solidaritéS, 28 mars 2007.
Le samedi 17 mars dernier à Rennes, Toulouse, Lyon, Stasbourg et Lille, plus de 60000 manifes tant-e-s - pas plus qu’en 1977 à Crey-Malville - protestaient contre la construction d’une nouvelle centrale nucléaire à Flamenville, en Normandie. De belles manifs mais qui nous interrogent sur le bilan et les perspectives des luttes antinucléaires menées en Europe depuis près d’un demi-siècle. [1]
Après s’être adonné au petit jeu du productivisme électrique en couvrantla France de 58 réacteurs nucléaires en activité, en forçant les consommateurs-trices à dilapider leur courant - tout en privant les mauvais payeurs de leur minimum énergétique vital !-, en tentant le diable avec le surgénérateur de Malville, ce « fiasco technologique » qui a fait long feu, le puissant lobby francofrançais de l’électronucléaire multiplie les provocations qui font courir les militante-s et marcher les candidat-e-s aux présidentielles.
Que 59% des Français souhaitent une diminution du recours au nucléaire, que leur surproduction exportée représente l’équivalent de 7 réacteurs ; [2] que la maintenance de ces centrales expose dangereusement près de 30000 travailleurs en sous-traitance [3], que la question des déchets radioactifs soit dans l’impasse, que le nucléaire ne contribue en rien à réduire les émissions de gaz à effet de serre [4], les technocrates bornés n’en ont cure. Ils foncent, tête baissée, dans l’absurde jusqu’à imposer leur EPR à Flamenville ou leur ITER à Cadarache [5]. Après eux, le déluge : pluies diluviennes, fonte des glaces et montée des eaux !
Alors que le monde se presse au chevet de la planète malade, ces apprentis sorciers continuent à s’amuser au petit jeu de « qui perd gagne ». La population, surtout celle qui va naître, y perd sur toute la ligne, alors que les puissants qui dominent y gagnent en gloriole, et le patronat en affaires juteuses. Sous prétexte de palier une pénurie électrique imminente ou d’éviter les centrales électriques émettrices de gaz à effet de serre, des chantiers pharaoniques leur sont ainsi servis sur un plateau. [6]
Le ridicule ne tue pas et les consommateurs- trices piégés semblent s’y complaire. Comment expliquer cela, sinon par la liberté de nuire dont jouissent les EDF,
AREVA et CEA ? Ces nucléocrates nous mènent par le bout du nez en nous forçant à descendre dans la rue pour répondre à leurs dernières provocations.
Quatre décennies de résistance contre l’atome - non plus « for peace » mais « for pèze » - nous semblent avoir été vaines. Puisque l’urgence nous y contraint, il faudra
utiliser d’autres moyens pour tourner définitivement la page du nucléaire : la désobéissance civile. [7]
C’est que leur nucléaire n’est plus, hélas, le principal danger à combattre, comme il l’était il y a encore un lustre, le premier risque à dénoncer, la priorité des luttes pour protéger la vie sur terre. Les effets du productivisme ont de multiples causes et les dégâts provoqués par les hydrocarbures se sont révélés plus redoutables encore que ceux du nucléaire, y compris militaire. « Sortir du nucléaire » ne suffit plus, il faut sans tarder « sortir du tout fossile » : charbon, pétrole et gaz, ces ressources énergétiques dangereuses, non renouvelables et en voie d’épuisement.
Certes, les catastrophes par fusion d’un coeur de réacteur, comme à Lucens en Suisse, à Three Mile Island aux USA ou à Tchernobyl en Russie, sont gravissimes, mais un danger plus grand encore menace, non plus seulement les populations nucléarisées pour quelques siècles, mais toute l’humanité pour beaucoup plus longtemps, et irrémédiablement si rien n’est fait.
C’est que le bouleversement du climat de la planète par le brouillage de son atmosphère due aux émissions de gaz à effet de serre a des conséquences moins spectaculaires, moins immédiates, mais bien plus redoutables. Les déchets radioactifs enfouis sont certes dangereux, mais ceux issus de la combustion d’hydrocarbures, expédiés dans l’atmosphère, le sont davantage encore. Les séquelles de la catastrophe de Tchernobyl auraient causé à ce jour une dizaine de milliers de morts, mais celles provoquées par un bouleversement climatique pourrait en faire une centaine de millions [8].
Nos luttes limitées au nucléaire font de fait la part belle au pétrole. C’est donc contre une catastrophe globale et non plus contre des accidents localisés dans les pays nantis qu’il faut se mobiliser. Passagers d’une croisière fatale, on en est à s’extasier sur l’allure d’un Titanic en perdition, alors que nous devrions immédiatement en bloquer la course et en inverser le cours. On rétorquera que la lutte pour sortir du nucléaire est adéquate car elle serait emblématique de toute défense de l’humanité contre les conséquences d’un siècle de crétinisme scientifique et technique au service de la croissance. Ce raccourci est cependant dangereux, car le spectre du péril nucléaire masque le risque d’une catastrophe planétaire. Il brouille le débat démocratique nécessaire sur l’avenir de la planète en le réduisant à de dérisoires polémiques : nucléaire ou éclairage à la bougie ; pénurie électrique ou effet de serre... Il nous place dans le rôle de béotiens contestant les quatre vérités des savants nucléocrates, il nous épuise dans une guerre d’usure contre leurs sarcophages de béton, la flicaille qui les protège, et les élu-e-s qui en clament la nécessité. Cette fausse alternative donne en tout cas aux candidat-e-s une belle occasion de créer l’illusion qu’ils prennent à coeur les inquiétudes grandissantes de la population.
En effet, en pleine campagne présidentielle - que Coluche qualifiait jadis de « pestilentielle » - la mobilisation « Pour sortir du nucléaire » a forcé ces champions de la course au pouvoir à bidouiller leurs discours de telle sorte qu’ils ménagent à la fois les énergies « fossiles » et leurs concurrentes « faciles ».
Chacun-e y va de sa démagogie, comme jadis le candidat Mitterand qui avait le culot de promettre aux Français-es l’arrêt du surgénérateur de Malville ! Ségolène Royal veut « examiner l’avenir de l’énergie nucléaire », Nicolas Sarkosy préconise le remplacement du parc nucléaire « par des centrales plus performantes », François Bayrou déclare que « nous ne pouvons nous priver du nucléaire », quant à Marie-Georges Buffet, elle croit encore à « la nécessité d’avoir un nucléaire propre et sécurisé ».
Pour ratisser large, ces candidat-e-s en vue promettent tout et son contraire : d’un côté d’accroître davantage la production, la consommation et l’emploi, de l’autre, de protéger les ressources, l’environnement et la vie. Ils prétendent pouvoir écraser à la fois l’accélérateur et la pédale de frein du bolide fou qu’ils espèrent pouvoir gouverner. Ils-elles feignent de vouloir prolonger les « trente glorieuses », faisant mine d’ignorer que
nous sommes entrés depuis longtemps dans les « trente ou quarante ténébreuses ».
La Suisse n’est pas en reste : « Aucun gouvernement n’a le courage de dire à ses concitoyens, que de chercher la prospérité par la croissance économique est une dangereuse illusion, et que notre avenir est dans la modestie et l’austérité. Ce qui incidemment n’empêche pas la joie de vivre, mais à condition que la planète reste un lieu où elle puisse s’exprimer ». [9]
François Iselin
– Source : solidaritéS www.solidarites.ch
Le diable fait les casseroles, mais pas les couvercles : défense du climat et anticapitalisme, par Daniel Tanuro.
L’empire de la consommation, par Eduardo Galeano.