Une des principales réalisations de la fabrication industrielle du consensus consiste dans la suppression a priori de toute dissidence radicale. Il s’agit d’écraser à l’avance toute pensée critique et jusqu’à la possibilité la plus minime d’opposition sérieuse au système.
En mélangeant dans un même collage les images les plus sombres des romans anti-utopiques classiques (Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1984 de George Orwell ou Fahrenheit 451 de Ray Bradbury) avec les histoires les plus truculentes de terreur infantile, les usines de communication de l’impérialisme ont fabriqué un nouveau fantasme, macabre, ténébreux et menaçant. Il s’agit du supposé « narco-terrorisme », remplaçant l’ancien épouvantail connu sous le nom de« conspiration communiste », typique du cinéma de la guerre froide.
Ils ont ainsi fabriqué un nouveau démon, complètement amorphe, omniprésent, incommensurable, impensable et même inimaginable.
Ce nouveau Lucifer que poursuit la chasse aux sorcières contemporaine, sport préféré du néo-maccarthysme, assume divers noms et divers visages, selon l’air du temps. Un des plus célèbres est celui des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie-Armée du Peuple (FARC-EP), ennemi mortel dans toutes hypothèses de conflit maniées par les yankees.
Derrière les toiles d’araignée désinformatrices du pouvoir, au-delà du labyrinthe de manipulation de dépêches, d’agences et de communiqués officiels, de l’autre côté des opérations de guerre psychologique, des campagnes médiatiques et du totalitarisme culturel, comment les FARC-EP seraient-elles réellement ? Quel visage ces guérilleros sans signe auront-ils dans l’intimité, sans visage et sans nom ? Quelles habitudes leur vie quotidienne assumera-t-elle ? De quoi rêveront-ils chaque nuit et chaque matin, à chaque anniversaire et chaque 31 décembre ?
Pour imaginer la vie des guérillas nous disposons de ces récits épiques du Che Guevara (Passages de la guerre révolutionnaire), d’Omar Cabezas (La montagne est un peu plus qu’une immense steppe verte) ou le classique Jorge Ricardo Masetti (Ceux qui luttent et ceux qui pleurent). Dans tous ces cas, il s’agit de récits sur Cuba et le Nicaragua. Cependant, du mieux que l’on sache, excepté deux excellentes biographies de Manuel Marulanda écrites par l’historien Arturo Alape (Les vies de Pedro Antonio Marin, les rêves et les montagnes), la révolution colombienne n’a pas encore de récit qui nous montre le monde quotidien de l’insurrection. Les FARC attendent ces récits, une tâche qui a commencé à être comblée au cinéma par le film récent "Guérilla’ (du réalisateur danois Frank Piasecki Poulsen, disponible sur Internet). Un excellent documentaire qui met un visage quotidien sur le spectre itinérant et clandestin de la guérilla. Fantasme qui est craint, haï ou admiré, mais toujours méconnu.
L’historien uruguayen Ezequiel Rodriguez Labriego a eu cette année le privilège de connaître in vivo et en direct la vie intime et quotidienne des guérilleros colombiens, le supposé « monstre », selon l’imaginaire inquisitorial du Pentagone, de la CNN, d’Uribe et l’extrême-droite troglodyte.
Avec un prêtre français, deux sociologues italiens et un journaliste usaméricain, Rodriguez Labriego a visité dans les montagnes de Colombie les campements des FARC. Là -bas, il a pu observer, dialoguer et cohabiter avec les combattants de cette armée du peuple qui en plein XXIème siècle continue à harceler l’impérialisme yankee et ses arrogantes bases militaires avec les drapeaux chers à Simón Bolàvar, Che Guevara et Manuel Marulanda.
Nous publions une partie de l’entrevue que nous avons eu avec Rodriguez Labriego, en focalisant sur les aspects les plus quotidiens de son expérience, ceux qui humanisent les combattants et les combattantes communistes, il les sort de l’image gothique et monstrueuse que la CIA a dessiné pour les diaboliser, en les remettant sur le simple terrain mais magnifique de la construction de l’homme nouveau et de la femme nouvelle du XXIème siècle.
L’interview avec l’historien uruguayen qui s’est prêté très aimablement à nos questions a été effectuée à l’Université de Rio de Janeiro (Brésil) le 28 octobre 2008, à cette même occasion nous avons également eu l’honneur de connaître et dialoguer avec l’historienne brésilienne Anita Prestes, fille d’un autre combattant révolutionnaire légendaire d’Amérique latine, Luis Carlos Prestes.
* * * *
Néstor Kohan : Pourquoi vous est-il venu à l’esprit d’aller connaître les FARC ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Pour de multiples raisons, mais deux principalement. D’abord, par une curiosité qui m’est apparue en lisant le livre "Rebelles primitifs’ du célèbre historien marxiste britannique Eric Hobsbawm, lorsqu’il analyse diverses rébellions paysannes et dit, en se référant aux FARC (Hobsbawm les a connues le premier), que le cas colombien constitue « la plus grande mobilisation paysanne de l’hémisphère occidental ». Deuxièmement, parce que je suis surpris, gêné et indigné par le silence total - souvent proche de la complicité avec le pouvoir - qui aujourd’hui entoure et couvre la Colombie. Alors, je me demande : allons-nous accorder crédit au terroriste et au va-t-en-guerre Uribe ? Allons-nous le croire ? Allons-nous nous taire sur le génocide dont souffre aujourd’hui le peuple colombien ? Pour ces raisons, certaines historiques, d’autres présentes, je voulais connaître les FARC de manière directe, sans « filtre » maccarthyste. C’est pourquoi j’y suis allé. Je t’assure que je ne le regrette pas.
Néstor Kohan : Comment avez-vous voyagé jusqu’aux campements ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Bon, ce fut une longue traversée. Ce n’est pas facile d’y accéder. Plusieurs jours d’autobus, camion, camionnette, à dos de mulet, beaucoup de précautions, collines pentues, descentes abruptes, passages de rivières ou de ruisseaux et finalement des marches dans la montagne, dans la boue et sous la pluie, pendant que les combattants qui nous guidaient nous racontaient des histoires sur la geste de Simón Bolàvar. C’était réellement émouvant de sentir que Bolàvar les accompagnait, qu’il n’était pas une figure simplement décorative ou simple objet d’étude, comme c’est habituellement le cas à l’école lorsqu’on étudie l’histoire de l’Amérique latine.
Néstor Kohan : Quelle image ces jeunes guérilleros avaient-ils de Bolàvar ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : J’ai eu l’impression que les jeunes des FARC, voyaient Bolàvar comme étant un de leurs camarades, comme un combattant de plus. Ils s’imaginaient, par exemple, que Bolàvar, bien qu’il apparaisse sur toutes les places avec sa statue sculptée ou en photo à cheval et le geste napoléonien, de conquérant, marchait en réalité à dos de mulet, puisque dans ces montagnes où il a combattu, le cheval se déplace avec difficulté alors que le noble mulet, bien que moins élégant et majestueux, peut s’arranger pour monter et descendre ces sentiers pentus, glissants et boueux. Ils se demandaient, également, si Bolàvar aimait danser, s’il s’échappait voir des filles (ils disaient, en plaisantant, que lorsque le Libertador allait voir sa fiancée il ne pouvait pas y aller en mulet, là il devait y aller à cheval… pour avoir meilleure « prestance » comme un Don Juan [Rires]). Ils se demandaient également si Bolàvar n’avait pas la peau foncée et les cheveux bouclés, plutôt que pâlichon comme il apparaît… Pour ces combattants Bolàvar était un être humain en chair et en os, avec une vie quotidienne comme chacun d’eux, et non un morceau de bronze, une statue morte et pétrifiée.
Néstor Kohan : Comment s’est passée votre arrivée ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Tous crottés ! [Rires]. Nous sommes tombés plusieurs fois. Les combattants nous ont solidairement aidés à nous relever. Ils essayaient de nous aider. Ils nous encourageaient. Là nous avons découvert un détail pratique, aucune chaussure de ville ne peut servir pour ces endroits. Les combattants révolutionnaires sont habitués à marcher dans ces bourbiers de 20 ou 30 centimètres de profondeur comme quelque chose de « normal ». Comme il pleuvait énormément ils nous ont prêté des capes imperméables. C’est là que j’ai entendu la première des nombreuses plaisanteries. Au prêtre français et à moi-même ils nous ont baptisés « Batman et Robin de la première génération, avant qu’on invente l’automobile, lorsque l’on marchait encore à dos d’âne ». [Rires]. La première approche avec les guérilleros communistes s’est faite avec une plaisanterie. A la fin de l’expérience, nous partirons avec une autre plaisanterie. Quand nous sommes partis, au moment de nous séparer, ils nous ont dit : « Cette terre vous salue et vous dit au revoir avec fierté…Ce n’est pas n’importe qui qui a le courage de l’embrasser avec le cul… », en faisant allusion avec ironie à nos chutes dans la boue. [Rires]. L’humour était tout le temps présent.
Néstor Kohan : N’avez-vous pas trouvé les gens des FARC abattus, démoralisés et la tête basse ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Non ! Au contraire ! Je les ai trouvés gais, avec un bon moral, une conviction très forte et assurés qu’ils vont triompher. Ce n’était pas un faux-semblant ou une mise en scène. On les voyait sûrs d’eux. J’attribue cela à l’humour et aux plaisanteries (entre eux et avec les visiteurs, toujours dans un ton de cordialité, d’amitié solidaire et de camaraderie). S’ils étaient abattus , comme les présentent le président Uribe et les renseignements militaires colombiens, ainsi que les grands multimédias qui diffusent les communiqués des Forces Armées et leur vision de la guerre, s’ils se sentaient vaincus, en pensant qu’ils vont être écrasés et anéantis - surtout par une armée aussi sauvage et sans pitié que celle de Colombie, conseillée et dirigée sur le terrain-même par les yankees- Ils ne seraient pas là à faire des blagues ou à plaisanter. C’est du sens commun. Non ? L’humour exprime quelque chose. Je crois qu’il est le produit d’un grand moral combattif et d’une forte conviction dans la victoire populaire.
Néstor Kohan : L’accès aux campements était-il direct ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Non, d’abord il fallait faire beaucoup de détours. Mais ce qui m’a le plus surpris c’est le contact rapproché avec des populations qui les aident et les soutiennent. La propagande officielle, dont les grands moyens de communication se font l’écho, les décrit comme des brigands, comme une bande de fugitifs armés et sans idéologie, isolés du peuple ou prisonniers dans le temps. J’ai vu une autre chose bien plus différente. Je ne l’ai pas lu, on ne me l’a pas raconté, je l’ai vu de mes propres yeux. Des gens communs des hameaux et des villages qui les soutiennent, en majorité des travailleurs, paysans, vêtus très humblement. Des femmes du peuple avec beaucoup d’enfants (je me souviens par exemple d’une dame, très jeune, très humble, avec trois enfants sur le dos d’un mulet et elle qui allait à pied enceinte d’un quatrième enfant…). Tous ces gens des hameaux, des civils, parlent d’eux, des combattants des FARC et de leurs campements dans la montagne, en disant « là -haut », « les gens d’en haut », « les camarades »… (En Colombie on n’utilise presque pas le mot « compañero », tout le monde s’appelle « camarada », c’est beaucoup plus commun). Ces expressions sont des références relatives aux campements de montagne des FARC. Les gens des hameaux leur font passer de la nourriture, des cigarettes, diverses choses. Un groupe révolutionnaire qui manquerait d’appui populaire ne compterait pas sur cette sympathie et cette collaboration. C’est pourquoi les militaires et paramilitaires de Colombie assassinent autant de civils, parce que ces derniers soutiennent la guérilla. L’appui qu’ils donnent au FARC est évident. Je l’ai vu. Les FARC et leurs fronts de travail politique font un travail social avec les gens, avec les populations : ils vaccinent les gamins, construisent des écoles, des dispensaires de santé, des chemins, des petits barrages pour les rivières, ils s’occupent de l’enseignement des enfants non scolarisés (dans la campagne beaucoup sont sans éducation scolaire). Pour résumer, j’ai vu beaucoup de familles et beaucoup d’enfants autour des FARC. En définitif c’est une guérilla populaire.
Néstor Kohan : Comment avez-vous été reçus dans les campements ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Le premier contact a eu lieu avec les postes de garde. Nous avancions en essayant de regarder le sol boueux, pour ne pas tomber ni glisser, et à un moment donné, en levant la tête, nous avons été surpris par la présence des gardes du campement, ils étaient à un demi-mètre de nous [Rires]. Ils veillaient au campement à cause des risques d’incursion de l’armée. Nos premiers mots ont été « nous ne pouvons pas vous serrer la main parce que nous sommes tous plein de boue » [Rires]. Nous étions tombés sur eux sans les avoir vus. Ensuite nous avons continué à monter et sommes arrivés au poste de commandement. Là les commandants nous ont reçus. Ils ont été très aimables. Nous nous sommes assis autour d’une table emplie de livres. Ensuite ils ont porté les repas. Il y avait beaucoup de livres et, je le répète, beaucoup de blagues. Il y avait tout le temps des rires, j’étais surpris de tout cet humour. J’imaginais trouver des gens très sérieux, comme dans les films et j’ai trouvé quelque chose de très différent. Beaucoup de plaisanteries. Les Colombiens appellent cela « mamar gallos » [faire marcher (quelqu’un)] c’est-à -dire, faire des blagues, plaisanter. Tout au long de l’expérience, en diverses occasions, lorsque je posais des questions je devais demander plusieurs fois, parce que les premières réponses étaient assurément des plaisanteries. Je n’ai pas eu de mal à m’y habituer, nous aussi nous commencions à renvoyer les plaisanteries (bien que les visiteurs européens avaient des difficultés à comprendre les ironies). De ces combattants, ces garçons et filles, rien n’est plus loin, que la tristesse, la sensation de défaite ou le découragement.
Néstor Kohan : Êtes-vous arrivés de nuit ou de jour ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : C’était en pleine nuit, on ne voyait rien. La forêt est très sombre. Les arbres sont hauts, très hauts. La végétation est épaisse. Il y a parfois de la brume.
Néstor Kohan : S’éclairent-ils avec des lanternes comme dans nos camps où il n’y a pas d’électricité ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Non ! [Rires]. C’est différent des camps que nous sommes habitués à voir. Il y avait très peu de lumière, parce que les avions de l’armée colombienne disposent d’une nouvelle technologie militaire fournie par les USA. Cette nouvelle technologie de contrôle, qui facilite la répression de l’armée, fonctionne avec l’utilisation du satellite, par des ballons espions et jusqu’à des drones équipés d’instruments qui détectent en temps réel, concentrations de fumée, chaleur et lumière dans la forêt et ainsi, les avions militaires arrivent automatiquement et commencent à bombarder. Par conséquent de nuit il y a très peu de lumière. Mais lors de cette première rencontre nous nous sommes vus tout de même les visages. Il y avait un petit foyer et des lanternes. Soudain un combattant donne l’alerte « Avion… » et tout le monde éteint la lanterne. Le campement entier est dans l’obscurité et on ne voit absolument rien. C’est alors que vient fleurir rien moins qu’une nouvelle plaisanterie. Comme dans la guérilla on ne sait pas si le bruit provient d’avions commerciaux ou d’avions militaires, c’est-à -dire, de bombardiers des forces armées, ils se réfèrent simplement à l’avion comme « le jet » qui est prononcé « el je » (sans le « t » final), et ils t’expliquent en riant qu’il s’agit « du je… celui qui est plein de bombes… ». Un humour très caustique.
Néstor Kohan : Écoutaient-ils de la musique ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : En réalité il y avait beaucoup de silence, on entendait seulement les bruits de la forêt, les grillons, la pluie, les branches qui bougeaient quand il y avait du vent, peut-être le ruissellement de quelque cours d’eau, bien qu’au loin on entendait certains qui écoutaient des informations. C’était en fait « la guerrillereada » comme s’appellent familièrement les gens de la guérilla, qui écoutait les nouvelles… Bien qu’un jour ils nous ont fait écouter la musique des FARC, écrite et interprétée par les FARC elles-mêmes, avec des vers révolutionnaires et la musique de différents rythmes : rock, merengue, tango, salsa, ballenato, etc. Nous l’avons écoutée à partir d’un ordinateur. Les dimanches, oui, il y a de la musique, qu’ils interprètent. Les jeunes chantent et jouent de la guitare et de l’accordéon.
Néstor Kohan : Quels ont été les premiers récits et les premiers entretiens ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Évidemment tout a commencé par des discussions politiques. La situation en Colombie, la violation des droits humains par Uribe dont personne ne parle, alors que semaine après semaine des dirigeants syndicaux sont enlevés et assassinés, de même que des paysans, prêtres, religieuses, étudiants, etc. Nous avons également parlé du traitement terrible que reçoivent les combattants capturés par l’armée, la nécessité de la solidarité internationale, les débats actuels du marxisme, etc. Mais au moment d’aller se coucher un autre type d’histoires est ressorti. Histoires d’ours, de tigres (les tigres qui mangent les animaux domestiques des gens), les couleuvres… Heureusement à la fin, juste en partant, j’ai compris que ce que les Colombiens, appellent « couleuvres » c’est ce qu’on appelle vipères en Uruguay. Moi je pensais qu’ils parlaient de petites couleuvres de 10, 15 ou 20 centimètres de long mais en réalité il s’agissait de couleuvres de deux ou trois mètres [Rires]. Heureusement que dernièrement j’ai découvert le malentendu ! [Rires]. Ils m’ont raconté une histoire - une parmi ces multiples histoires avec cette candeur magique où la forêt acquiert la vie avec ces habitants des montagnes - sur un guérillero qui capturait les vipères à la main, il leur parlait et ensuite il ne les tuait pas, il les relâchait. Et les couleuvres partaient en serpentant…parce qu’elles étaient humiliées ! [Rires] elles bougeaient ainsi à cause de l’humiliation face à l’homme, face au guérillero, face au paysan [Rires]. Nous avons commencé à plaisanter, que nous espérions que les couleuvres qui étaient de la famille de cette vipère humiliée ne viennent pas venger leur parente… [Rires]. Ils nous racontaient aussi l’histoire d’un autre guérillero qui parlait avec les petites bêtes des bois, ils l’appelaient affectueusement « le fou ». Il paraît qu’il était un des meilleurs guérilleros par sa « mystique », par son engagement et sa discipline, mais ils plaisantaient en disant qu’il était « fou » par ses traits d’esprits et ses plaisanteries permanentes ou parce qu’il parlait avec les animaux des bois.
Néstor Kohan : Où dormaient-ils ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Dans des tentes. Il y avait des lits en canne, en bois, en sciure. Il y avait des matelas. Des bâches pour se protéger de la pluie. De la boue. Je dois souligner l’effort que ces gens faisaient pour le confort de leurs hôtes. Par moments la pluie était torrentielle, il n’y a pas eu un seul jour sans qu’il ne pleuve dans les campements. La boue était omniprésente. Dans la pluie ou le brouillard, on pouvait tout le temps sentir cette odeur de terre mouillée. Dans ce panorama ils s’efforçaient de nous offrir le plus grand confort. Ils nous ont expliqué que les guérilleros doivent dormir avec une grande partie de leurs affaires toutes prêtes dans le cas où se présente une situation d’« ordre public », de combat ou d’assaut militaire imminent.
Néstor Kohan : A quelle heure se lèvent-ils ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Très tôt. Avant 5h du matin. La vie dans la montagne et dans le camp est très différente de celle de la ville. Tout commence plus tôt et tout s’arrête plus tôt. Il y a même eu un jour, où les commandants ont voulu lire, discuter et débattre des thèses d’un livre qui parlait de la Colombie et de l’Amérique latine, paraît-il très polémique, eh bien ils se sont levés à 3h du matin. Là tout est écouté [tout ce qui se dit de par le monde]. De notre tente au loin, nous écoutions le débat. Il faut être très politisé et être animé par le désir de critique pour se lever à 3h du matin… pour débattre d’un livre ! pas vrai ? Rien n’est plus loin de la réalité que j’ai vécue que l’image officielle « de brigands narcotrafiquants sans idéologie ».
Néstor Kohan : Que mangeaient-ils au petit déjeuner ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : La première chose qu’ils prennent, vers 5h du matin, c’est un « tinto ». Non ce n’est pas du vin ! [Rires], ils appellent « tinto » le café noir. Puis, plus tard, vers 7h du matin, on déjeune beaucoup plus, des galettes (fabriquées avec la farine de maïs), des oeufs, etc. Beaucoup de nourriture, pas seulement pour les hôtes ou les visites internationales. Un ancien guérillero nous a expliqué que les FARC offrent à leurs combattants de la bonne alimentation entre autres choses afin de se prémunir des maladies. Un guérillero mal nourri peut tomber malade plus facilement. Même en termes de coût, il vaut mieux bien manger que guérir des malades. Chaque combattant a aussi sa brosse à dents et son dentifrice pour prévenir les maladies bucco-dentaires.
Néstor Kohan : Comment se déroulait la vie durant le jour ? S’entrainent-ils tout le temps au tir ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Non, ils sont de très bons tireurs (les militaires surnommaient le commandant Marulanda « Tirofijo », « en plein dans le mille »), mais en réalité, la plus grande partie du jour, le campement entier est un gigantesque collectif de travail. Ils travaillent énormément pendant la journée ! Il y a des groupes de travail par escouade de combat. Ils coupent du bois de chauffage, scient, travaillent le bois, ils lavent, cuisinent, construisent, déplacent différents matériels. Les campements ressemblent plus à de grands collectifs de travailleurs qu’à autre chose. C’est pourquoi, ils nous expliquaient, la nécessité d’une bonne alimentation : la grande quantité de travail physique. Les femmes travaillent à l’égal des hommes, à tout point de vue. Dans la forêt les femmes et les hommes marchent avec des sacs à dos pesant à peu près 30 kg (eux ils s’expriment et mesurent en livres) avec vêtements, armes, munitions, nourriture, etc.
Néstor Kohan : Y avait-il des femmes dans la guérilla ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Beaucoup ! Elles portaient de longues armes (divers types de fusils), l’uniforme des FARC et, en même temps, des boucles d’oreilles, des bagues ou les ongles peints. Elles portaient les mêmes charges que les hommes et tout le monde travaillait à égalité.
Néstor Kohan : Qui faisait la cuisine ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Il y avait plusieurs cuisines, avec des fours qu’ils fabriquaient eux-mêmes de style vietnamien ou cubain, comme ils nous l’expliquaient. Ils appellent cela « ranchas » [popote]. J’ai vu les gens cuisiner, autant les femmes que les hommes, les deux à égalité.
Néstor Kohan : Étaient-ils habillés tous de la même façon ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Oui, avec un uniforme vert olive et les insignes des FARC-EP. Hommes et femmes étaient tous d’une grande propreté. S’ils nous voyaient plein de boue (suite aux marches) ils nous faisaient des plaisanteries, en nous suggérant de nous changer. Chaque combattant a plus d’un uniforme, qu’ils confectionnent eux-mêmes. La propreté des combattants est réglementée. Au milieu de ce bourbier tout le monde était propre. Incroyable ! Si ma perception ne me trompe pas, savoir marcher de longues journées dans la boue sans se salir, de cela ils étaient fiers. Ils se sentaient fiers d’être ainsi, si propres au milieu de la forêt. Même qu’ils nous demandaient avec ironie pourquoi nous étions plein de boue en nous disant : « Vous n’êtes pas habitués à marcher dans la boue, n’est-ce-pas ? ». Et en même temps, tout naturellement, quelques combattants nous demandaient aussi : « Sérieusement c’est la première fois que vous visitez des campements de guérilleros ? »… comme si c’était le plus normal du monde… [Rires]. Ils s’habillaient de la même façon mais il y avait une grande variété de personnes. Nous avons vu des combattants blancs, métis, indigènes, afro-descendants, hommes et femmes. On les sentait intégrés, dans un collectif intégré. Par exemple, j’ai vu des gens blancs cuisiner et servir des gens métis ou afro-descendants. Tout le contraire du capitalisme raciste et de la discrimination à laquelle notre société nous a déjà habitués.
Néstor Kohan : Toute la tournée ils ne faisaient que travailler ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Non, en plus de manger, travailler et se reposer, j’ai vu aussi des réunions et des discussions qu’ils faisaient l’après-midi. Ils appellent ces réunions « l’heure culturelle ». En réalité elles durent une heure et demie ou deux heures. D’abord, ils se rassemblent et écoutent des informations, pour ensuite les analyser. Puis ils débattent de l’information du jour dans une sorte d’assemblée.
Néstor Kohan : Quel type d’informations ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Principalement des informations sur la Colombie et l’Amérique Latine. Mais également sur d’autres parties du monde.
Néstor Kohan : D’où obtiennent-ils les informations dans la jungle et en pleine montagne ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : De la radio et de la télé. Ils regardent la télé à une certaine heure de la journée. Principalement des journaux d’informations, par exemple TELESUR. Ils obtiennent aussi des nouvelles de Caracol, etc. mais en outre ils regardent des séries télé, des matches de football, etc. Je me souviens d’une de leurs nombreuses blagues : « Untel est un léniniste strict, pour lui la première chose est le partido… le partido de football » [Rires]. Cette personne ne ratait un match pour rien au monde. [En espagnol partido signifie à la fois parti politique et partie, match, NdT.]
Néstor Kohan : Comment débattaient-ils ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : En groupes, par escouade. Les escouades sont les structures de combat les plus petites, mais en même temps elles sont des cellules politiques [dans la tradition de la pensée léniniste, les « cellules » constituent la forme d’organisation la plus petite de tout parti politique, NdA]. Ce qui est intéressant c’est que chaque escouade a son commandant mais elle a aussi son secrétaire politique. La même personne ne peut pas exercer les deux fonctions. De cette manière la démocratie interne des FARC et la possibilité du débat est garantie. Donc durant les heures culturelles consacrées à l’information, l’éducation et le débat, chaque escouade est responsable de transmettre les informations. Après que chaque escouade a parlé, commence alors le débat collectif sur les informations. Là se font les analyses critiques. Toutes et tous prennent la parole, la discussion circule. Tous et toutes participent, qu’ils soient meilleurs orateurs avec des discours plus fluides, jusqu’à ceux qui ont plus de difficultés pour parler ou lire en public. Ce qui est frappant c’est qu’ils parlent et débattent dans l’obscurité ou avec une faible lumière. En assistant à ces débats, il me vient en mémoire les récits du marxiste américain John Reed lorsqu’il écrivait l’histoire de la révolution bolchévique. John Reed, ce journaliste des USA, s’étonnait que les soldats bolcheviques de Lénine, même en ayant faim et au milieu de la guerre, se désespéraient pour recevoir des informations ou des livres au front même du combat… Les heures culturelles dans la forêt colombienne m’ont rappelé ce livre.
Néstor Kohan : Pourquoi les heures culturelles se réalisaient-elles dans l’obscurité ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : A cause de la possibilité de bombardements des avions militaires. L’absence de lumière était destinée à cacher les positions des campements guérilleros aux avions. Les combattants nous ont raconté, qu’avant, ces heures culturelles se réalisaient en pleine lumière et l’on se voyait les visages, mais comme Uribe a accentué la guerre - au nom « de la paix » et « de la démocratie »… - et que dernièrement il a reçu la technologie militaire yankee de dernière génération destinée à anéantir l’insurrection avec le fameux « Plan Patriote », alors on ne pouvait plus continuer à développer ces activités à la lumière. Cette technologie militaire yankee inclut des ballons espions ou l’information par satellite destinée à détecter des concentrations de lumière, de fumée ou de chaleur dans la forêt. Ce qui justifiait les débats dans l’obscurité. Cela semble bizarre pour quelqu’un qui vit dans la ville d’assister à ces espèces d’assemblées dans l’obscurité, au milieu de la boue, où l’on discute de l’information conjoncturelle. C’est un grand sacrifice de vivre ainsi ! Mais tout le monde participe avec enthousiasme aux discussions avec « mystique » et avec joie. Ce que nous avons vu est, réellement, une force politico-militaire très informée, très politisée et très au fait au jour le jour.
Néstor Kohan : Donc ils ne sont pas des fous lâchés, perdus dans la forêt, ignorants de la chute du mur de Berlin…
Ezequiel Rodràguez Labriego : [Rires] Oh Non ! Ils sont bien, mais très bien informés. Non seulement sur la Colombie mais aussi sur d’autres pays. Ils reçoivent des visites. Ils ont des discussions sur la lutte populaire d’autres pays. Ils sont internationalistes convaincus. En outre, l’immense majorité des combattants que j’ai connus ont rejoint les FARC après la chute du mur de Berlin. Ils ne sont pas des « dinosaures nostalgiques ». Ils sont marxistes léninistes, guévaristes et bolivariens, avec un projet politique très actuel, pensé pour l’Amérique latine du XXIème siècle. Ce projet bolivarien n’est pas pensé uniquement pour la Colombie mais pour la Grande Colombie et la Patria Grande, c’est-à -dire, pour toute l’Amérique latine. Les FARC forment une organisation de guérilla très bien connectée avec le monde.
Néstor Kohan : N’y avait-il pas de différence de formation entre les membres ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : En vérité, pour l’espace de temps où nous y sommes restés, je ne pourrais pas l’affirmer. Bien que je soupçonne que oui. Il y avait des travailleurs, des paysans, des étudiants. Certains ont une diction fluide, d’autres avaient plus de difficulté à lire à haute voix. Mais tous et toutes participaient au même niveau. Il y avait un tour de table ! Même les plus timides devaient parler. Les rôles pour organiser les « heures culturelles » (sortes d’assemblées culturelles) changeaient tous les jours et se faisaient en alternance. Sincèrement Je les voyais bien informés et très intéressés de ce qui se passait en Colombie (par exemple les manifestations urbaines, la crise politique, etc.) ainsi que dans d’autres pays.
Néstor Kohan : C’est ainsi pour les combattants, mais pour les commandants ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Bon, je dois reconnaître qu’ils m’ont surpris. Bien que j’aie lu l’historiographie sur les guérillas et que j’avais interviewé parfois des dirigeants politiques et des guérilleros d’autres pays, ces commandants m’ont beaucoup fait rire [Rires]. Comme je l’ai déjà raconté, ils vivaient en faisant des plaisanteries, entre eux et avec les visiteurs (il me semble que les visiteurs européens, ne captaient pas tout de l’humour ou des quelques ironies, mais ils partageaient aussi les plaisanteries). De plus, Ils discutaient de poésie et de littérature. Entre eux, ils s’entretenaient d’une discussion sur l’oeuvre et la pensée de l’écrivain Vargas Vila [moderniste, de la génération de Rubén Darào. NdA]. Sur la table du commandement il y avait « La Critique de la raison pure » de Kant ! … J’ai vu aussi des livres du poète et révolutionnaire salvadorien Roque Dalton, j’ai écouté des conversations sur Mariátegui, Nietzsche, Habermas, les manuels soviétiques de Konstantinov, des polémiques sur Saramago, entre autres. Je les ai écoutés converser aussi, avec érudition et dévotion sur Simón Bolàvar, s’il était mort de mort naturelle ou s’ils l’avaient tué. Ils parlaient également de la pensée de Che Guevara. Ils m’ont parus être des gens très instruits, très lecteurs et bien préparés. Très sensibles. Surtout lorsqu’un des visiteurs a demandé des souvenirs sur le commandant Marulanda, j’ai perçu, là , couler quelque larme. J’ai vu aussi des visages empreints de colère, d’indignation et beaucoup de dureté quand on parlait des crimes des « paracos » (les paramilitaires colombiens), l’usage qu’ils font de la tronçonneuse pour mutiler des gens, la torture, l’anéantissement des dirigeants populaires, indigènes, syndicaux, paysans, jeunes étudiants. Un des commandants que j’ai connu, d’origine paysanne évidente, avait eu ses six frères morts. En faisant connaissance avec ce commandant paysan, ancien lieutenant de Marulanda, nous nous sommes rappelés les récits historiques sur la guerre civile et la révolution d’Espagne, avec ses généraux ouvriers et paysans. Mais dans toutes les conversations prédomine l’humour, les « mamadas de gallo » (plaisanteries) et l’absence de méchanceté. Beaucoup d’ironie et beaucoup d’humour en toutes choses. N’est-ce-pas l’humour, peut-être, qui est le meilleur geste de santé mentale, indispensable pour mener de l’avant toute lutte radicale dans des conditions aussi difficiles ?
Néstor Kohan : Comment peut-on supporter de vivre dans la jungle ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : C’est difficile. Beaucoup de sacrifice ! Bien que personne ne se plaigne et que tout le monde le prenne avec « naturel », ces gens vivent avec beaucoup de sacrifice. D’abord, des nuages et des moustiques en permanence. C’est compliqué de vivre ainsi tous les jours, n’est-ce-pas ? Ils appellent cela « la peste ». Par exemple, Ils disaient tout naturellement « aujourd’hui il y a beaucoup de peste », comme celui qui dirait « il fait nuageux ». Dans les zones où il n’y a pas autant de moustiques…il y a des garrapatas [des sangsues]. Dans ces mêmes zones il y a aussi des guêpes, des vipères… Enfin, la vie des guérillas des FARC est une vie énormément dévouée et sacrifiée. Elle peut seulement être supportée, je m’imagine, s’il y a un projet politique clair, réaliste et viable qui lui accorde un sens et si on a intimement la foi en la victoire. Sinon, je ne m’explique pas comment on pourrait vivre ainsi quotidiennement. Les FARC sont certaines qu’elles vont vaincre.
Néstor Kohan : Comment les gens prennent-ils leurs mesures d’hygiène ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Ils font leur hygiène corporelle dans un puits (hommes et femmes), entouré de feuilles, sans plafond, au milieu de la pluie permanente… Il se dit que les FARC vivent comme des « magnats », dans l’abondance de luxe et de dollars, comme des « narco-millionnaires »…S’il vous plaît ! Quelle infamie ! Je t’assure que tout cela n’est rien de plus qu’une grossière et misérable propagande militaire, destinée à les délégitimer et à les isoler de possibles appuis, sûrement élaborée par les conseillers de guerre psychologique des yankees.
Néstor Kohan : Quel bilan général faites-vous de tout ce que vous avez vu et connu dans les campements des FARC-EP ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Quand je me rappelle de ce que nous avons connu dans les campements, je pense à tant d’universitaires médiocres subventionnés par quelque ONG, ou à ces journalistes ignorants payés par les grands monopoles, qui vivent en insultant et en dédaignant ces jeunes guérilleros et guérilleras en affirmant qu’ils sont des « narcos » et je ne sais quelles autres imbécilités de ce style. J’ai beaucoup d’indignation de voir ces pusillanimes et ces médiocres calomnier les FARC. Je comprends si quelqu’un ne partage pas la stratégie politique de l’insurrection communiste et bolivarienne. C’est logique et compréhensible. Chacun a le droit d’avoir son point de vue et donner son avis. Mais il me semble que celui qui juge devrait d’abord ôter son chapeau. C’est-à -dire, parler avec un très grand RESPECT [Rodriguez Labriego joint le geste à la parole] devant tant de dignité, devant tant d’abnégation, devant tant de sacrifice.
Comme conclusion personnelle, je voudrais faire remarquer le grand RESPECT, l’admiration sincère que je ressens et que ces gens génèrent, les gens des FARC. Je les ai vus très sérieux, plein d’efforts, et en particulier très convaincus de la cause du socialisme. Pas seulement du socialisme en Colombie mais dans la Patria Grande latino-américaine et dans le monde. Je crois qu’ils ont besoin de beaucoup de solidarité internationale. Au-delà des anecdotes ou des impressions, je crois bien que c’est cela qui est fondamental. La solidarité.
Néstor Kohan : Pourquoi croyez-vous que l’on parle si peu de la Colombie ? Pourquoi pensez-vous que la gauche mondiale est encore réticente à brandir en tant que tel le drapeau insurgé des FARC ?
Ezequiel Rodriguez Labriego : Il y a peut-être beaucoup de causes. D’abord, pour l’impressionnante campagne maccarthyste contre les FARC. La gauche, reconnaissons-le, n’est pas restée étrangère ni en marge des effets de ce maccarthysme officiel qui oblige tout le monde à « se démarquer » des FARC (et d’autres groupes radicaux) pour obtenir le certificat de « bonne conduite ». N’est-ce-pas vrai ? Ou est-ce-que je me trompe ? Deuxièmement, les FARC et le Parti Communiste Clandestin de Colombie (PCCC) marquent une continuité avec la gauche révolutionnaire des décennies précédentes, en maintenant la centralisation de la lutte pour le pouvoir, après plusieurs décennies de prédominance postmoderne et/ou social-démocrate. La Colombie n’est pas à l’ordre du jour dans l’organigramme latino-américain (où l’on parle habituellement de la Bolivie et du Venezuela, sans même mentionner la Colombie) parce que cela impliquerait automatiquement de discuter sur la pertinence de la lutte armée. Les milliers et les milliers de morts et de disparus provoquent la crainte. Beaucoup de crainte. Nous devons le reconnaître… il y a encore la peur, même si ce n’est pas admis publiquement ou qu’on le couvre avec des élucubrations « théoriques ». Il faut vaincre cette crainte une bonne fois pour toutes !
Alors il s’agit de reprendre la solidarité. Nous ne pouvons pas les abandonner ! Nous ne devons pas continuer en cédant au chantage maccarthyste. Nous ne pouvons pas tomber dans le silence complice ni dans le confort de l’indifférence.
Néstor Kohan : Lorsque vous parlez de solidarité, vous vous référez exclusivement à la gauche ?
Ezequiel Rodràguez Labriego : Pas nécessairement. Pas seulement à la gauche. Les FARC se définissent anti-impérialistes et bolivariens. L’arc de solidarité s’étend beaucoup plus au-delà de la gauche. Toute personne qui s’oppose à l’esprit guerrier d’Uribe et à la violation des droits humains devrait être solidaire. De la même manière qu’ont été soutenu le sandinisme au Nicaragua, le FMLN au Salvador, Fidel et le Che à Cuba, l’URNG au Guatemala, le zapatisme au Mexique, le MST au Brésil ou Chávez au Venezuela. Aujourd’hui il faut soutenir les FARC. Les FARC sont une partie irremplaçable et fondamentale de ce concert latino-américain. Nous ne pouvons pas continuer à faire les distraits face à la lutte du peuple colombien. L’appui aux FARC-EP doit être à l’ordre du jour dans la gauche latino-américaine et dans la gauche mondiale.
Article original publié le 03/12/2008
Traduction : Esteban G.
Source : Tlaxcala