L’ Humanité, 14 décembre 2005.
Le contrat de transition professionnelle n’a de sécurité professionnelle que le nom. Les employeurs pourront utiliser des chômeurs, rémunérés par les ASSEDIC.
Sécuriser les parcours professionnels, l’idée a de quoi séduire en ces temps d’insécurités sociales particulièrement développées. Dominique de Villepin en a donc fait son nouveau « dada idéologique », contraint de trouver une réponse à la journée d’action interprofessionnelle du 4 octobre.
Alors que plus d’un million de salariés défilaient dans la rue, après la baffe prise lors du référendum sur la constitution européenne, le premier ministre avait promis aux partenaires sociaux de les recevoir pour ouvrir le chantier de la Sécurité sociale professionnelle. Ce fut fait lundi. Rue de Grenelle, pour le symbole. Mais derrière l’affichage, le gouvernement s’apprête bel et bien à « renforcer la soumission des salariés à l’entreprise », comme l’a décrypté Maryse Dumas, secrétaire confédérale de la CGT, à sa sortie du ministère de l’Emploi.
Idée de gauche, contenu à droite.
Le contenu de l’ensemble des mesures annoncées n’a pas été détaillé. Pour l’essentiel, des commissions de travail vont maintenant plancher sur leur réalisation. Mais qu’il s’agisse du pouvoir d’achat ou de l’emploi, une cohérence se dégage, explicitée par le premier ministre lui-même : offrir une « meilleure récompense de l’effort ». Qui mérite, c’est-à -dire qui accepte de se rendre « employable » en fonction des besoins de main-d’oeuvre immédiats, sera soi-disant récompensé. Insidieusement, sous couvert de prendre en compte le risque de perte d’emploi dans un marché du travail fragilisé par la mondialisation libérale, le gouvernement avance sur le terrain d’une plus grande mise en concurrence des salariés et des chômeurs entre eux. Dominique de Villepin détourne une revendication syndicale et une idée de gauche au profit d’un contenu bien à droite.
Travail quasi gratuit pour les patrons.
Au coeur du dispositif annoncé, le « parcours professionnel sécurisé » dont la mesure phare est la création d’un « contrat de transition professionnelle » (CTP) pour les entreprises de moins de 300 salariés, expérimentés dans six sites pilotes : Saint-Dié, Vitré, Morlaix, Valenciennes, Toulon, Charleville-Mézières. La mesure en elle-même constitue un savant mélange entre le dispositif existant de reclassement des salariés victimes de licenciements économiques et la reprise d’idées piochées dans le rapport Yazid Sabeg dont les conclusions ont été rendues en février dernier.
En cas de licenciement, le salarié sera « invité » à signer un contrat dans son bassin d’emploi, d’une durée encore non déterminée, pendant lequel il pourra bénéficier d’une formation, dont les conditions ne sont pas non plus précisées, et être appelé à offrir ses services dans une entreprise privée ou organisme public qui a besoin d’ajuster sa main-d’oeuvre aux diktats du marché. C’est de l’intérim, en pire. Une entreprise va pouvoir « demander » un salarié en fonction d’un besoin, le faire travailler et être quasiment exonérée du salaire qu’elle doit verser en reconnaissance du travail fourni.
Les chômeurs, eux, devraient préserver « la quasi-totalité de leur ancien salaire », a promis Jean-Louis Borloo, ministre de l’Emploi, sans que le pourcentage ne soit encore déterminé. Dans le contrat de reclassement personnalisé, en vigueur depuis juin 2005, le signataire d’une convention intègre le statut de « stagiaire de la formation professionnelle », touche 80 % du salaire de référence les trois premiers mois et 70 % les cinq suivants. Ce que tait le ministre, par contre, se trouve niché dans le rapport Sabeg. En échange d’une certaine « générosité » des allocations, les chômeurs n’ont pas le droit de refuser trop de propositions de reclassement. Or, c’est là que le bât blesse. Les offres de reclassement, quand elles existent, tombent presque toutes dans l’escarcelle de la précarité. La vraie motivation du dispositif est de parvenir à combler les emplois dans ce que Dominique de Villepin nomme les « secteurs en tension » : le bâtiment, la restauration ou les services, des métiers durs, sous-payés, parmi les plus déréglementés, donc peu demandés.
L’UNEDIC finance, le patron exploite.
Et l’entourloupe va plus loin encore. Le premier ministre l’a asséné : Le CTP sera financé par les ASSEDIC qui verseront à un organisme public l’indemnisation chômage qu’aurait dû percevoir le salarié licencié, soit avec les règles de calcul en vigueur 57 % de l’ancien salaire. L’employeur licencieur, lui, est juste chargé de verser les indemnités de préavis, soit un à deux mois de salaire selon l’ancienneté dans l’entreprise. Et pour l’employeur utilisateur d’un chômeur signataire du CPT, c’est le jackpot : il n’a plus qu’à s’acquitter des quelque 25 à 30 % restants.
La recette n’est pas nouvelle. Elle est même une constante de ce gouvernement. Une fois de plus l’État se substitue aux obligations sociales des entreprises en matière de salaire. Comme pour la prime pour l’emploi de 1 000 euros versée par l’État au quatrième mois de reprise d’un travail. Comme pour les seniors qui peuvent cumuler travail et retraite, la pension versée par la Sécurité sociale représentant en moyenne 70 % du salaire. Reste à charge pour l’employeur qui n’a pas le droit de payer plus que l’ancien revenu, quelque 30 %. Aux salariés de financer leur propre salaire, en somme.
Paule Masson
– Source : L’ Humanité www.humanite.presse.fr
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