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Les semences dans les Accords de Libre-échange. L’UE et l’Amérique du Nord : le TAFTA et le CETA

Les semences, comme d'autres volets de l'agriculture, sont pleinement concernées par les négociations en cours dans les différents accords de libre échange (ALE) comme le TAFTA et le CETA que l'UE négocient avec nos voisins d'Amérique du Nord. Si certains points les touchent particulièrement comme les Droits de Propriété Intellectuelle (DPI), elles pourraient également être concernées par d'autres pans des ALE : renforcement des normes industrielles sanitaires, environnementales, de biosécurité…

1- Droit de Propriété Intellectuel : le CETA , une préfiguration du TAFTA ?

Des fuites confirment que l’accord TAFTA en cours de négociation comprend bien un chapitre sur le renforcement des DPI qui concernera entre autres les brevets et les Certificats d’Obtention Végétale (COV - voir en anglais : http://keionline.org/node/1984 , http://www.consumersinternational.org/media/1398528/tacd-ip-resolution-on-ipr-in-the-transatlantic-trade-and-investment-partnership.pdf ), principaux DPI appliqués aux semences. Les éléments présents dans le CETA (accord du même type en cours de finalisation entre l’UE et le Canada) dessinent une orientation aux conséquences inacceptables ( http://www.semonslabiodiversite.com/blog/2014/04/30/accord-de-libre-echange-ue-canada-nouvelles-menaces-sur-les-semences/ ). Engageant un pays, le Canada, déjà lié aux USA par un autre ALE, les clauses négociées dans le CETA sont nécessairement conformes à celles qui se négocient pour le TAFTA.

En bref, il s’agit ici de mesures draconiennes obligeant les acteurs économiques à respecter les droits de propriété intellectuelle :

 un agriculteur accusé d’avoir utilisé frauduleusement des semences d’une variété protégée par un COV ou contenant un caractère breveté pourrait ainsi voir sa récolte et son matériel de culture saisis et ses comptes bancaires gelés,

 si l’agriculteur est reconnu coupable, sa récolte, les semences et les outils agricoles pourraient être détruits ;

 en l’absence de preuves formelles de la provenance licite des semences utilisées, les agriculteurs, les entreprises de triages de semences à façons et les acheteurs de récolte pourraient être soupçonnés de recel de contrefaçon ,

 les trieurs à façon ainsi que tout acheteur de récoltes issues de semences de ferme considérées comme des contrefaçons se verraient menacés des mêmes saisies et destructions. Cette situation les amènerait à refuser tout contrat avec des agriculteurs n’amenant pas eux-mêmes la preuve de l’absence de toute contrefaçon,

 les autorités judiciaires compétentes seraient obligées d’exécuter ces saisies à la demande d’un titulaire de DPI sur la base d’une simple présomption de contrefaçon et sans obligation d’entendre au préalable les opérateurs soupçonnés de contrefaçon ou de recel.

Cela signifierait en pratique une remise en cause de « l’exception agricole et alimentaire » qui exclue les semences de ferme de l’application de la loi française de lutte contre les contrefaçons de février 2014, exception obtenue après de nombreuses mobilisations. De la même manière, cela remettrait également en cause l’article de la récente Loi d’Avenir Agricole qui annule la protection du brevet en cas de contamination accidentelle ou de présence fortuite d’un gène (« information génétique ») breveté dans des semences.

Par ailleurs, en renforçant l’application des DPI et la collaboration des États dans la lutte contre les contrefaçons (mis directement au service des entreprises), les ALE ressuscitent les clauses de l’ACTA (Accord Commercial Anti-contrefaçon), refusé par les citoyens puis par le Parlement Européen en mai 2012. Une vraie négation de la démocratie !

Cela a été constaté avec une cruelle violence en Colombie. L’État a dû se se soumettre aux injonctions des entreprises détentrices de DPI et détruire 70 tonnes de semences paysannes de riz (http://www.grain.org/article/entries/4781-soulevement-des-agriculteurs-colombiens-les-semences-sous-les-feux-de-l-actualite#sdfootnote3sym ) rendues illégales par la signature d’un accord de libre-échange avec les États-Unis. Six mois de manifestations paysannes et populaires l’ont contraint à suspendre l’application de cette clause qu’il ne peut plus annuler sans risquer des représailles économiques draconiennes.

La tendance est donc bien présente : les ALE consolident les droits des industriels de la semence en renforçant l’application stricte du respect des DPI et suppriment les droits des agriculteurs de conserver, d’utiliser, d’échanger leurs propres semences et de les protéger des contaminations génétiques et de la biopiraterie.

De plus, les DPI sur les semences sont le principal outil de la concentration économique du secteur. Le COV a permis une première concentration d’entreprises se partageant les marchés nationaux ou régionaux où peuvent être cultivées leurs variétés. Ensuite, on a observé le développement du brevet sur un caractère (insecticide, de tolérance à un herbicide...) qui s’exploite quand à lui directement sur le marché mondial à travers les variétés de multiples espèces composées de plantes dans lesquelles le caractère breveté est introduit par le semencier ou est déjà naturellement présent.

Les coûts de recherche et développement de ces nouveaux caractères brevetés ont fait de l’industrie semencière l’une des plus concentrées avec aujourd’hui moins de dix firmes qui contrôlent 80 % du marché mondial des semences. S’appuyant sur un lobbying permanent et des politiques de conquête de marchés très agressives, ces entreprises se sont engagées dans un processus sans précédent d’appropriation de toutes les semences :

 non seulement celles qu’elles produisent elles-mêmes,

 mais aussi celles de leurs concurrents qui sont dépendantes d’un des multiples brevets qu’elles détiennent,

 et enfin celles qu’elles contaminent avec leurs gènes brevetés transportés d’un champ à l’autre par le pollen, le vent, les insectes, les oiseaux

 et aussi celles qui contiennent naturellement un des caractères qu’elles ont brevetés.

Couplée à une recherche favorisant les plantes homogènes (notamment les hybrides F1) destinées à garantir la standardisation des produits agricoles exigée par l’industrie agroalimentaire et la grande distribution, cette concentration économique renforce la réduction de la diversité des plantes cultivées.

Concrètement, l’ensemble de ces éléments conduisent à ce qui se déroule aujourd’hui en Amérique Latine sous la pression des ALE : « Les agriculteurs sont exclus de leur rôle de sélectionneur, ce qui signifie la mort des variétés locales et la fin de l’agriculture paysanne » (http://www.novethic.fr/empreinte-terre/agriculture/isr-rse/bataille-pour-les-semences-en-amerique-latine-141532.html ). Alors que 70 % de la nourriture mondiale est encore issue des agricultures paysannes vivrières qui n’utilisent que des semences paysannes, les paysans sont peu à peu tous obligés d’utiliser uniquement les semences commerciales produites par ce secteur ultra-concentré et engagé, sans limite, dans la voie d’une agriculture industrielle qui ne produit que 25 % de la nourriture mondiale en immobilisant 75 % des ressources en terre et en eau ( Avec le chaos climatique, qui nous nourrira ? Etcgroup 2014 : http://www.etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/Food%20Poster_FR%20.pdf ).

2 - Réduction des barrières tarifaires et non-tarifaires remplacées par des normes « basées sur la science ».

Qu’elles soient à la fin des négociations harmonisées, identiques ou équivalentes, les seules normes d’accès au marché acceptées par les négociateurs des deux côtés de l’atlantique devront être « basées sur la science ». Derrière cette justification apparemment incontestable se cache un mécanisme pervers permettant à l’industrie de dicter au gré de ses besoins des règles d’accès au marché qui en éliminent tous les produits du domaine public (non protégé par un DPI ) et tous les petits opérateurs.

Pour accéder au marché, un produit doit être reconnu « sans risque pour la santé et l’environnement ». Les entreprises doivent donc fournir des études scientifiques prouvant qu’elles maîtrisent tout risque éventuel. Ces études ont un coût qui ne peut être amorti que par un brevet assurant le monopole du marché. Plus le marché est grand - national, régional (UE), international (ALE) - plus le retour sur investissement est important, plus les protocoles d’évaluation imposent des coûts d’études élevés.
Un constat simple apparaît alors : les petits opérateurs, par exemple les artisans semenciers ou tout paysan , incapables d’amortir ces coûts sont éliminés. Et lorsqu’un produit arrive en fin de brevet et devient librement disponible, il devient impossible d’amortir les études nécessaires au renouvellement de son autorisation de mise sur le marché en l’absence du retour sur investissement garanti par un brevet .

L’indépendance affichée et théorique de ces études scientifiques est remise en cause par la pratique :

 Elles ne sont financées que par les entreprises. Celles-ci, en toute indépendance, présentent uniquement les études qui leurs sont favorables. Quand les chercheurs trouvent un résultat défavorable pour l’entreprise, ils n’ont pas le droit de le publier sans son autorisation imposée par les clauses de confidentialité associées à toute recherche sur un produit ou procédé breveté. Si quelques études défavorables arrivent à être publiées, c’est toujours lorsque le produit concerné arrive en fin de brevet.

 Quant aux comités d’évaluation « publique » de ces études dont dépend l’autorisation de mise sur le marché, ils sont composés de scientifiques compétents dans la matière étudiée. Comme il n’existe aujourd’hui plus aucun programme de recherche publique qui ne soit pas lié à une obligation de partenariat avec le privé, ces chercheurs n’ont pu acquérir leurs compétences scientifiques qu’en travaillant pour les entreprises privées dont ils sont chargés d’évaluer les études... en toute indépendance.

Et si malgré tous ces barrages, quelques petits opérateurs indépendants et/ou produits du domaine public arrivent à se maintenir sur le marché, il n’est pas difficile de créer le risque qu’ils ne pourront plus maîtriser. Par exemple, les risques de contamination OGM imposent des règles de biosécurité inaccessibles aux petits opérateurs : aucun paysan ne peut analyser toutes ses semences pour garantir qu’elles sont 100 % non OGM. Soit il veut produire sans OGM, il est alors contraint d’acheter des semences industrielles juridiquement « sécurisées » (et de surcroît souvent contaminées à faible dose !). Soit il achète et cultive des semences OGM. 

Le marché mondial des plantes et des animaux génère une mondialisation de la circulation des pathogènes, qui accompagne celle des échanges de semences, d’animaux reproducteurs et de nourriture.

Cette tendance impose l’usage de nouveaux pesticides brevetés et/ou de plantes et d’animaux génétiquement brevetés (mais pas nécessairement étiquetés OGM) pour résister aux pathogènes exogènes. Le réchauffement climatique permet quant à lui de justifier des subventions à la suppression du labour qui, en agriculture industrielle, impose l’utilisation accrue d’herbicides sur des cultures OGM qui les tolèrent.

Cette description peut paraître caricaturale. C’est pourtant ce qui se passe déjà très clairement avec les autorisations européennes des OGM. 

De plus, on constate qu’en utilisant le classique « c’est la faute à la pression américaine », l’agenda de la commission européenne est bien de généraliser ce schéma, avec ou sans le TAFTA. Ainsi, le règlement contrôle de la chaîne alimentaire récemment voté par le Parlement européen devrait étendre ce mécanisme pervers au contrôle des normes sanitaires et environnementales sous le nom d’« auto-contrôles sous contrôle officiel ».

Les entreprises les plus organisées pourront faire valider par le « contrôle officiel » leurs propres plans de contrôles internes qui leur servent :

 à remplacer les services de contrôle public par des organismes certificateurs agréés pour être « indépendants », mais en concurrence les uns avec les autres pour être payés exclusivement et « en toute indépendance » par les entreprises qu’ils pourront contrôler,

 à remplacer les contrôleurs externes par un simple contrôle des rapports élaborés par leurs propres qualiticiens internes,

 à définir elles-mêmes les normes de ces contrôles bureaucratiques qui, en l’absence quasi totale de contrôles physiques, leurs servent à camoufler, sous l’amas de rapports bureaucratiques complexes de leurs qualiticiens spécialisés, l’organisation planifiée des fraudes comme la viande de cheval dans les lasagnes,

 à faire porter la responsabilité d’éventuels problèmes de commercialisation sur les maillons les plus faibles de la chaîne alimentaire : les paysans et les petits fournisseurs incapables de financer la multiplication des analyses de petits lots qu’ils produisent ou transforment, l’embauche de « qualiticiens spécialisé », les audits « qualités » et la bureaucratie de la traçabilité exigées par le contrôle officiel de ces auto-contrôles.

Finalement, même si la Commission Européenne a engagé un processus de consultation pour que les citoyens puissent donner leur avis sur l’ISDS (Tribunal extranational privé de règlement des conflits entre un État et une entreprise qui lui reproche de porter atteinte à ses intérêts financiers, sur le modèle des panels de l’OMC) dans la cadre du TAFTA, il faut bien être conscient que les normes qui permettront le règlement des différents investisseurs-États s’imposent déjà aux tribunaux des pays européens et que ceux-ci sont en capacité de les faire respecter. La nouveauté essentielle amenée par une éventuelle conclusion du TAFTA serait l’harmonisation et/ou l’équivalence des normes en vigueur des deux côtés de l’Atlantique qui favorisera encore la concentration du secteur industriel entre les mains d’une poignée de Société Transnationales européennes comme américaines. De plus, la réglementation sur les semences (tant au niveau international, européen que national) est en train d’être réformé en profondeur. Il est normal de s’interroger sur les difficultés supplémentaires à la faire évoluer positivement sous la pression d’une obligation d’harmonisation avec un cadre états-uniens « ultra-libéral » articulé autour de la domination du brevet.

- Quelques mots pour conclure -

Aux vues de ces différents points, il est dangereux de réclamer un « marché libre des semences ». En effet, il est d’abord logique de protéger les productions locales, facilement adaptées à la diversité des conditions locales de culture, face à des importations massives de semences ne pouvant s’adapter qu’avec une utilisation massive d’engrais et de pesticides chimiques.

Par ailleurs, le secteur de semences est hétérogène : il existe différentes catégories de semences (OGM, industrielles, paysannes etc ..) qui au contraire appellent chacune des réglementations cohérentes et proportionnées aux différentes utilisations et aux différents opérateurs.

Ainsi, le cadre réglementaire doit pouvoir évoluer pour que les semences paysannes, jardinières et/ou de ferme, aujourd’hui interdites ou enfermées dans des niches juridiques inacceptables, soient pleinement reconnues. Ce sont les seules semences qu’il convient de libérer :

 en garantissant d’abord les droits des agriculteurs de conserver, de reproduire et d’échanger leurs semences produites à la ferme, droits aujourd’hui non reconnus des deux côtés de l’Atlantique.

 ensuite en reconnaissant les droits des agriculteurs d’échanger leurs semences paysannes et d’autoriser leur commercialisation sous la seule réserve qu’elles soient « saines et loyales », commercialisation aujourd’hui non réglementée aux États-Unis où elle n’est encadré que par les monopole du brevet et très inégalement tolérée dans les différents pays européens en marge du catalogue obligatoire.

Mais il ne convient en aucun cas de libérer les semences couvertes par un COV et/ou brevetées, OGM, hybrides F1, tolérantes aux herbicides. comme les semences « améliorées » impliquant l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides ... Aujourd’hui, ces différentes semences sont beaucoup plus « libres » aux États-Unis où le catalogue (conditionnant leur commercialisation dans l’UE) n’est pas obligatoire. Il convient au contraire d’interdire toutes les semences OGM et/ou brevetées et de soumettre les autres semences industrielles à des évaluations rigoureuses avant toute autorisation de commercialisation.

Plus largement, les semences paysannes et les acteurs qui les soutiennent sont une des composantes de base de l’agro-écologie paysanne. Cette dernière pourrait être pleinement remise en cause par la mise en place d’ALE qui permettent d’imposer un système agricole ultra industriel et compétitif à l’états-unienne. Les enjeux concernant les semences sont donc pleinement en lien avec les autres combats et critiques existants qui remettent en cause les différents ALE en cours de négociation.

Réseau Semences Paysannes

»» http://www.semencespaysannes.org/bdf/bip/fiche-bip-198.html
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Partout où règne la civilisation occidentale toutes attaches humaines ont cessé à l’exception de celles qui avaient pour raison d’être l’intérêt.

Attribuée à Louis Aragon, 1925.

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