Du moment que les victimes sont en Chine et que les terroristes sont Ouïghours...

Le terrorisme anecdotique : nouveau concept universitaire

Le mardi 4 août 2020 au matin, j’ai failli avaler mon café de travers en entendant déclarer sur les ondes de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) que la situation au Xinjiang « a créé des tensions très importantes qui ont amené les Ouïghours à se soulever à plusieurs reprises, souvent de façon locale et de façon anecdotique. Mais ces soulèvements ont été qualifiés par l’État chinois d’actes terroristes. » De qui sont ces propos ? De Mme Vanessa Frangville, titulaire d’un doctorat en études chinoises de l’Université Lyon 3 et maître de conférences et titulaire de la chaire d'études chinoises à l'ULB (Université libre de Bruxelles).

Appeler un chat un chat

La qualification d’actes terroristes n’est pas due à l’État chinois ; elle découle de l’examen des faits. Voyons ce qu’en dit SciencesPo (Center for International Studies) :

« En 2013-2014 la Chine a fait face à une vague d’attentats sans précédent sur son territoire. Parmi les plus importantes attaques, on retient un attentat suicide à la voiture piégée sur la place Tiananmen à Pékin le 28 octobre 2013 qui a fait deux morts et 40 blessés, une attaque au couteau à la gare de Kunming (capitale du Yunnan) le 1er mars 2014 qui a fait 31 morts et plus de 140 blessés, une valise piégée à la gare d’Urumqi (capitale du Xinjiang) le 30 avril 2014 qui a fait trois morts et 79 blessés, ou encore un double attentat suicide à la voiture piégée sur un marché à ciel ouvert d’Urumqi le 22 mai de la même année qui a fait 31 morts et 94 blessés. Ces attaques ont toutes été perpétrées par des militants ouïghours, et certaines d’entre elles ont été revendiquées par le Parti islamique du Turkestan (PIT), organisation séparatiste islamiste luttant pour l’indépendance du Xinjiang (Turkestan oriental). » (1)

On pourrait encore ajouter à ce macabre décompte : les 6 victimes de coups de couteaux en gare de Canton le 6 mai 2014, les 20 morts en plein Bangkok le 17 août 2015 ainsi que, le 18 septembre 2015, dans la Préfecture d’Aksou au Xinjiang, le massacre à la machette d’une cinquantaine de mineurs Han qui travaillaient dans une mine de charbon pour nourrir leur famille.

Ecœurant et inepte

Comment est-il possible de réduire ces actions terroristes à des anecdotes ? Si Vanessa Frangvile avait tenu un langage similaire à propos des attentats de Paris du 13 novembre 2015 ou de Bruxelles du 22 mars 2016, nul doute qu’elle aurait été sanctionnée par les autorités académiques de l’ULB. Mais quand il s’agit de s’en prendre à la Chine, tous les coups sont permis, ce qui permet à certains membres de l’Alma mater bruxelloise de participer impunément au China bashing à la mode (2).

Les propos de Mme Frangville sont écœurants. Ils sont aussi ineptes : comment peut-elle affirmer que les soulèvements ouïghours se sont déroulés « souvent de façon locale » ? Ignorerait-elle que les villes de Kunming, Canton, Pékin et Bangkok sont situées à plusieurs milliers de kilomètres du Xinjiang ? Ignorerait-elle de plus que dans la lointaine Syrie des milliers de Ouïghours fanatisés ont rejoint les rangs de l’ « État islamique » ?

Du cinéma de propagande

D’une chercheuse universitaire on aurait pu s’attendre à un peu plus d’honnêteté intellectuelle. Il est, bien sûr, tout à fait légitime de se demander si certaines politiques mises en œuvre par Pékin pour lutter contre le terrorisme au Xinjiang ne sont pas disproportionnées. En revanche, le négationnisme du terrorisme ouïghour n’est pas acceptable.

Les recherches de Mme Frangville ont trait, peut-on lire dans sa notice de présentation, « aux discours sur l’ethnicité et la construction de la nation dans la Chine moderne et contemporaine, avec un accent particulier sur le cinéma et les films de ‘minorités ethniques’ ». Est-ce pour cela qu’elle s’est crue autorisée à faire son cinéma à propos de la minorité ouïghoure dans la Chine contemporaine ?...

André LACROIX

(1) Marc Julienne, La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme au Xinjiang : quelles méthodes pour quels résultats ? État des lieux et perspectives, SciencesPo, octobre 2017
(2) Relire :
http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/386-les-presupposes-antichinois-d-un-colloque-universitaire (21 mars 2017)
http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/511-confucius-ou-dalai-lama-l-ulb-a-choisi (27 décembre 2019)
http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/513-face-au-terrorisme-ouighour-le-deux-poids-deux-mesures-habituel-de-l-occident-a-l-egard-de-la-chine (9 janvier 2020)
http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/551-quand-les-preux-chevaliers-de-la-vraie-science-repondent-aux-arguments-d-experts-en-rien-du-tout-ca-donne-quoi (30 mai 2020)

COMMENTAIRES  

08/08/2020 05:54 par carlito

Merci à André Lacroix de rappeler (ou dévoiler ?) les attentats Ouighours en Thaïlande ...
là où nos rebelles modérés recevaient leurs passeports pour la Turquie
s’équipaient d’armes récupérées dans les stocks Lybiens acheminés via CIA.

Evidement quelqu’un "autorisé" à parler dans le poste doit se conformer à la doxa dominante et les académics soucieux de leur carrière ne s’en faut pas faute.

08/08/2020 11:20 par François de Marseille

On s’habitue tranquillement à être abreuvé de désinformation, quelle qu’en soit la nature (experts, recherche universitaire, journalistes). C’est devenu encore moins fiable que les bruits de couloirs.
Faudrait pas que ça nous empêche de déguster un bon café.

08/08/2020 21:58 par Auguste Vannier

Avec "Les Nouveaux Philosophes" sont apparus dans les média ce qu’on appelé les "intellectuels de cour" ou de "connivence", rejoignant ainsi les fameux "chiens de garde" et ceux que F.Lordon désigne plaisamment comme des "chiens de plage arrière".
Pour faire une carrière médiatique d’éditocrate il faut savoir aboyer et opiner dans le sens des "pouvoirs" ...
La figure emblématique de tout cela et qui sévit encore : BHL.
Vanessa Frangville, vous êtes trop pressée, et vous voilà découverte !

09/08/2020 08:25 par Lanta Paule

merci,
les faits sont têtus..
La messagerie de ma FD PCF 64, a été récemment polluée par une secte qui proteste contre les centres Confucius,subventionnée par( l’ extrême droite ? ) et cela est avérée les USA de D. Trump.
Paule de pau

09/08/2020 12:48 par Ellul

Concept universitaire ?????? Dans son élan , l’auteur a été un peu lapidaire : concept( et c’est un bien grand mot) d’une universitaire, ce qui est bien différent, surtout quand on côtoie nombres de "docteurs" .

09/08/2020 15:36 par Xiao Pignouf

@Ellul, je pense que c’est du second degré.

09/08/2020 17:18 par André LACROIX

Cher Monsieur Ellul,
J’en conviens : ma formule est un peu lapidaire, comme c’est souvent le cas dans le titre des articles.
Ce que je voulais mettre en avant, c’est que le négationnisme du terrorisme ouïghour n’était plus seulement le fait d’une journaliste (relire : https://www.legrandsoir.info/pourquoi-ursula-gauthier-de-l-obs-a-du-quitter-la-chine-et-pourquoi-on-s-en-f.html ), mais qu’il pouvait aussi gagner une universitaire, en l’occurrence titulaire de la chaire d’études chinoises d’une université (située dans la capitale de l’Union européenne)…
Bien à vous.

10/08/2020 11:26 par Autrement

Les universitaires (docteurs compris) sont complètement englués dans de très ministériels Comue, labex, Isite, bachelors, crédits SFRI, graduate schools, opérations PIA, Lipstic...
On trouve dans leur prose des perles du genre : "Nous avons conçu notre dossier Idées comme un projet destiné à combler les trous dans la raquette du projet Isite ", "actions prévues pour développer un réseau d’alumni", "pour développer le sentiment d’adhésion, la dissémination de l’image d’excellence scientifique est nécessaire"...

Alors comment voulez-vous que ces pauvres gens puissent encore concevoir des concepts qui tiennent debout ?

18/08/2020 12:08 par Gilles

Du terrorisme d’une frange radicalisée et fondamentaliste des Ouïghours, merci de ne pas tomber dans l’écueil facile de la généralisation.

(Commentaires désactivés)