Pour une décroissance écosocialiste

Pourquoi republier le texte « pour une décroissance écosocialiste » déjà publié en plusieurs langues il y a plus de trois ans et demi ? D’abord, parce que, ayant coïncidé avec l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe qui avait pratiquement monopolisé l’intérêt général, sa première publication est passée presque inaperçue. Et ensuite et surtout, parce que ce texte est maintenant mille fois plus actuel et plus crucial qu’au temps de sa première publication. Pourquoi ? Parce que, entre temps on a assisté non seulement à la montée en flèche des négationnistes de la catastrophe climatique de par le monde, mais aussi à leur arrivée au pouvoir dans la majorité des grands pays, avec en tête les Etats-Unis de Trump « drill baby drill » (fore, mec, fore). Avec comme résultat d’empirer qualitativement une situation climatique déjà catastrophique rendant le présent et surtout l’avenir de l’humanité encore plus cauchemardesques, l’élaboration d’un programme d’action salutaire encore plus urgente et le contenu de ce programme d’action encore plus radical !

En somme, ça urge désespérément car les politiques et les actes de Trump et de ses amis climatonégationnistes changent profondément les données du problème, nous rapprochant beaucoup plus de la catastrophe irréversible, rendant aujourd’hui dépassées et inopérantes même les plus radicales des « solutions » proposées hier. Ce qui rend encore plus crédible et terriblement réaliste la thèse du texte qui suit, selon laquelle « Toute véritable alternative à cette dynamique perverse et destructrice doit être radicale, c’est-à-dire s’attaquer aux racines du problème : le système capitaliste, sa dynamique d’exploitation et d’extractivisme, et sa recherche aveugle et obsessionnelle de la croissance ».

Mais, pas d’illusions. Même le plus brillant et inspiré des textes théoriques ne peut rien s’il ne provoque l’adhésion des premiers intéressés, des masses populaires. C’est ainsi que tout dépend de nous tous et toutes partout dans le monde, de notre refus du fatalisme et de notre détermination de tout faire pour sauver l’humanité et la planète de la catastrophe annoncée. Si nous perdons ce combat suprême, alors pas de doute, ce véritable appel à la lutte pour un monde radicalement différent qu’est le texte « pour une décroissance écosocialiste », ne sera considéré par les survivants privilégiés que comme une...curiosité, une bizarrerie intellectuelle. Mais, si nous arrivons à nous mobiliser à temps et à nous battre comme jamais dans le passé multimillénaire de l’humanité, ce même texte restera dans l’histoire comme celui qui a tracé les lignes directrices du nouveau monde dont on a besoin pour gagner la course contre la mère de toutes les catastrophes...

Yorgos Mitralias

Déclaration commune entre partisans de la décroissance et de l’écosocialisme, signalant les convergences possibles des deux courants

Pour une décroissance écosocialiste

par Michael Löwy, Bengi Akbulut, Sabrina Fernandes, Giorgos Kallis

La décroissance et l’écosocialisme sont deux des plus importants mouvements - et propositions - du côté radical du spectre écologique. Bien sûr, tous les membres de la communauté de la décroissance ne s’identifient pas comme socialistes, et tous les écosocialistes ne sont pas convaincus de l’intérêt de la décroissance. Mais on peut voir une tendance croissante au respect mutuel et à la convergence. Essayons de cartographier les grands domaines d’accord entre nous, et énumérons certains des principaux arguments en faveur d’une décroissance écosocialiste :

1) Le capitalisme ne peut exister sans croissance. Il a besoin d’une expansion permanente de la production et de la consommation, de l’accumulation du capital, de la maximisation du profit. Ce processus de croissance illimitée, basé sur l’exploitation des énergies fossiles depuis le 18ème siècle, conduit à la catastrophe écologique, au changement climatique, et menace l’extinction de la vie sur la planète. Les 26 conférences COP de l’ONU sur le changement climatique de ces 30 dernières années témoignent de l’absence totale de volonté des élites dirigeantes d’arrêter la course vers l’abîme.

2) Toute véritable alternative à cette dynamique perverse et destructrice doit être radicale, c’est-à-dire s’attaquer aux racines du problème : le système capitaliste, sa dynamique d’exploitation et d’extractivisme, et sa recherche aveugle et obsessionnelle de la croissance. La décroissance écosocialiste est une de ces alternatives, en confrontation directe avec le capitalisme et la croissance. La décroissance écosocialiste nécessite l’appropriation sociale des principaux moyens de re/production et une planification démocratique, participative et écologique. Les principales décisions sur les priorités de production et de consommation seront décidées par les gens eux-mêmes, afin de satisfaire les besoins sociaux réels tout en respectant les limites écologiques de la planète. Cela signifie que les gens, à différentes échelles, exercent un pouvoir direct en déterminant démocratiquement ce qui doit être produit, en quelle quantité et de quelle manière ; comment rémunérer les différents types d’activités productives et reproductives qui nous soutiennent, nous et la planète. Garantir un bien-être équitable pour tous ne nécessite pas de croissance économique mais plutôt de changer radicalement la façon dont nous organisons l’économie et dont nous distribuons la richesse sociale.

3) Une décroissance significative de la production et de la consommation est écologiquement indispensable. La mesure première et urgente est l’élimination progressive des combustibles fossiles, et il en va de même pour la consommation ostentatoire et gaspilleuse de l’élite riche de 1%. Dans une perspective écosocialiste, la décroissance doit être comprise en termes dialectiques : de nombreuses formes de production, comme les installations au charbon, et de services, comme la publicité, devraient non seulement être réduites mais supprimées ; certaines, comme les voitures privées ou l’élevage de bétail, devraient être considérablement réduites ; mais d’autres auraient besoin d’être développées : l’agriculture agro-écologique, les énergies renouvelables, les services de santé et d’éducation, etc. Pour des secteurs comme la santé ou l’éducation, ce développement doit avant tout être qualitatif. Et même les activités les plus utiles doivent respecter les limites de la planète, il ne peut y avoir de production "illimitée" de quelque bien que ce soit.

4) Le " socialisme " productiviste, tel que pratiqué par l’URSS et d’autres expériences similaires, est une impasse. Il en va de même pour le capitalisme " vert ", tel qu’il est prôné par les entreprises ou les " partis verts " traditionnels. La décroissance écosocialiste est une tentative de surmonter les limites des expériences socialistes et "vertes" passées.

5) Il est bien connu que le Nord est historiquement responsable de la plus grande partie du CO2 dans l’atmosphère ; les pays riches doivent donc prendre la plus grande part dans le processus de décroissance. Mais nous pensons que le Sud ne devrait pas essayer de copier le modèle productiviste et destructeur de "développement" du Nord, mais plutôt chercher une approche différente, mettant l’accent sur les besoins réels des populations, en termes de nourriture, de logement et de services de base, au lieu d’extraire toujours plus de matières premières (et de combustibles fossiles) pour le marché mondial capitaliste, ou de produire toujours plus de voitures pour les minorités privilégiées.

6) La décroissance écosocialiste implique également la transformation, par un processus de délibération démocratique, des modèles de consommation existants : par exemple, la fin de l’obsolescence planifiée et des biens non réparables ; des modèles de transport, par exemple, en réduisant fortement le transport de marchandises par bateaux ou camions (grâce à la relocalisation de la production), ainsi que le trafic aérien. En bref, il s’agit de bien plus qu’un changement des formes de propriété : c’est une transformation civilisationnelle, un nouveau "mode de vie" fondé sur des valeurs de solidarité, de démocratie, d’égalité et de respect de la Terre. La décroissance écosocialiste est le signal d’une nouvelle civilisation qui rompt avec le productivisme et le consumérisme, en faveur d’une réduction du temps de travail, donc de plus de temps libre consacré aux activités sociales, politiques, récréatives, artistiques, ludiques et érotiques.

7) La décroissance écosocialiste ne peut gagner que par une confrontation avec l’oligarchie fossile et les classes dirigeantes qui contrôlent le pouvoir politique et économique. Qui est le sujet de cette lutte ? Nous ne pourrons pas vaincre le système sans la participation active de la classe laborieuse urbaine et rurale, qui constitue la majorité de la population et qui supporte déjà le poids des maux sociaux et écologiques du capitalisme. Mais nous devons également élargir la définition de la classe pour inclure ceux qui assurent la reproduction sociale et écologique, les forces qui sont aujourd’hui à l’avant-garde des mobilisations sociales et écologiques : les jeunes, les femmes, les peuples indigènes et les paysans. Une nouvelle conscience sociale et écologique émergera à travers le processus d’auto-organisation et de résistance active des exploités et des opprimés.

8) La décroissance écosocialiste fait partie de la grande famille des autres mouvements écologiques radicaux et anti-systémiques : l’écoféminisme, l’écologie sociale, le Sumak Kawsay (la "Bonne Vie" indigène), l’environnementalisme des pauvres, la Blockadia, le Green New Deal (dans ses versions les plus critiques), etc. Nous ne cherchons pas à obtenir une quelconque primauté - nous pensons simplement que l’écosocialisme et la décroissance ont un cadre de diagnostic et de pronostic partagé et puissant à offrir parallèlement aux cadres de ces mouvements. Le dialogue et l’action commune sont des tâches urgentes dans la conjoncture dramatique actuelle.

Signatures :

Michael Löwy, directeur de recherche émérite, CNRS, Paris, auteur de Qu’est-ce que l’Ecosocialisme ? (Paris, Le Temps des Cerises, 2020 ) ; Bengi Akbulut, Université Concordia, Montréal ; Sabrina Fernandes, docteur en sociologie, organisatrice écosocialiste, postdoctorante à la Rosa Luxemburg Stiftung et productrice de Tese Onze ; Giorgos Kallis, professeur à l’ICTA-Barcelone, et coauteur de The Case for Degrowth (Polity Press, 2020).

COMMENTAIRES  

07/10/2025 10:31 par Zéro...

Dans Ecosocialisme, il a écologie et socialisme, ce qui m’enlève l’envie d’aller plus loin dans la lecture de l’article...

Escrologisme et fauxcialisme : tous deux ne sont que des contre-feux pour protéger le Système !!

Il ne s’agit pas pour eux de sauver la Planète mais de préserver le Système de toute alternative mondiale véritablement sociale, solidaire et humaine.

Demander aux peuples des économies financières et mesures environnementales pendant que les trajets en avion se démultiplient et que la marine marchande sillonne en permanence les mers, au mépris de la pollution et des coûts, est insultant !

Et n’allez pas faire culpabiliser les pauvres de s’adonner aux achats compulsifs et à la fast fashion : c’est le Système qui les a mis en place en créant des besoins et paupérisant les masses.

La consommation est le moteur du capitalisme qui a oublié que le pouvoir d’achat est son carburant !
Et cette engeance, prenant le train en marche, se la joue écolosocialiste !!

J’ai été écologiste avant l’heure en prenant soin de ne jamais souiller la Nature et suis baigné d’idées sociales depuis toujours mais pas pour que des petits malins cherchent aujourd’hui à en profiter en faisant peur aux peuples ; qu’ils dépensent donc plutôt leur énergie à nous préserver des guerres au lieu d’en préparer !

Il n’y a pas longtemps, ayant besoin de vêtements et pris de remords d’acheter en Chine (je suis, malgré moi, influencé par les discours officiels et médiatiques...), je suis allé sur un site fabriquant des vêtements au Portugal : le premier pantalon était à 120 euros !
A ce tarif, j’en ai dix en Chine, ils dureront moins (ce qui reste à vérifier - j’ai fait l’expérience de produits de marques fragiles...) , viendront de loin (comme quasiment tous les produits manufacturés de ce monde...) mais c’est tout ce que je peux m’offrir pour ne pas me promener avec des vêtements usés !

Je vis à la campagne, j’ai 63 ans, je souffre de troubles de l’équilibre : je suis obligé de prendre la voiture pour tout car aller à vélo serait dangereux pour moi, d’abord parce qu’il n’y a pas les infrastructures voulues pour ma sécurité !!

Alors, les escrolofauxsialistes, revenez nous voir lorsque vous aurez des solutions raisonnables, viables et adaptées aux besoins des citoyens - pas uniquement destinées à assurer la survie du Système !

Pardon si je suis redondant avec l’article et ne réponds pas à sa problématique mais certains intitulés me rebutent d’emblée...

10/10/2025 16:35 par GC45

A l’heure où même l’AR6 a concédé que la part anthropique du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère est anecdotique, Yorgos MITRALIAS nous ressort la rengaine éculée du haro sur les combustibles fossiles, oubliant les lois de l’Univers et les enseignements des astronomes, au profit de l’arnaque inventée par le Club de Rome pour faire peur, et promue par Maurice Strong (plus le GIEC et le lobby nucléaire) à l’ONU.
Le climat de la terre est cyclique à l’échelle géologique et nous ne pouvons que nous adapter aux changements, au lieu de jouer à la mouche du coche, en vertu de notre narcissisme de pubertaires attardés.

S’il est vrai que les " papiers gras " d’aujourd’hui cochonnent autant que ceux de ma jeunesse, on a quand même fait des progrès en ce qui concerne la pollution atmosphérique (on peut désormais respirer à Saint-Étienne), les décharges et les stations d’épuration (Grenoble n’en avait pas lors des Jeux Olympiques) ainsi que l’efficacité énergétique (la consommation européenne a baissé en dépit de l’augmentation de la population et de la taille des logements).

Il reste beaucoup à faire et bien que le mode d’organisation de la société soit un vrai sujet il n’est pas nécessaire d’être socialiste pour aménager une piste cyclable ou manger bio.
Il n’est pas non plus nécessaire de vouloir sauver la planète pour se déplacer à vélo car dans bien des cas c’est le moyen le plus rapide et le plus économique pour circuler (de porte à porte) et garder la ligne... qu’on soit de droite rapia ou de gauche cigale.

15/10/2025 19:13 par Aquarius15

Escrologisme et fauxcialisme : tous deux ne sont que des contre-feux pour protéger le Système !!


"L’environnementalisme, sans lutte des classes, c’est du jardinage"
- Chico Mendes, militant syndicaliste brésilien.

L’escroquerie intellectuelle est évidente quand EELV soutient une "guerre propre" (sic).
Pas étonnant quand dans l’atelier "La fresque du climat", les conflits armés sont présentés, non pas comme une cause du changement climatique comme d’autres activités humaines pourtant indispensables (agriculture, industrie, transport...), mais uniquement comme une conséquence.

(Commentaires désactivés)