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Subprimes, immobilier, faillites bancaires : retour sur la crise "financière".


















3 novembre 2007.



A l’équinoxe 2007, l’étrange été indien des Bourses.

Entre le 7 et le 17 août derniers, la crise dite des "subprimes" a terrorisé le système bancaire mondial, les Bourses et les banques centrales. Depuis la mi-août, les baisses de taux d’intérêts planchers aux Etats-Unis et les injections de liquidités par les banques centrales -notamment la Banque Centrale Européenne de Francfort- ont rétabli pour quelques semaines au moins la "confiance" sur les marchés financiers, au point que les niveaux d’indices boursiers les plus élevés de l’année 2007 ont été retrouvés dans la première quinzaine d’octobre. Traditionnellement, cela aurait voulu dire que la crise était finie. Mais personne n’y croit. Les traditions ne sont plus respectées !

Il est possible que cette période soit à son tour en train de se clore juste en ce moment, car des faillites bancaires retentissantes se profilent aux Etats-Unis : aux dernières nouvelles (ces lignes sont écrites le samedi 3 novembre) les bourses fléchissent à nouveau sérieusement, car "les vénérables institutions multiplient les annonces de résultats décevants, voire catastrophiques, à l’image de Merryl Linch", selon une dépèche de l’AOF du 2 novembre, qui se termine ainsi : "A Paris, la publication la semaine prochaine des résultats des deux poids lourds de la banque française, BNP Paribas et Société Générale, pourrait accroître encore la nervosité sur les marchés." Qui plus est, ce dernier fléchissement fait suite à une nouvelle baisse significative des taux d’intérêts de la Fed, la banque centrale des Etats-Unis, et signifie donc que de telles mesures ne "rassurent" plus les marchés.

Le plus remarquable n’est pas ce retour en force de la crise au niveau boursier, mais la résistance acharnée des indices boursiers et la volonté politique et économique de maintenir à tout prix la "confiance". La comparaison semblera peut-être obscène ou étrange, mais il y a là quelque chose comme un jihad, au sens d’effort continu de soi sur soi pour ne pas sombrer, de la finance sur elle-même -aidée par les Etats. Ainsi, c’est une panique de grande ampleur, une belle et forte panique, qui s’est produite le 15 septembre. Pas à Buenos Aires comme en 2001, mais à l’épicentre des circuits financiers mondiaux : à Londres. La cinquième banque britannique, la Norhern Rock, était en faillite, l’Etat intervenant pour la renflouer. Les déposants, petits actionnaires, faisaient la queue par centaines aux portes de la banque. De telles scènes, l’impérialisme britannique était parvenu à les éviter aux portes de ses banques même durant les années trente du XX° siècle. Paradoxalement, les indices boursiers ont résisté, sur le coup, à cette panique. Mais l’érosion différée peut n’en être que plus rude.

Plus généralement, durant ces semaines écoulées depuis mi août et qui se terminent peut-être en cette fin octobre 2007, tous les indicateurs passent au rouge -monnaies, prix des matières premières, etc. mais les bourses "tiennent" et c’est là , officiellement, l’essentiel. Donc la musique sur les "fondamentaux qui sont sains" tente encore de s’imposer et les analyses convenues limitent la crise financière à l’ "affaire des subprimes", la qualifiant pour mieux se rassurer de "crise estivale".

Belle inversion idéologique, car la réalité est grosso modo tout le contraire : quand la surface et l’apparence semblent aller bien, les fondations sont rongées. La crise ne provient pas de la "finance" en tant que superstructure, elle concerne les fondations du capitalisme. Dans ces conditions, la "santé de la Bourse" n’a plus la signification qu’elle pouvait avoir autrefois. Elle signifie en fait redoublement de parasitisme envers le mode de production capitaliste lui-même ; la santé, à ce stade, c’est déjà la maladie. Mais il est vrai que pour les actionnaires, il ne s’agit pas seulement d’idéologie puisque tant qu’ils encaissent, tout va bien même si la maison brûle.




Petit coup d’oeil en arrière sur les prévisions des prévisionnistes.

Le CEPII (Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales) est le principal centre français d’étude et de recherche en économie internationale. Il publie chaque année aux éditions La Découverte d’excellents petits recueils sur la façon dont se présente la situation économique pour l’année à venir. Ces travaux font référence dans le monde universitaire, et il faut dire qu’ils se situent un cran au dessus de l’enseignement économique des IUT et écoles de commerce, car ils comportent fréquemment une pointe "critique" envers la finance, influencée notamment par le spécialiste le plus reconnu de ces questions qu’est Michel Aglietta. L’économie mondiale 2008 est donc disponible en librairie cet automne. Les contraintes éditoriales font que les prévisions pour l’année à venir sont, en fait, arrêtées fin juin de l’année précédente. Donc, en l’occurrence, juste avant la crise dite des "subprime". Le résultat est intéressant :

"A l’été 2007, les perspectives de l’économie mondiale sont bonnes." Première phrase du livre !

"Pour l’heure, les bonnes nouvelles se multiplient." La suite à l’avenant ? Il serait trop cruel de dire que oui, car il est logique, du point de vue capitaliste qui est celui de la science économique fut-elle "critique", de trouver que la situation est bonne quand les différents Produits Intérieurs Bruts augmentent fortement sur plusieurs années, le Produit Mondial Brut avec eux, et que cela repose notamment sur des taux d’investissements et de formation brute de capital fixe élevés dans nombre de pays, le taux d’investissement le plus élevé dans les composantes de la croissance du PIB étant atteint en Chine (44% dont plus de la moitié autofinancé, c’est-à -dire, en termes marxistes, provenant directement de la plus-value réalisée par les entreprises chinoises qui la réinvestissent), suivie de l’Inde (34%), et de la Russie pour 18%, pour l’année 2006.

Ce point est absolument décisif. Le capitalisme n’est pas en panne. Les périls planétaires proviennent de son "bon" fonctionnement, non de son anémie. Derrière les chiffres officiels de la "croissance", qui est une catégorie confuse et trompeuse, il y a l’accumulation du capital, opérée par la réalisation de la plus-value produite dans la production de marchandises, et la séquence des années 1998-2007 (si l’on prend pour départ la crise dite "asiatique", cf. mon article du 27 août dernier) est celle qui a produit le plus de marchandises, et permis la réalisation de la plus grande quantité de plus-value, sous forme de profits, dans l’histoire du capitalisme depuis les années de l’aprés seconde guerre mondiale. Donc si l’on s’en tient là on n’a pas l’impression d’avoir affaire à un système gangrené par le parasitisme financier.

D’où le mur qui semble séparer deux types d’analyses pourtant symétriques : celles, "libérales" ou simplement empiriques, qui voient d’abord "la croissance", pour qui les fondamentaux sont sains, et celles, "antilibérales", pour qui le démon de la finance ronge le monde.

Les uns comme les autres sont incapables d’expliquer le lien entre ces deux facettes, pourquoi la croissance de la production et de la réalisation de plus-value signifie aujourd’hui nécessairement aggravation sans précédent du parasitisme financier. Pour les premiers, il y a croissance, production de marchandises, hausse de la consommation, et simplement, pour les plus "progressistes" d’entre eux, quelques mesures de régulation à prendre, du type "Grenelle de l’environnement". Pour les seconds, la méchante Finance dévore la gentille production et l’empêche de devenir vraiment sociale, vraiment équitable et vraiment "bio" ...

Les uns comme les autres se meuvent dans le même univers de pensée et de croyances qui tient pour accordée la normalité du capitalisme. Ni les uns ni les autres n’ont donc vraiment compris que le capitalisme, c’est le commerce équitable, et que le commerce équitable, c’est le capitalisme : en vendant chaque marchandise produite à son "juste prix", comme disaient déjà Thomas d’Aquin et Pierre-Joseph Proudhon, c’est-à -dire au temps de travail qu’elle représente, on reproduit les conditions de l’achat et de la vente de la force de travail réduite à l’état de marchandise, donc les conditions de l’accumulation capitaliste, sa dimension financière comprise.

Sur les fondements optimistes qui étaient donc les siens fin juin 2007, le petit bréviaire du CEPII pour 2008 liste, délibérément ou incidemment, les sujets d’inquiétude qui pourraient selon lui perturber la "croissance".

Ce qui structure ces considérations, c’est la conscience d’un fait central : la place des Etats-Unis est devenue problématique. La croissance de la plus-value n’a plus en effet son épicentre premier aux Etats-Unis, mais en Asie.

De plus, nos profs d’ "économie" pensent qu’il y a eu un boom nord-américain au début des années 2000, dans la mesure où ils font volontairement abstraction des dépenses militaires et du déficit budgétaire, mais ils annoncent sa fin : il y a donc déconnexion entre le ralentissement de la croissance des Etats-Unis et la croissance du reste du monde. Le problème est alors pour eux d’assurer le "découplage" des deux en douceur.

C’est là mettre le doigt sur la question clef : le système capitaliste n’est pas un système abstrait, indépendant des Etats, il a son centre planétaire aux Etats-Unis, or ce centre fonctionne à crédit et n’assure plus l’ordre mondial, mais suscite le désordre, sans qu’il soit possible de le remplacer pour autant. Mais, circonscrit aux questions "économiques", l’ampleur du problème n’apparaît pas, et il semble souhaitable et possible d’aller vers "une résorption des déséquilibres internationaux dans le cadre d’un scénario de découplage entre croissance mondiale et croissance américaine."

Voila un programme qui convient bien aux impérialismes de second rang, qui dépendent des Etats-Unis mais que les Etats-Unis gènent et perturbent : c’est à la fois trés "européen" et, traduit dans le langage de la diplomatie, très "multilatéral". Là où les antilibéraux voudraient un capitalisme équitable et sans finance, les auteurs du manuel du CEPII ambitionnent d’aller vers un monde qui aurait coupé le cordon ombilical avec les Etats-Unis.

Convergence intéressante, mais voyons donc les thèmes d’inquiétudes, les obstacles à ce bel et beau "atterrisage en douceur" qui était appelé par les meilleurs prévisionnistes du capital fin juin 2007.

Le sujet d’inquiétude majeur est nord-américain et il anticipe ce qui est en train de se produire : la place de l’immobilier dans la formation des revenus des ménages aux Etats-Unis fait que "La pire des situations serait que la mini crise des subprime du mois de mars soit, en fait, la première d’une série." Pour que la baisse de la consommation des ménages nord-américains et l’affaiblissement des gains de productivité aient des effets limités, il faudrait que les Etats-Unis soient dynamisés par leurs exportations, donc par un affaiblissement du dollar. C’est en partie ce qui a lieu par rapport à l’euro, mais pour que l’effet positif sur les exportations nord-américaines soit décisif il faudrait en fait un réalignement de l’ensemble des monnaies, impliquant le yen japonais et le yuan chinois. Or, ce que l’on observe, c’est le scénario que nos prévisionnistes présentaient comme le pire : dépréciation du dollar concentrée sur son rapport à l’euro, et début de "transmission du ralentissement américain au reste du monde par un plongeon des marchés financiers". Le voeu le plus cher de nos auteurs est que le ralentissement de la croissance reste cantonné aux Etats-Unis, or, ils signalent eux-mêmes quatre pays, et pas des moindres, vers lesquels ce ralentissement doit forcément selon eux se transmettre : Chine, Inde, Canada et Mexique ...

S’articule à cette inquiétude centrale la situation clef du yen japonais dans les mécanismes spéculatifs mondiaux -le yen carry trade consiste à emprunter en yens à des taux trés bas et à placer des fonds en actifs risqués à haut rendement- qui fait justement obstacle au réalignement monétaire mondial souhaité. La financiarisation effarante de la "jeune" "économie capitaliste chinoise est un autre motif d’inquiétude : au printemps 2007 le nombre d’ouvertures de comptes-titres d’épargne atteignait en Chine 380 000 par jours, soit dans les 130 millions l’an. En apparence la place nouvelle de la Chine dans les exportations des autres pays "émergents" d’Asie devrait favoriser le "découplage" entre Etats-Unis et Asie, mais si l’on y regarde de plus prés, déception : ils exportent tellement de composants qui sont assemblés en Chine que la destination finale majeure de leurs exportations est bien toujours les Etats-Unis ...

Enfin, le découplage - atterrissage en douceur invoqué suppose que se maintienne une condition qui était selon nos auteurs remplie début 2007 : qu’il n’y ait pas de hausse majeure sur les matières premières énergétiques et alimentaires. On sait ce qu’il en est depuis ...

Ainsi donc, pour les prévisionnistes les plus compétents, l’économie capitaliste considérée dans son abstraction devait pouvoir effectuer une sortie en douceur de la domination des Etats-Unis. Mais les durs pépins du réel interdisent cette sortie en douceur et accumulent une série d’obstacle que nos économistes peinent à considérer autrement que comme de fâcheux hasard venus tous ensemble au mauvais moment, et dont le pire s’appelle subprime. Ce qu’ils ne peuvent expliquer, c’est la cohérence des pépins, qui n’est autre que l’ensemble des conditions réelles créées par la reproduction élargie du capital. (...)

Vincent Présumey
La Lettre de Liaisons, Militant




A LIRE : Note sur l’éclatement de la bulle immobilière américaine, par Isaac Johsua.




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Le monde à rebours du libre marché, interview de Naomi Klein, par Benedetto Vecchi.



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Putain d’usine, de Jean Pierre Levaray.
« Tous les jours pareils. J’arrive au boulot et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons - et des collègues que, certains jours, on n’a pas envie de retrouver. On fait avec, mais on ne s’habitue pas. On en arrive même à souhaiter que la boîte ferme. Oui, qu’elle délocalise, qu’elle restructure, qu’elle augmente sa productivité, (…)
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"Tout le savoir-faire de la politique conservatrice du 20ème siècle est déployé pour permettre à la richesse de convaincre la pauvreté d’user de sa liberté politique pour maintenir la richesse au pouvoir."

Aneurin Bevan (1897-1960)

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