Terrorisme et millénarisme bouddhistes
La secte avait fabriqué et stocké d’énormes quantités de gaz sarin, qui fort heureusement n’avaient pas été utilisées, mais qui étaient suffisantes pour tuer des milliers de gens. À Kamikuishiki, au pied du Fujiama, où la secte avait son quartier général, la police trouva de grandes quantités d’explosifs, du matériel pour armes biologiques (anthrax et cultures d’Ebola), un hélicoptère MIL Mi-17 russe, des laboratoires de fabrication de drogues (LSD, méta-amphétamines), de l’or et des millions de dollars en billets ainsi que des geôles dans lesquelles des gens étaient incarcérés. Au cours des semaines suivantes, plus de 150 membres d’Aum Shinrikyō furent arrêtés.
Ce même 5 juillet 2018, pendant que les terroristes bouddhistes rendaient leur dernier soupir dans une prison japonaise, au Ladakh, à quelque 5 500 km du Japon, le dalaï-lama poursuivait imperturbablement ses bains de foule à l’occasion de son 83e anniversaire.
Responsabilité morale, culpabilité, repentir ?
On aurait aimé que le « Maître de la Compassion » fasse au moins allusion – à défaut de confiteor – aux crimes et au sort du gourou déchu. N’avait-il pas mis en ce gourou son espoir d’une renaissance du « vrai » bouddhisme au Japon et ne s’était-il pas fait photographier main dans la main avec Asahara ? N’avait-il pas délivré personnellement, en date du 26 mai 1989, une lettre de recommandation à Shoko Asahara qu’il félicitait particulièrement pour ses dons généreux « à notre communauté bouddhiste en exil » ?
Le gourou terroriste comptait en effet parmi les disciples favoris de Sa Sainteté. Avant de perpétrer l’attentat dans le métro de Tokyo, il avait rencontré à plusieurs reprises des bouddhistes tibétains de haut rang, tels que le dalaï-lama en personne, le « maître » Kagyupa Kalou Rinpoché et l’ancien Secrétaire général du « Conseil des affaires culturelles et religieuses » du « gouvernement tibétain » en exil, Khamtrul Jamyang Dondrup Rinpoche.
Dans une lettre datant du 25 mai 1989, ce « Conseil pour les affaires religieuses et culturelles de « Sa Sainteté le dalaï-lama » attesta que le « Maître Sahara » était un « gourou religieux » compétent et que son organisation dispensait « des enseignements bouddhistes » dans l’intention de rétablir « la vraie doctrine du Dharma au Japon » suivant les « précieuses traditions vivantes du bouddhisme Mahayana ». Par conséquent, le « Conseil des affaires religieuses et culturelles de Sa Sainteté » demanda au Gouvernement japonais d’accorder à la secte une « reconnaissance méritée » et l’exemption d’impôts. Signé : Kalman Yeshi, Secrétaire général.
Activités criminelles sous couvert de la religion
L’attentat du métro de Tokyo n’avait pas surgi du néant. Les activités criminelles de la secte Aum remontaient à plusieurs années. Comme elles se passaient sous le couvert d’activités religieuses, elles demeurèrent longtemps méconnues. Ainsi, à peine quelques mois après la visite d’Asahara au dalaï-lama, en novembre 1989, un avocat nommé Tsutsumi Sakamoto et sa famille disparurent à Yokohama au Japon sans laisser de traces. L’homme était en train d’intenter une action en justice contre la secte. C’est seulement en 1995 qu’il s’est avéré que toute la famille, père, mère et enfant, avaient été assassinés par des membres de la secte et leurs cadavres éliminés.
En 1992, un complice d’Asahara du nom de Kiyohide Hayakawa avait en vain tenté d’effectuer en Russie des achats de matériel pour la construction d’une bombe nucléaire. En 1993, la secte avait commencé à produire des gaz neurotoxiques et employa du gaz Sarin et du gaz VX pour plusieurs meurtres et tentatives de meurtre. À Matsumoto, au Japon, eut lieu le 27 juin 1994 la première attaque terroriste au monde perpétrée avec des armes chimiques. Elle fit sept morts et 200 blessés.
Peu de temps avant l’attentat de Tokyo, en février 1995, des membres d’Aum Shinrikyō enlevèrent et assassinèrent Kiyoshi Kariya, le frère d’une femme qui avait quitté la secte. Il avait probablement refusé de donner le lieu de résidence de sa sœur.
Selon l’article sur Wikipédia, Aum Shinrikyō est une secte « d’inspiration principalement bouddhiste » avec quelques « emprunts à l’hindouisme, à l’apocalyptique chrétien et au New Age ». L’article omet de mentionner que dans le bouddhisme tibétain aussi il existe une prophétie qui prédit une apocalypse sous forme d’une grande guerre qui débouchera sur un « Royaume millénaire » bouddhiste, c’est-à-dire la domination mondiale d’un royaume mythique appelé Shambala.
Selon le bouddhiste français Fabrice Midal, « le roi de Shambhala établira son pouvoir sur toutes les nations » à l’issue « d’une guerre interplanétaire (sic) », inaugurant par là une ère « de prospérité spirituelle » (Midal, Mythes et dieux tibétains, p. 79). Thubten Jigme Norbu, le frère aîné du dalaï-lama explique le mythe de Shambala comme ceci : « Nos écrits anciens nous parlent d’un pays au nord, la terre de Shambala, où aura lieu la bataille décisive finale entre forces religieuses et athées. »
Est-ce que Shoko Asahara, se prenant pour un guerrier (ou même le roi) de Shambala, voulait écrire le premier chapitre de cette guerre apocalyptique entre le Bien et le Mal (l’athéisme et les mécréants) ? On a bien des raisons de le penser.