Les efforts du mouvement vert, comme on appelle les militants anti-gouvernementaux, pour imiter les révoltes du monde arabe, ne parviennent pas à ébranler les autorités iraniennes et encore moins à les renverser. Toute la semaine dernière le centre de Téhéran a été calme et l’impact des manifestations a été négligeable.
"Le régime est devenu en expert pour évaluer la dose exacte de force nécessaire pour faire peur aux gens sans créer de martyrs" se lamentait un critique du gouvernement. "Les Verts ont montré qu’ils pouvaient encore mobiliser des supporters pour leur première grande manifestation en un an qui a eu lieu le 14 février, mais depuis de moins en moins de personnes manifestent dans la rue."
Le gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad, après que trois millions de personnes aient manifesté contre son élection entachée de soupçons de fraude en 2009, a su jouer ses cartes avec adresse. Ses officiels disent que les leaders du mouvement Vert, Mirhossein Mousavi et Mehdi Karroubi, les candidats vaincus aux élections, sont assignés à résidence. Ils ne peuvent pas communiquer avec l’extérieur et leurs familles ne sont pas autorisées a les voir. Le gouvernement souligne qu’ils ne sont pas en prison afin d’éviter des manifestations d’envergure.
Etant donné que le système islamique actuel de gouvernement est le résultat des manifestations de 1978-79, il n’y a rien d’étonnant à qu’il soit particulièrement attentif à ce que personne d’autre n’emprunte la même route qu’eux vers le pouvoir.
De plus, les soulèvements du monde arabe ont grandement renforcé l’Iran car ils ont mis à mal le siège économique et politique que les USA avaient réussi à imposer à Téhéran ces dernières années. Des leaders hostiles d’états arabes sunnites, proches alliés des USA comme le président Hosni Mubarak qui voyait toujours un musulman iranien ou shiite derrière chaque nouveau développement, ont soit perdu le pouvoir soit se demandent combien de temps ils vont encore réussir à le garder. Le roi Abdullah d’Arabie Saoudite et d’autres dirigeants d’états du golfe, qui, si l’on en croit les câbles diplomatiques de Wikileaks, ont discrètement incité les USA à attaquer l’Iran, ont maintenant des problèmes plus urgents à résoudre.
Les sanctions décrétées contre l’Iran n’ont jamais été aussi suffocantes que celles qui avaient été imposées à l’Irak après son invasion du Koweit en 1990, mais elles causent quand même des dégâts. Faire sortir et rentrer de l’argent du pays est devenu un problème. Une étudiante étrangère s’est plainte de ce qu’il lui avait fallu des semaines pour réussir à se faire virer quelques centaines de dollars à Téhéran. Les commerçants qui vendent des produits de luxe comme les tapis et le caviar sont d’autres victimes de l’embargo que les USA ont réactivé l’année dernière. Par contre, la crise a provoqué l’augmentation des revenus du pétrole qui se sont élevés à 80 milliards l’année dernière.
Ce qui est plus grave, c’est que l’Iran souffre d’un déficit d’essence car il n’est plus autorisé à en importer à cause des sanctions. Le gouvernement a limité la quantité d’essence que les propriétaires de voitures peuvent acheter au prix subventionné. Il a aussi transformé des usines pétrochimiques pour qu’elles produisent de l’essence en affirmant que l’Iran pouvait se suffire à lui-même. Mais l’essence produite est de mauvaise qualité et hautement toxique ce qui condamne les 15 millions d’habitants de Téhéran à vivre dans une des endroits les plus pollués de la planète. Certains jours, ces temps-ci, on ne pouvait presque plus voir les sommets enneigés qui surplombent le nord de la ville.
Ce que les Iraniens on vécu, au cours des quelques dizaines d’années dernières, diffère presque en tout de ce qu’a vécu la plus grande partie du monde arabe. Les "révolutions" en Libye, Egypte, Syrie et Irak dans les années 1950-60, ont été des coups militaires même si elles ont obtenu ici ou là le soutien du peuple. L’Iran au contraire a vécu une véritable révolution suivie par la longue guerre de huit ans avec l’Irak, ce qui explique que la politique iranienne soit conduite avec toute la haine et l’amertume d’un conflit armé.
Le président Ahmadinejad, dont la carrière personnelle a été modelée par son expérience en tant que Garde du Corps Révolutionnaire Iranien (IRGC) voit ses opposant électoraux comme des traîtres potentiels qui complotent contre la république islamique. Il a sur les autres dirigeants arabes, l’avantage d’avoir, autour de lui et de son gouvernement, un noyau de militants qui le soutiennent, même si les vote qui l’a porté au pouvoir en 2009 a peut-être été truqué. De plus, ce soutien est organisé par des institutions paraétatiques comme les mosquées, le IRGC et la milice Basij dont tout le monde a très peur.
En Iran, les disparités religieuses et politiques sont des disparités de classe. Les supporters des verts de Téhéran reconnaissent qu’ils ne se sont jamais intéressés aux pauvres de la ville ou de la campagne à la différence des manifestants égyptiens et tunisiens. Cela ne signifie pas que les pauvres ne votent jamais pour les réformateurs, -mais les militants réformateurs appartiennent plutôt aux classes moyennes et éduquées.
Un professeur de l’université de Téhéran a décrit comment, pendant la manifestation du 14 février 2011, les étudiants appartenant au Basij ont essayé d’empêcher des camarades de se joindre à la manifestation des Verts. Selon lui : "Les Basij sont soutenus par 10% des étudiants de l’université mais au dehors 40% des gens les soutiennent quand ce n’est pas la majorité."
La répression a des chances d’empêcher la participation aux manifestations même s’il est clair qu’il existe un noyau de militants courageux qui sont prêts à prendre de gros risques. Mais les posts de l’opposition sur YouTube montrent surtout la police et les Basij et sur les images les plus impressionnantes on voit des jeunes manifestants en manche de chemises et sans manteaux, ce qui est peu compatible avec le froid qu’il fait à Téhéran en ce moment. Il semble que ces images remontent aux manifestations de masse de l’été 2009.
Le gouvernement accompagne la répression contre les manifestations de rue d’un contrôle étroit des médias iraniennes et étrangères. Le monde florissant de la presse réformiste a disparu. Les émissions des télévisions étrangères en farsi (persan) ont été interrompues. Sur Internet beaucoup de sites sont inaccessibles. La plupart des journalistes étrangers sont interdits d’accès en Iran et les correspondants iraniens de la presse étrangère sont sous étroite surveillance. La censure n’est pas absolue mais il y a peu de chance de voir ici se nouer une alliance entre les manifestants et la presse comme cela s’est produit dans les soulèvements arabes.
Une grande partie des militants, qui avaient soutenu le mouvement réformiste en 2009, sont maintenant partis à l’étranger. Les sites d’opposition du Web postent des nouvelles des manifestations, des arrestations et des emprisonnements. Mais le régime semble avoir surmonté avec succès la réaction furieuse de 2009 à l’élection présidentielle que tant d’Iranien considéraient comme frauduleuse.
Une des raisons du succès des protestations de l’époque était que le clergé et l’establishment iranien étaient divisés. Des personnalités influentes au sein du pouvoir, comme Ali Akbar Hashemi Rafsanjani qui a été si souvent accusé de corruption, soutenaient les opposants à M. Armadinejad. Aujourd’hui ces personnalités de l’establishment ont été forcées de rompre avec les Verts pour pouvoir garder leur place au sein des élites dirigeantes.
Des diplomates étasuniens, pleins d’espoir, font courir le bruit que le succès des soulèvements populaires largement séculaires du monde arabe est le signe que la révolution islamique d’Iran est dépassée. Pourtant les leaders iraniens, eux, se réjouissent que le paysage politique du Moyen Orient se soit si inopinément et si dramatiquement modifié en leur faveur.
Patrick Cockburn est l’auteur de "Muqtada : Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq"
Pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/patrick03152011.html
Traduction : D. Muselet