Le dimanche 14 août, dans le cadre du JT 19/20 de FR.3 Sud, le journaliste de service accueille Maxime VIVAS en le présentant par deux fois, avec un accent singulier de reproche, comme « l’auteur controversé » du livre DALAà -LAMA. Pas si zen. Cette répétition, cette insistance me donne le frisson, car j’ai l’impression que la ligne éditoriale de la chaîne vient d’adhérer au credo du bouddhisme. L’espace public ne serait-il plus celui de la laïcité ?
Rappelons à tous, ça urge, que si le débat contradictoire n’est plus à l’ordre du jour dans les médias, alors la démocratie est tout simplement en danger et qu’il est à craindre que ceux qui ne distinguent plus entre la religion et le réel, ne nous dessinent un horizon totalitaire tel que l’a prédit Anna HARENDT.
En tout cas, la démocratie à laquelle je songe réclame des journalistes soucieux d’ouverture, de dialogues, même tendus, pour éviter les pièges de la précipitation et des certitudes qui nous ont fait avaler le mensonge des armes de destruction massive.
Or, en ce moment, ça continue comme si de rien n’était, les médias dominants s’emballent et font de l’avancée des insurgés libyens une victoire de la démocratie et de la liberté. Mais qui sont-ils, ces insurgés ? Qui les dirige ? Qui les finance et quels sont leurs projets ? De manière générale, rien de bien clair dans les commentaires, sinon l’émergence de quelques avis discordants qui s’interrogent sur les raisons étranges ou bien étrangères de ce « soulèvement » et s’indignent devant ce qui ressemble parfois à des massacres, plutôt qu’à des faits de guerre. Alors que la plupart des Unes nous serinent avec la fin du tyran et les promesses d’une société libyenne nouvelle plus égalitaire, alors que le conflit n’est pas terminé, de petits arrangements sont en cours entre TOTAL et ENI pour une autre distribution des ressources pétrolières du pays au nom du soutien précoce apporté par la France et l’Italie à la rébellion. Il se murmure même que la Chine et la Russie pourraient y laisser des plumes et que les 35% appartenant à l’Etat libyen seraient revendus aux entreprises étrangères : ici aussi la privatisation triomphe. Comme l’annonçait, sans rire, le 23 juillet à 13 heures, le présentateur du journal télévisé de FR2, « les affaires reprennent pour les pétroliers ». C’est énorme, l’argent public finance une guerre qui va rapporter gros au secteur privé, marchands d’armes et autres pétroliers. Et puis, chacun ayant ses raisons, il est utile de préciser que Ismaïl AL-SALABI, activiste islamiste et un des chefs de guerre du Conseil National de Transition sait précisément pourquoi il se bat : pour « l’établissement d’une constitution reconnaissant le rôle important de la religion ».
Parallèlement, avec le poids des mots et le choc des photos adaptés, STRAUSS-KAHN n’en finit pas de faire écran à la connaissance du monde. Il fait la couverture de Paris-Match en route pour la France, « blanchi » osent dire certains, alors qu’en réalité sa mise en liberté ne l’a pas pour autant innocenté. C’est un fait divers impitoyable, surtout pour son dénouement sans vérité, et une mauvaise nouvelle pour la justice, pour la démocratie et pour la qualité des rapports hommes-femmes dont cette historiette à le mérite de dresser un état affligeant.
Toujours dans le même temps, les Agences de Notations, chiennes de garde du marché, jouent les apprentis sorciers, mettent le feu à la Bourse et jouent avec la vie simple des gens simples. Des agences qui, l’aurions-nous oublié, avaient décerné des notes d’excellence aux banques peu de temps avant leur déroute, en surnotant des produits hypothécaires qu’elles avaient elles-mêmes contribué à fabriquer avec certaines banques d’affaires. Un mécanisme de faillite endigué par l’utilisation de l’argent du peuple, mais pour combien de temps ? car, endetter des Etats déjà endettés pour sauver les banques, puis endetter des Etats moins endettés pour sauver les plus endettés ressemble à une accélération de l’appauvrissement du peuple dont la vie ne serait plus qu’une agonie qui n’en finirait pas. Pourtant, pour quelques uns, le bonheur est dans le prêt puisque, pendant ce temps, les fortunes croissent six fois plus vite que la moyenne de l’économie du pays et que pour entrer dans le palmarès des 500 fortunes françaises la somme minimale a quadruplé en quinze ans. Alors, je ne peux m’empêcher de penser à la société selon CELINE, « cet immense bazar où les bourgeois pénètrent, circulent, se servent… et sortent sans payer… les pauvres seuls payent… la petite sonnette du tiroir-caisse… c’est leur émotion ».
Trop c’est trop ; il y a même des riches qui en manifestent une relative conscience en priant le gouvernement qui les a gavé de les imposer un peu plus.
Il me semble que nous y sommes, quand la loi des marchés n’est pas juste, la justice sociale passe avant la loi des marchés. Aussi, quoi de plus raisonnable que de s’interroger sur la dette publique et par conséquent sur le bien fondé de sa mise en accusation ? A vrai dire, tout fonctionne comme dans le modèle du bouc émissaire, lorsque les rôles particuliers que nous tenons dans la société cessent d’être évidents. La dette publique est chargée de tous les péchés du monde, sans aucune autre forme de procès, dans l’oubli même du public. Nous sommes dans la certitude et l’urgence d’en finir. Or, haro sur la dette publique, c’est haro sur le Service Public, c’est l’oubli de l’Histoire qui nous a donné en héritage une société de partage et c’est, tout simplement, le choix d’une société sauvage où la loi du plus fort l’emporte, au nom de l’intériorisation du modèle du marché, cette nouvelle religion qui fait de la bourse un autre ciel. De sorte que le gouvernement actuel cherche à détourner et puis fixer l’attention du peuple sur un modèle prestigieux qui ferait et déferait les fortunes et qui dirait dans le même temps ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire de la vie des pauvres gens.
Alors, c’est l’exercice généralisé du bafouillage où la majorité des politiques et des journalistes adeptes du culte du marché ne pensent qu’à la même chose, ne proposent qu’une seule chose : rembourser la dette publique. Mais qui a remboursé la dette des banques privés ? Qui a créé de l’argent à partir de rien et mis en circulation des sommes fictives garanties par de l’or ou des avoirs qui n’existent pas ? La dette publique joue donc bien le rôle de bouc émissaire pour faire écran devant la crise récurrente d’un système gagné par la folie. Les médias ne parlent pas de crise des marchés, mais de crise de la dette publique et au nom de cette certitude qui, pourtant, sent le faux à plein nez, les médias-mensonges enflent et deviennent les arguments d’une mise en miette du service public, car la dette publique recouvre ce qu’il conviendrait mieux d’appeler la dette envers le public, envers ceux qui contribuent au quotidien, à la cohérence d’une société et pour lesquels une redistribution des richesses passe par des services de santé, d’éducation, de transport, de sécurité… Alors, pour moi la seule règle d’or qui s’impose c’est l’homme au centre, car, excusez-moi Monsieur SARKOZY, la République c’est la solidarité, c’est la liberté ; c’est le contraire d’un monde où celui qui n’a pas dépend de celui qui a ; c’est le contraire d’un monde où le débat est négligé au profit de certitudes et de dogmes aux accents totalitaires ; c’est le contraire d’un monde qui organise le retour des Versaillais avec des forces de l’ordre autorisées à utiliser des armes de guerre contre les fauteurs de trouble ; c’est le contraire d’un monde qui porte une atteinte mortelle à la Démocratie avec un abandon de la souveraineté populaire pour l’élaboration de réglementations définies par un cénacle de technocrates et d’oligarques, sans parler d’un Président qui veut déclarer la guerre au monde entier. Il ne suffit pas d’être bien-pensant pour bien penser.
Ainsi glisse malheureusement notre démocratie vers un totalitarisme des marchés qui, j’en ai bien peur, de consommation en consumation, finira par dessiner un horizon sans pensée, lieu de la confrontation au rien, lieu déjà fréquenté par certains médias.
Alors, oui à la morale à l’école, mais aussi à la télévision, et non au cirque médiatique où règne la seule morale du productivisme et de l’argent-dette. Encore oui, pour tout reprendre par l’école laïque, pour en faire une pratique heureuse, fructueuse, égalitaire, comme celle, il n’y a pas si longtemps, où je chassais les abeilles, je dormais, je récitais des poèmes, je calculais, tout en partageant avec les autres élèves les minces délices de nos quatre-heures.
ANATOLE BERNARD