurti : le processus conditionnant de la pensé » », la clef de voûte ?

03/05/2022 05:59 par alain harrison

http://bolivarinfos.over-blog.com/2022/01/chili-propositions-pour-la-nouvelle-constitution.html

Il y a quand même une bonne nouvelle, mais se réalisera-t’elle ?

Il y a effectivement des tractations pour unir la gauche.

Pour gagner les législatives.

Même que, avec la majorité absolue de la gauche :
Enclancher une VIè République est possible.
Une réécriture de la Constitution est possible
Destituer Macron est possible
Mettre l’OTAN (les militaires US) à la porte est possible.
Planifier la transition écologique est possible
Tout le PIB à la Cotisation esf possible
Influencer les peuples de l’UE est possible __ Comment et par quelle voie ?

03/05/2022 21:36 par Chklakla

@Alain Harrison
Je ne sais pas comment comprendre votre commentaire ( ironie ?) sur les tractations d’une union de la gauche actuellement en cours en vue des futures législatives, au regard de l’article parlant de l’individualisme et du narcissisme des propositions citoyennes pour une Constitution au Chili dont vous avez mis le lien.

C’est le passage sur "les infiltrés" qui savent semer la discorde et raviver la méfiance des Chiliens envers l’Etat et l’action collective de l’époque Pinochet, qui m’interroge.

Cette comparaison veut- elle dire que les personnes militantes ou sympathisantes de l’Union populaire qui participeraient aux réunions de campagne législative doivent taire leurs doutes ou leurs critiques au nom d’un intérêt général garanti par les négociations en cours ? La division de la gauche entre europeistes atlantistes d’un côté (les verts d’EELV, les socialos) et souverainistes non-alignés de l’autre (France insoumise, PC même si ces 2 parties ont entretenu le flou sur ce point durant cette campagne) serait dépassée grâce à un accord négocié à la va-vite ?

Pour ma part j’ai décidé de mettre sur la table des réunions locales auxquelles je participe ces divergences et ma défiance envers les partis socio- traitres, même si j’ai conscience de leur effet potentiellement démobilisant mais pour autant je ne suis pas un infiltré qui saboterait les chances d’une cohabitation.

C’est une question de confiance perdue et de déception. Je ne donnerai pas ma voix à un député vert ou socialiste qui a voté toutes les lois sur la casse européenne de notre modèle social et le passe vaccinal. Et je ne crois pas les députés insoumis suffisamment combatifs pour désobéir aux futures injections vaccinales, ni suffisamment courageux pour s’opposer aux velléités guerrières de l’Union européenne si on se réfère à leurs applaudissements de Zelinsky à l’Assemblée nationale.

03/05/2022 22:33 par alain harrison

Influencer les peuples de l’UE est possible __ Comment et par quelle voie ?

Le 4 mai 2020

La Charte de La Havane est probablement le premier texte international à évoquer le développement
La question des liens entre commerce et développement a été évoquée pour la première fois à la Conférence de La Havane par les pays d’Amérique latine. Plus tard, l’accession à l’indépendance des pays en développement d’Afrique et d’Asie, à la suite de la Conférence de Bandung de 1955, a relancé une dynamique mondiale visant à créer un système commercial international qui favorise le développement économique et social. C’est pour réaliser cet objectif que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) a été créée en 1964. La Charte de La Havane propose une approche qui se situe aux antipodes des conceptions actuelles du commerce international. Pour elle ce commerce ne peut avoir qu’un seul objet : le développement de chaque pays considéré individuellement, dans un cadre de relations internationales fondées sur la coopération et non sur la concurrence.
https://www.pardem.org/la-charte-de-la-havane-contre-les-traites-de-libre-echange
S’inspirer.

04/05/2022 18:52 par alain harrison

Bonjour 03/05/2022 à 21:36 par Chklakla.

Je vous suis, la lucidité est de mise.
La question de l’UE et ci. est le principal "litige" . Mais la question a retenir est :
L’UE change (l’UE des Peuples) ou on la quitte (FREXIT).
En même temps, préparation de la Constituante (référendum)
Faut voir la répartition de la gauche pour les législatives.

La question de l’UE change réellement ou le FREXIT devrait unir les gauches.
Le FREXIT aurait une influence sur bien des pays, parce que ces nouveaux pays reconstruiraient une autre UE ???

06/05/2022 00:34 par alain harrison

Bonjour Bonjour 03/05/2022 à 21:36 par Chklakla.

Relisez l’article, ce sont les revendications individuelles, du n’importe quoi dans bien des cas.

En ce qui concerne le rassemblement de la gauche pour les législatives, ce sont ceux qui sont dans le dénie que globalement l’UE détruit systématiquement les acquis des peuples avancés pour maintenir les autres dans leur case.

08/05/2022 22:54 par alain harrison

Je sais je me répète.

Il semble bien que les gauches se sont ralliés enfin de compte à la FI. Mais autour de quels objectifs entendus clairement ?

Prévoir, le capitalisme est passé maître en la matière.

Macron a déjà une stratégie aux cas où JLM pourrait s’imposer comme premier ministre,
Le premier ministre deviendra le super ministre de l’écologie, du « rendement » et du social. Et différend ministères (dans une nouvelle méthode d’administrer ?) Une nouvelle méthode ?

La question fatidique qui est déterminante est bien celle de L’UE. On la change ou on la quitte ?
Est-ce entendu par la gauche ?
Le Frexit est la seule stratégie pour changer la donne (UE, BCE…, OTAN, Capitalisme, l’euro….
destituer Macron) ?
Court terme, moyen terme, long terme.

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