la doctrine Monroe est terminée du moment que c’est clairement des corporations qui ont pris le pouvoir
D’abord, il me semble avoir pris la peine d’expliquer que ce n’est pas d’aujourd’hui que les groupes privés sont au pouvoir aux Etats-Unis.
L’influence de ces groupes a commencé après la Guerre de Sécession, en fait. Cela n’a fait qu’empirer progressivement, en particulier après la Seconde Guerre Mondiale.
Et les grands groupes internationaux étaient déjà à l’œuvre bien avant ce qu’on appelle communément la "mondialisation", dont la première étape visible était la mondialisation financière des années 80.
En 1978, Gérard Delfau, membre du secrétariat national du Parti socialiste, dénonçait déjà la mondialisation comme étant le stade ultime du capitalisme :
(…) La mondialisation des marchés, annoncée dès le Manifeste (1848), a sécrété, au-delà des États, ces phénomènes singuliers que sont les multinationales (…).
La loi du marché, enfin, grignote tout ce qui est encore en dehors des circuits habituels de production : l’eau, l’air, la terre, l’éducation, l’information, les loisirs, sont devenus objets de spéculation, matière à publicité. On ne sait plus très bien où commence et où finit l’exploitation que la grande masse subit, tellement le temps et l’espace sont devenus valeurs d’échange. Et cela, pour nos pays de vieille civilisation industrielle.
Le gâchis est à une autre dimension pour des continents entiers comme l’Afrique et l’Amérique du Sud, où le pillage aboutit, souvent, au génocide" (…). Lien.
Donc, soit la doctrine Monroe ne s’est jamais appliquée, puisque ce sont les multinationales qui faisaient déjà la loi, soit elle perdure, car ce sont les gouvernements qui sont le bras armé des entreprises et leur préparent le terrain.
Ensuite, l’Amérique Latine a assez souffert pour qu’on ne balaie pas son histoire personnelle d’un revers de la main, elle qui a vu ses peuples lutter pour leur survie et contre le totalitarisme qui leur avait été imposé par les Etats-Unis, qui avaient fait des pays du Sud du continent leurs colonies et leur vivier personnel, comme l’Afrique était le pré carré des Européens.
Kerry, qui a prononcé ces paroles lors d’une assemblée de l’Organisation des Etats Américains, a ensuite précisé :
La relation que nous recherchons et que nous nous sommes efforcés d’encourager ne s’appuie pas sur une déclaration qui dirait comment et quand les États-Unis doivent intervenir dans les affaires des autres états américains. Il s’agit de considérer tous les pays sur le même plan d’égalité, qui partagent les responsabilités, qui coopèrent sur les questions de sécurité, et qui adhèrent non pas à une doctrine, mais aux décisions que nous prenons conjointement pour faire progresser les valeurs et les intérêts que nous avons en commun.
Il s’adressait donc clairement aux pays du sud du continent américain et la "déclaration" dont il parle est bien celle qu’a prononcée devant le Congrès, le 2 décembre 1823, le président James Monroe.
Mais on peut décider de changer complètement le sens de ce qui est connu historiquement comme étant la "doctrine Monroe", et de ses implications, et qui exprime à elle seule la domination décrétée par les Etats-Unis sur toute l’Amérique Latine. Et c’est loin d’être du blabla, en particulier pour cette dernière.
Mais si on s’en tient aux termes historiques, quoi qu’en dise Kerry, la doctrine Monroe est encore à l’ordre du jour.
Car, même si certains des Etats latino-américains tentent de s’émanciper de la tutelle des US en menant une politique de gauche, même si d’autres semblent vouloir s’allier à eux, comme le montre actuellement la perte d’influence des Etats-Unis dans la région, tous les pays d’AL ont l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.
D’abord, parce que la plupart de ces pays poursuivent une politique néolibérale, qui les lie obligatoirement au système capitaliste, et donc, aux diktats de Washington (cf. les divers accords de "libre-échange" ou la spoliation de leurs terres), et, d’autre part, parce que les Etats-Unis (probablement avec l’aide de leurs satellites européens avides de satisfaire leur soif d’hégémonie par procuration) chercheront par tous les moyens à les déstabiliser et à reprendre la main. Ce qu’ils font en sous-main, d’ailleurs, d’ores et déjà.
Pour le compte de leurs entreprises, évidemment. Comme ils l’ont toujours fait. Toutes les agressions des US ont été perpétrées dans le but d’empêcher les peuples de s’autodéterminer et de garder, ainsi, le pouvoir sur l’économie de leur pays.
Il aurait donc été intéressant de s’interroger sur les propos de Kerry et sur les chances de survie d’une Amérique Latine libre.
Car son échec aurait des répercussions dans le monde entier, où les peuples opprimés voient en elle l’espoir de se libérer de la suprématie des politiques néolibérales funestes appliquées depuis des décennies par leurs gouvernements serviles qui les ont conduits au pillage de leurs ressources, à la famine et aux guerres.