les ravages de la LRU (35)

Un de mes amis universitaires a terminé son année le 10 juillet, par une participation à un colloque scientifique à l’autre bout de la France. Il entamera l’année qui vient le 24 août, par une autre communication dans un autre colloque. Il a passé une grande partie de ses vacances à préparer sa conférence, ne s’octroyant que 5 ou 6 jours de liberté.

Dès le 4 ou 5 septembre, il devra surveiller des examens, puis corriger des copies. Les cours pour l’année 2010-2011 reprendront le 20 septembre. C’est ce que l’on appelle les trois mois de vacances des profs de fac.

Lorsque j’étais étudiant, dans la seconde moitié des années soixante, la session de rattrapage des examens avait lieu début octobre. Fin octobre, les enseignants et les étudiants étaient requis par diverses réunions de rentrée. Les cours commençaient effectivement après la Toussaint. L’année universitaire s’achevait vers le 25 juin. Il ne serait venu à l’idée de personne d’organiser des rencontres scientifiques fin août. Les universitaires disposaient de vraies vacances, durant lesquelles ils pouvaient - et devaient - rédiger thèses, articles, livres etc. Les anglicistes avaient le loisir de séjourner un mois ou plus en Grande-Bretagne pour parfaire leur anglais et leur connaissance du pays, et j’ai connu des hispanistes passant deux mois à la Casa Velasquez en Espagne.

J’écoutais ce matin sur France Info un reportage sur les nouveaux calendriers universitaires. La journaliste, parfaitement dans l’air du temps et buvant donc du petit lait, se réjouissait que les conseils d’administration des universités françaises aient tous voté, un allongement de l’année universitaire, qui sera désormais aussi longue pour les enseignants-chercheurs que pour leur collègue du secondaire. Il y avait en filigrane, dans ce reportage, l’idée que, avant ces nouvelles mesures, les profs de fac se doraient la pilule en se la coulant douce.

Durant ma carrière, il m’est arrivé, à deux reprises, de traiter deux questions (une en littérature, une en civilisation) inscrites au programme du Capes et de l’Agrégation d’anglais. J’étais, certes, dans une démarche volontaire, mais, ces années-là , je n’ai pas pris de vacances d’été.

Pour revenir à ces nouveaux calendriers, il faut se représenter qu’il n’existe aucune directive, aucun texte réglementaire en provenance du ministère ou de l’Élysée. Ces dispositions sont prises par les conseils d’administration en toute indépendance. Seulement, comme depuis l’acceptation de la LRU par les universitaires dans leur majorité les établissements sont en compétition les uns par rapport aux autres, les personnels sont conditionnés dans une fuite en avant vers toujours plus d’asservissement.

Ce stakhanovisme imbécile, qui ne changera rien au classement de Shanghai, se payera un jour. Des dizaines de milliers d’enseignants, aujourd’hui âgés de 30 à 45 ans (au-delà , les autres sont blindés et attendent la retraite) finiront par craquer, épuisés, frustrés, ne voyant plus aucun sens à ce qu’ils font.

En tant que constat, l’expression « Le temps, c’est de l’argent », qui est peut-être de Benjamin Franklin, est une évidence. En tant que philosophie, c’est une horreur. L’argent est de droite, comme l’atteste la phrase déjà passée de mode « Travailler plus pour gagner plus », dernier avatar vulgaire du règne de la matière. Le temps, quant à lui, est de gauche, comme l’avaient postulé les socialistes français, quand ils se voulaient encore un peu progressistes et qu’ils avaient créé un ministère du Temps libre. Je sais bien que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais lorsqu’on a le choix entre une augmentation de salaire et une baisse du temps de travail, il faut toujours choisir la seconde : lorsqu’il est maîtrisé, le temps est inaliénable, tandis que l’argent finit toujours par être récupéré par les puissances du même nom. Les universitaires qui, comme tous les fonctionnaires, ont perdu au moins 50% de leur pouvoir d’achat depuis trente ans, et qui ont perdu - parce qu’ils l’ont, à bien des égards, accepté - la considération et le statut dont ils jouissaient, sont désormais en train de voir s’envoler la seule liberté qu’il leur restait : leur temps.

Dans le reportage de France Info de ce matin, un président d’université, sarkozyste à sa manière, disait que les personnels auraient désormais plus de temps à consacrer à la professionnalisation des étudiants. Xavier, un de mes camarades de syndicat, militant inlassable et lucide, m’explique ceci : le critère majeur d’évaluation des universités ne sera plus l’excellence des enseignants-chercheurs et des étudiants mais la manière dont les établissements insèreront les étudiants dans des filières professionnelles. Pour parler en des termes plus prosaïques, comment les facs trouveront du travail aux étudiants. Plus personne dans les universités ne se demandera pourquoi et en quoi la situation de l’emploi pour les jeunes est la conséquence de choix économiques, du primat du capitalisme le plus échevelé sur la vie des citoyens, de la dictature des groupes financiers qui imposent tous leurs choix aux classes politiques. Parmi ces choix, il y a la destruction de dizaines de milliers d’emplois liés à la production. L’idéologie dominante est parvenu à imposer aux universitaires l’idée qu’ils étaient responsables de ces calamités tant qu’ils proposaient des enseignements éloignés des " réalités " . L’université, on l’a dit maintes et maintes fois (voir, par exemple, les travaux d’Angélique Rey, http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/02/13/note-de-lecture-n-50.html#more), ne doit plus servir à transmettre des connaissances scientifiques mais à véhiculer des compétences permettant aux étudiants de s’insérer sur le marché du travail tel qu’il est. Le savoir doit passer au second plan, derrière l’" employabilité " . Comme le dit Xavier, pensons à « l’immense avantage que présente pour les employeurs de recruter à partir d’un portefeuille de compétences, qui ne correspond à rien du point de vue des conventions collectives, plutôt qu’à partir d’un diplôme qui suppose de respecter un certain nombre d’exigences, salariales notamment. » C’est pourquoi les instances patronales seront de plus en plus présentes dans les instances dirigeantes des universités, au détriment des enseignants, les pôles de compétitivité dictant leurs orientations aux chercheurs.

Pôle Emploi délègue une partie de ses missions à Ramstad, qui est rétribuée pour cela. Ce qu’il y a de bien avec l’Université, c’est que ce qu’elle fait au service des marchés est gratis.

Chaque recul - et nous sommes ici en plein dans l’idéologie - est réalisé en fonction de critères " techniques " et d’exigences " pragmatiques " . L’" employabilité " n’est pas un bienfait, c’est un joug.

Bernard Gensane

COMMENTAIRES  

20/08/2010 22:07 par MJS

Merci de cette analyse, que je lis depuis la Colombie, où, invité par diverses universités, dans le cadre de conventions internationales, je donne plusieurs séminaires en master et niveau doctorant (ici, on est au milieu de l’année universitaire), ainsi vont les vacances !
Amicalement :
MJS

21/08/2010 16:30 par Himelos

De toute façon le progrès serait de « Travailler moins pour accomplir plus » (rien de moins) et cela est déjà possible en supprimant les inégalités, les freins au progrès technique, au progrès social (par ex : éducation différente : beaucoup moins de délinquance), les conflits, les pressions et stress facteurs d’accidents, les désastres écologiques...etc. qui additionnées font un gâchis énorme.

Ce plan fédérerait et mobiliserait plus les Français vers un progrès que certains débats. Mais tout dépend ou l’on place l’ambition et l’idéal. On peut aussi avoir un idéal plus holistique (on n’est pas la que pour organiser et consommer) et des solutions plus ambitieuses apparaitront.
Holisme : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ».-

22/08/2010 19:12 par Bernard Gensane

Un collègue me fait passer le commentaire suivant :

"il y a effectivement beau temps (je dirai un petite dizaine d’années) que nous rentrons le 1er septembre et finissons autour du 10 juillet. La différence que je vois dans le bref article publié par Les Echos, c’est que ces 10 mois vont effectivement être consacrés à la formation—"des
cursus de 10 mois" dit la ministre. En soi, il n’y a rien là de choquant, au contraire : mieux encadrer nos étudiants, notamment dans les premières années, me paraît un objectif non seulement louable, mais essentiel. Toutefois, ceci ne sera pas sans conséquences.
Si par "cursus" on doit entendre strictement "formation", cela signifie en effet un allongement global de l’année, puisque le temps des examens n’est alors pas pris en compte. Et c’est là que les choses se corsent, car contrairement à ce que la ministre veut faire croire—que nous ne
travaillons pas assez par rapport aux autres pays, et/ou n’encadrons pas
suffisamment nos étudiants—dans les autres pays en question il n’existe pas de deuxième session d’examen, sans parler de la semestrialisation impliquant une multiplication des sessions. Si les cours doivent finir fin juin, il faudra organiser 2 sessions
d’examen à partir du 1er juillet, sans possibilité de revenir à la "session de septembre" pour la seconde, puisque l’année commencera dès le 1er septembre. En l’état, l’organisation des deux sessions d’examen, depuis les travaux des étudiants jusqu’aux délibérations finales et
publications de résultats, dure déjà environ 2 mois. Sera-t-il même matériellement possible, non seulement pour les enseignants (dont le temps de recherche serait rogné d’autant) mais aussi pour les personnels de scolarité et pour les étudiants eux-mêmes—qui souvent ont un job d’été à partir de juillet—de tenir ce calendrier ? A moins de supprimer la seconde session, en arguant du fait que l’allongement de l’année de formation permettra de facto un meilleur encadrement et une meilleure préparation aux examens ? En tout cas, une sérieuse réflexion sur les conditions et modalités d’évaluation de nos étudiants s’impose.

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