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Tous sur la Syrie… Mais qu’est-ce qui fait bouger le panier de crabes impérialistes ?

Tous sur la Syrie... USA, France, Arabie Saoudite, Turquie, Iran, et maintenant la Russie... Le monde entier semble s’être donné rendez-vous pour régler des comptes sur le dos de la pauvre Syrie...

Mais qu’est-ce qui fait bouger le panier de crabes impérialistes ?

L’intervention russe semble redistribuer les cartes des enjeux géopolitiques...

Dans un contexte régional passablement embrouillé, de plus en plus illisible, et dont les populations civiles font déjà les frais depuis 4 ans, cette intervention révèle une nouvelle fois l’instabilité des rapports de force et la vitesse accrue à laquelle ils changent, avec l’enracinement des causes de la crise et son approfondissement chronique continu.

Si la Syrie est devenue le théâtre le plus spectaculaire de tous les affrontements, il ne doit pas nous faire oublier les autres brasiers allumés sur la planète par l’interventionnisme impérialiste.

Si l’on veut y comprendre quelque chose, à l’heure de la "mondialisation", c’est dans leur ensemble qu’il faut les considérer.

Il est de plus en plus d’usage courant de parler d’"impérialisme US", bien au-delà des cercles idéologiques marxistes-léninistes qui ont tendance à se réduire de manière inversement proportionnelle à l’extension de cet usage, auquel ils ont pourtant donné naissance...

Les USA, qui se trouvent impliqués dans la plupart des lieux d’affrontement, sinon quasiment tous, de manière indirecte, peuvent difficilement se débarrasser de ce qualificatif "impérialiste" qui leur colle à la peau au point qu’on le requalifierait presque de pléonasme...

Pourtant on voit bien, aujourd’hui, qu’ils ne sont plus seuls sur ce terrain de jeu mortifère...

Tous les belligérants sont-ils pour autant "impérialistes" ?

Qu’est ce qui pousse une nation à se comporter en "impérialiste" ?

Le seul fait d’intervenir militairement à l’extérieur de ses frontières fait-il "l’impérialiste" ?

N’y-a t-il pas plusieurs définitions de l’impérialisme ?

Il ne s’agit pas ici d’ébaucher un traité fondamental sur la question, mais simplement de revenir rapidement sur l’histoire du vocable et d’en relativiser les différents usages dans le contexte actuel.

Lénine distinguait déjà deux types d’impérialisme, l’ancien, avec Rome comme modèle, fondé essentiellement sur la conquête de territoire, et le nouveau, qui est d’abord une extension et une évolution du capitalisme, son "stade supérieur"...(1)

A son époque les deux types se conjuguaient encore très bien ensemble, sous la forme du colonialisme, mais il entrevoyait déjà très clairement l’avenir du système vers le néocolonialisme, avec ce qu’il nommait précisément les "semi-colonies", soumises à une domination financière et économique, sans occupation territoriale militaire.

Il nous expliquait déjà pourquoi la force de l’impérialisme réside d’abord et davantage dans l’exportation de capitaux, bien plus que dans l’interventionnisme militaire.

En période de crise, il n’en reste pas moins que l’interventionnisme vient au secours de l’investissement, et en phase de crise aigüe, ce jeu mortifère se transforme en embrasement généralisé, comme lors des deux premières guerres mondiales.

Mais si Lénine semble clairement être à l’origine de l’usage moderne du vocable "impérialisme", c’est précisément parce qu’il n’avait rien d’un marxiste dogmatique, et que loin de rabâcher des formules tirées des livres pour tenter de les faire coller à la réalité, il n’hésitait pas à s’approprier le meilleur des analyses économiques et financières "bourgeoises", pour en faire une relecture et une analyse concrète et authentiquement marxiste, dans la dynamique de l’idée, et non dans la forme.

C’est notamment à John Atkinson Hobson qu’il se réfère comme analyste bourgeois critique de l’impérialisme (2).

Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, il est remarquable de voir qu’il emprunte à Hobson, quasiment telle-quelle, sa vision de l’insertion de la Chine à l’économie mondiale sous forme de semi-colonie des flux financiers "occidentaux", même si, à l’époque, ces flux n’étaient pas encore totalement dominés par celui du dollar...

Si un chroniqueur économique l’insérait encore telle quelle dans un bulletin radiophonique, très peu de gens s’apercevraient réellement du décalage temporel...

Il semble exactement nous parler de la Chine telle qu’elle s’est progressivement intégrée au marché mondial, à partir de 1972 et de la fameuse rencontre Mao-Nixon. (3)

Mais ce qui caractérise la mondialisation moderne, c’est précisément la vitesse du changement, et qui s’accélère encore dans la phase de crise que nous connaissons.

D’une certaine manière on peut dire que cette vision arrive déjà à sa fin précisément ces jours derniers, avec l’affrontement potentiel de la marine US et des forces militaires chinoises, autour des iles Spratleys.

Il est clair que les investissements massifs des chinois pour tenir et occuper ces ilots de sable ne sont pas destinés à l’organisation d’un tournoi de beach-volley...

Il est non moins clair que si la marine US y fait précisément une incursion ces jours ci, dans le contexte international actuel, ce n’est pas non plus un hasard...

L’occupation et l’accaparement de ces ilots, parfaitement stériles en eux-même, mais d’importance géostratégique considérable, est une des marques de la mutation du capitalisme chinois de semi-colonie financière en capitalisme monopoliste d’État ayant sa propre dynamique d’exportation de capitaux, et à l’occasion, sa propre force d’expansionnisme.

Cet affrontement en Mer de Chine, qui pour l’instant se limite à un round d’intimidation, traduit ce fait : si elle s’est développée en tant que semi-colonie financière de l’occident, et surtout des USA, la Chine n’en constitue pas moins la seconde économie mondiale, et par la dynamique même d’accumulation du capital elle tend à constituer sa propre autonomie en tant que pôle financier et impérialiste.

Le processus de cette mutation, pour spectaculaire qu’il soit dans le cas de la Chine, se retrouve à différentes échelles chez tous les pays "émergents" ou en voie d’émergence.

Avec la fin du colonialisme au sens strict, le statut de la très grande majorité des pays du monde, dans le contexte actuel, évolue entre rester simplement une semi-colonie disputée entre les grandes puissances, souvent à travers des conflits "locaux" particulièrement sanguinaires et alimentés par les marchands d’armes, ou bien tenter d’évoluer un capitalisme "national", parfois, mais rarement, à connotation "sociale" (Vénézuela) qui s’affronte ou s’intègre plus ou moins aux flux financiers internationaux, avant soit de se transformer en impérialisme secondaire,(Brésil), soit de sombrer sous la répression (Lybie).

Le cas de la Russie, pour plus complexe qu’il soit à cause de son passé soviétique qui marque encore les esprits, n’en est pas moins tout à fait comparable du point de vue de la dynamique du capitalisme.

Mais comparaison n’est pas raison, et comparable ne veut pas dire similaire...

Comme nous l’explique Lénine, et comme le montre précisément l’exemple de la Chine, l’émergence d’une puissance impérialiste repose sur sa capacité d’accumulation et d’exportation du capital.

Celle de la Chine a donc commencé à se constituer dès 1972, avec l’afflux financier autour des "Red Chips" vendues à la bourse de Hong-Kong (4). Lorsque les places financières chinoises continentales ouvrent au début des années 90, les capitalistes chinois ont déjà 20 ans d’expérience de la finance internationale derrière eux...

Lorsque les places financières russes ouvrent, exactement à la même époque, l’oligarchie russe est encore en train de se constituer, à partir d’anciens bureaucrates maffieux et autres caïds du "marché noir" qui n’avaient, précisément, aucune expérience réelle de la finance internationale.

Cette bureaucratie maffieuse qui avait déjà causé la stagnation de l’économie soviétique depuis l’ère Khrouchtchev, puis son effondrement sous Gorbatchev et Eltsine, n’a su que constituer, sur les ruines de l’Union Soviétique, un capitalisme archaïque et incapable d’une réelle dynamique de développement.

Il est clair que l’action de Poutine,notamment dans ses première luttes contre les "oligarques", visait à démarrer un véritable processus de constitution d’un capitalisme monopoliste d’État russe, doté de capacité financière réelle.

Si l’intervention spectaculaire en Syrie marque une étape dans ce processus, elle n’en est qu’une manifestation extérieure.

Le vrai changement s’est produit à peu près dans un grand silence médiatique, à quelques articles près, dans le domaine des relations économiques et financières.

Chacun peut constater que la Russie, faute d’exportation d’une production industrielle défaillante, vit de la vente de ses matières premières et ressources énergétiques, que son industrie est encore incapable d’utiliser autrement.

Elle est donc tout à fait dépendante des marchés extérieurs, et à ce titre son statut s’apparente en réalité à celui d’une semi-colonie. De part l’écart de développement entre elle et la Chine, les accords passés l’an dernier au sein des BRICS concrétisaient cet état de fait dans les rapports entre les deux économies.

Devenir une semi-colonie de la Chine était pratiquement une alternative incontournable pour la Russie, face à l’agressivité US et au blocage des débouchés en Europe.

Mais en quelques mois la situation a encore changé...

La crise de "mondialisation" a logiquement fini par frapper à son tour la Chine, comme un boomerang...

La chute du cours des matières premières et des ressources énergétiques, à l’origine en partie orchestrée pour compléter l’encerclement géostratégique de la Russie, est devenu un état de fait endémique de la crise.

L’Union Européenne, réticente à voir se développer un conflit sur son propre continent, et qui, de plus, ne bénéficierait qu’aux USA, désirait donc à la fois sérieusement temporiser sur le conflit ukrainien, et surtout, retrouver accès au gaz russe à un prix "raisonnable pour les deux parties"... Les deux aspects de la question allant nécessairement ensemble, vu que les tuyaux du gaz russe passent essentiellement par l’Ukraine...

La base d’un compromis politico-économico-financier était donc toute trouvée, même si d’aucuns, comme le petit peuple du Donbass, devaient en faire les frais...(5)

Cet accord "gazier", même s’il ne suffit pas à transformer la Russie en puissance impérialiste réelle, réintègre au moins, par différentes conditions, son capitalisme monopoliste d’État renaissant dans les flux de la finance internationale.

Et en contre-partie du "gel" du conflit ukrainien, elle a décidé qu’elle pouvait bien s’autoriser cette petite escapade en Syrie, dont elle a le plus grand besoin pour desserrer l’étau US, qui continuait néanmoins à se resserrer autour d’elle.

Encore un coup de maitre de Vladimir Poutine, qui vient effectivement bousculer l’échiquier...

Un échiquier où les tensions montent inexorablement,

et où les peuples sont les pions...

Quelques ilots de résistance héroïques, comme Cuba ou le Donbass, sont inexorablement destinés à être submergés, s’ils ne sont pas reliés entre eux par la solidarité internationale.

En France, de nouvelles luttes sociales ne font encore qu’affleurer sous la surface du marigot politique boueux.

ET SI ON CONSTRUISAIT LES "SPRATLEYS" DE LA RÉSISTANCE POPULAIRE... ?

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NOTES :

(1_ Lénine, L’IMPERIALISME, STADE SUPREME DU CAPITALISME,

http://www.marx.be/fr/content/limp%C3%A9rialisme-stade-supr%C3%AAme-du-capitalisme-i-l%C3%A9nine

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(2_ John Atkinson Hobson, (1858-1940),"Imperialism. A Study" (1902)

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(3_ Pour l’accès direct à ce texte de Lénine, dans "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme" aller directement aux paragraphes référencés 12 et 13, dans l’e-édition INEM :

http://www.marx.be/fr/content/viii-le-parasitisme-et-la-putrefaction-du-capitalisme (§12-13)

Pour différentes études sur l’économie chinoise, voir plus bas, une liste de liens.

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(4_ De la structuration « maoïste » de la bulle chinoise...

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/09/01/de-la-structuration-maoiste-de-la-bulle-chinoise/

"Red Chips" : parts des entreprises "étatiques" chinoises vendues à Hong Kong dès cette époque, et très prisées des boursicoteurs US...

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(5_ De Paris à Minsk : y’a de l’eau dans le gaz ukrainien !!

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/10/23/de-paris-a-minsk-y-a-de-leau-dans-le-gaz-ukrainien/

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Pour différentes études sur l’économie chinoise, quelques liens :

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/08/22/le-capitalisme-peut-il-mourir-par-arret-du-coeur-rouge-de-la-chine/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/08/28/chine-assechement-de-la-riviere-des-perles-de-la-speculation/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/09/01/de-la-structuration-maoiste-de-la-bulle-chinoise/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2014/03/08/en_relisant_lenine_qui_parlait_deja_de_chine/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2014/07/29/1385_chine_yuan_dollar_/

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2014/11/01/1968_table_tml_chapitre_1_/

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Pour différents points de vue sur les "incidents" en Mer de Chine :

Sur l’Express, un "écho médiatique" significatif de la tension, et une carte, qui situe l’archipel des Spratleys, et par voie de conséquence, l’aspect "expansionniste" des "constructions" chinoises...

http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/la-chine-n-a-pas-peur-de-faire-la-guerre-aux-etats-unis_1730423.html

Sur Atlantico, ce très long interview (3 pages du blog...)

http://www.atlantico.fr/decryptage/guerre-entre-etats-unis-et-chine-est-elle-inevitable-dans-12-cas-historiques-similaires-16-selon-harvard-reponse-etait-oui-2410418.html

Un autre schéma, pour mieux comprendre :

https://i1.wp.com/www.45enord.ca/wp-content/uploads/2015/10/151027-infographie-zones-dispiutes-mer-de-chine.jpg

Le point de vue du Vietnam, à nouveau victime potentielle de l’impérialisme chinois « pacifique ».... :

http://lecourrier.vn/un-navire-americain-pres-des-ilots-construits-illegalement-par-la-chine/186841.html

Le point de vue des Russes :

http://fr.sputniknews.com/international/20151017/1018906269/mer-iles-chine-litige-usa.html

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PUBLICATION ORIGINALE :

https://tribunemlreypa.wordpress.com/2015/10/28/tous-sur-la-syrie-mais-quest-ce-qui-fait-bouger-le-panier-de-crabes-imperialistes/

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»» https://tribunemlreypa.wordpress.com/
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Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l’Université de Louvain (Belgique). Il a notamment publié « Impostures intellectuelles », avec Alan Sokal, (Odile Jacob, 1997 / LGF, 1999) et « A l’ombre des Lumières », avec Régis Debray, (Odile Jacob, 2003). Présentation de l’ouvrage Une des caractéristiques du discours politique, de la droite à la gauche, est qu’il est aujourd’hui entièrement dominé par ce qu’on pourrait appeler l’impératif d’ingérence. Nous sommes constamment (…)
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