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Traduction intégrale du discours prononcé par Lula le 07 avril 2018 avant de se rendre à la police.

Stultitia [le traducteur] a tenu parole. Voilà donc la traduction du discours de Lula annoncée dans le post précédent. Le travail n’a pas été si facile, car il s’agit d’un langage parlé, l’orateur est parfois interrompu, etc. De plus, Lula se réfère souvent à la vie politique brésilienne. Stultitia a donc essayé de rajouter en notes [entre crochets], quand cela lui était possible, des éclaircissements concernant ces allusions. Bien entendu, toute remarque, amélioration ou correction sera bienvenue.

* * *

Le soir du samedi 07 avril, à São Bernardo do Campo (État de São Paulo), l’ex président Luiz Inácio Lula da Silva a prononcé son dernier discours avant de se livrer à la Police Fédérale afin de respecter l’ordre de détention émis cette semaine par le juge de première instance Sergio Moro. Devant les milliers de personnes qui l’accompagnaient depuis le vendredi soir, Lula, ému, a rappelé le début de sa vie politique au Syndicat des Métallurgistes de la région de ABC, proche de la ville de São Paulo, et a envoyé un message de motivation à tous ceux qui croient en son projet politique.

Voici la transcription [et la traduction] de ce discours historique :

« En 1979, ce syndicat fit l’une de ses grèves les plus extraordinaires. Et nous parvînmes à un accord avec l’industrie automobile qui fut peut-être le meilleur. J’étais avec 300 travailleurs dans un Comité d’usine. Et l’accord était jugé bon. Je décidai de le présenter devant l’Assemblée, et de demander au Comité d’usine de venir plus tôt pour discuter avec les ouvriers. Je réunissais les assemblées le matin pour éviter que le personnel ne boive un peu dans la soirée. Parce que lorsque nous avons un peu bu, nous sommes plus audacieux.

Mais même de cette façon, je ne pus l’éviter, parce que l’un d’entre nous avait un litre de cognac dans son sac, et lorsque je passai, je pris une gorgée, histoire de m’améliorer la voix. Chose que je n’ai pas faite aujourd’hui.

Nous commençons alors à soumettre l’accord au vote, et cent mille personnes, dans l’État de Vila Euclides, ne l’acceptaient pas. Alors que c’était le meilleur possible.

Nous ne perdions pas un jour de vacances, nous ne perdions pas le treizième mois et obtenions quinze pour cent d’augmentation. Mais les ouvriers étaient tellement radicalisés qu’ils exigeaient 83 % ou rien. Nous réussîmes à faire passer l’accord. Et pendant une année entière, nous fûmes qualifiés de « briseurs de grève » par les travailleurs. Les gens se présentaient à l’entrée de l’usine, Guilherme… [ici, Lula commence à saluer diverses personnes, en particulier Guilherme Boulos, enseignant et écrivain brésilien, membre de la Coordination Nationale du Mouvement des Travailleurs sans Toit (MTST) et candidat à la présidence].

Alors, camarades, nous réussîmes…les travailleurs n’approuvèrent pas l’accord…

[ici, il est interrompu pour cause de soutien médical à une personne dans la foule].

[Reprise] J’étais en train de vous dire que nous n’arrivâmes pas à faire accepter la proposition que je considérais comme bonne, et alors les travailleurs commencèrent à ne plus respecter la direction du Syndicat. Je me tenais à l’entrée de l’usine, et personne ne s’arrêtait.

Et la presse écrivait : « Entre Lula et les travailleurs, c’est un dialogue de sourds ».

Il nous fallut un an pour retrouver notre crédibilité. Et je me disais avec un sentiment de revanche : « les travailleurs pensent qu’ils peuvent faire 100, 400 jours de grève, qu’ils iront jusqu’au bout. En 1980, je les testerai ».

Et nous avons fait la plus grande grève de notre Histoire. La plus grande. 41 jours de grève. Après 17 jours de grève je fus incarcéré. Et quelques jours après, des travailleurs commencèrent à briser la grève. Je me souviens que Tuma [le chef de la police de l’époque], le docteur Almir, Teotônio Vilela vinrent me voir dans la prison et me dirent : « Lula, il faut savoir terminer une grève. Il faut leur dire de terminer la grève ».Et je disais : « Ce n’est pas à moi de terminer la grève. C’est aux travailleurs de décider pour leur propre compte ».

De façon concrète, personne n’a tenu 41 jours parce que, dans la pratique, un camarade doit payer le lait, la facture d’électricité, le gaz, sa femme commence à réclamer l’argent pour le pain. Il commence alors à subir la pression et ne peut plus tenir. Mais ce qui est curieux, c’est que, dans la défaite, on gagne beaucoup, mais sans gagner du point de vue économique. Plus que ce qu’on gagne du point de vue économique. La grève ne tient pas à une question d’argent. Il ne s’agit pas de 5 ou de 10% mais bien de ce qu’une grève contient de théorie politique, de connaissance et de thèse proprement politique.

Nous sommes en ce moment dans une situation presque identique. Quasiment dans la même situation. On me fait un procès, et je l’ai dit clairement : « Dans le procès concernant mon appartement, je suis le seul et unique être humain à être mis en procès pour un appartement qui n’est pas à lui ». Et il sait [il s’agit ici du juge Sérgio Moro] que [ le journal] O Globo a menti lorsqu’il a dit qu’il était à moi. La Police Fédérale chargée du Lava Jato [littéralement « Lavage-express » – le terme désigne les stations de lavage de voitures – C’est ainsi qu’a été nommée l’enquête suite au scandale de corruption Petrobras ] a menti lors de son enquête en disant que l’appartement était à moi. Le ministère public, quand il m’a accusé, a menti en disant qu’il était à moi. Et je pensais que Moro allait résoudre cette affaire, mais il a menti lui aussi en disant qu’il était à moi. Et il m’a condamné à neuf ans de prison.

C’est pour cela que je suis un citoyen indigné. Parce que, à 72 ans, j’ai déjà réalisé bien des choses. Mais je ne leur pardonne pas d’avoir propagé l’idée que je suis un voleur. Ils ont laissé des bandits faire de moi un « pixuleco » [Lula fait allusion à un pantin largement diffusé qui le représente en habit de bagnard] devant le Brésil tout entier. Ils ont permis qu’on nous traite de « petralha » [jeu de mots intraduisible entre PT –le Parti des Travailleurs de Lula et Dilma Rousseff – et « mitraille »]. Ils ont permis que se crée un climat de guerre, qui est la négation de toute politique en ce pays. Et je le dis tous les jours : aucun d’eux, aucun d’eux, ne peut prétendre à mon courage, ou ne peut dormir avec cette conscience tranquille, honnête et innocente qui est la mienne. Aucun d’entre eux [applaudissements].

Je ne suis pas au-dessus de la Justice. Si je n’avais pas cru à la Justice, je n’aurais pas créé de parti politique. J’aurais milité pour une révolution dans ce pays. Mais je crois en la Justice, en une Justice juste, en une Justice qui se fonde sur un procès reposant sur des actes, sur les informations des accusations, de la défense, sur une preuve aussi concrète qu’une arme du crime.

Ce que je ne peux admettre, c’est qu’un procureur présente un Powerpoint et vienne à la télévision pour dire que le PT [Parti des Travailleurs] est une organisation criminelle créée pour voler le Brésil, et dont Lula, figure la plus importante de ce parti, est le chef. Et si Lula en est le chef, dit le procureur, « je n’ai pas besoin de preuve, j’ai ma conviction ». Je veux qu’il garde sa conviction pour lui-même et pour ses comparses, pour ses complices, et non pour moi. C’est certain, un voleur n’exigerait pas de preuve. Il se tiendrait la queue entre les jambes et la bouche close, en priant pour que la presse ne cite pas son nom.

Le Journal National [chaîne d’information la plus suivie au Brésil] compte plus de 70 heures de diffamation à mon égard. Et plus de 70 pages de couverture de revues m’attaquent. Des milliers de pages de journaux m’attaquent. Record [l’une des plus importantes chaînes de télévision] m’attaque. Bandeirantes [autre chaîne importante] m’attaque. De nombreuses radios m’attaquent. Mais ils ne se rendent pas compte que plus ils m’attaquent, plus se renforce ma relation avec le peuple brésilien.

Ils ne me font pas peur. J’ai déjà dit que j’aimerais avoir un débat avec Moro au sujet de l’accusation qu’il a portée contre moi. J’aimerais qu’il montre quelques preuves. J’ai aussi mis au défi les juges du TRF4 [Tribunal Régional Fédéral de la 4ème Région] d’organiser un débat à l’université de leur choix, dans le cours qu’ils désirent, afin de prouver quel est le crime que j’ai commis dans ce pays. Mais j’ai parfois une impression – j’ai l’impression que je suis un bâtisseur de rêves : j’ai rêvé il y a longtemps qu’il était possible de gouverner ce pays en faisant participer des millions et des millions de pauvres à la vie économique, en permettant à des millions de personnes d’accéder à l’université, en créant des millions et des millions d’emplois dans le pays. J’ai rêvé. J’ai rêvé qu’il était possible qu’un métallurgiste sans diplômes universitaires s’occupe plus de l’éducation que les diplômés qui ont gouverné ce pays. J’ai rêvé qu’il était possible de faire baisser la mortalité infantile en procurant du lait, des haricots et du riz afin que les enfants puissent manger tous les jours. J’ai rêvé qu’il était possible de faire accéder aux meilleures universités les étudiants venus des banlieues, pour que les gens aient des juges et des procureurs qui ne soient pas seulement issus de l’élite. D’ici peu, nous aurons des juges nés dans les favelas d’Heliópolis, à Itaquera ou dans les banlieues. Et nous aurons des diplômés venant du Mouvement des Sans Terre, du MTST [Mouvement des Travailleurs sans Toit, voir lien ci-dessus], de la CUT [Centrale Unique des Travailleurs

Le voilà, le crime que j’ai commis.

J’ai commis ce crime, et eux, ils ne veulent pas que j’en commette de nouveaux. C’est à cause de ce crime que j’ai déjà une dizaine de procès contre moi. Et s’il s’agit bien là de crimes, de faire entrer des pauvres et des noirs à l’université, de permettre à des pauvres de manger de la viande, de prendre l’avion, d’acheter des voitures, de devenir petits agriculteurs, micro entrepreneurs, d’avoir leur maison à eux ; si c’est cela le crime que j’ai commis, je déclare que je veux continuer à être criminel dans ce pays, parce que je veux encore en faire beaucoup plus. Oui, je veux en faire beaucoup plus. [Les gens se mettent à crier : « Lula, Guerrier du peuple brésilien ! »]

Camarades ! En 1990, en 1986, je fus le député ayant recueilli le plus de voix de toute l’histoire du pays. Et à l’époque, on se méfiait car seul avait un pouvoir au PT [Parti des Travailleurs] celui qui détenait un mandat… Celui qui n’avait pas de mandat était considéré…. [ici, Lula se met à saluer des personnes]. Alors, camarades, quand j’ai perçu cela, que le peuple se méfiait du fait que seul celui qui était député avait quelque valeur au PT, Manuela [Manuela D’Ávila, journaliste et politicienne, affiliée au PCdoB, Parti Communiste du Brésil] et Guilherme [Boulos, voir ci-dessus], vous savez ce que j’ai fait ? J’ai démissionné de mon poste de député. Parce que je voulais prouver qu’on pouvait continuer à être la figure la plus importante du PT sans pour autant avoir de mandat. Et que si quelqu’un voulait me dépasser au PT, il n’avait qu’une seule façon de le faire : travailler plus que moi, et aimer le peuple plus que moi, car si on ne l’aime pas, on ne gagne pas.

Voilà : nous avons maintenant un travail délicat. Je vis peut-être le moment de la plus grande indignation qu’un être humain puisse vivre. Ce que subit ma famille n’est pas facile. Ce que subissent mes enfants n’est pas facile. Ce qu’a souffert Marisa n’a pas été facile [Marisa Letícia Lula da Silva, épouse de Lula, décédée à 67 ans, le 3 février 2017 d’un accident vasculaire cérébral]. Et je tiens à dire que la cause de la mort de Marisa a été les attaques immorales et indignes que les médias et le Ministère Public ont menées contre elles. De cela, j’en suis sûr. Je pense que ces gens-là n’ont pas d’enfants, ni d’âme, et qu’ils n’ont aucune notion de ce que ressent une mère ou un père quand ils voient leur enfant attaqué de toute part, massacré.

Alors, camarades, j’ai décidé de garder la tête haute. Ne pensez pas que je sois contre l’opération Lava Jato [cf. ci-dessus]. Si Lava Jato est faite pour arrêter des bandits. Ceux qui ont volé, il faut les arrêter. Nous tous, nous le désirons. Nous tous, nous disons, durant toute notre vie : « La justice prend seulement les pauvres, elle ne prend pas les riches ». C’est ce que nous disons tous. Moi, je veux que la justice prenne les riches. C’est ce que je veux. Alors, quel est le problème ? C’est que vous ne pouvez pas prononcer des jugements influencés par les médias. Parce que dans le fond, vous détruisez d’abord les personnes aux yeux de la société, l’image des personnes, puis les juges vont se prononcer et dire : « je ne peux aller contre l’opinion publique qui demande qu’on punisse ». Mais que celui qui désire se fonder sur l’opinion publique envoie promener la robe et qu’il se présente comme député, qu’il choisisse un parti politique et se fasse candidat. Porter la robe suppose un engagement de toute la vie. Le citoyen [ici, le juré] doit se prononcer en se fondant seulement sur les actes du procès. Je pense donc que le ministre de la Cour Suprême ne devrait pas annoncer de quelle façon il va se prononcer. Aux États-Unis un procès se termine sans que l’on puisse savoir exactement ce qu’un juré a voté, afin qu’il ne soit pas victime de pressions.

Imaginez une personne accusée d’homicide et qui n’est pas coupable. Que désire la famille de la victime ? Que l’accusé soit livré à la mort, qu’il soit condamné. C’est alors que le juge doit, à la différence de nous, garder la tête froide, doit montrer plus de responsabilité lorsqu’il accuse ou condamne. Le Ministère Public est une institution très forte. C’est pourquoi des jeunes gens qui s’engagent sans expérience dans la carrière du droit et suivent des cours pendant trois ans parce que leurs parents peuvent payer, devraient connaître un peu la vie, un peu la politique pour faire ce qu’ils sont appelés à faire dans la société brésilienne.

Il existe quelque chose qu’on nomme responsabilité. Et n’allez pas penser que lorsque je parle ainsi, cela signifie que je sois contre. J’ai été président, j’ai nommé quatre procureurs, et j’ai prononcé des discours lors de toutes les prises de fonction. Et je disais : « Plus forte est une institution, plus responsables doivent être ses membres ». Vous ne pouvez pas condamner une personne parce que les médias le demandent, et la juger après. Vous vous souvenez que lorsque je fis une déposition à Curitiba, j’ai dit au juge Moro : « Vous n’avez pas la possibilité de m’innocenter, parce que le journal O Globo exige que je sois condamné, et vous allez donc me condamner ».

En fait, je pense qu’autant le TRF4 [Tribunal Régional Fédéral de la 4ème Région], le juge Moro, l’opération Lava Jato et le journal O Globo partagent le même rêve. Et ce rêve est que, premièrement, l’affaire ne se termine pas avec la destitution de Dilma Rousseff. Elle s’achèvera quand ils parviendront à convaincre que Lula ne peut être candidat à la présidence de la République en 2018. La question n’est pas que je le sois. Mais ils ne veulent pas que je participe, car la possibilité existe que je le sois. Et ils ne veulent pas que Lula soit de nouveau président, parce que, pour eux, les pauvres ne peuvent avoir de droits. Ils ne peuvent pas manger de la viande de bonne qualité. Les pauvres ne peuvent pas prendre l’avion. Les pauvres ne peuvent entrer à l’université. Selon leur logique, les pauvres naissent pour manger et posséder des choses de second choix.

Ainsi, camarades, l’autre rêve qu’ils partagent est de voir la photo de Lula emprisonné. J’imagine comme ils vont bander à la revue Veja lorsqu’ils la mettront en couverture. J’imagine la jouissance du Globo quand ils publieront ma photo en prisonnier. Ils vont avoir des orgasmes multiples.

Ils ont ordonné mon incarcération. Mais laissez-moi vous dire une chose : je vais attendre le mandat d’arrestation. Je vais l’attendre parce que je veux que ce soient eux qui portent la responsabilité. Ils pensent que je suis la cause de tout ce qui arrive dans ce pays. J’ai déjà été condamné à 3 ans de prison parce qu’un juge de Manaus avait compris que je n’avais pas besoin d’arme, parce que j’ai une langue acérée, et qu’il faut donc me faire taire. Parce que si on ne me fait pas taire, et que je continue à dire des phrases comme « Arrive l’heure où la panthère vient boire » [l’expression signifie que le moment favorable se présente], et que des paysans tuent un propriétaire, ils vont penser que c’est moi qui ai donné le signal.

Ils ont déjà essayé de m’arrêter pour obstruction à la justice, mais ils n’ont pas réussi. Maintenant, ils veulent me coller en prison préventive, ce qui est plus grave, parce que je ne peux pas bénéficier de l’habeas corpus.

Vaccari [João Vaccari Neto, syndicaliste, ex trésorier du PT] est en prison depuis déjà trois ans. Marcelo Odebrecht [homme d’affaire condamné pour corruption] a dépensé 400 millions de réaux [environ 96 millions d’euros] sans obtenir l’habeas corpus. Moi, je ne veux pas verser un sou. Mais je vais en prison avec cette conviction : ils vont découvrir pour la première fois ce que j’ai répété jour après jour : ils ne savent pas que le problème de ce pays ne se nomme pas Lula. Le problème de ce pays se nomme vous tous. La conscience du peuple, le Parti des Travailleurs, le PCdoB [Parti Communiste du Brésil], le MST [Mouvement des Sans Terre, voir ci-dessus], le MTST [Mouvement des Sans Toit, voir ci-dessus]. Ils savent que cela représente beaucoup de monde.

C’est ce qu’a dit auparavant notre pasteur, et c’est ce que je répète dans tous mes discours : cela n’avance à rien de m’empêcher de parcourir ce pays, parce qu’il y a des millions et des millions de Boulos [Guilherme Boulos, voir ci-dessus], de Manuela [Manuela D’Ávila, voir ci-dessus] de Dilma Rousseff dans ce pays pour marcher avec moi.

Cela n’avance à rien d’essayer de détruire mes idées. Elles font déjà leur chemin dans l’air, et personne ne peut les arrêter.

Cela n’avance à rien d’arrêter mon rêve, parce que si on l’arrête, je continuerai à rêver dans vos têtes et dans vos propres rêves.

Cela n’avance à rien de penser que tout va s’arrêter le jour où Lula aura un infarctus, ce sont des bêtises. Parce que mon cœur continuera de battre par les vôtres, et ils sont des millions de cœurs.

Cela n’avance à rien de penser, comme ils le font, qu’ils vont arrêter mon action. Je n’arrêterai pas, parce que je ne suis pas un être humain. Je suis une idée, une idée mêlée à vos idées. Et j’ai la certitude que des camarades comme les Sans Terre, ceux du MST [voir ci-dessus], de la CUT [Centrale Unique des travailleurs], et ceux du mouvement syndical le savent. Et ceci est une preuve. Oui, une preuve. Je vais obéir au mandat d’arrêt, et vous, vous allez vous transformer. Chacun d’entre vous. Vous ne vous appellerez plus Chiquinho, Zezinho, Joãozinho, Albertinho… Chacun d’entre vous va désormais se transformer en Lula, et parcourir le pays en faisant ce qu’il a à faire ! Tous les jours !

Il faut qu’ils sachent que la mort d’un combattant n’arrête pas la révolution.

Il faut qu’ils sachent. Il faut qu’ils sachent que nous légiférerons sur les médias pour que le peuple ne soit pas toute la sainte journée victime de leurs mensonges.

Il faut qu’ils sachent que vous, qui savez, et qui êtes peut-être plus intelligents que moi, vous brûlerez des pneus, vous organiserez des manifestations, des occupations dans les champs et dans les villes. À São Bernardo, l’occupation paraissait difficile, mais demain, vous allez recevoir la nouvelle que vous avez gagné le terrain occupé.

Camarades, j’ai eu des possibilités, il y a peu. Quand j’étais en Uruguay, entre Livramento et Rivera, les gens disaient : « Lula, faites semblant d’aller acheter un peu de whisky, et venez en Uruguay avec Pepe Mugica. Venez donc et ne repartez plus. Demandez l’asile politique. Vous pourriez vous réfugier à l’ambassade de Bolivie, d’Uruguay, de Russie, et de là vous pourriez continuer à parler… » Mais je n’ai plus l’âge pour cela. À mon âge, il convient de les affronter en face, les yeux dans les yeux. Et je veux les affronter en acceptant le mandat d’arrêt.

Je veux savoir combien de temps ils vont me garder. Et plus longtemps ils me garderont en prison, plus nombreux seront les Lula qui naîtront dans ce pays, et plus nombreux seront ceux qui voudront se battre pour ce pays. Parce que dans une démocratie, il n’y a pas de limite, tous les moments sont bons pour se battre. Je l’ai dit à mes camarades : si cela ne dépendait que de ma volonté, je n’irais pas. Mais j’irai cependant. Sinon ils vont dire à partir de demain que Lula est un fugitif, que Lula s’est caché. Eh bien non ! Je ne me cache pas. Je me rends là, sous leur nez, pour qu’ils sachent que je n’ai pas peur, que je ne vais pas fuir. Pour qu’ils sachent que je vais prouver mon innocence.

Cela, ils doivent le savoir.

Et qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Ce qu’ils veulent. Je vais vous citer une phrase qui m’a été dite par une petite fille de 10 ans, à Catanduva en 1982. Cette phrase n’a pas d’auteur.

Elle dit : les puissants pourront détruire une, deux ou trois roses. Mais ils ne pourront jamais empêcher la venue du printemps.

Et notre lutte, c’est la recherche du printemps.

Il faut qu’ils sachent que nous voulons plus de maisons, plus d’écoles. Que nous voulons moins de morts. Que nous ne voulons pas que se répète ce qui est arrivé à Marielle à Rio de Janeiro. [ Marielle Franco, politicienne, sociologue et militante des droits de l’homme, assassinée à Rio le 14 mars 2018] ]

Nous ne voulons pas que se répètent les horreurs qu’ont subies les enfants noirs de ce pays.

Nous ne voulons plus jamais voir de mortalité par dénutrition dans ce pays. Ni qu’un jeune ne puisse espérer entrer à l’université. Parce que ce pays est si arriéré qu’il fut le dernier du monde à avoir une université. Le dernier ! Tous les pays les plus pauvres avaient des universités, mais ici, on ne voulait pas que la jeunesse brésilienne étudie.

Ils disaient que cela coûtait cher. Mais il faut se demander combien ça coûte, 50 ans après, de n’avoir pas créé d’universités.

Je veux qu’ils sachent que je suis très fier, profondément fier, d’avoir été l’unique président de la République à ne pas avoir de diplôme universitaire, mais je suis le président qui a créé le plus d’universités dans toute l’histoire de ce pays. Ceci pour montrer à ces gens qu’il ne faut pas confondre l’intelligence avec le nombre d’années de scolarité. Car cela ne signifie pas intelligence, mais connaissance.

L’intelligence, c’est quand on s’engage, l’intelligence c’est quand on n’a pas peur de discuter avec les camarades de ce qui constitue la priorité. Et la priorité, c’est de garantir que ce pays redevienne une nation de citoyens. Ils ne vendront pas Petrobras ! [Compagnie pétrolière publique]

Nous ferons une nouvelle Constituante ! Nous allons révoquer la loi pétrole qu’ils sont en train de faire ! Nous n’allons pas laisser vendre le BNDES ! [Banco Nacional de Desenvolvimento Economico e Social. Banque publique de développement du Brésil]

Nous n’allons pas laisser vendre la Caixa [Banque fédérale du Brésil], nous ne laisserons pas détruire le Banco do Brasil ! [Banque publique du Brésil] Nous renforcerons l’agriculture familiale, qui produit 70% de ce que nous mangeons dans le pays.

Et c’est avec cette conviction, camarades, que la tête haute, comme je vous parle à vous, je me présenterai à la prison et je dirai au délégué : je suis à votre disposition.

Et d’ici quelques jours, l’Histoire apportera la preuve que ceux qui ont commis un crime, c’est le délégué qui m’a accusé, c’est le juge qui m’a jugé, c’est le Ministère Public qui m’a traité avec désinvolture.

C’est pourquoi, camarades, même si je n’ai pas de place en mon cœur pour tout le monde, je veux que vous sachiez que s’il y a une chose que j’ai appris à apprécier en ce monde, c’est ma relation avec le peuple.

Quand je serre la main de l’un de vous, quand je serre l’un de vous dans mes bras, quand je l’embrasse – parce que maintenant, embrasser un homme ou à une femme, c’est pareil – … ce n’est pas avec une intention cachée. Je le fais parce que, lorsque j’étais président, je disais :

« Je vais retourner d’où je suis venu ».

Et je sais quels sont mes amis éternels, et quels sont ceux qui ne le sont que par intérêt.

Ceux qui portent cravate, ceux qui étaient toujours empressés, ont aujourd’hui disparu. Et ceux qui sont avec moi sont ces camarades qui étaient mes amis avant que je devienne président de la République. C’est celui-là, qui mangeait avec moi la rabada [ragoût de queue de bœuf] chez Zelão, celui qui mangeait le poulet à la polenta chez Demarchi, et celui qui partageait le bouillon de mocotó [pied de bœuf] chez Zelão. Ceux-là continuent à être mes amis. Ceux qui ont le courage d’occuper une terre pour construire une maison, ceux qui ont le courage de faire grève contre la réforme de la sécurité sociale, ceux qui occupent un champ pour en faire une exploitation productive. Tous ceux qui ont vraiment besoin de l’État.

Camarades, je vais vous dire une chose : vous allez voir que je vais sortir de là meilleur, plus fort, plus vrai, et innocent. Parce que je veux prouver que ce sont eux qui ont commis un crime, le crime politique de persécuter un homme qui a une histoire politique de 50 ans. Et de cela, je suis très reconnaissant.

Je ne peux vous remercier suffisamment pour la gratitude, l’affection et le respect que vous m’avez accordés durant toutes ces années. Et je veux vous dire à vous, Guilherme et Manuela [voir ci-dessus], à vous deux, que c’est pour moi un motif de fierté d’appartenir à une génération, qui, sur son déclin, voit apparaître deux jeunes luttant pour le droit de devenir président de la République dans ce pays. Pour cela, je vous embrasse. Et vous pouvez en être sûrs : je ne baisserai pas la tête. Ma mère m’a donné un cou trapu pour que je ne baisse pas la tête. Et je ne la baisserai pas. Parce que je vais sortir de là tête haute et en bombant le torse, parce que je vais prouver mon innocence.

Je vous embrasse, camarades. Merci, un grand merci pour l’aide que vous m’avez apportée. Un baiser. Encore un grand merci ! »

Fin du discours.

Source en VO : https://www.brasildefato.com.br/2018/04/07/leia-a-integra-do-discurso-historico-de-lula-em-sao-bernardo/

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