Edward Snowden est aujourd’hui mondialement connu pour avoir en juin 2013, divulgué par le biais des journaux le Washington Post et le Guardian, des documents classifiés sur les programmes mondiaux de Cyber-surveillance des services secrets des Etats-Unis et du Royaume Uni. Face à la persécution de la justice nord-américaine qui l’accuse d’avoir commis un crime contre l’état, Edward Snowden partit d’abord à Hong Kong, puis à Moscou pour des raisons de sécurité personnelle. Il trouva dans la capitale russe un refuge où il est encore aujourd’hui.
Je veux ici transmettre à Edward Snowden ma reconnaissance pour son attitude courageuse et unir ma voix à celles de ceux qui luttent pour une société ouverte et libre, en laquelle la peur d’être espionné, contrôlé, manipulé n’entre pas.
Les raisons pour lesquelles le Prix Nobel Alternatif de la Paix a été décerné à Snowden, démontrent que les dangers qui menacent la liberté de nos sociétés sont augmentent chaque jour. De même que nous sommes de plus en plus démunis face à l’utilisation sans scrupules de technologies de pointe mises au service de certains pouvoirs impériaux qui, faisant fi de toutes les lois, établissent par l’espionnage tout un contrôle sur les gouvernements, les citoyens, les entreprises... sur tout le monde.
Ces pratiques secrètes de contrôle des populations, d’intervention dans la vie personnelle des citoyens, d’espionnage social, ne sont pas nouvelles ; elles existent depuis longtemps. Ce qui est nouveau ce sont les technologies actuelles et futures qui permettent, avec des techniques de plus en plus pointues, d’effectuer ces contrôles avec un niveau d’efficacité difficile à imaginer il y a peu de temps encore. Des antécédents démontrent que des actions de contrôle et d’espionnage ont lieu depuis de nombreuses années.
Les Etats-Unis, par exemple, ont mis au point au Chili, en 1965, (il y a presque cinquante ans !) le projet d’espionnage « CAMELOT » qui tentait, sous couvert d’une enquête scientifique, de faire une étude sociopolitique pour détecter quelle serait la réaction sociale face à une intervention de l’armée en cas de crise ou de chaos. La première expérience fut totalement rejetée par les universitaires sollicités pour y collaborer, car ils considérèrent que ce projet était une violation à l’éthique professionnelle, incompatible avec le monde de la science. Ce qui obligea le Gouvernement chilien d’alors, présidé par Eduardo Frei Montalva, d’interdire à l’USAID (agence étasunienne pour le développement) de continuer l’expérience.
Mais les Etats-Unis ne renoncèrent pas à leur plan et le transportèrent au Paraguay, où leur fidèle allié, le dictateur Général Stroessner, champion de « l’anticommunisme en Amérique Latine » l’accueillit avec joie. Dans ma thèse de doctorat à l’Université de La Plata, en Argentine, je dénonçai cet espionnage sociopolitique en tant que méthode pour évaluer les causes des révoltes sociales et dont Stroessner utilisait les résultats pour prendre des mesures afin d’étouffer les possibles révoltes et éviter son renversement. Le projet fut donc mis au point au Paraguay et donna lieu à la création d’un service d’intelligence des Forces Armées, bien que cela n’empêcha pas Stroessner d’être renversé par le Général Andres Rodriguez, un parent par alliance, avec l’aide de l’ambassade des Etats-Unis en février 1989.
C’est de façon surprenante que j’ai découvert le plan CAMELOT. Entre 1972 et 1974, le Gouvernement argentin m’octroya une bourse pour poursuivre mon doctorat en sciences de l’éducation à la prestigieuse Université de La Plata. Avant de partir en Argentine j’ai sollicité une documentation officielle sur l’éducation au Paraguay. Je fus reçu par le Secrétaire Technique de la Planification de la Présidence, Dr Federico Mandelburger lui-même, qui m’autorisa à prendre toute documentation adaptée.
En regardant ensuite ce matériel, le titre d’un document attira mon attention : « PARAGUAY. EDUCATION, FAMILLE ET SOCIETE ». Lors de ma première réunion avec mon directeur de thèse, le professeur Ricardo Nassif, de la faculté de sciences humaines, nous avons analysé ce document et nous nous sommes aperçus que « PARAGUAY. EDUCATION, SOCIETE ET FAMILLE » avait été rédigé par l’Institut de Développement Intégral et harmonique (IDIA) où travaillaient des experts nationaux militants de la Démocratie Chrétienne du Paraguay, très connus. Ce document fut soi-disant rédigé pour, comme il était mentionné, « servir le pays en cette heure de réflexion, en fournissant l’aide d’une certaine objectivité pour étudier la perspective du développement national ».
Il était évident que le document était destiné à identifier d’éventuelles subversions par le biais d’ « enquêtes confidentielles ». S’y reflétait l’opinion des milliers de paraguayens de tous les secteurs de la société, leurs croyances religieuses, leurs opinions politiques, leur « engagement avec la démocratie » et d’autres informations personnelles. Il avait été conçu par le Bureau des Investigations Sociales de l’Université Américaine de Washington à la demande de la CIA et du Pentagone.
Je n’ai jamais pu comprendre que le Gouvernement de Stroessner me permette d’emmener un document d’une telle importance pour qu’il soit étudié à l’Université de La Plata. Un document qui, bien que n’apparaisse pas le mot : « Secret » ou « Document officiel » et encore moins le sigle de la CIA ou du Pentagone, était sans aucun doute, inspiré par les Etats-Unis et élaboré par l’aile progressiste de la Démocratie Chrétienne paraguayenne. Plus tard, les militaires des dictatures du Cône Sud, très contrariés par la diffusion du document, m’accusèrent de l’avoir obtenu grâce à « mes camarades » de Moscou, La Havane ou Pékin ! Cette calomnie s’ajoutait au « péché politique » que représentait mon travail de thèse inspiré de la méthodologie de l’éducation libératrice du pédagogue Paolo Freire. J’étais de plus en plus, le point de mire de la dictature militaire.
A cela s’ajoutait mon engagement syndical dans le domaine de l’enseignement, réclamant un salaire et des logements dignes pour les éducateurs. Je fus arrêté et torturé. Il y a maintenant quarante ans, mon délit fut qualifié de « terrorisme intellectuel » et me valut mille jours de prison, la torture et la mort de mon épouse, l’éducatrice Celestina Perez ainsi que la confiscation de nos biens. Grâce à l’énergique intervention d’Amnistie International, des comités des églises (catholiques et protestantes) et aux organisations des Droits de l’Homme, je pus retrouver ma liberté en février 1978, après trente jour de grève de la faim, qui furent suivis de quinze ans d’exil à Paris.
En décembre 2002 je reçus au Parlement Suédois le « PRIX NOBEL ALTERNATIF DE LA PAIX, sur la proposition d’Amnesty International. Le prix me fut décerné « pour mon courage en défense des Droits de l’Homme au Paraguay et en Amérique latine ». À cela il aurait fallu ajouter la découverte de l’espionnage sociopolitique Nord-américain visant à détecter à temps de graves conflits pouvant nuire à leur politique.
Par ironie du destin le 24 novembre 2014, le Parlement Suédois décerna à Edward Snowden le PRIX NOBEL ALTERNATIF DE LA PAIX « pour son courage en défense de la citoyenneté démocratique mondiale, spécialement pour sa défense de la confidentialité afin de déjouer la surveillance globale secrète ». Bien qu’il n’ait pas pu venir recevoir son prix personnellement, il est devenu un référent mondial pour les défenseurs d’un monde libre, sans secrets.
En conclusion la prétendue « surveillance secrète globale » du Gouvernement Nord américain, soi-disant défenseur de la civilisation occidentale et chrétienne, s’oppose au verset des Saintes Ecritures qui dit : « Il n’y a rien de caché qui ne finissent par être découvert, ni rien de secret qui ne doive pas être connu » (Saint Mathieu, X).
Martin Almada
Prix Nobel Alternatif de la paix 2012
Asunción, 6 décembre 2014
Traduit de l’espagnol par irisinda