François Hollande n’ a strictement rien à faire de la Constitution Européenne ... « si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter NON, comme pour De Gaulle en 69 »... 26 mai 2005
ATTENTION
Etienne Chouard à éffectué de nombreuses mises à jour sur son texte.
Nous vous conseillons de le lire directement sur son site :
http://etienne.chouard.free.fr/Europe
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Et n’ oubliez pas de lire les articles mis en lien au bas de cette page : ils nous font découvrir d’ autres aspects négatifs du TCE.
Marseille, le 3 avril 2005.
Chers collègues et amis,
Après six mois de réflexion intense, se cristallise une argumentation autour du "traité constitutionnel", à partir de lui mais au-delà de lui, une argumentation qui n’est ni de droite ni de gauche, et qui montre un danger historique pour nous tous, au-dessus de la politique. Pour ces raisons, cette courte argumentation devrait intéresser les citoyens de tout bord.
Il y a six mois, en septembre 2004, j’étais, comme tout le monde, favorable à ce texte sans l’avoir lu, par principe, "pour avancer", même si je savais bien que les institutions étaient très imparfaites. Je ne voulais pas être de ceux qui freinent l’Europe. Je crois vraiment que l’immense majorité des européens, au-delà des clivages gauche/droite, aiment cette belle idée d’une Europe unie, plus fraternelle, plus forte. C’est un rêve de paix, consensuel, très majoritaire.
Je n’avais pas lu le texte et je n’avais absolument pas le temps : trop de travail... Et puis l’Europe c’est loin, et puis avec tous ces hommes politiques, je me sentais protégé par le nombre : en cas de dérive, il allait bien y en avoir quelques uns pour nous défendre... et je me dispensais de "faire de la politique", c’est-à -dire que je me dispensais de m’occuper de mes propres affaires.
Déjà des appels s’élevaient contre le traité, mais ils venaient des extrêmes de l’échiquier politique et pour cette simple raison, je ne commençais même pas à lire leurs arguments, restant en confiance dans le flot de l’avis du plus grand nombre sans vérifier par moi-même la force des idées en présence.
Et puis soudain, des appels sont venus de personnes non suspectes d’être antieuropéennes. J’ai alors lu leurs appels, sans souci des étiquettes, et j’ai trouvé les arguments très forts. Je me suis mis à lire, beaucoup, des livres entiers, de tout bord, Fabius, Strauss-Khann, Giscard, Jennar, Fitoussi, Généreux, etc. et beaucoup plus d’articles des partisans du traité parce que je voulais être sûr de ne pas me tromper. Et plus je lis, plus je suis inquiet. Finalement, aujourd’hui, je ne pense plus qu’à ça, je ne dors presque plus, j’ai peur, simplement, de perdre l’essentiel : la protection contre l’arbitraire.
Je continue aujourd’hui à lire toutes les interventions, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, je continue à chercher où est la faille dans mon raisonnement et le présent texte est un appel à réfléchir et à progresser : si vous sentez une faille, parlons-en, s’il vous plaît, tranquillement, honnêtement, c’est très important. Je peux me tromper, je cherche sincèrement à l’éviter, réfléchissons ensemble, si vous le voulez bien.
Je sens que c’est ma mission de professeur de droit d’en parler un peu plus que les autres, d’en parler à mes collègues, mais aussi à mes élèves, aussi aux journalistes. Je serais complice si je restais coi.
J’ai ainsi trouvé plus de dix raisons graves de s’opposer à ce texte extrêmement dangereux, et encore dix autres raisons de rejeter un texte désagréable, pas fraternel du tout en réalité. Mais les cinq raisons les plus fortes, les plus convaincantes, celles qui traversent toutes les opinions politiques parce qu’elles remettent en cause carrément la possibilité d’avoir une réflexion politique, me sont apparues tardivement car il faut beaucoup travailler pour les mettre en évidence. Ce sont ces raisons-là , les cinq plus importantes, sur lesquelles je voudrais attirer votre attention et solliciter votre avis pour que nous en parlions ensemble, puisque les journalistes nous privent de débats publics.
Dans cette affaire d’État, les fondements du droit constitutionnel sont bafoués, ce qui rappelle au premier plan cinq principes transmis par nos aïeux. Les principes 4 et 5 sont les plus importants.
1 Une Constitution doit être lisible pour permettre un vote populaire : ce texte-là est illisible.
2 Une Constitution doit être politiquement neutre : ce texte-là est partisan.
3 Une Constitution est révisable : ce texte-là est verrouillé par une exigence de double unanimité.
4 Une Constitution protège de la tyrannie par la séparation des pouvoirs et par le contrôle des pouvoirs : ce texte-là organise un Parlement sans pouvoir face à un exécutif tout puissant et largement irresponsable.
5 Une Constitution n’est pas octroyée par les puissants, elle est établie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants, à travers une assemblée constituante, indépendante, élue pour ça et révoquée après : ce texte-là entérine des institutions européennes qui ont été écrites depuis cinquante ans par les hommes au pouvoir, à la fois juges et parties.
Premier principe de droit constitutionnel :
une Constitution est un texte lisible.
Le "traité constitutionnel" est beaucoup trop long [1] : 852 pages A4, une ramette et demie. Cette longueur est unique au monde pour une Constitution, ce qui la rend simplement illisible.
Cette longueur interdit la critique. C’est tout sauf un détail.
Les 75% d’espagnols votants qui ont approuvé ce texte, comme les 60% qui se sont abstenus, ne l’ont pas lu : ni les ministres, ni les parlementaires, ni les professeurs, ni les journalistes, ni les citoyens, qui ont tous autre chose à faire : qui a le temps matériel de lire 850 pages A4 ? Il suffit de se poser la question pour soi-même : ce n’est pas différent pour les autres.
Ces citoyens prennent ainsi le risque majeur, pour eux, mais aussi pour leurs enfants et leurs petits enfants, de découvrir trop tard ce qu’ils ne pourront plus changer.
Il faut évidemment lire et comprendre ce que l’on signe. Ou bien, on refuse de signer.
Même s’il était simple (et il ne l’est pas), un texte aussi long ne permet pas de le juger avec discernement.
Et pourtant, il faut bien avoir un avis. Comment faire pour avoir un avis sur un texte qu’on ne peut pas lire ? En s’alignant sur "les autres", on se rassure, comme les moutons de Panurge.
Cette longueur extravagante est, par elle-même, non démocratique : on éloigne ainsi les curieux. On observe ces temps-ci comme cette vieille technique obscurantiste marche bien : l’unanimisme ambiant repose sur des malentendus rendus possibles par un texte illisible.
Une Constitution est la loi fondamentale, elle doit pouvoir être lue par tous, pour être approuvée ou rejetée en connaissance de cause.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Deuxième principe de droit constitutionnel :
une Constitution est un texte neutre,
elle permet le débat politique sans en imposer l’issue
Une Constitution démocratique n’est pas de droite ou de gauche, elle n’est pas socialiste ou libérale, une Constitution n’est pas partisane : elle rend possible le débat politique, elle est au-dessus du débat politique.
A l’inverse, ce "traité constitutionnel", en plus de fixer la règle du jeu politique, voudrait fixer le jeu lui-même !
En imposant dans toutes ses parties [2] (I, II et surtout III) des contraintes et références libérales, ce texte n’est pas neutre politiquement, il impose pour toujours des choix de politique économique qui doivent évidemment dépendre du débat politique quotidien, variable selon la conjoncture.
Notamment, ce texte confirme pour toujours que l’Europe se prive elle-même des trois principaux leviers économiques qui permettent à tous les États du monde de gouverner : pas de politique monétaire (banque centrale indépendante, n’ayant comme seule mission, constitutionnelle, intangible, que la lutte contre l’inflation et aucunement l’emploi ou la croissance [3], pas de politique budgétaire (pacte de stabilité [4] ) et pas de politique industrielle (interdiction de toute entrave à la concurrence [5], donc interdiction d’aider certains acteurs nationaux).
C’est une politique de l’impuissance économique [6] qui est ainsi institutionnalisée, imposée pour longtemps.
Ce texte infantilise les citoyens d’Europe : il nous prive tous de l’intérêt de réfléchir à des alternatives. A quoi bon continuer le débat politique, en effet, puisque toute alternative réelle est expressément interdite dans le texte suprême ?
Mise à part la constitution soviétique (qui imposait, elle aussi, une politique, le collectivisme), cette constitution partisane serait un cas unique au monde.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Troisième principe de droit constitutionnel :
une Constitution démocratique est révisable
Le "traité constitutionnel" est beaucoup trop difficilement révisable [7] : pour changer une virgule à ce texte, il faut d’abord l’unanimité des gouvernements pour tomber d’accord sur un projet de révision, puis il faut l’unanimité des peuples (parlements ou référendums) pour le ratifier.
Avec 25 États, cette procédure de double unanimité est une vraie garantie d’intangibilité pour les partisans de l’immobilisme. Ce texte est pétrifié dès sa naissance.
C’est inacceptable pour une Constitution [8] et ce serait, là encore, un cas unique au monde.
Mettre en avant le mot "traité" pour prétendre que l’unanimité est normale (ce qui est vrai en matière de traités) est malhonnête : cette supercherie de l’oxymore "Traité constitutionnel" (assemblage de mots contradictoires) permet ainsi, en jouant sur les mots, de créer une nouvelle norme suprême en s’affranchissant de la lourde procédure constituante.
Le "traité constitutionnel" est exécutoire sans limitation de durée [9] , il s’impose sur presque tous les sujets essentiels à la vie des gens, et sa force juridique est supérieure à toutes nos normes nationales (règlements, lois, Constitution), et même à tous nos traités [10]
Ce texte n’est évidemment pas un simple traité comme ceux qui l’ont précédé. C’est une tromperie de le prétendre.
Avec le "traité constitutionnel", notre Constitution nationale devient un texte de rang inférieur au moindre règlement européen 10 et ne nous protège donc plus de rien dans tous les domaines où l’Europe prend le pouvoir, c’est-à -dire presque partout [11].
Pour l’entrée d’un nouvel État dans l’UE, la règle de l’unanimité est une protection, mais ce n’est pas l’unanimité des peuples consultés par référendum qui est requise : c’est d’abord l’unanimité des 25 représentants des gouvernements (dont beaucoup ne sont pas élus, et dont aucun ne l’est avec le mandat de décider sur ce point essentiel), puis l’unanimité des États selon leur procédure nationale de ratification [12] . Seuls les pays qui ont une procédure référendaire, et la France en fait partie, verront donc leur peuple directement consulté.
Tout indique que la volonté des peuples compte de moins en moins pour ceux qui les gouvernent.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Quatrième principe de droit constitutionnel :
une Constitution démocratique garantit contre l’arbi traire
en assurant à la fois la séparation des pouvoirs
et le contrôle des pouvoirs
L’esprit des lois décrit par Montesquieu est sans doute la meilleure idée de toute l’histoire de l’Humanité : tous les pouvoirs tendent naturellement, mécaniquement, à l’abus de pouvoir. Il est donc essentiel, pour protéger les humains contre la tyrannie, d’abord de séparer les pouvoirs, et ensuite d’organiser le contrôle des pouvoirs : pas de confusion des pouvoirs, et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs.
Ainsi le peuple dit : « Toi, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. » Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens de devenir un tyran.
« D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs. »
C’est ça, la meilleure idée du monde, la source profonde de notre quiétude quotidienne.
Foulant aux pieds ces principes fondateurs de la démocratie, le "traité constitutionnel" entérine au contraire l’attribution de tous les pouvoirs au couple exécutif Conseil des ministres + Commission : c’est ainsi que le pouvoir législatif (l’exécutif européen a l’exclusivité de l’initiative des lois ! [13] ), le pouvoir exécutif, et le pouvoir judiciaire (c’est l’exécutif qui intente, ou pas, les actions en justice aux fins de respect de la Constitution [14] ) sont dans les mêmes mains !
Avec la confusion des pouvoirs, c’est un premier rempart essentiel contre la tyrannie qui nous échappe !
Avec une certaine cohérence, ce texte prive aussi le Parlement européen des pouvoirs élémentaires et essentiels que lui confère pourtant traditionnellement son élection au suffrage universel direct : le parlement européen n’a pas l’initiative des lois.
Ceci est un vice rédhibitoire, absolument pas négociable. Si on laisse passer ça, on est fous.
Le Parlement européen n’a également aucun moyen sérieux de contrôler et d’infléchir la politique menée par l’exécutif. Dans le meilleur des cas, il légifère en codécision [15]. Il y a même une série de sujets qui lui échappent totalement ! [16]
Nombreux sont les "responsables" de l’exécutif européen, à commencer par les commissaires [17] , mais surtout le Conseil des ministres, qui créent des normes contraignantes et n’ont pourtant de comptes à rendre à personne au Parlement. Un pouvoir immense sans contre-pouvoirs.
Le Parlement européen ne peut pas mettre en cause un commissaire, il ne peut que révoquer en bloc la commission et seulement pour un usage pénal, pas pour sanctionner la politique de la commission, ce qui limite considérablement son influence. Le Parlement européen ne peut pas renverser le Conseil des Ministres qui est donc absolument irresponsable.
Exemple de la toute puissance des commissaires : le commissaire chargé du commerce international est le représentant unique de l’Union dans toutes les négociations internationales (OMC et autres). A lui seul, cet homme concentre donc un pouvoir vertigineux. C’est à ce titre qu’il négocie l’AGCS (Accord général sur les services, version mondiale de la directive Bolkestein) au nom de tous les européens, mais dans le plus grand secret : il ne rend aucun compte au Parlement des négociations qu’il mène sur un accord qui va pourtant profondément changer la vie de tous les européens, et le Parlement ne peut pas lui imposer de rendre des comptes [18] . On peut donc déjà observer des signes tangibles d’une dérive de type tyrannique. Et le "traité constitutionnel" verrouille pour longtemps un déséquilibre institutionnel qui le permet.
L’affaiblissement du contrôle parlementaire, c’est un deuxième rempart essentiel contre la tyrannie qui disparaît.
C’est ce que, depuis vingt ans, les manuels scolaires des étudiants en sciences politiques appellent pudiquement le "déficit démocratique" de l’UE. Un terme bien anodin pour désigner en fait une trahison des peuples, trop confiants en ceux qu’ils ont désignés pour les défendre.
Toutes les conversations des citoyens devraient analyser ce recul historique, ce cancer de la démocratie : dans les institutions européennes, le Parlement, seule instance porteuse de la souveraineté populaire par le jeu du suffrage universel direct, est privé à la fois de son pouvoir normatif et de son pouvoir de contrôle, pendant que la confusion des pouvoirs la plus dangereuse est réalisée dans les mains d’un exécutif largement irresponsable.
C’est la porte grande ouverte à l’arbitraire.
Comment les analystes et commentateurs peuvent-ils glisser là -dessus comme si c’était secondaire ? C’est l’Europe à tout prix ? N’importe quelle Europe ? Même non démocratique ?! On n’a pas le droit d’en parler sans être qualifié d’antieuropéen ?
On nous dit : « ce texte est meilleur qu’avant, il faudrait être idiot pour refuser de progresser ». C’est masquer qu’avec ce texte, on ne ferait pas que progresser : on figerait, on bloquerait, on entérinerait, on renforcerait, on donnerait pour la première fois une caution populaire aux auteurs du texte qui s’en sont dispensés jusque-là , on voit pour quel résultat.
Même mieux qu’avant, le texte proposé est absolument inacceptable, très dangereux.
Montesquieu doit se retourner dans sa tombe.
Les partisans du traité présentent comme une avancée majeure le fait que désormais, avec ce texte, le Parlement votera le budget [19]. Est-ce qu’on se rend compte de la gravité de la situation ? Aujourd’hui, le Parlement européen ne vote même pas le budget ! Il faut garder à l’esprit que, si le Parlement est faible, ce sont les citoyens qui sont faibles.
L’avancée (réelle) sur le budget est une manoeuvre qui ne doit pas masquer l’inacceptable faiblesse : si les citoyens valident eux-mêmes que leur Parlement n’ait définitivement pas l’initiative des lois, ils se font politiquement hara-kiri.
Triste paradoxe que ces peuples, mal informés, qui acceptent eux-mêmes le recul du contrôle parlementaire, c’est-à -dire du rempart fondamental qui les protège de l’injuste loi du plus fort.
Il deviendrait alors inutile, pour les citoyens, d’avoir une réflexion et une opinion politique dès lors que disparaîtrait la courroie de transmission du Parlement (la seule qui transforme nos opinions politiques individuelles en décisions et en normes juridiques générales).
Ceux qui claironnent la naissance d’un référendum d’initiative populaire à l’initiative d’un million de citoyens [20] sont des menteurs ou ne savent pas lire : le traité ne définit qu’un misérable droit de pétition sans aucune force contraignante pour la Commission qui n’est qu’invitée à réfléchir et qui peut parfaitement jeter la proposition à la poubelle sans se justifier [21].
De la même façon, les beaux principes généraux et généreux, claironnés partout, privés de leurs modalités pratiques d’application, n’ont pas de force contraignante et font ainsi illusion.
Partout, ce texte est en trompe-l’oeil pour masquer une maladie mortelle pour la démocratie : progressivement et subrepticement, en affirmant le contraire sans vergogne,les exécutifs nationaux, de droite comme de gauche, à l’occasion de la naissance de l’Europe, sont en train, en cinquante ans, de s’affranchir du contrôle parlementaire.
Les hommes politiques au pouvoir ne sont pourtant pas propriétaires de la souveraineté populaire qu’ils n’incarnent que temporairement : ni le gouvernement ni le parlement ne peuvent l’abdiquer (ou la confisquer) ; seul le peuple, lui-même, directement et en connaissance de cause, le peut.
De ce point de vue, les nombreux gouvernements qui ont fait ratifier ce texte par leur Parlement national [22] , plutôt que par leur peuple (référendum), signent une véritable forfaiture : les peuples de ces pays sont ainsi privés à la fois du débat et de l’expression directe qui leur aurait permis de résister au recul du contrôle parlementaire qui les expose immanquablement aux tyrans à venir.
C’est une juste cause d’émeute [23] .
Ce mépris des peuples et de leurs choix réels est très révélateur du danger qui grandit dans la plus grande discrétion : nos élites, de droite comme de gauche, se méfient de la démocratie et nous en privent délibérément, progressivement et insidieusement.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Cinquième principe de droit constitutionnel :
une Constitution démocratique est forcément établie par une assemblée indépendante des pouvoirs en place
Une Constitution n’est pas octroyée au peuple par les puissants. Elle est définie par le peuple lui-même, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants.
A l’inverse, les institutions européennes ont été écrites (depuis cinquante ans) par les hommes politiques au pouvoir qui sont donc évidemment juges et parties : de droite comme de gauche, en fixant eux-mêmes les contraintes qui allaient les gêner tous les jours, ces responsables ont été conduits, c’est humain mais c’est aussi prévisible, à une dangereuse partialité.
C’est, là encore, un cas unique au monde, pour une démocratie.
Et on observe les résultats comme une caricature de ce qu’il faut éviter : un exécutif tout puissant et un Parlement fantoche, une apparence de démocratie avec des trompe-l’oeil partout, mais un recul réel et profond du contrôle parlementaire, de la souveraineté des peuples et de la garantie contre l’arbitraire.
La seule voie crédible pour créer un texte fondamental équilibré et protecteur est une assemblée constituante, indépendante des pouvoirs en place, élue pour élaborer une Constitution, rien que pour ça, et révoquée après.
C’est aux citoyens d’imposer cette procédure si les responsables politiques tentent de s’en affranchir.
La composition assez variée de la Convention Giscard n’est pas un argument satisfaisant : cette convention est une mauvaise parodie, on est à mille lieues d’une assemblée Constituante : ses membres n’ont pas été élus avec ce mandat, ses membres n’étaient pas tous indépendants des pouvoirs en place, ils n’avaient pas les pouvoirs pour écrire un texte équilibré et démocratique : ils ont simplement validé, compilé (et légèrement modifié) les textes antérieurs écrits par des acteurs à la fois partisans et partiaux.
La réécriture du texte par les gouvernants au pouvoir, pendant encore une année après que la Convention ait rendu sa proposition, est une énormité de plus, sous l’angle constitutionnel [24].
Tous les vices antidémocratiques du "traité constitutionnel" viennent sans doute de cette erreur centrale, commise depuis l’origine, sur la source du droit fondamental, qui ne peut être qu’une assemblée constituante indépendante, élue sur ce seul mandat.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
Conclusion
Finalement, ce "traité constitutionnel" est un détonateur, un révélateur, qui met en lumière ce qui se trame discrètement depuis longtemps.
D’une certaine façon, le loup est sorti du bois et les citoyens peuvent enfin voir le grand danger, et résister.
Une des erreurs majeures, c’est de faire passer l’économique avant le politique, c’est de confier la barre aux économistes alors qu’ils devraient rester dans les soutes pour faire tourner le moteur.
En prônant la liberté comme une valeur supérieure, au lieu de la fraternité, en détruisant la régulation par l’État, gardien de l’intérêt général, pour instaurer la régulation par le marché, somme d’intérêts particuliers, les économistes libéraux s’en prennent aux fondements de la démocratie pour affranchir les principaux décideurs économiques de tout contrôle.
La dérégulation systématique menée en Europe (institutions, politique et verrou de la Constitution), et plus généralement sur la terre entière (OMC, AGCS, ADPIC) est un recul de la civilisation, un retour vers la barbarie de la loi du plus fort [25] .
Par optimisme, par crédulité, par indifférence, les peuples modernes laissent s’affaiblir leur bien le plus précieux, très rare sur cette planète, celui qui conditionne leur sérénité quotidienne : les différentes protections contre l’arbitraire des hommes forts, depuis le coeur des entreprises (droits sociaux) jusqu’à la patrie (institutions démocratiques contrôlées et révocables).
La démocratie n’est pas éternelle, elle est même extrêmement fragile. En la croyant invulnérable, nous sommes en train de la laisser perdre.
Même après le refus de ce texte-là , il faudra se battre pour la garder, et continuer à militer pour imposer à nos représentants de construire une autre Europe, simplement démocratique.
Mais ce texte fondateur en trompe-l’oeil est présenté aux citoyens à travers un débat lui aussi en trompe-l’oeil [26]
De nombreux journalistes, en assimilant les opposants au texte à des opposants à l’Europe, font un amalgame malhonnête : la double égalité "Oui au traité=Oui à l’Europe, Non au traité=Non à l’Europe" est un mensonge insultant, une inversion de la réalité, un slogan trompeur jamais démontré fait pour séduire ceux qui n’ont pas lu le traité et qui n’ont pas étudié les arguments, pourtant très forts, de ceux qui s’opposent à ce traité précisément pour protéger la perspective d’une Europe démocratique.
La responsabilité des journalistes est ici historique : n’y aura-t-il en France aucun journaliste honnête pour faire écho de façon équitable aux deux positions proeuropéennes, oui et non ?
N’y aura-t-il en France aucun journal, aucune émission, pour organiser les débats contradictoires indispensables pour se forger une opinion éclairée ?
C’est, pour l’instant, l’Internet qui est le média le plus démocratique, non censuré, le meilleur outil pour résister. Si ce message vous semble utile, diffusez-le vite dans vos propres réseaux et au-delà de l’Internet, sur papier.
On ne naît pas citoyen : on le devient.
N’est-ce pas une mission des professeurs de droit, mais aussi des journalistes, de l’expliquer aux citoyens, jeunes et vieux ?
A l’heure de choix aussi essentiels, difficiles et dangereux que ceux qui fondent une Constitution, à quoi servent donc les journalistes ?
A quoi servent les professeurs de droit ?
Étienne Chouard, Marseille.
http://etienne.chouard.free.fr/Europe
Post scriptum (3 avril 2005) :
Ce texte a eu un succès inattendu et a suscité des milliers de réactions. Des centaines de messages me sont parvenus en quelques heures, presque toujours enthousiastes, parfois critiques, ce qui m’a permis de progresser. Certaines questions, des doutes aussi, reviennent dans les messages et je voudrais ici, d’un mot, y répondre pour anticiper les prochaines.
Je suis professeur de droit, d’économie et d’informatique, en BTS, dans un lycée de Marseille, j’ai 48 ans, quatre enfants, je n’appartiens à aucun parti, syndicat ou association. Dans ma vie, j’ai fait beaucoup plus de parapente que de politique où je suis vierge, (un débutant absolu qui s’est "réveillé" il y a six mois), et où je ne ferai pas de vieux os (le vol libre est une drogue dure qui me rappellera vite à elle).
Je ne suis donc le "sous-marin" de personne (question marrante reçue récemment). Je suis un simple citoyen,"de base"... :o)
J’ai reçu des propositions de publication sur des sites ou dans des revues que j’ai acceptées sans contrôler que la CIA ou le KGB n’agisse en sous-main. De nombreux sites ont déjà publié des liens vers ce texte, parfois sans m’en parler, et ils font bien.
Je voudrais anticiper sur les probables calomnies à venir, à base d’étiquetage politique hâtif en vue d’un discrédit facile. Je ne suis pas un homme politique, je n’aspire pas à le devenir, je ne prétends pas non plus être juriste pour imposer mon point de vue de façon prétentieuse mais pour expliquer ma démarche, d’ailleurs je ne suis pas vraiment juriste, j’ai surtout une formation de juriste, ce n’est pas important : je voudrais que le débat reste concentré sur le fond des problèmes sans dériver sur de stériles et parfois malveillantes querelles de personne ou procès d’intention dont les commentateurs politiques ont le secret.
S’il vous plaît, fiez-vous surtout aux idées et arguments, abordez le débat comme si votre interlocuteur était de bonne foi, sans noires arrière-pensées, et ne vous laissez pas polluer l’analyse par des considérations parasites.
Ce débat important appartient au commun des mortels, c’est la beauté de la démocratie, ne le laissez pas confisquer par de soi-disant experts. Lisez, réfléchissez et prenez la parole sans complexes :o)
Ne me reprochez pas les erreurs éventuelles comme si j’étais malhonnête : elles sont prévisibles, prévues, et pas du tout définitives si on recherche sincèrement à identifier les vrais enjeux de ce traité : admettez que la tâche est rude avec ce texte complexe et sibyllin, et qu’on est beaucoup plus forts à plusieurs pour affiner une critique qui deviendra (peut-être) finalement irréfutable.
Enfin, vous avez compris que ce texte évolue, s’améliore, au gré de vos contributions, il est donc daté. Pour le faire circuler, envoyez donc de préférence un lien vers le site, plutôt qu’un document pdf figé, pour être sûr que ce soit la version la plus récente qui circule.
Merci à tous pour votre aide et votre soutien :o)
ÉC
BIBLIOGRAPHIE
Parmi les livres et articles que j’ai lu depuis six mois, tous profondément proeuropéens, certains aident particulièrement à se forger une opinion construite et solidement argumentée contre ce texte dangereux, et plus généralement sur la construction européenne et la dérégulation mondiale :
. Raoul Marc Jennar, « Europe, la trahison des élites », 280 pages, décembre 2004, Fayard : pour un réquisitoire rigoureux et passionnant. Une étude consternante des rouages européens et des dérives foncièrement antidémocratiques de cette Europe qui ment tout le temps. Comment la défense des intérêts privés des grands groupes a d’ores et déjà pris la place de celle de l’intérêt général. Les chapitres sur l’OMC, l’AGCS et l’ADPIC sont absolument é-di-fiants. Un livre essentiel, à lire d’urgence.
. Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, a écrit dans le Monde, le 11 mars 2005, un article très puissant qui résume parfaitement l’essentiel de l’essentiel : « Qui veut de la post-démocratie ? » : www.lemonde.fr/web/.
Un article court (une page) et très dense : important, percutant, à lire absolument.
. Raoul Marc Jennar, « Quand l’Union Européenne tue l’Europe », 40 pages, janvier 2005 : brochure résumant un argumentaire serré contre le "traité constitutionnel". Également un DVD où Jennar présente lui-même, de façon pédagogique, très posée, trois exposés sur l’AGCS, la directive Bolkestein et le traité constitutionnel. On y sent très fortement la terrifiante cohérence qui relie ces textes. Documents importants disponibles sur www.urfig.org.
. Jean-Claude Fitoussi, économiste, « La politique de l’impuissance », 160 pages, janvier 2005, Arléa : un passionnant petit livre d’entretiens avec Jean-Claude Guillebaud pour comprendre comment l’Europe abandonne sciemment la démocratie et renonce à l’intervention économique des États.
. Jacques Généreux, économiste, « Manuel critique du parfait européen - Les bonnes raisons de dire "non" à la constitution », 165 pages, février 2005, Seuil : encore un excellent petit livre, très clair, vivant, incisif, très argumenté, avec une tonalité à la fois économique et très humaine.
Encore un enthousiasmant plaidoyer pour une vraie Europe !
. Yves Salesse, membre du Conseil d’État, « Manifeste pour une autre Europe », 120 page, janvier 2005, Le Félin : un argumentaire précis, rigoureux, constructif. Agréable à lire et très instructif.
. Yves Salesse a également rédigé, lui aussi, un article plus court qui résume en 10 pages son analyse : « Dire non à la "constitution" européenne pour construire l’Europe » :
www.fondation-copernic.org
. Ces temps-ci, une source majeure d’information non censurée, très orientée politiquement (à gauche), mais absolument foisonnante, est le site portail www.rezo.net J’y trouve chaque jour au moins un document passionnant.
. Bernard Maris « Ah Dieu ! Que la guerre économique est jolie », novembre 1999, Albin Michel : pour une démonstration de l’imposture de "l’indispensable guerre économique", avec un parallèle très convaincant avec la guerre de 1914 : comme d’habitude, la guerre n’est pas inévitable, et ceux qui poussent à faire la guerre ne sont pas ceux qui se battent et qui souffrent. Un bel appel à la désertion.
A mettre en parallèle avec la religion de la concurrence (compétition) sans entrave, rabachée par le "traité constitutionnel" qui, finalement, monte les États et les peuples les uns contre les autres, à coups de dumping social, fiscal, et environnemental.
. Joseph E. Stiglitz, « La grande désillusion », 324 pages, sept. 2003, Fayard : un pavé dans la mare : un grand économiste libéral, patron de la banque mondiale, qui a travaillé avec les plus grands hommes de ce monde, et qui décrit en détail le dogmatisme aveugle et criminel des technocrates libéraux du FMI et ses conséquences sur les économies et les peuples. Un style soigné, 0% de matière grasse. Un grand bouquin, une référence. A lire.
Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides, « OMC, le pouvoir invisible », 325 pages, juillet 2003, Fayard : un livre palpitant et éclairant pour comprendre les objectifs et les moyens de cette énorme machine à déréguler que sont le GATT puis l’OMC, outils de contrainte pour les États mais jamais pour les entreprises. Ce livre permet de ressentir fortement la parfaite cohérence qui existe entre les objectifs et les influences de l’OMC et ceux de la construction européenne actuelle.
. Pour comprendre la logique d’ensemble de ce qui prend forme au niveau planétaire, il faut lire l’article à la fois terrifiant et lumineux de Lori M. Wallach, « Le nouveau manifeste du capitalisme mondial », dans Le Monde Diplomatique de février 1998, à propos de l’Accord Multilatéral sur l’investissement (AMI), (une de ces « décisions Dracula », appelées ainsi parce qu’elles ne supportent pas la lumière, tellement elles sont évidemment inacceptables) : www.monde-diplomatique.fr.
On y perçoit clairement, comme grâce à une caricature, la logique qui sous-tend de nombreux textes et accords essentiels en préparation aujourd’hui : AGCS, Construction européenne libérale, OMC, ADPIC, directive Bolkestein, etc. La parenté de tous ces textes devient évidente : un redoutable « air de famille ».
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– Du même auteur :
Traité constitutionnel : lettre ouverte aux journalistes.
Constitution ou traité ? Progrès ou pas ?
François Hollande n’ a strictement rien à faire de la Constitution Européenne ... « si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter NON, comme pour De Gaulle en 69 »... 26 mai 2005
"Si la Constitution Européenne échoue, les Etats-Unis ne se réjouiront pas"
Dix bonnes raisons de voter NON... par A-J Holbecq.
Constitution : Quand un « Non de gauche » écrit au « Oui de gauche »...
Témoignage d’un revenu du Oui - arguments inédits en faveur du Non, par Thibaud de La Hosseraye.
L’Europe malTRAITEe : une vidéo en ligne. A voir absolument.