La presse en France a rendu compte de façon extrêmement sommaire et sélective du mouvement des retraités et des autres composantes de la société pour défendre leurs droits. Très souvent, cela s’est réduit à un chiffre d’ensemble et à un bref reportage sur la manifestation du KPRF à Moscou. Quant à Arte la chaîne avait choisi pour son portrait d’un retraité en colère l’ancien numéro 2 du KGB de Lettonie rejoignant la manifestation du KPRF à Moscou.
Le 28 janvier Carine Clément avait adressé au Monde une tribune où elle s’étonnait du traitement réservé aux retraités de Russie dans les media si prolixes à l’automne dernier lors de la « révolution orange » en Ukraine. Nous reproduisons ci-dessous le texte de cette tribune, non publiée par le Monde.
Sympathie démocratique étrangement partisane (ou) Myopie démocratique
D’un côté : émerveillement et levée de sympathie nationale pour la « révolution orange » en Ukraine. De l’autre : silence ou apitoiement ironique, voire méprisant, sur les manifestations des retraités et autres qui se multiplient dans presque toutes les régions de Russie, depuis maintenant près d’un mois. Deux poids - deux mesures ? Ou événements réellement sans commune mesure ?
Rappelons tout d’abord les faits, puisque l’information semble sérieusement manquer en France à ce sujet.
Le 1er janvier 2005 est entrée en vigueur une loi (la, déjà légendaire au sein de la population, « loi â„– 122 ») qui transforme brutalement le système social, ou ce que nous appellerions en France Sécurité sociale et services publics. La loi fait plus de 600 pages et contient des centaines d’amendements à des lois préexistantes et touchant des domaines aussi variés que l’éducation, la santé, l’écologie, le logement. Sous prétexte de réorganisation des relations Centre-régions (ce que suggère le titre officiel anodin de la loi), il s’agit en fait pour le pouvoir fédéral central de se défausser de la plupart de ses obligations en termes de protection sociale ou de fourniture de services publics en les abandonnant aux régions.
Certains pourraient saluer ici une sainte décentralisation. C’est sans compter avec la réforme des impôts qui a précédé et qui diminue encore la part des recettes fiscales revenant aux régions. En réalité, la plupart des régions russes ne peuvent s’acquitter des charges sociales qui leur ont été transférées (et qu’elles peuvent ne pas honorer puisque la loi fédérale ne les y oblige pas, mais leur en donne le « droit »). C’est sans compter avec la centralisation des ressources et du pouvoir que mène actuellement Poutine avec l’annulation des élections des gouverneurs, dorénavant nommés par le Président. En résumé, la Russie se trouve au bord du plus grave krach social qu’elle ait jamais connu, pire encore que la thérapie de choc du début des années 90 qui n’avait concerné que le secteur économique, et laissé à la population la possibilité de survivre grâce à des loyers modérés et à des aides sociales indirectes diverses. C’est à ce système qu’entend mettre un terme le nouveau pouvoir poutinien.
En France, et dans de nombreux médias russes, on ne relève pour le moment de tout ce projet de « thérapie sociale » que le volet concernant le soi-disant remplacement des « avantages sociaux en nature par des compensations financières ».
De quoi s’agit-il ? La population russe ayant subi une brusque chute de ses revenus au moment de la libération des prix de début 1992, et les caisses de l’Etat ne permettant pas à l’époque d’assurer des retraites, salaires (aux fonctionnaires) ou autres allocations au niveau du minimum vital, de nombreuses lois ont été adoptées assurant à certaines catégories de la population des aides sociales en nature. Ce sont par exemple des loyers modérés, des réductions sur les abonnements téléphoniques, des médicaments et transports gratuits. Ces aides concernent pour la plupart les personnes âgées. Il s’agissait en fait de sauver les retraités de la misère, de leur permettre de se déplacer et de mener un minimum de vie sociale. D’autres catégories se sont également ajoutées certaines pour des raisons sociales, étudiants et écoliers, instituteurs (notamment des petits villages), invalides, certaines catégories de fonctionnaires et de malades, travailleurs du Grand Nord ;d’autres pour des raisons politiques comme les victimes des répressions politiques sous le système soviétique, les « liquidateurs » de la catastrophe de Tchernobyl. Et les aides perçues en nature n’étaient rien d’autre que la protection sociale et les indemnités dues par l’Etat à tous ces groupes sociaux, mais qu’il était en l’incapacité de réaliser sous la forme de subsides monétaires. J’insiste sur cet aspect des choses, ainsi que sur le fait que la majorité des aides sociales en nature ont été mises en place par le régime eltsinien des années 90, et non par le système soviétique. Il n’y a donc pas lieu de parler, comme le font couramment les médias, d’ « avantages en nature hérités de l’époque soviétique ». Il ne s’agit NI d’avantages, NI d’héritage soviétique.
Quant aux mythiques « compensations monétaires », s’élevant de 0 (pour les étudiants, par exemple) à 100 dollars, elles sont loin de couvrir les pertes de revenus liées à la suppression des aides sociales en nature.
Le projet de loi (â„–122 désormais) avait déjà donné lieu à un début de mobilisation l’été dernier. Des actions de protestations ont eu lieu alors dans beaucoup de régions, organisées avant tout par les associations de retraités, d’invalides, de victimes des répressions, des « liquidateurs » de Tchernobyl, des défenseurs des droits de l’homme et des syndicats. Mais, fort du soutien sans faille du parti « Russie unie », le gouvernement a fait passer cette loi sans encombre, grâce aussi à une propagande, digne des plus belles années soviétiques, qui présentait des retraités rayonnants à l’idée de percevoir bientôt des subsides sociaux en monnaie sonnante et trébuchante, à la place de services en nature dont tous n’avaient pas besoin.
La loi a été adoptée début août, et plus personne ne s’en est soucié jusqu’à son entrée en vigueur le 1er janvier de cette année. Habitué à la passivité de la population, le pouvoir pensait que cette réforme allait passer comme les autres. Or dès le lendemain des fêtes, les premiers conflits ont commencé, quand les gens ont commencé à prendre le bus ou le métro et se sont vus obligés de payer. Spontanément, des centaines, puis des milliers de retraités sont sortis dans les rues, se sont rassemblés sur les places, ont bloqué les routes, exigé des comptes du pouvoir local. Puis le mécontentement s’est rapidement focalisé surtout sur le pouvoir fédéral. Aujourd’hui les manifestants réclament l’abrogation de la loi â„–122, l’arrêt de la politique antisociale, le départ des députés de « Russie unie », la démission des ministres du « secteur social », et, de plus en plus souvent, la démission du président Poutine. Chaque jour on compte entre 10 et 20 manifestations dans tout le pays. Plus d’un million de personnes au total sont déjà descendues dans la rue. Les sondages indiquent un très fort soutien aux manifestants et une désapprobation générale de la loi. Il faut dire que presque chaque famille compte au moins une personne concernée par cette loi. S’il ne s’agit pas (encore ?) d’une révolution, le mouvement social est incontestable.
Or qu’en dit-on en Occident ? Rien ou presque rien. Vus de Russie, où je travaille et milite depuis de nombreuses années, ce désintérêt et ce mépris sont d’autant plus choquants qu’on ne compte plus les commentaires de nos pieux démocrates sur l’éternel fatalisme russe, la passivité de la population, ou la faiblesse de la société civile. Pourquoi, alors que cette société s’éveille pour la première fois depuis des années, fait-on soudainement la fine bouche ?
Osons des hypothèses.
Peut-être sont-ce les auteurs de la pièce qui dérangent ? D’un côté - en Ukraine - un honorable homme d’affaires ami de l’Occident et une ravissante jeune femme dynamique. De l’autre - en Russie - de vieux retraités peu photogéniques, de jeunes militants peu présentables. D’un côté, la gaie et inoffensive couleur orange, de l’autre, un peu trop de menaçants drapeaux rouges. D’un côté, un discours très politiquement correct et façonné à la mesure de l’entendement occidental, de l’autre, des hurlements, des jurons, voire des dérapages dangereusement extrémistes. Mais peut-être me trompé-je et me laisse aller à un faux procès d’intention.
Tentons donc une seconde hypothèse. Peut-être les médias occidentaux se laissent-ils abuser par la propagande du Kremlin selon laquelle ce mouvement ne serait l’oeuvre que de quelques provocateurs extémistes ? Un telle éventualité me paraît peu probable dans la mesure où nos journalistes ont fait la preuve de leur capacité à mettre rageusement en doute la propagande officielle concernant la guerre en Tchétchénie.
Une troisième hypothèse consiste alors à s’interroger sur l’existence d’un parti pris ou d’une ignorance obstinée des réalités profondes de la société russe. Ne prétendant pas m’ériger en juge, je ne m’exprimerai pas sur l’éventuel partipris idéologique, même si les commentaires recueillis ça et là sur les manifestations des « vieux nostalgiques de l’ancien système soviétique » me crispent quelque peu par leur courte vue. En fait de nostalgie, il s’agit prosaïquement de mouvements de colère spontanés de populations indifférentes, pour ne pas dire hostiles, à l’Occident, et qui se soucient infiniment moins de la démocratie abstraite que de la façon dont elles vont finir le mois, parvenir à payer le billet d’autobus et la facture d’électricité. C’est, certes, beaucoup moins admirable que la « révolution » ukrainienne libérale et pro-occidentale ! Ce sont des réalités du quotidien dures à entendre et à accepter pour nos fines oreilles cultivées et habituées à un discours autrement plus élevé... Cependant, telle est la réalité actuelle de la majeure partie de la population russe, de cette partie tant ignorée en Occident.
En tant que témoin des faits et (, partiellement) sociologue (qu’on me fasse la faveur de me pardonner la « sympathie » pour ces manifestants, de même que mansuétude a été accordée aux intellectuels hérauts de la révolution ukrainienne), je tiens à questionner quelques clichés.
Il s’agirait de « privilèges » accordés sans fondement à certaines catégories de la population. Privilèges, les dédommagements dus aux victimes des répressions staliniennes et aux « liquidateurs » de Tchernobyl ? Les aides accordées aux personnes âgées dont la retraite est inférieure au minimum vital ? Les aides aux étudiants dont la bourse ne permet même pas d’acheter une carte mensuelle de transport ?
Il s’agirait de gens « nostalgiques » de l’ancien système. Nostalgie, la revendication d’une retraite permettant de vivre ? La revendication de dédommagement et de respect des victimes du système soviétique ? La présence de drapeaux rouges ne suffit pas à conclure à une volonté de retour à l’ancien système.
Il s’agirait uniquement de « vieux ». Et le nombre de plus en plus important de jeunes, étudiants, enfants de retraités, militants politiques ? Et les syndicalistes, surtout enseignants, qui se mobilisent ?
Il s’agirait de l’oeuvre de « provocateurs ». Où sont les provocateurs, quand les manifestations et blocages de route ont commencé en prenant tous les partis politiques et militants par surprise ? Quand les actions se préparent par le bouche à oreille et que des comités ad hoc sont mis en place pour parlementer avec les représentants du pouvoir local ?
Il s’agirait, enfin, d’« extrémistes ». Si le blocage d’une route pendant quelques heures - pratique banale en Occident - peut être qualifié d’extrémiste, alors soit. Si l’incursion pendant quelques minutes de jeunes militants du parti national-bolchévique (NBP) dans le cabinet du ministre des affaires sociales et dans un bureau de l’administration présidentielle peut être passible de cinq ans de prison ferme (verdict des tribunaux russes), alors soit. Précisons tout de même que les libéraux défenseurs russes des droits de l’homme, habituellement peu enclins à côtoyer les radicaux à tendance nationaliste du NBP, enchaînent les actions de protestation contre ce qu’ils considèrent comme des répressions politiques. Je n’ignore pas que l’Occident se mobilise pour certains prisonniers politiques, plus riches et plus influents, du type Khodorkovski et autres magnats, mais cela ne devrait pas empêcher de remarquer ces situations scandaleuses.
J’arrête là mon (faux ?) procès et termine sur une tentative de brève analyse du mouvement en cours.
Parmi les raisons qui me poussent à lui accorder une certaine importance, il y a sa naissance spontanée. Des milliers de personnes ont envahi les rues sans être convoquées, et elles y ont puisé un sentiment nouveau de « pouvoir faire », d’autant plus que le pouvoir a déjà accepté certaines (relatives) concessions. Il y a aussi le fait que le mouvement s’est produit malgré la propagande, malgré les intimidations des forces de l’ordre, malgré la passivité des partis politiques. Il y a la sympathie, même passive, de la majeure partie de la population, le rassemblement autour d’une même cause de catégories très différentes, voire à orientation politique opposée (les comités des mères de soldats côtoient les militaires et les victimes des répressions staliniennes les communistes les plus orthodoxes - et tout le monde s’exprime librement). Il y a le début d’auto-organisation observable à la formation de comités d’actions unitaires, de groupes d’initiatives et autres. Il y a aussi une certaine politisation, même limitée au refus - non à la loi et à la politique anti-sociale, non au gouvernement. Même Poutine, pourtant porté au pouvoir par les personnes âgées, voit sa cote de popularité dangereusement fléchir, et de plus en plus de slogans demandent sa démission. Enfin, parmi les points positifs, je suis tentée de ranger l’absence d’ingérence de l’Occident, qui n’a rien organisé, rien financé, qui ne remarque même rien.
Bien sûr, il ne s’agit pas (encore ?) d’un mouvement social au sens sociologiquement exigeant de mouvement conscient de lui-même, organisé et animé d’un même objectif. Cela reste un mouvement de protestation. Mais dans une société aussi délabrée et anesthésiée que la Russie, ça mérite mieux que quelques lignes blasées dans une brève de journal.
Pour alimenter les débats et pour jouer jusqu’au bout le jeu de l’objectivité, je conclus sur les faiblesses du mouvement. On peut évoquer en premier lieu les tentatives de récupération qui sont à l’oeuvre ces derniers temps, en particulier de la part du parti communiste de Ziouganov qui voit là une possibilité de se refaire une santé. On peut faire remarquer également l’absence de ressources financières presque totale, l’Occident et les oligarques jouant les abonnés absents. On doit évidemment parler de l’absence de programme positif d’un mouvement tout entier orienté « contre ». Enfin, sont à noter les limites de la coordination et de l’organisation du mouvement dans son ensemble, ce qui peut donner lieu à des dérapages vers des égoïsmes régionaux ou catégoriels. Des coalitions tentent de coordonner le mouvement sur tout le territoire, notamment celle dont je fais partie - le Conseil de solidarité sociale (SOS) - et qui rassemble des organisations de retraités, d’invalides, de « liquidateurs » de Tchernobyl, de malades, de victimes des répressions politiques, de défenseurs des droits de l’homme, de syndicats alternatifs et de jeunes. Mais ces coalitions demeurent trop faibles. SOS prépare une action de solidarité sur toute la Russie contre la politique antisociale du gouvernement le 12 février ( Lire ci- desous ). Ce sera l’un des tests.
Le bilan est donc difficile à faire, les événements se précipitent. Je peux me tromper, mais, au moins, parlons-en ! La sympathie démocratique ne devrait pas avoir de couleur...
Carine Clément
chercheur à l’Institut de sociologie de l’Académie des sciences de Russie, Membre du Conseil de solidarité sociale (SOS), info@ikd.ru.ns
LE MOUVEMENT DE PROTESTATION SOCIALE EN RUSSIE SE POURSUIT
Samedi 12 et dimanche 13 février ont été une nouvelle étape importante dans la mobilisation contre les différentes lois anti-sociales votées par la Douma l’été dernier et entrées en application à partir du 1er janvier 2005. Le Comité de solidarité sociale (S.O.S.), coalition qui regroupe une cinquantaine d’associations, organisations et syndicats mobilisés depuis le printemps dernier contre les initiatives du pouvoir, avait appelé dès le 14 janvier à faire de ces deux jours un moment important de résistance et de protestation. Appel repris à son compte deux jours plus tard par le PC de la Fédération de Russie (KPRF) très soucieux de coiffer un mouvement qui s’est développé de manière largement spontanée à travers toute la Russie depuis début janvier. Ces journées d’action ont été préparées par S.O.S dans une série de régions par diverses initiatives : meetings, piquets devant les bâtiments des autorités locales, distribution de tracts, etc.
Le 12 et le 13 des manifestations ont eu lieu dans au moins trente régions de Russie, réunissant environ 240 000 participants. Les manifestations les plus nombreuses ont eu lieu en province : de Kaliningrad à la presqu’île de Sakhaline, en passant par Saint Pétersbourg, Tver, Iaroslav, Toliatti, Orenbourg, Saratov, Voronej, Ijevsk, Omsk, Perm, etc etc. La mobilisation a aussi été importante dans les villes autour de Moscou. Les slogans des manifestants réclamaient non seulement l’abrogation des lois antisociales, mais aussi la démission du gouvernement et du président Poutine. A Moscou deux manifestations ont eu lieu : la première à l’initiative du PC de la fédération de Russie (KPRF) qui a réuni 4000 personnes, la seconde à l’appel de S.O.S. 1000 manifestants. En appelant à une manifestation indépendante S.O.S. voulait revendiquer l’autonomie du mouvement par rapport à la volonté non dissimulée du KPRF de s’ériger en porte parole exclusif du mouvement et à se démarquer nettement des slogans nationalistes et antisémites qui sont monnaie courante dans les rassemblements organisés à l’initiative de ce parti. Cette situation s’est reproduite dans un certain nombre de villes de province, même si la majorité des manifestations ont été organisées en commun par le KPRF et les autres composantes du mouvement, réunis dans des « comités d’action unitaire ».
Ces deux journées témoignent indiscutablement de la vitalité du mouvement qui a réussi dans beaucoup de régions à s’inscrire dans la durée -dans quelques régions seulement, les concessions (parfois dérisoires) des pouvoir locaux ont réussi à démobiliser les protestataires. Certes, l’étape de mobilisation spontanée caractéristique des premières semaines de janvier est révolue, et le mouvement garde sa capacité de mobilisation surtout là où se sont mises en place des structures unitaires, le plus souvent à l’initiative de S.O.S. Et depuis le week-end du 12 -13, de nouvelles initiatives ont eu lieu dans toute une série de villes. De plus, si jusqu’ici la mobilisation s’est faite principalement autour de la suppression des avantages pour les retraités, l’entrée en application des autres mesures, en particulier concernant le logement (hausse brutale des loyers et des redevances pour le chauffage et l’électricité) risque d’élargir et renforcer le mouvement, rejoint par d’autres couches de la population.
Quant au pouvoir pas question de reculer. Les quelques déclarations de V.Poutine affimant qu’il y avait eu des « erreurs » dans la mise en oeuvre de la réforme ne signifient nullement que le gouvernement soit prêt à revenir sur ces réformes. Bien au contraire, comme en témoignent les contre manifestations organisées à Moscou et dans d’autres ville où des « manifestants » réquisitionnés ont mollement crié leur soutien au président. Et les media aux ordres (télévision et journaux) n’ont rendu compte que de ces cris d’allégeance à un pouvoir fermement décidé à ignorer toute protestation. Et même à les réprimer : dans plusieurs villes des participants aux rassemblement ont été inculpés pour « atteinte à l’ordre public ». Plus grave : à Ekaterinbourg, Sergeï Belaev, responsable du regroupement régional de syndicats alternatifs « Uralproftsentr », qui participe activement à S.O.S., a été passé à tabac par la milice (une pratique dont ont été victimes dans le passé de nombreux militants et responsables syndicaux).
Lors d’une réunion le 17 février à Moscou, les animateurs de S.O.S. ont appelé à la poursuite du mouvement et ont appelé à deux journées d’action à l’échelle de toute la Fédération de Russie les 9 et 10 avril. Les 16 et 17 avril se tiendra à Moscou un Forum social russe (voir l’appel ci-dessous) qui vise à renforcer la coordination des actions contre la politique du pouvoir et à approfondir les liens entre les différentes composantes du mouvement social. Une « marche sociale » sur Moscou, qui verra converger des manifestants venus des régions de Russie devra clôturer le Forum.
APPEL POUR LE FORUM SOCIAL DE RUSSIE - Moscou, 16 et 17 avril 2005
En Russie, au cours des dernières années, on assiste à une offensive toujours plus large du pouvoir contre les droits sociaux et civiques. La seule façon de contrer ces processus dangereux est de susciter et de renforcer les initiatives des citoyens, des organisations et des mouvements sociaux pour la défense de ces droits.
Il existe déjà une expérience de coordination et d’organisation d’actions communes, en particulier au sein de S.O.S et d’autres réseaux. Des forums sociaux locaux ont eu lieu à Barnaul, Voronej, Moscou, Novosibirsk. Hors de Russie, depuis cinq ans, sont organisés, à l’échelle locale, européenne (FSE) et mondiale (FSM), des forums sociaux qui ont fait la preuve de leur importance et de leur efficacité et où étaient présents des militants venus de Russie.
Dans ces conditions, nous, représentants d’organisations sociales de Russie, nous lançons un appel aux mouvements et organisations qui se battent pour les droits sociaux et civiques et défendent des positions internationalistes : nous proposons d’unir nos efforts pour organiser un Forum social russe qui se tiendra les 16 et 17 avril 2005 à Moscou - seul un regroupement large d’organisations et de mouvement peut être à l’initiative d’un tel Forum.
Objectifs
Partant de l’expérience acquise tant en Russie qu’à l’échelle internationale, le Forum se fixerait les tâches suivantes :
- par des rencontres, des échanges de vues et d’expérience, favoriser une meilleure connaissance mutuelle entre des associations, des organisations et des mouvements qui jusqu’ici ont eu peu de rapports ;
-coordonner des actions entre organisations sur des questions communes ;
-établir des liens avec des organisations étrangères dans un esprit internationaliste et solidaire ;
Thèmes de discussion.
Nous ne proposons ici qu’une liste provisoire qui devra être entérinée par le Comité d’initiative :
- défense des acquis et des droits sociaux : défense de la gratuité de l’éducation et des soins médicaux ; la lutte pour les avantages sociaux ; la situation des retraités et des invalides ; la « lutte contre la pauvreté » ;
- droits du citoyen et libertés démocratiques ; que veut dire le « renforcement de la verticale du pouvoir » ; « terrorisme » et sécurité ; liberté de parole, de réunion et d’association ; droits des migrants ; lutte contre la discrimination ; renforcement de la place des organisations ;
- monde du travail : la situation des travailleurs, les expériences de luttes ; les tâches du mouvement syndical ;
- environnement ; écologie ; contre la privatisation des ressources naturelles ; politique de la ville.
Organisation.
Propositions soumises à la discussion concernant l’organisation du Forum :
- le Forum peut être conçu comme un ensemble de séminaires et tables rondes organisées à l’initiative d’une ou plusieurs organisations, portant sur des thèmes rendus publics à l’avance ;
- la préparation du Forum doit être menée sur la base d’un dialogue respectant les droits de chacun, sans passer par la formalisation de structure de direction et la désignation de leaders. L’action sera coordonnée dans un esprit de travail en réseaux et toutes les décisions seront prises de manière consensuelle.
- Le Forum étant une initiative d’organisations sociales, ni les partis ni les organes du pouvoir ne seront associés à son organisation, mais ils auront le droit d’y exprimer leur point de vue sur les différents thèmes retenus pour le Forum.
- Respect de l’autonomie de chaque organisation.
Pour nous, la liberté et le développement social, la démocratie et les droits sociaux, l’égalité et la justice, la solidarité et l’internationalisme ne sont ni des mots vides ni des slogans abstraits, ce sont des valeurs qu’il faut faire passer dans la vie.
Groupe d’initiative :
S.O.S, Confédération panrusse du travail (VKT), Organisation pour la ville de Moscou du Syndicat des travailleurs de l’éducation et de la recherche de la Fédération de Russie, Société panrusse des invalides, Association athéiste de Moscou, « Alternatives », Comité de coordination des organisations syndicales et unions professionnelles dans le domaine de la recherche, Institut des problèmes de la globalisation, « Résistance socialiste », Syndicat des contrôleurs aériens, Syndicat des travailleurs de la radiosignalisation, radionavigation et communications aériennes, Union des syndicats ouvriers « Défense du travail », unions syndicales régionales (Centre de Novosibirsk, Ouralproftsentr, Tioumenproftsentr, Sotsprof de la région d’Irkoutsk), coalition régionales (Comité d’unité d’action de Saint Pétersbourg, de Voronej, Comité de solidarité sociale d’Astrakhan) ; Comité panrusse des vétérans de la guerre, du travail, des forces armées et des forces de l’ordre (et ses organisations dans les régions), Organisation pour Moscou de l’Union « Tchernobyl », Organisation panrusse d’invalides « Tchernobylets », Association « Mémorial », Centre de protection de la nature, Association des diabétiques de Russie, Mouvement panrusse pour les droits de l’homme, Fédération des syndicats de Russie, Centre d’écologie politique de Russie, Comité syndical des travailleurs de la Compagnie aérienne Avia Bachkirie, Institut « Action collective ».
– Source LE MESSAGER SYNDICAL, février 2005 N° 29
Bulletin d’informations sur le mouvement syndical en Russie
Comité de rédaction : David Mandel (Canada), Carine Clément (Moscou), Denis Paillard (France).
Pour toute correspondance : Messager Syndical c/o D.Paillard 2, rue Emile Deutsch de la Meurthe 75014 PARIS. carine_clement@hotmail.com.ns
– Lire LE MESSAGER SYNDICAL janvier 2005 n° 28