RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Turquie : Les projets écocides du capitalisme face à la résistance de la société


Note liminaire du traducteur

Seulement 217 km en ligne droite séparent Ierissos d’Halkidiki de la ville de Canakkale, en pays homérique Troye, en Turquie, alors que 660 et 737 km séparent respectivement chacun de ces sites de la région de Rosia Montana en Roumanie. Mais, qu’ont-elles en commun ces régions, à part la nature splendide ?

Souvenons-nous du Docteur Folamour, représentant emblématique de tous les faiseurs de cauchemars, qui dans ce vieux film inoubliable, sussure dans un étrange accent : « c’est vraiment trop beau, il faut tout détruire ! »

En Grèce, Folamour est présent par à travers la compagnie minière Eldorado Gold. Dans les montagnes de Canakkale, en Turquie, il est représenté par Alamos Gold, tandis qu’à Rosia Montana, elle s’appellerait Gabriel Resources. Ce sont trois sœurs Canadiennes, originaires d’un pays à la nature tout aussi belle. Mais si vous avez une faible mémoire des noms, retenez la formule, concise et vraie : « C’est le capitalisme, Monsieur ! »

En dépit des différences entre systèmes politiques, l’enjeu du conflit est toujours le même : pour les capitalistes l’augmentation de la rentabilité, pour les classes populaires et les citoyens, la défense de la santé, de la qualité de vie, de la survie économique et culturelle des communautés locales, et en premier lieu la durabilité de l’environnement naturel, support commun des sociétés humaines. En portant le regard vers l’horizon lointain nous observerons la reproduction régulière de la scène sur tous les continents de la planète, notamment sur notre Guyane ultramarine, convoitée par le projet de la Montagne d’Or.

Par conséquent, un préliminaire à la lecture du texte de notre camarade de Turquie, dont le prénom rappelle l’Iliade d’Homère, consiste en la reconnaissance de la nécessité de mise en lien, à travers les frontières et les océans, des mouvements populaires et citoyens qui s’opposent et résistent aux projets miniers capitalistes. On constate que cette mise en lien ce fait aujourd’hui souvent assez naturellement et que, même si ces mouvements avec leurs alliés internationaux n’arrivent pas toujours à renverser les projets capitalistes, un rapport de force secconstruit petit à petit. Ceci sans même compter sur les renforts secrets que l’amie Ilayda évoque dans un de ses messages : « Les dieux du Mont Ida sont avec nous ! »

Le projet de mine d’or à Kirazli, en Turquie

L’installation prévue d’une construction pour augmenter la capacité du projet « Kirazli Gold-Silver » (projet d’une mine d’or et d’argent) est située à 1,5 km au sud-est du village de Kirazli, dans le district central de la province de Canakkale. Le district de Kirazli est le bassin hydrographique du barrage d’Atikhisar, seule source d’eau potable de Canakkale, fournissant en eau plus de 180 000 habitants de la région. Les activités minières prévues par ce projet, en mine à ciel ouvert, utilisant des méthodes d’enrichissement par l’usage de cyanures, mettent ces sources d’eau en danger. Lorsqu’on considère que 3 tonnes d’eau seront utilisées pour l’extraction d’un seul gramme d’or, on peut facilement calculer que la quantité d’eau que le projet va globalement consommer, équivaut au rendement en eau du barrage d’Atikhisar pendant deux ans. Même en supposant que les activités d’extraction de l’or se déroulaient comme prétend la compagnie Alamos Gold, en ne laissant aucun déchet derrière (ce qui est scientifiquement impossible), il y aurait bien besoin d’utiliser des millions de tonnes d’eau pour le processus. Ceci alors que Canakkale n’a pas suffisamment de ressources d’eau pour satisfaire ses besoins, même dans l’état actuel des choses.

Un combat juridique, impulsé par les réseaux de défense de l’environnement, se poursuit depuis 2012. La première Étude d’Impact sur l’Environnement (EIE) validée concernait un espace de 27 hectares. Cependant, dans les années qui ont suivi, d’autres décisions l’ont élargi à 3 500 hectares dans la perspective de mettre en place un nouveau projet « de capacité augmentée ». En 2014, le conseil municipal de Canakkale décidait par une majorité de 32 voix que ces activités minières ne pouvaient pas être entreprises dans la région. Le tribunal administratif de Canakkale a rejeté une première requête d’arrêter le projet formulée par des organisations de défense de l’environnement et la Chambre des ingénieurs agronomes. Dans la suite de la procédure, l’affaire a été portée devant le Conseil d’État. Le Conseil d’État a rejeté les conclusions positives de la première Étude d’Impact sur l’Environnement (EIE). Ainsi le jugement de première instance du tribunal administratif a été annulé et le Conseil a demandé une nouvelle EIE. Le processus d’exploitation a été suspendu mais par la suite, une nouvelle EIE, mandatée auprès des mêmes experts, a rendu des conclusions quasiment identiques au premières et le processus d’exploitation s’est poursuivi. Les organisations de défense de l’environnement ont déposé une nouvelle requête d’obstruction que le tribunal administratif a rejetée. La procédure est actuellement au stade de l’appel. Malheureusement, pendant le déroulement de la procédure, la compagnie a commencé à réduire le couvert forestier en coupant des arbres. Une nouvelle route a été construite pour le projet à la place de l’ancienne route communale, qui était située dans la zone autorisée. La Direction Régionale des Forêts a déposé une alerte. Mais, avant même l’aboutissement de la procédure judiciaire, le bureau du Directeur a validé l’autorisation pour la compagnie de poursuivre ses activités.

En mars 2019, bien que la procédure judiciaire ne soit pas encore terminée, la compagnie a obtenu du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles le permis d’exploitation. Dans l’Étude d’Impact sur l’Environnement (EIE) qu’elle avait déposée, la compagnie avait indiqué qu’elle allait couper 45 650 arbres, mais en juin les activités de déforestation ont causé des dégâts beaucoup plus étendus dans la forêt. La Fondation turque de lutte contre l’érosion des sols (TEMA), s’appuyant sur les images par satellite, a confirmé qu’environ 195 000 arbres avaient été abattus au total. De surcroît, le résultat de ces activités a été que la vie sauvage a été expulsée du site. À l’heure actuelle la compagnie continue à abattre des arbres !

La région en question se situe à 30 km du centre-ville de Canakkale. Elle est le seul espace de vie pour 7 espèces de plantes présentes uniquement en Turquie, actuellement menacées en plus de la destruction des forêts de chênes et de pins. Il est essentiel de signaler que la région abrite 18 espèces de mammifères, 41 espèces d’oiseaux, 10 espèces de reptiles et 117 espèces d’insectes. Dans la forêt, sont présentes 283 espèces de plantes différentes. Si le projet programmé se poursuit, 20 000 tonnes de cyanure y seront utilisées et, en raison du drainage rocheux acide, des métaux lourds tels que l’arsenic, le plomb et le mercure inonderont la surface. La méthode prévue pour être utilisée par projet s’appelle « exploitation minière sauvage » et aucune installation de traitement n’a été prévue. Le site se trouve sur point de jonction de failles tectoniques et Canakkale est qualifié zone sismique du premier degré. Pour ces raisons, le dépôt de résidus comprenant des produits chimiques dangereux représente à cause de cela un risque énorme.

La situation actuelle dans la région du Mont Ida (Kaz Dag)

Plus de 40 projets d’extraction de métaux, principalement d’or et d’argent (deux d’entre eux sont en exploitation), sont annoncés pour la région du Mont Ida (Kaz Dag). En plus de ceux-ci, plus d’une centaine de licences de prospection pour plusieurs types de projets, y compris des centrales électriques, sont en cours de négociation. Lorsque tous ces projets seront mis en œuvre, le Mont Ida n’existera plus. L’impact cumulé sera énorme. Il est constaté que ces projets sont gravement nuisibles, même pendant la phase de prospection. Aujourd’hui le Mont Ida (Kaz Dag) est littéralement assailli par les projets de compagnies capitalistes qui, à l’instar d’Alamos Gold, envisagent toutes sortes d’activités industrielles qu’il s’agisse d’activités minières, de centrales éoliennes ou géothermiques ou bien davantage de projets d’agriculture industrielle.

Depuis plus de quinze ans, des entreprises turques et étrangères tentent d’établir des zones d’extraction de l’or, de l’argent et d’autres métaux précieux à Canakkale, en particulier dans la péninsule de Biga. Bien que des organisations de défense de l’environnement, des organisations non gouvernementales et des citoyens aient dans une large mesure réussi à arrêter de telles tentatives, les sociétés minières n’ont jamais laissé tomber leurs intérêts dans la région. En dépit des décisions de justice annulant les Études d’Impact sur l’Environnement (EIE), les entreprises déposent de nouvelles demandes pour les mêmes régions, les justifiant par l’apparition de nouvelles technologies, l’augmentation de capacité des projets, etc.

Les dégâts possibles que les projets miniers pourrait occasionner

La région du Mont Ida est la source de vie et d’eau pour environ 2 millions de personnes humaines, et de milliards d’êtres vivants, en créant, approvisionnant et assurant la continuité des ressources en eau, souterraines et superficielles, de la région. La région est également l’un des abris les plus importants de la faune et de la flore. Parmi ses 82 espèces de plantes, 37 sont des plantes endémiques qui sont présentes uniquement sur le Mont Ida. Cette région est aussi la deuxième plus importante route migratoire en Turquie pour les oiseaux.

Le couvert forestier de la région (258.190 hectares) absorbe l’excès de dioxyde de carbone (516.380 tonnes de CO2 / an), cause du réchauffement planétaire. Grâce à la production d’oxygène par la photosynthèse des plantes (375 400 tonnes d’O2 / an), le site est l’un des plus riches sur terre en termes d’abondance en oxygène.

Selon des études, effectuées en 2012, la région contribue par plus de 7 milliards de dollars par an à l’économie nationale, grâce à l’agriculture et l’élevage. Cette source locale de richesse ne devrait pas être sacrifiée aux profits temporaires générés par les opérations minières. Si Alamos Gold et les autres sociétés, en attente sur la ligne de départ, réalisaient les activités minières prévues dans la région, environ 2 millions d’arbres seraient abattus et l’ensemble de l’écosystème serait détruit, et toute l’eau utilisée par la population locale, pour l’agriculture et comme eau potable, serait spoliée. À cause du cyanure et d’autres métaux lourds intervenant dans l’exploitation des mines, la vie et la santé de tous les êtres vivants seraient gravement menacées.

Signalons aussi que la région a une valeur exceptionnelle pour son patrimoine culturel, à la fois pour l’histoire turque et mondiale, et abrite également un parc national sur lequel il est possible d’obtenir plus d’informations en suivant le lien internet : http://nationalparksofturkey.com/kazdagi-mount-ida-national-park

Manifestations populaires à Kirazli

Depuis près d’un mois, une campagne se poursuit sur les réseaux sociaux avec la participation de plusieurs organisations et militants écologistes. Suite à la révélation par la Fondation turque de lutte contre l’érosion des sols (TEMA) que beaucoup plus d’arbres, que ce qui avait été annoncé, allaient être abattus, une pétition – déjà signée par 414.000 personnes – circule sur les réseaux sociaux et de nombreux groupes d’activistes expriment à leur manière leur opposition au projet.

Le 19 juillet, la première manifestation a eu lieu dans le centre-ville de Canakkale. Des représentants de la municipalité de Canakkale et d’organisations de défense de l’environnement ont annoncé qu’ils continueraient à résister aux projets jusqu’à ce que cessent la déforestation et les autres activités en rapport avec le projet minier. Près d’un millier de personnes ont participé aux manifestations.

Le 25 juillet, à partir du communiqué de presse publié depuis le centre-ville, le collectif « Observatoire de l’eau et prise de conscience » a été lancé. Depuis ce jour des militants écologistes se sont installés sous des tentes à proximité de la ville de Kirazli, dans la province turque de Canakkale. Chaque jour, les militants visitent le site minier, accompagnés de plusieurs personnes qui viennent apporter leur soutien.

Le 5 août, après un appel à la solidarité, une manifestation massive rassemblant des milliers de personnes a eu lieu dans la région. Les manifestants se sont rassemblés dans le campement de l’observatoire et ont ensuite marché vers le site minier. Après avoir s’y être rendus, ils ont fait un nouveau communiqué de presse et sont repartis en déclarant « nous reviendrons ! ». Des représentants du Syndicat des travailleurs de l’agriculture et de la forêt se sont rendus sur le chantier en délégation et ils ont verrouillé la porte.

Ces travailleurs ont déclaré : « Dans cette région, la forêt a été détruite. 200 000 arbres ont été tués. Nous fermons donc aujourd’hui ce chantier. Nous avons un tel droit, émanant de la Constitution. Nous rédigerons également une plainte en justice, contre l’entreprise qui a massacré illégalement la nature, et nous la transmettrons au parquet conformément à la législation sur les forêts. Ceci est conforme à notre devoir officiel car nous sommes fonctionnaires d’une institution publique. Nous nous engageons auprès du public de poursuivre cette démarche jusqu’au bout. »

Au moment où ces lignes sont écrites, « l’Observatoire » poursuit la tâche de vigilance et de mobilisation, les gens continuent à installer des tentes et des acteurs institutionnels importants s’engagent dans les démarches judiciaires contre le projet minier.

Par Ilayda Gülsün Çamli, politologue, militante écologiste en Turquie
Traduction : Manolis Kosadinos

Vous trouverez ci-dessous des liens vers des blogs militants et des comptes Twitter engagés dans la lutte pour la sauvegarde du Mont Ida

https://yesilgazete.org/blog/2019/08/06/tens-of-thousands-march-through-alamos-cyanide-gold-mine-in-mount-ida/?fbclid=IwAR2gHccMyLDBxovFplQpU0s-DhW-ZkYQvg_lzzs5f5a8eD7Gf2obLpb-sH8
https://twitter.com/KazdaglarK/status/1155478968830693376
https://twitter.com/KazdaglarK/status/1157201453548789760?s=19
https://twitter.com/letswanda/status/1157672432368529408
https://twitter.com/mekandaadalet/status/1156558015916650501
https://twitter.com/darbukatorbryam/status/1158448476323270662
https://twitter.com/KepezBelediye/status/1158418750535811072
https://twitter.com/KazdaglarK/status/1157201453548789760?s=19

lien vers les photos

https://wetransfer.com/downloads/41d636fd5f03170837175eebe3a1272820190823073054/32c8733528096a10216c9ea22f7c698b20190823073054/09241b

URL de cet article 35178
   
Même Thème
Comment la mondialisation a tué l’écologie
Aurélien BERNIER
Le débat scientifique sur la réalité du changement climatique a ses imposteurs. Mais, en matière d’environnement, les plus grandes impostures se situent dans le champ politique. Lorsque l’écologie émerge dans le débat public au début des années 1970, les grandes puissances économiques comprennent qu’un danger se profile. Alors que la mondialisation du capitalisme se met en place grâce à la stratégie du libre échange, l’écologie politique pourrait remettre en cause le productivisme, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Des millions de gens ont vu tomber une pomme, Newton est le seul qui se soit demandé pourquoi.

Bernard Baruch

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.