Regards, décembre 2007.
Sur un an, la consultation médicale a augmenté de 19 %, l’essence de 6 %, la baguette de 12 %, le ticket de métro de 7 %, les pommes de 10 %, etc. Après ce relevé de prix, auxquels on devrait ajouter les loyers, Le Parisien du 9 novembre livre les résultats d’un sondage CSA : « pour la première fois depuis deux ans, le pouvoir d’achat passe en tête des préoccupations des Français devant la santé, la garantie de retraite, l’emploi et l’environnement ». Et 71 % des personnes interrogées ne croient pas aux vertus de la loi Tepa [1] ou de la réforme de la loi Galland sur la grande distribution pour augmenter le pouvoir d’achat.
Sarkozy s’était pourtant présenté pendant sa campagne comme le champion du pouvoir d’achat. Le Parisien cite ce qu’il écrivait alors dans son livre Ensemble : « Le but de la politique que je propose n’est pas de maintenir stable le pouvoir d’achat, il est de l’augmenter. Le but, ce n’est pas la stagnation, c’est le progrès ». Un premier test avait été passé dès juillet, quand le grand bonimenteur avait refusé tout coup de pouce au Smic. Dans la loi Tepa, son cadeau d’arrivée aux riches, la seule mesure destinée au pouvoir d’achat est la réforme du régime des heures supplémentaires, censée mettre en musique son fameux slogan « travailler plus pour gagner plus ». On a eu droit ensuite à une conférence sur le thème, petite colline médiatique qui a accouché d’une souris. Et depuis, la commission Attali ne cesse de promettre monts et merveilles de la libéralisation des marges des grandes surfaces, qui sont pourtant l’un des secteurs déjà les plus rentables.
Mais la réalité est là : tout augmente, et après avoir fait face aux dépenses incompressibles, le pouvoir d’achat disponible est en berne. Et il n’y pas grand-chose à espérer des heures supplémentaires. La lettre Gestion sociale du 2 novembre 2007 montre au contraire que c’est un « nouveau sujet de tension ». Ainsi, 30 % des 23000 salariés de Carrefour voudraient bénéficier du nouveau régime mais ils viennent de découvrir que ce n’est possible que si le patron en fait la demande. Leur PDG n’en a pas l’intention, d’autant plus qu’une convention d’entreprise lui permet de faire faire « jusqu’à six heures de plus par semaine, à tarif inchangé ». Aux Aéroports de Paris, autre cas de figure : les salariés pourront passer de 35 heures à 37h 1/2 par semaine sans gagner plus, parce qu’ils sont annualisés et que le patron « a fait ajuster pauses et congés payés ». Il faudrait de toute manière qu’ils travaillent plus de 1607 heures par an pour pouvoir bénéficier de la loi Tepa. Quant aux cadres au forfait, il leur faut effectuer plus de 218 heures supplémentaires par an pour « gagner plus ». L’opacité de la loi et les libertés d’interprétation qu’elles donnent au patron ont rendu nécessaires deux tables rondes au Crédit Lyonnais. Enfin, chez Cora, les élus du personnel veulent remettre à plat l’aménagement du temps de travail.
Cette loi sur les heures supplémentaires condense toutes les arnaques dont est capable ce gouvernement [2] et elle risque de faire voler en éclat le discours publicitaire de Sarkozy. Il faudrait pour cela deux choses : que les salariés qui font des heures supplémentaires s’aperçoivent qu’ils se font rouler dans la farine et que les salariés, pris dans leur ensemble, constatent que la loi sert de prétexte à un gel général des salaires.
Sarkozy est déjà plus coincé qu’il n’y paraît. La hausse du blé, du lait ou du pétrole ne sont pas de son fait, mais il ne peut faire valoir cet argument parce que c’est lui qui augmente la franchise médicale, baisse les retraites et qui aura besoin d’augmenter les impôts, sous une forme ou une autre, pour payer les cadeaux qu’il a faits aux riches. C’est aussi lui qui refuse, cela va de soi, toute augmentation des cotisations patronales ou de l’impôt sur les revenus financiers et les super-profits pétroliers. Sa stratégie d’offensive tous terrains risque de se briser assez vite sur les résistances qui s’élargissent tous les jours. Admettons même qu’il sorte sans trop de dégâts de son bras de fer sur les régimes spéciaux. Le mécontentement social qui s’approfondit autour de la question du pouvoir d’achat n’en sera pas effacé pour autant et la moindre mesure jugée insupportable pourra, sur le modèle du CPE, être l’étincelle qui déclenche un nouveau « tous ensemble ». Et si Sarkozy ne tenait pas la distance ?
Michel Husson, économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic. Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ Etat social", La Découverte.
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