Jean-Pierre Jouyet, ex-président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), David Azéma, de l’agence des participations de l’Etat (APE), Patrick Kron, PDG d’Alstom… autant d’acteurs dont le rôle interroge alors que la cession à General Electric est plombée par les affaires et les obstacles à franchir.
Le gendarme boursier a mis en garde l’Etat sur les risques que représente son accord conclu avec Bouygues, pour que l’Etat entre à hauteur de 20% dans le capital d’Alstom. L’AMF considère cet accord comme une action de concert entre Bouygues et l’Etat et donc que les deux parties s’exposent au risque de dépasser le seuil de 30% du capital, ce qui nécessiterait de lancer une offre publique d’achat sur Alstom. En réalité, derrière cette mise en garde polie, l’AMF signifie à l’Etat une fin de non-recevoir confirmant l’amateurisme du gouvernement dans ce dossier stratégique. Car l’Etat ne peut pas entrer au capital de cette société sans prendre le risque de déclencher une OPA sur l’ensemble du capital d’Alstom. Or pour cela il faudrait que l’Etat ait la capacité d’acheter la valeur totale d’Alstom et donc de débourser entre et 8 et 15 milliards d’euros. Ce qu’il n’a pas les moyens de faire. David Azema, directeur de l’Agence des participations de l’Etat (APE) a déclaré : « les deux parties veilleront à ne pas franchir ensemble le seuil de déclenchement d’une offre publique. » Des propos qui tentent de rassurer mais qui ne changeront rien. L’encre à peine sèche, l’accord est déjà à l’eau et la victoire du patriotisme économique cher à Arnaud Montebourg boit la tasse. Que reste-t-il comme solution à l’Etat pour avoir son mot à dire au sein d’Alstom ? Pour l’instant aucune. A partir d’avril 2015, date à laquelle toutes les autorités de concurrence auront donné leur accord, à supposer qu’elles le donnent, ce qui n’est pas certain, il pourra racheter seulement les actions de Bouygues au prix fort de 35 euros, alors qu’aujourd’hui l’action est cotée autour de 26 euros. Cette annonce de l’AMF n’est pas une surprise. Dans notre édition du 26 juin dernier, nous dénoncions l’improvisation et l’incompétence du gouvernement dans cette affaire. Les spécialistes du dossier s’attendaient au retour de bâton de l’AMF, le droit boursier est strict. Pourquoi David Azema et l’Etat n’ont il rien vu venir ? Ce dossier a pourtant été suivi de près par François Hollande, en prime depuis avril 2014, son plus proche conseiller, le secrétaire général de l’Elysée n’est autre que Jean-Pierre Jouyet, l’ami de quarante ans du Président. Or, quelles étaient les fonctions de Jean-Pierre Jouyet entre 2008 et 2012 ? … Président de l’AMF !
Une avalanche de procédures à venir…
La direction d’Alstom et celle de Bouygues pourraient, elle aussi, avoir à rendre des comptes à l’AMF si cette dernière se penchait sur la suspicion de manipulation de cours boursiers (voir HD 418). Selon un spécialiste des marchés l’AMF devra également se pencher sur un autre problème celui de savoir : « Qui et dans quelles conditions peuvent être vendus 70% d’une société cotée au CAC 40 ? Ce n’est pas un acte de gestion courante. Tout le déroulement de l’opération est critiquable à bien des égards. On imagine mal l’AMF ne pas avoir à trancher là-dessus. Et là, c’est tout l’accord, General Electric-Alstom-Etat-Bouygues qui serait en cause. Il faudra tout reprendre à zéro ! » La direction d’Alstom pourrait également avoir à rendre des comptes à la justice française dans le cadre des multiples affaires de corruption dans lesquelles ce groupe est impliqué (voir HD 418 et 419). D’après un avocat spécialiste du droit pénal : « Il est curieux que malgré les enquêtes très lourdes en cours aux Etats-Unis, au Brésil et au Royaume-Uni, la justice française n’a toujours pas engagé de procédure alors que le siège du groupe est en France et que certains cadres incriminés par les autorités judiciaires de ces pays sont françaises et proches du PDG actuel. »
De qui se moque-t-on ?
Dans cet océan de mauvaises surprises et de complications toutes les nouvelles agréables sont bonnes à prendre, en voici donc une : le problème David Azéma est réglé (voir HD 419). En effet, le patron de l’APE désirait quitter son poste et partir travailler dans le privé. Il avait choisi la direction du bureau parisien de Bank of America, une banque conseil d’Alstom, alors que lui-même était le principal négociateur de l’Etat dans ce dossier, ce qui le plaçait au centre d’un conflit d’intérêt majeur. Son cas était étudié par la commission de déontologie placée sous l’égide du ministère de la Fonction publique. Selon une source qui souhaite rester anonyme, la dite commission a tranché : David Azéma ne pourra pas émarger chez Bank of America Paris. En revanche, il pourra aller exercer ses talents au sein de la banque Merrill Lynch à Londres. Faut-il rappeler à la commission de déontologie que Bank of America et Merrill Lynch ont fusionné en 2006 et qu’elles sont devenues une seule et même banque ? Interrogée, Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Dommage !
Mais Alstom n’en a pas terminé pour autant avec les conflits d’intérêts. Le 20 mai dernier, devant la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale, Arnaud Montebourg critiquait la direction d’Alstom pour ne pas l’avoir informé de ses projets de vente à l’américain General Electric. Il fustigeait également cette direction pour n’avoir prévenu aucun dirigeant d’Alstom de ses projets à l’exception d’une seule personne, le président d’Alstom Grid, Grégoire Poux-Guillaume. Or ce dernier, un franco-américain dont le père est un ami proche de Patrick Kron a travaillé pour un des plus gros fonds d’investissement mondial, CVC Capital. En 2010, il était en charge de l’offre d’achat d’Areva TD aux côtés de … General Electric. A l’époque, Patrick Kron avait fait appel au patriotisme économique du gouvernement Fillon pour éviter que la pépite française ne passe entre les mains des américains. Quatre ans plus tard, associé à Grégoire Poux-Guillaume, il vend l’ensemble des trois secteurs Energie d’Alstom à… l’américain General Electric.
Leslie Varenne