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Horizon Colombie (IV)

Témoignages des victimes et des acteurs du conflit en Colombie. Décembre 2008 - Janvier 2009

État de Norte Santander, Cúcuta, frontière avec le Venezuela.

Don Reynaldo, ses enfants, ses anciens.

Don Reynaldo est le fondateur de la fondation Albergue de paso para desplazados y población vulnerable el Buen Jesus. Le titre, un peu long, a l’avantage d’éclaircir les motivations du bonhomme quant à son implication sociale dans le quartier. Les populations vulnérables en question sont les anciens en situation d’extrême pauvreté et les enfants abandonnés. Cúcuta détient le triste record du taux le plus élevé de séropositifs et porteurs du virus VIH en Colombie.

Nous sommes assis avec don Reynaldo à son petit bureau, dans la cour de la maison qu’il loue dans un quartier populaire de la ville. Derrière, les enfants préparent des décorations pour noël, des petits sacs faits de tissus récupérés et des poupées de toutes les couleurs. Beaucoup d’entre eux sont séropositifs. Certains ont été abandonnés par leur famille du fait de la maladie. Dans le reste de la maison, derrière chaque porte se repose un ancien sur un lit sommaire.

La fondation manque de place et de moyens. Aux yeux occidentaux peu habitués à la misère, cela pourrait paraître plus que rustique, si loin des standards d’hygiène des mondes aseptisés, mais la chaleur humaine et la force morale de don Reynaldo relativisent les murs sans peinture et les sols sans parquet. Aujourd’hui il ne pleut pas, il n’y a pas de boue et la chaleur de la matinée fait déjà perler des gouttes de sueurs sur les visages. Les ventilateurs sont réservés aux anciens, et la nuit les jeunes font leurs nids dans la cour avec les vieux matelas rangés contre le mur.

L’état n’aide pas la fondation, les oligarques préfèrent ne pas voir la situation du pays, ne pas enregistrer les cas de misère qui assombriraient les bilans de fin d’année. La mairie fait parfois don d’un peu de nourriture, de mauvaise qualité et en quantité insuffisante. Pas d’importance pour cet homme de foi, il frappe inlassablement à toutes les portes pour que les enfants et les anciens puissent bénéficier du minimum et ne pas traîner dans la rue. Il occupe les plus jeunes avec des dessins, des jeux, du sport, il les aide dans leurs devoirs, il implique des étudiants et des infirmiers, il dispense son catéchisme et assure lui-même des ateliers d’information sur le virus du sida. C’est un homme sain, à vous réconcilier avec Jésus, plus proche de Camilo Torres Restrepo (le curé guévariste) que de Benoît XVI (le curé révisionniste). Il se démultiplie, aide les parents à gérer leurs maigres ressources, à la fois banquier et comptable et sa bonne humeur cache presque l’effroi de ses paroles qui content la situation des ces populations vulnérables oubliées de la grande bourgeoisie.

En finissant le jus de fruit frais qu’ils nous a offert, il se projette dans le futur, imagine une fondation plus grande, plus salubre, il imagine la charité chrétienne des grandes familles de la ville, il rêve de dispenser des cours sur le sida dans les écoles et collèges du quartier, il prophétise des temps meilleurs pour les enfants, loin des pressions paramilitaires, des mafias qui recrutent dans la rue, et dans sa poignée de main ferme qui me salue sur le bas de la porte, je sens toute la force des hommes de bonne volonté qui luttent et lutteront, quoi qu’il arrive, pour une Colombie juste et en paix, c’est-à -dire dire pour le commencement d’un monde meilleur.

Je sais que son projet de déménagement n’a finalement pas fonctionné, alors il reste encore dans ce logement pas très commode. L’aider, c’est aider tous ces enfants et tous ces vieux, toutes ces victimes du capitalisme, parce que dans les rues de la ville passent de grosses voitures que même en Europe il est difficile de se payer, et il n’y a aucun doute sur l’implication de leur conducteur dans de très sales choses. Les enfants, eux, et avec don Reynaldo, continuent de se battre chaque jour à fabriquer non seulement de petites poupées avec des tissus de récupération, de petits sacs vendus sur les marchés, mais avant tout ils se battent pour construire un avenir meilleur au milieu du marasme imposé par l’élite colombienne à son propre peuple.

Tragédies des déplacés - Doña Carmen

Doña Carmen vit avec sa famille dans le quartier de Niña Ceci, quartier populaire de Cúcuta, depuis 4 ans. Avant elle vivait dans une finca, à la campagne, travaillant la terre et vivant de ses mains, avec son mari et ses enfants. Un de ses fils a rejoint la guérilla, et après 3 ou 4 ans, elle ne sait pas très bien, il s’est enfui au Vénézuela pour des raisons qui restent obscures à ses yeux de mère. Là -bas il a été assassiné, sans qu’elle sache si cela fut le fait des paramilitaires, de la guérilla ou d’éléments infiltrés de l’armée nationale colombienne. Alors, des hommes sont venus la menacer, elle et sa famille, aux portes de la finca. La vie n’était d’ailleurs plus tenable. Une nuit, prise entre les tirs croisés d’un accrochage, toute la famille est restée couchée sur le sol pour éviter les balles. Son plus jeune fils en a été profondément marqué et ne put dormir pendant des mois, les cauchemars remplaçant les doux rêves des enfants. Un autre jour des hommes ont mis le feu à la maison, alors elle est partie avec sa famille et quelques affaires pour se réfugier plus loin sur une autre parcelle de terre. Mais les problèmes l’ont suivie. Là -bas aussi on savait pour son fils dans la guérilla assassiné au Venezuela. A nouveau menacée, elle a du partir avec toute sa famille, cette fois pour la ville. Il n’est pas difficile de savoir qui les a menacé, les sbires mercenaires de l’ordre capitaliste ; en Colombie il faut savoir interpréter les silences et les regards fuyants.

Pour beaucoup de paysans la guerre est une chose unique et peu importe l’écusson sur la veste du soldat, seulement importe les faits de guerre, les menaces, les armes braquées sur les tempes. De plus, pour bénéficier du minimum que l’état consent aux populations déplacées, il faut déclarer que la guérilla est la seule source de tous les malheurs. Ainsi l’état a de quoi alimenter sa propagande guerrière. Alors c’est ainsi, et pour eux peu importe, la tragédie reste la même, les larmes ne sont pas moins salées, les nuits ne sont pas plus douces.

La Croix Rouge lui a apporté une première aide d’urgence, des couvertures, une petite maison de transit, un peu d’argent pour se nourrir les premières semaines. La ville. Que faire ici pour ces paysans habitués à semer le maïs et la yuca, qui vivent au rythme du soleil ? Ici dans le béton rien ne pousse. Ici, dans l’agitation de la ville, les ennemis sont partout. Les paramilitaires nouvellement reformés sous le nom de aguilas negras (les aigles noirs) contrôlent la ville. La confiance est une denrée précieuse.

Des associations travaillent pour aider ces populations, pour les socialiser et les intégrer à la vie urbaine, pendant que l’état, lui, nie en bloc la réalité de la guerre, heureux et traître de clamer haut et fort que la pays est pacifié, tout juste s’il resterait quelques bandes de délinquants et de trafiquants ici et là ... alors que le chiffre pour cette année 2008 est de 500 000 déplacés ! Des paramilitaires infiltrent même les cercles de victimes pour s’assurer que personne ne parle. Quelle tristesse et quelle souffrance, dans ce pays, qui, quoiqu’en dise les biens pensants démocrates, fut, est et reste une dictature.

Doña Carmen, elle, va de l’avant. Elle a monté un petit atelier de couture et le travail ne manque pas. Un de ses fils travaille à la fondation Creciendo Unidos de Cúcuta, fondation qui socialise les enfants travailleurs et les jeunes en situation de vulnérabilité. Il apprend le métier de boulanger. Avec ses amis, des jeunes eux aussi victimes du conflit, ils pensent monter une petite pizzeria. La fille de doña Carmen apprend la maroquinerie et tous deux continuent leur parcours scolaire. Le mari de doña Carmen, lui, reste plongé dans une dépression latente, comme beaucoup de déracinés de leur terre. Il traine un peu trop avec les hommes du quartier à tuer le temps avec une bière et il n’a pas voulu parler avec l’étranger de passage.

Témoignages de l’horreur paramilitaire - Doña Luz Mery

Doña Luz Mery, nous l’avons rencontrée dans la localité de Zulia, une municipalité peu éloignée de Cúcuta. Nous avons partagé un repas et elle nous a raconté son histoire. Par trois fois elle a essuyé les larmes qui roulaient sur ses joues avec son écharpe aux couleurs de la Colombie. Sa fille est morte un 20 juillet, sur le bas de sa porte, devant son petit frère et sa petite soeur, d’une balle tirée par deux hommes en moto. Deux autres hommes surveillaient de loin sur une autre moto. Les militaires de l’armée nationale qui était postés au bout du chemin assurent n’avoir rien vu. Quelques jours auparavant, sa fille, dont le sourire illumine la photo qu’elle me tend et qui ne la quitte jamais, avait refusé à des hommes en armes de partager une bière avec eux et ces derniers étaient partis en la menaçant de mort. L’exécution ne tarda pas, l’impunité continue.

Le chef paramilitaire du secteur, alias el gato (le chat), a reconnu d’un air distrait lors de son procès qu’effectivement la fille de doña Luz Mery figurait sur sa liste, comme on vérifie un livre de compte mortuaire. Luz Mery a vu le commanditaire de l’assassinat sans que rien ne change, ni pour sa douleur, ni pour la situation de la région, parce que les morts se succèdent. Elle m’informe des chiffres sordides de la veille, 14 personnes ont été assassinées cette nuit, dont deux dans des fincas éloignées de la ville, comme ce fut le cas pour sa fille. Pour l’année 2008, à Ocaña, une localité distante de quelques kilomètres, 50 jeunes ont été assassinés.

Avant cette tragédie, elle vivait aussi tranquille que l’on puisse vivre dans la campagne de Norte Santander, avec ses cultures et son élevage de 60 poulets, me dit-elle fièrement, les yeux encore humides de ces souvenirs douloureux. Aujourd’hui elle s’entasse avec le reste de sa famille dans une seule pièce insalubre, dans une finca éloignée où ses enfants doivent marcher chaque jour 3 heures pour se rendre à l’école.

Elle s’implique dans l’association Asofazul, avec d’autres victimes du conflit, pour leur apporter un soutien juridique, pour que les familles déplacées aillent au bout des démarches administratives qui leur donnent droit à de maigres compensations, comme les frais de cantine gratuits pour les enfants et une petite indemnisation.

Doña Luz Mery est une petite femme, une campesina, une âme forte quoique abattue par la douleur de la perte de sa famille, et à partager le souvenir de cet assassinat, souvenir qui maintenant est le mien, et le votre, à voir son courage à continuer à vivre et à aider les victimes, comme elle, de la barbarie des paramilitaires, le soleil se lève dans mon coeur face aux combats quotidiens de ceux qui se lèveront toujours, eux, contre l’inhumanité de ces tueurs au service de l’oligarchie.

Conseil Norvégien pour les Réfugiés.

En Colombie, il est plus facile pour les étrangers que pour les Colombiens de travailler dans la lutte pour le respect des droits de l’Homme. Ce n’est pas vraiment une question de facilité mais plutôt de sécurité. Le passeport et la couleur de peau protègent plus que la vaillance et la persévérance. C’est le sophisme colombien, beaucoup d’argent pour la guerre en provenance des Etats-Unis, beaucoup d’argent en provenance de l’Union Européenne pour panser les plaies de la guerre, et beaucoup d’argent pour les multinationales qui pillent le pays. Au milieu de tout cela, entre propagande et déni de droit, entre terrorisme d’état et mafia toute puissante, les Colombiens vivent.

Le Conseil Norvégien pour les Réfugiés m’a reçu par un après-midi de pluie. Contrairement aux Colombiens, eux peuvent parler franchement à un étranger de la situation. Contrairement aux mots des Colombiens, les leurs sont toujours teintés de ce regard légaliste en décalage avec la réalité du terrain. Eux peuvent travailler dans les chemins autorisés par l’État de non droit colombien. Et pourtant s’ils n’étaient pas là , le panorama serait encore plus sombre.

Ici à Cúcuta, ville frontière avec le Venezuela, la situation est la suivante. La violence n’a pas disparu mais le schéma de son exécution s’est modifié. Les paramilitaires tenaient la ville il y a encore un an, c’est-à -dire qu’ils étaient les maîtres de façon très visible. Jamais on ne voyait de groupes de jeunes après la nuit tombée dans les rues, peu ou pas de délinquance commune ( la peine automatique étant la mort, la torture ou l’exécution sommaire), et les paramilitaires exerçaient un harcèlement inlassable sur les quartiers où s’échouent les déplacés des campagnes. Apparence de calme, tranquillité pour la bourgeoisie et terreur dans les quartiers populaires.

Depuis peu, la mafia dispute aux paramilitaires le contrôle de la ville. Dispute ou négocie. Les jeunes sont de nouveau visibles dans le centre, devant les discothèques, et le trafic de drogue se fait au grand jour. Augmentation des vols et des braquages. Prostitution plus visible. C’est que, devant la démobilisation des blocs paramilitaires, de nombreux assassins se sont retrouvés au chômage et ne savant pas faire grand chose d’autre que violer et tuer, tranquillisés par l’amnistie tacite du gouvernement, et ils ont rejoint les rangs de la mafia.

Ici, dans cette zone frontalière, la mafia a toujours fait partie du paysage. Dans les alentours, il n’y a pas de stations essence mais des petites échoppes à ciel ouvert où se vend le pétrole vénézuelien dans des bidons de fortune. L’électroménager, les vêtements, les voitures transitent toute la journée selon l’intérêt des uns et des autres. La frontière est une vraie passoire et la vérité c’est que l’on peut pénétrer plusieurs dizaines de kilomètres en territoire vénézuelien sans montrer plus que sa carte d’identité à un douanier distrait, qu’il soit Colombien ou Vénézuelien. D’ailleurs, m’a-t-on dit, le président Chavez ne s’approche jamais de la frontière colombienne, les caciques de la mafia y sont si puissants que la possibilité de se faire assassiner est pour lui réelle. Les paramilitaires colombiens sont aussi à l’aise d’un coté comme de l’autre de la frontière.

Les déplacés sont une population très importante dans les cinq municipalités de la région. On parle de 3 700 familles, et il faut savoir que ne sont pas comptabilisés les déplacements intra urbains, les déplacements causés par les paramilitaires (puisque officiellement ils n’existent plus), ni les déplacements conséquence de la fumigation puisque l’armée n’épand son agent orange nouvelle génération que sur les champs de coca. Autant dire qu’il n’y a aucun autre choix pour les déplacés que de faire une fausse déclaration impliquant la guérilla pour bénéficier d’un peu de couverture sociale. Enfin, il s’agit plutôt d’un piteux cache-misère en fait de couverture.

Je pose souvent la question de ce qui ce passe légalement avec les titres de propriété de ces familles déplacées par la force. C’est pourtant très simple. L’administration qui gère le cadastre est des plus corrompues. Normalement, toute procédure de reconnaissance d’un déplacement gèle toute vente d’un terrain. Dans les faits, c’est une farce. De plus, le titulaire est toujours le chef de famille, l’homme, et si celui-ci disparaît la femme n’a aucun droit sur la terre. Je rappelle qu’il ne s’agit pas de l’Afghanistan des talibans mais bien de la Colombie démocratique du président et paramilitaire élu Alvaro Uribe. Dans ce chaos mise en place pour le bénéfice des caciques et les rentes de ceux qui vendent le pays aux étrangers, le Conseil Norvégien pour les Réfugiés développe des activités et processus de renforcement des structures d’accueils, d’élaboration de projets sociaux, de visibilisation du drame des déplacés, de pressions internationales sur les institutions locales et nationales. Une goutte d’eau ? Une larme serait plus juste, une larme de rage et d’impuissance.

Barrio Primavera

Jésus est un ami de l’humanité, un homme bon malgré les tourments quotidiens qui corrompent les hommes et les femmes. Je ne parle pas du prophète mais de ce jeune père de famille qui habite aux abords du quartier de Primavera, un quartier surgi dans les collines qui bordent Cúcuta et dont la population n’est composée que de familles de paysans des campagnes avoisinantes déplacées par la force. Jésus, je l’ai rencontré lors d’une matinée consacrée à l’organisation des différents projets pour la jeunesse dans la région. Toutes les associations et fondations, tous les acteurs sociaux étaient là . Les représentants de la pyramide administrative aussi, et un policier, comme il se doit déguisé en militaire dans ce pays où la différence entre les deux titres ne saute pas aux yeux.

Beaucoup de projets, quelques cris d’impuissance, quelques banalités et beaucoup d’envie de tous ces citoyens colombiens qui non seulement vivent avec l’horreur quotidienne mais travaillent avec elle. Jésus m’a invité dans son quartier quelques jours plus tard et m’a servi de guide. Il m’a tout expliqué alors je vous explique tout de la vie des familles déplacées.

Dans la chaleur tropicale, sous les pluie quotidiennes, dans les chemins de terre qui serpentent sur la colline, les maisons de planche et de tôle aux portes de toile et de plastique sont disposées de part et d’autre du chemin. La terre est rouge, de ce rouge dont on fait les briques les plus réputées du pays par leurs qualités, si résistantes que les usines du coin les exportent. Lorsqu’il ne pleut pas, il n’y a pas de boue. Lorsqu’il pleut, il fait un peu moins chaud. La chaleur n’impose pas de se barricader et justement, l’air qui passe entre les planches et sous les toits à l’étanchéité médiocre offre un peu de rafraîchissement. Il y a l’électricité mais pas toujours l’eau courante. Des lignes téléphoniques qui s’entremêlent. Une école et deux églises. Les enfants jouent dans les rues comme insensibles à la chaleur, et d’un regard on embrasse les collines luxuriantes, les fincas entourées de barbelés de quelques riches propriétaires terriens et le ciel azur où tournent les aigles. La Colombie est un pays magnifique. Ici la nature est riche et prolifique. Malheureusement pour ces familles de paysans, pas une parcelle de terre n’est à leur disposition pour cultiver.

Il n’y a pas grand monde dans le chemin, c’est midi ou presque, la musique s’envole de chaque maison et parfois une moto passe en claquant ses pistons. Pour la sécurité, tout est relatif. Les paramilitaires, encore, savent tout de ce qui se passe. Il ne fait pas bon s’organiser, sauf aller à l’église. Alors les familles sont un peu enfermées sur elles-mêmes. On ne partage pas beaucoup les histoires d’avant, chacun a presque les mêmes, la guerre, les exactions de l’armée et des paramilitaires, les enfants partis se battre à la guérilla, alors à quoi bon en parler ? Au sommet du quartier, près de la route qui mène à Zulia et plus profondément dans le pays, de petites auberges sont alignées.

Les routiers fréquentent ces petits hôtels où l’on peut demander bien autre chose qu’une bière à la serveuse, et cela même si la serveuse n’est qu’une fillette de douze ans. Dans les maisons, et grâce à Jésus qui s’investit dans le quartier, on nous reçoit ici et là . Il y a des enfants et des bébés dans chaque maison, des mamans si jeunes et, malgré la surprise, toujours des sourires. Les petits vont à l’école, les hommes sont au travail et les femmes s’occupent de la maison lorsque elles-mêmes ne travaillent pas. Ici tout le monde vous dira que la vie est bonne, meilleure qu’à la campagne. Que la vie à la ville est plus facile, qu’ici on est enfin loin de la guerre et de ses bombardements. En fait, ici, malgré la grande gentillesse des habitants, on ment toujours lorsque l’on parle de la vie quotidienne. L’impunité des criminelles n’incite pas à exposer de quelconques doléances.

Jésus et son groupe d’ami d’enfance, qui vivent presque tous dans le quartier, se remémorent le bon vieux temps lorsqu’ils allaient tous à la rivière, avec un repas s’il y avait de quoi ou avec rien d’autre que l’amitié s’il n’y avait rien. Accepter la misère, ce n’est pas facile. Voir leurs enfants grandir dans ce chaos et sans plus de chance qu’eux, c’est difficile pour des parents.

Jésus a monté une association et travaille avec des jeunes de la ville à un petit journal ainsi qu’à une émission de radio dont le titre peut être traduit par « la capote ». Il se bat et croit beaucoup à l’aide de la communauté européenne - je baisse les yeux ; plus tard lorsque l’on mangera, je lui expliquerai, en vain, que l’Europe est surtout la source du cauchemar pour la Colombie puisque ce sont ses entreprises qui pillent le pays, soutiennent les paramilitaires et appuient le président assassin. Et l’oppression violente de ceux d’en haut, c’est insupportable pour ces hommes et femmes qui refusent la soumission et la fatalité. Il faut partir me dit Jésus. Je reste un peu, finis mon verre de jus de fruit frais. Je parle avec ce petit de six ou sept ans et lui demande ce qu’il veut faire plus tard. Il me répond "militaire, comme son cousin". Soupir.

Il n’y a pas grand chose dans ces maisons de fortune qui poussent comme des champignons à mesure que la campagne pleure son lot d’exilés. On est bien loin des délires de la surconsommation occidentale, on est bien loin du bonheur matériel aussi. C’est une contradiction évidente, qui saute aux yeux. Victimes du capitalisme international, écrasés à l’autre bout de la chaîne par toute cette super structure qui broie les hommes corps et âmes, violés dans leurs droits, soumis par la guerre, abandonnés à l’impunité par leur propre état, ils n’aspirent pourtant pas à autre chose qu’à vivre dans le monde de la consommation, fut-ce au prix de la répétition de leurs souffrances sur d’autres.

L’éducation est un point fondamental, un facteur qui doit retrouver toute son efficacité. Ici en Colombie, après les hécatombes contre les partis politiques et les acteurs sociaux (l’Union Patriotique a perdu 5 000 militants et élus en plus de 25 000 disparus dans les années 85-95, la Colombie détient le triste record du nombre de syndicalistes abattus, et il y a peu encore, au mois de décembre 2008, l’époux d’une militante indienne a été abattu par l’armée nationale lors d’une embuscade maquillée en contrôle de police), la stratégie de l’acceptation du modèle spectaculaire capitaliste atteint le summum de l’horreur. Et bien sûr, dans chacune de ces petites maisons, les informations nationales déversent leurs flots de mensonges quotidiens au travers de petits postes de télévision.

ASCAMCAT ( Association paysanne du Catatumbo)
Asociación Campesina del Catatumbo

L’association paysanne du Catatumbo est une organisation née en 2005 de la volonté des habitants des département de Convención, Teorama, El Tarra y El Carmen qui forment la région du Catatumbo dans l’état de Norte Santander. Cet état frontalier du Venezuela, territoire ancestral des indiens Motilon-Bari, est l’un des symboles des exactions paramilitaires depuis leur prise de pouvoir en 1999. Le fameux et macabre Carlos Castaño, chef du bloc paramilitaire AUC du Catatumbo, n’avait pas fait mystère de son intention de prendre par la force la petite ville portuaire de La Gabarra, sur le fleuve Catatumbo, lieu de passage du commerce pour cette région reculée, et notamment lieu de passage de la pâte de coca. Le front 33 des Farc-ep unis avec l’EPL ( armée populaire de libération, dissidence de l’ELN, l’armée nationale de libération), ont fait échouer sa première tentative en infligeant de sérieuses pertes à sa colonne d’assassins qui ne put rallier la ville. Devant cet état de fait l’armée nationale installa une brigade à la Gabarra, et dans la soirée du 21 août 1999, ces mêmes soldats de l’armée nationale ont accueilli à bras ouverts les paramilitaires eux-mêmes « déguisés » en militaires pour tromper les forces insurgées.

Cette nuit-là , un samedi, jour d’affluence sur le marché, l’électricité a été coupée à la nuit tombée et le bombardement de la ville commença. Le lendemain, les campesinos ont constaté la prise de la ville par les hommes de Castaño, sans que l’armée ne réagisse, et les chiffres du massacre s’élevèrent à 190 paysans assassinés. Main dans la main, armée nationale et paramilitaires avaient perpétré un nouveau massacre pour le contrôle stratégique d’une zone clé à la frontière du pays. Le narco-trafiquant et paramilitaire Castaño, qui depuis serait mort sans qu’on n’ai jamais retrouvé son corps, a bénéficié pendant des années de cette position pour tuer en toute impunité et développer son commerce de la mort. La courageuse guérilla, bernée par l’armée nationale, n’a eu d’autre choix qu’un repli stratégique face à cette alliance macabre de l’état et de la mafia.

Le bloc paramilitaire du Catatumbo s’est officiellement démobilisé en 2004, assurant une presque totale impunité pour tous ces commandants et soldats. Dans ce contexte, l’ASCAMCAT s’est organisée pour reconstruire le tissu social, condition essentielle pour développer un cadre de vie digne pour tous les habitants du Catatumbo, paysans et populations indiennes, les anciens, les femmes et les enfants. L’association lutte également contre la fumigation, pour la résolution des facteurs socio-économiques qui induisent les cultures illicites, pour la défense du territoire, pour la préservation des ressources naturelles, contre l’invasion des multinationales, pour la récupération des traditions ancestrales et pour l’implication de tous dans le respect des droits de l’Homme et l’organisation de la vie sociale. Tâche gigantesque dans ce pays où, malgré les lois de paix et de réconciliation, les facteurs de la tragédie sont toujours présents.

Les Motilon-Bari sont toujours victimes principales de l’appétit des multinationales. En 2005 l’armée nationale les empoisonnait avec des colis alimentaires frelatés tandis que les multinationales du pétrole électrifiaient les clôtures encerclant leurs derricks et causaient des morts atroces.

Les paramilitaires se reforment. En décembre 2008 on a vu ici et là des groupes de 50 à 150 hommes armés dans le département du Catatumbo. C’est que la situation est similaire à celle de la fin des années 90. L’organisation sociale et les mouvements campesinos se sont reformés après les massacres, l’armée nationale est sous la menace du retrait de l’argent yankee pour des raisons d’État de la nouvelle administration nord-américaine, et les multinationales piaffent d’impatience de ne pouvoir piller les ressources. Alors, comme toujours, la guerre sale sera privatisée aux profits des groupes mafieux et terroristes, c’est-à -dire textuellement ceux qui terrorisent les populations.

L’ASCAMCAT prédit tristement que 2009 sera l’une des années les plus noires, préparant les populations au retour des paramilitaires. Préparer les populations au retour des tueurs, des violeurs, de ceux qui décapitent et parfois découpent leurs victimes à la tronçonneuse ? En Colombie, à l’autre bout de la chaine horrible du capitalisme, souvent je regarde la montagne, et je me demande devant tant d’injustice, devant le cirque de la paix des bourgeois et de leurs théories honteuses, ¿donde se encuentra el camino del monte ? (où est le chemin du maquis ?)

FRONT 33 Maréchal Antonio José de Sucre

Bloc Magdalena Medio FARC-EP

Communiqué janvier 2009

Certains analystes expliquent que le conflit de la zone frontière entre la Colombie et le Venezuela, spécialement au Catatumbo, est le résultat, d’une part d’une lutte de territoire entre narcotrafiquants, et d’autre part des actions de l’état menées pour contrôler l’ordre public. La réalité est bien différente, puisqu’il s’agit de l’application de la géopolitique impérialiste des États-Unis d’Amérique. Des arguments cyniques sont donc utilisés pour expliquer la situation, les mêmes qui justifient les terribles crimes contre les peuples palestiniens, afghans, iraqiens et dans d’autres régions de la planète.

La terreur conséquence des massacres perpétrés est l’arme fondamentale pour expulser les paysans de leurs terres et se les approprier. Il est clair que cette région est riche en gisements et ressources naturelles, en ressource hydraulique, riche d’une flore et d’une faune diversifiées, de terres fertiles et située à proximité de ports importants sur la routes des pillages de nos matières premières, pillage toujours en direction des transnationales.

Ces richesses ne s’arrêtent pas à la frontière et par conséquent la stratégie impériale non plus. La toile des multinationales et de ses mercenaires s’étend silencieusement de l’autre côté de la frontalière vénézuélienne, et leurs actions sont dangereusement coordonnées par les mafias du trafic de stupéfiant et par des agents spécialisés payés par l’empire. Le vol des Aigles Noirs (Aguilas Negras), comme on appelle les paramilitaires aujourd’hui, est observé avec complaisance par les fonctionnaires officiels de l’état qui savent pourtant où se trouvent leurs nids.

Ils mettent en place une stratégie pour atteindre leurs objectifs, et certains de ces objectifs s’inscrivent dans le long terme. De sorte qu’ils préparent leurs cadres et leurs commandos spéciaux pour des opérations de sabotage, pour la mise en place des futurs massacres, crimes sélectifs, manipulations médiatiques et agitations sociales qui causeront de terribles traumatismes dans le futur si les mesures adéquates et nécessaires ne sont pas prises.

Le panorama économique, social et militaire des régions frontalières comportent de nouveaux éléments qu’il est nécessaire de réviser pour viser juste tant au niveau des politiques à mener que des moyens à employer. Dans le Catatumbo colombien ils ont vainement essayé de s’emparer de la région au moyen, à la fois du para militarisme, et à la fois par le biais de grandes opérations militaires, comme toujours soutenues par la haute technologie, militaire et médiatique, née des programmes d’assistance, ces programmes orientée par l’ambassade gringa, et les agences de coopération internationale liées au Plan la Colombie comme l’USAID (Agence Internationale pour le Développement des USA).

C’est dans le Catatumbo que se concentrent les bandes paramilitaires, c’est là qu’elles ont perpétré la plus grande quantité de massacres, qu’elles ont occasionné le plus grand nombre de déplacement de population dans le département de Norte Santander ; c’est également dans le Catatumbo que se sont déroulés les combats majeurs des FARC-EP contre l’armée et les paramilitaires, c’est ici que l’on a compté le plus de morts et de blessés, et finalement c’est ici que se concentrent les investissements de capitaux étrangers en comparaison avec le reste du département.

Au cours de cette offensive bestiale de l’ennemi dans la région, bien que celui-ci ait déployé toute sa capacité militaire, technique et scientifique, bien que tous les moyens aient été utilisés dans sa guerre dissymétrique et médiatique, il s’est heurté à notre inébranlable volonté de lutte ; jamais auparavant nous n’avions résisté à une offensive d’une telle ampleur, et nous avons résisté avec dignité et dévouement, sans compter les innombrables difficultés, sans nous arrêter devant les risques ni les sacrifices parce que nous avons la foi en nos idéaux, dans les moyens que nous mettons en oeuvre pour les atteindre et la certitude que nous les atteindrons.

S’il y a bien une dispute de territoires, il s’agit seulement d’éviter que ces terres ne passent aux mains des corporations transnationales, celles qui ne font qu’éventrer ses richesses, réduire en esclavage les travailleurs dans les mines de charbon, dans la production pétrolière, dans les plantations de dizaines de milliers d’hectares semés de palmier et de cane pour la production d’agrocombustibles, et tant d’autres mégaprojets. Si les paysans et les communautés indiennes perdent leurs terres, c’est dans le seul but d’assurer l’arrière-garde des mercenaires qui poursuivent leurs objectifs funestes dans le pays frère du Venezuela..

Dans les terres du Catatumbo nous semons nos frères tombés au combat comme les paysans assassinés par l’armée officielle et ses paramilitaires, mais nous semons également dans les esprits de nos peuples humbles et vilipendés l’espérance de construire le rêve bolivarien. Entendez que c’est la raison de notre résistance, par le socialisme, hasta la vida misma si cela est nécessaire. Nous sommes encouragés par la solidarité des peuples frères et nous ne doutons pas d’atteindre la victoire.
FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple), depuis les montagnes de Colombie.

ARCHIBALD EMOREJ.

Je remercie particulièrement Luz Dary pour son aide lors de mon passage à Cúcuta, sa confiance et son implication ont été le lien nécessaire avec la population, de même que je remercie sincèrement toutes les personnes qui m’ont guidé et appuyé dans ce modeste projet de partager les souffrances et les espérances du peuple colombien soumis à la terreur capitaliste.

Un salut respectueux à tous.

A.E

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La Colombie [sans Ingrid ni Pablo] – Un récit de voyage
Cédric Rutter
On ne peut pas évoquer la Colombie sans penser à Ingrid Betancourt ou à Pablo Escobar. Pourtant, les interlocuteurs rencontrés par Cédric Rutter au cours de son voyage n’ont jamais parlé d’eux. Ce pays ne se limite pas au trafic de drogue et à la guérilla des Farc. Cette zone stratégique et magnifique, porte de l’Amérique du sud entre deux océans, abrite des communautés et des individus en demande de paix dans une démocratie fragile. Ils ont tant à enseigner et à dire. L’auteur les a écoutés et nous (...)
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Si la liberté a un sens, c’est celui d’avoir le droit de dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas envie d’entendre.

George Orwell

Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
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Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
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Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
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