3

Une actualité contrastée, une culpabilité inavouée

Le 20 mars 1995, un attentat au gaz sarin dans le métro de Tōkyō faisait douze morts et plus de cinq mille cinq cents blessés, un acte terroriste perpétré par des membres de la secte Aum Shinrikyō, fondée et dirigée par le gourou Shoko Asahara. Condamnés à mort en 2004 pour leur implication dans cet attentat, Shoko Asahara et six de ses complices viennent d’être pendus le 5 juillet 2018.

Terrorisme et millénarisme bouddhistes

La secte avait fabriqué et stocké d’énormes quantités de gaz sarin, qui fort heureusement n’avaient pas été utilisées, mais qui étaient suffisantes pour tuer des milliers de gens. À Kamikuishiki, au pied du Fujiama, où la secte avait son quartier général, la police trouva de grandes quantités d’explosifs, du matériel pour armes biologiques (anthrax et cultures d’Ebola), un hélicoptère MIL Mi-17 russe, des laboratoires de fabrication de drogues (LSD, méta-amphétamines), de l’or et des millions de dollars en billets ainsi que des geôles dans lesquelles des gens étaient incarcérés. Au cours des semaines suivantes, plus de 150 membres d’Aum Shinrikyō furent arrêtés.

Ce même 5 juillet 2018, pendant que les terroristes bouddhistes rendaient leur dernier soupir dans une prison japonaise, au Ladakh, à quelque 5 500 km du Japon, le dalaï-lama poursuivait imperturbablement ses bains de foule à l’occasion de son 83e anniversaire.

Responsabilité morale, culpabilité, repentir ?

On aurait aimé que le « Maître de la Compassion » fasse au moins allusion – à défaut de confiteor – aux crimes et au sort du gourou déchu. N’avait-il pas mis en ce gourou son espoir d’une renaissance du « vrai » bouddhisme au Japon et ne s’était-il pas fait photographier main dans la main avec Asahara ? N’avait-il pas délivré personnellement, en date du 26 mai 1989, une lettre de recommandation à Shoko Asahara qu’il félicitait particulièrement pour ses dons généreux « à notre communauté bouddhiste en exil » ?

Le gourou terroriste comptait en effet parmi les disciples favoris de Sa Sainteté. Avant de perpétrer l’attentat dans le métro de Tokyo, il avait rencontré à plusieurs reprises des bouddhistes tibétains de haut rang, tels que le dalaï-lama en personne, le « maître » Kagyupa Kalou Rinpoché et l’ancien Secrétaire général du « Conseil des affaires culturelles et religieuses » du « gouvernement tibétain » en exil, Khamtrul Jamyang Dondrup Rinpoche.

Dans une lettre datant du 25 mai 1989, ce « Conseil pour les affaires religieuses et culturelles de « Sa Sainteté le dalaï-lama » attesta que le « Maître Sahara » était un « gourou religieux » compétent et que son organisation dispensait « des enseignements bouddhistes » dans l’intention de rétablir « la vraie doctrine du Dharma au Japon » suivant les « précieuses traditions vivantes du bouddhisme Mahayana ». Par conséquent, le « Conseil des affaires religieuses et culturelles de Sa Sainteté » demanda au Gouvernement japonais d’accorder à la secte une « reconnaissance méritée » et l’exemption d’impôts. Signé : Kalman Yeshi, Secrétaire général.

Activités criminelles sous couvert de la religion

L’attentat du métro de Tokyo n’avait pas surgi du néant. Les activités criminelles de la secte Aum remontaient à plusieurs années. Comme elles se passaient sous le couvert d’activités religieuses, elles demeurèrent longtemps méconnues. Ainsi, à peine quelques mois après la visite d’Asahara au dalaï-lama, en novembre 1989, un avocat nommé Tsutsumi Sakamoto et sa famille disparurent à Yokohama au Japon sans laisser de traces. L’homme était en train d’intenter une action en justice contre la secte. C’est seulement en 1995 qu’il s’est avéré que toute la famille, père, mère et enfant, avaient été assassinés par des membres de la secte et leurs cadavres éliminés.

En 1992, un complice d’Asahara du nom de Kiyohide Hayakawa avait en vain tenté d’effectuer en Russie des achats de matériel pour la construction d’une bombe nucléaire. En 1993, la secte avait commencé à produire des gaz neurotoxiques et employa du gaz Sarin et du gaz VX pour plusieurs meurtres et tentatives de meurtre. À Matsumoto, au Japon, eut lieu le 27 juin 1994 la première attaque terroriste au monde perpétrée avec des armes chimiques. Elle fit sept morts et 200 blessés.

Peu de temps avant l’attentat de Tokyo, en février 1995, des membres d’Aum Shinrikyō enlevèrent et assassinèrent Kiyoshi Kariya, le frère d’une femme qui avait quitté la secte. Il avait probablement refusé de donner le lieu de résidence de sa sœur.

Selon l’article sur Wikipédia, Aum Shinrikyō est une secte « d’inspiration principalement bouddhiste » avec quelques « emprunts à l’hindouisme, à l’apocalyptique chrétien et au New Age ». L’article omet de mentionner que dans le bouddhisme tibétain aussi il existe une prophétie qui prédit une apocalypse sous forme d’une grande guerre qui débouchera sur un « Royaume millénaire » bouddhiste, c’est-à-dire la domination mondiale d’un royaume mythique appelé Shambala.

Selon le bouddhiste français Fabrice Midal, « le roi de Shambhala établira son pouvoir sur toutes les nations » à l’issue « d’une guerre interplanétaire (sic) », inaugurant par là une ère « de prospérité spirituelle » (Midal, Mythes et dieux tibétains, p. 79). Thubten Jigme Norbu, le frère aîné du dalaï-lama explique le mythe de Shambala comme ceci : « Nos écrits anciens nous parlent d’un pays au nord, la terre de Shambala, où aura lieu la bataille décisive finale entre forces religieuses et athées. »

Est-ce que Shoko Asahara, se prenant pour un guerrier (ou même le roi) de Shambala, voulait écrire le premier chapitre de cette guerre apocalyptique entre le Bien et le Mal (l’athéisme et les mécréants) ? On a bien des raisons de le penser.

Print Friendly and PDF

COMMENTAIRES  

12/07/2018 11:18 par Vagabond

La prédiction de la guerre apocalyptique n’est pas seulement du fait des bouddhistes. Elle existe dans les religions bibliques.
Et les scientifiques la prédisent aussi, ce qui en fait des films catastrophes que les peuples adorent regarder pour se faire peur et rentrer chez eux se peloter dans leur confort douillet.
Je ne suis pas fan du Dalaï laama mais il a pu se tromper. Et qu’attendez-vous d’un vieillard de cet âge ?

13/07/2018 12:47 par Albert Ettinger

Vagabond,
en effet, le mot même d’apocalypse provient de l’ « Apocalypse de Saint Jean » et donc des « Saintes écritures » chrétiennes. On ne peut que difficilement critiquer le millénarisme bouddhiste et le bouddhisme tibétain en général à partir d’une position chrétienne. Les parallèles et les similitudes entre celui-ci et l’Église catholique sont d’ailleurs frappants et ont été relevés par nombre d’auteurs compétents (et même par le dalaï-lama, dans son autobiographie Au loin la liberté).
Et oui, il y a eu d’autres sectes meurtrières, souvent d’inspiration chrétienne, dans l’histoire récente. On n’a qu’à penser à celle du pasteur Jim Jones qui finit par causer près d’un millier de morts au Guyana en 1978.
Je ne vous suis plus quand vous affirmez, parlant d’une guerre apocalyptique, que « les scientifiques la prédisent aussi ». Les scientifiques ne font pas de « prédictions », à ce que je sache. Ils émettent plutôt des hypothèses qu’on peut soumettre au test de la réalité pour les confirmer ou les infirmer. Ce qui ne peut être vérifié de cette manière appartient au domaine de la spéculation et non pas à celui de la science exacte. J’espère surtout ne rien vous apprendre en soulignant que les attaques de martiens et autres « Guerres des Étoiles » hollywoodiennes n’ont de rapport avec aucune science (excepté la psychologie et le marketing).
Le dalaï-lama « a pu se tromper », écrivez-vous. Sans doute. Tout le monde peut se tromper, n’est-ce pas ? Pourtant, ce constat a un tout autre poids quand il concerne le Pape où le dalaï-lama qui sont tout, sauf des gens ordinaires. L’infaillibilité du Pape est un dogme de l’Église catholique. Les dalaï-lamas aussi prétendent être infaillibles et même omniscients. Ainsi, la proclamation du 13e dalaï-lama que les adeptes de sa 14e réincarnation considèrent comme la « déclaration d’indépendance du Tibet » commence par ces mots : « Moi, le dalaï-lama, le plus omniscient détenteur de la foi bouddhiste ».
« Qu’attendez-vous d’un vieillard de cet âge ? », demandez-vous. Eh bien, il n’avait pas cet âge à la fin des années 1980 quand il patronna Shoko Asahari et sa secte d’assassins. Et quel âge avait-il quand il se liait d’amitié avec des gens aussi peu recommandables que les SS Harrer, Schäfer et Beger ou le néonazi Miguel Serrano, quand il fréquentait le criminel de guerre George W. Bush, etc. ?

13/07/2018 14:48 par Vagabond

On peut faire des prédictions en sciences. On peut utiliser la modélisation pour le faire. Je parle surtout des risques de catastrophes écologiques qu’on essaie de nous cacher avec un tamis.
Il ne faut pas négliger l’intuition dans les sciences, non plus.

(Commentaires désactivés)
 Twitter        
« Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »
© CopyLeft : Diffusion du contenu autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
 Contact |   Faire un don