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Qui osera dire qu’il ne savait pas !

S’il y a une occupation et une colonisation visibles à l’heure des drones et d’internet, c’est bien en Palestine. Il suffit de se rendre à Jérusalem dans le quartier de Sheikh Jarrah, de se heurter au mur d’annexion — pudiquement appelé barrière de séparation — à Kalandia ou Bethléem, de prendre n’importe quelle route réservée aux colons qui traversent la Cisjordanie pour prendre conscience du cancer que représentent les colonies qui mitent le territoire pour ne laisser aux Palestiniens que des confettis.

Celui qui ne sait pas, ne veut pas voir !

En majorité, les Israéliens ont fermé les yeux devant l’intolérable injustice subie par les Palestiniens ! Pire ils ont voulu ignorer l’existence de ce peuple, cautionnant la colonisation explosive dans les territoires occupés depuis trente ans qui a tué les « Accords d’Oslo » et rendu impossible la solution à deux Etats, pourtant rabâchée comme un mantra par les puissances occidentales chargées de la faire appliquer.

La réalité vient de les rattraper : le peuple palestinien existe ! On ne peut pas enterrer la résistance d’un peuple contre l’oppression qu’il subit ! Malheureusement, cela s’est produit dans la terreur pour des civils israéliens. Il a fallu le prix du sang pour qu’on reparle de la Palestine !

75 ans de Nakba, d’oppression, de négation de leurs droits ! 75 ans de sumud pour un peuple épuisé, expulsé de ses terres, fragmenté en autant d’enclaves, séparé par l’occupation : depuis 1993, Gaza est coupée de la Cisjordanie, ainsi que Jérusalem, au mépris du droit international qui spécifie que la puissance occupante n’a pas le droit de modifier les frontières, d’empêcher les gens de circuler, de travailler.

Depuis 75 ans, les Palestiniens vivent dans l’insécurité et la violence d’une répression terrifiante qui ne leur laisse pas de répit : arrestations massives — je ne connais aucun Palestinien qui n’ait pas un membre de sa famille en prison ; villages séparés de leurs terres par le mur, maisons encerclées, check-points qui rendent la circulation impossible, oliviers coupés ou récolte des olives empêchée, universités attaquées. Sans parler des 16 ans de blocus illégal de Gaza et des quatre guerres meurtrières menées contre sa population.

À Jérusalem, dans la vallée du Jourdain, dans les collines du sud d’Hébron ils subissent une politique de nettoyage ethnique. Il y a un an, j’ai rencontré des Jérusalémites chassés de leurs maisons par une décision arbitraire de la Cour de justice israélienne qui s’appuie sur un corpus de lois iniques, héritées tantôt de l’empire ottoman ou britannique ou bien israélienne — comme la loi des absents — pour se donner une caution juridique. Il faut entendre le témoignage bouleversant de cette artiste, réfugiée de 1948 à Jérusalem, raconter avec quelle violence sa maison a été démolie au petit matin, celui de cet autre qui a dû lui-même la détruire pour ne pas avoir à payer en plus les bulldozers israéliens ; rencontrer des femmes, des enfants harcelés par les colons qui veulent les déloger comme à Beita, à Huwara ou à Wadi Fukin ; écouter les Bédouins de la vallée du Jourdain ou des collines du sud d’Hébron en territoires occupés mais aussi ceux du Naqab, en Israël, décrire la destruction de leur village, leurs troupeaux décimés, leurs citernes d’eau vidées par les colons ; avoir vu les sources détournées par les colonies comme à Al Auja près de Jéricho. Je n’en finirai pas de décliner la longue litanie des crimes commis par Israël. Ceci bien avant Netanyahou et ses ministres fascistes.

L’occupation, la colonisation sont les péchés volontairement ignorés par le peuple israélien, exception faite d’une poignée de « justes » qui s’opposent à la colonisation. Pour moi qui ai grandi pendant la guerre d’Algérie, j’ai souvent pensé que si les Israéliens ne voulaient pas voir combien l’occupation pourrissait leur société, s’ils continuaient de cautionner ce régime d’apartheid, ils risquaient de subir le drame des Pieds-noirs d’Algérie. Et j’ai souvent répondu à nos détracteurs, lors de mes débats publics, que les meilleurs défenseurs du peuple israélien, c’étaient nous qui avions le courage de dire : stop à l’impunité d’Israël, il faut mettre un terme à l’injustice subie par les opprimés sinon l’explosion sera terrible !

Ceux-là même qui en France versent des larmes pour les crimes du Hamas, n’ont pas levé le petit doigt, malgré les cris d’alerte de ceux qui s’appuient sur le droit international systématiquement bafoué par Israël. Il y a pourtant eu les rapports de B’Tselem, de Human Rights Watch, d’Amnesty International dénonçant de manière très argumentée les crimes d’apartheid commis par Israël.

La complaisance et la lâcheté de l’UE

La responsabilité des puissances occidentales est énorme et le sentiment des Palestiniens du « deux poids deux mesures » nourrit leur colère. Lors de notre mission en 2022, nous ne pouvions pas rencontrer un Palestinien sans qu’il nous dise son indignation devant la célérité de l’Union européenne à voter des sanctions conter la Russie pour défendre l’Ukraine alors que rien n’était fait pour contraindre Israël à appliquer le droit.

Non seulement, aucune sanction n’est appliquée à Israël, mais on cherche à criminaliser ceux qui condamnent ce régime d’apartheid et combattent l’idéologie sioniste.La volonté d’assimiler l’anti-sionisme à une « nouvelle forme » d’antisémitisme, est non seulement scandaleuse mais conduit malheureusement à une confusion qui ne peut que renforcer l’antisémitisme. De la même façon, chercher à expliquer les causes du conflit pour comprendre le drame d’aujourd’hui reviendrait à justifier les crimes du Hamas pour ces inconditionnels du droit absolu d’Israël à se défendre. Le cercle vicieux se referme et paralyse la réflexion.

Pour mémoire, je me souviens qu’en 2003, au début de la seconde Intifada, pour combattre la résurgence de l’antisémitisme, Leila Shahid, alors déléguée générale de Palestine en France, Dominique Vidal, historien, fils de déporté et Michel Warshawski, israélien anti-colonialiste, avaient entrepris un cycle de rencontres dans les cités populaires des quartiers dits « sensibles » afin de combattre les préjugés contre les Juifs et d’expliquer la nature du conflit. Très vite leurs voix avaient été ballonnées par les préfets qui craignaient pour l’ordre public.

Pour en rajouter sur la complicité de l’Europe et de la France, ce que Leila Shahid appelait « la lâcheté de l’Union européenne », je dénonce leur attentisme après les accords d’Oslo, où tout pouvait se résoudre, à condition de faire pression sur Israël : pas un mot pour stopper la colonisation galopante, la fermeture de Jérusalem et des Institutions palestiniennes de la ville ; pas un mot pour exiger l’ouverture d’un corridor entre Gaza et la Cisjordanie. Pire, après l’échec de Camp David, sous les coups de boutoir d’Ehoud Barak et d’Ariel Sharon, Yasser Arafat avait appelé la communauté internationale à la reconnaissance de l’Etat palestinien, début 2000, date à laquelle le statut final des Accords de Paix auraient dû être validés. Cela aurait constitué un acte fort mettant Israël et son allié étasunien au pied du mur. Qui a demandé aux Palestiniens d’attendre qu’Israël et les EU soient prêts : l’Union européenne et la France !

Je ne vais pas développer ici, l’échec d’Oslo, ce serait trop long ! Le seul témoignage que je voudrais apporter, pour l’avoir vécu, c’est l’immense espoir qu’avait suscité cet accord de reconnaissance mutuelle auprès des organisations populaires des femmes et de la société civile palestinienne qui avaient conduit cette résistance exemplaire pendant l’Intifada. Certes l’OLP avait fait une concession de taille en acceptant de construire leur Etat sur 22% de la Palestine historique, mais pour celles et ceux qui ont eu la chance de vivre ces premiers mois, quelle bouffée d’air pour le peuple, pour les femmes après des années d’occupation militaire, de pouvoir espérer construire leurs institutions, revendiquer leurs droits, exister enfin ! Certainement qu’il n’y a pas eu assez de vigilance face aux signaux d’alerte : le bouclage de Jérusalem, l’extension des colonies. Excès de confiance en la parole donnée par Rabin, bientôt assassiné ! Foi dans un processus qui devait conduire à un statut final sur les questions fondamentales sans cesse repoussées par l’occupant israélien qui, pendant ce temps, mettait en place méticuleusement les instruments du dépeçage « provisoire » de la Cisjordanie en la morcelant en trois zones A,B,C (un provisoire qui deviendrait définitif) et en isolant toujours plus Gaza et Jérusalem.

En novembre 1999, j’étais dans les camps de réfugiés au Liban, avant de me rendre à Ramallah pour fêter l’Etat palestinien quand Sharon a déboulé sur l’Esplanade des Mosquées, déclenchant l’Intifada et sa terrible répression qui déboucherait sur l’enfermement d’Arafat dans la Muqata et la destruction de toute l’infrastructure de l’Autorité palestinienne ; ce qui aura des conséquences quant au succès du Hamas aux élections de 2006. J’ai vécu directement l’horreur des jeunes lanceurs de pierres tués sur les cheks points puis, en 2002, l’agression barbare nommée « opération remparts », constatant les ruines de tous les ministères, des muqatas, effondrées comme un millefeuille dans chaque région, les trottoirs réduits en dentelles, les voitures écrabouillées en de suréalistes statues de César, les maisons des camps de réfugiés éventrées par les chars dans les ruelles de Deheishe, Balata, Jabalya, sans parler du massacre dans le camp de Jenin. J’ai recueilli les récits des gens, envahis dans leur maison saccagée par la soldatesque, enfermés dans une seule pièce. J’ai vécu les sièges sans fin de Naplouse et de Bethléem. Les routes bloquées par des check points qui empêchaient toute vie sociale et économique. Il y a eu les bombardements démentiels à Khan Younis dans la bande de Gaza, l’aéroport et le port en constructions avec des fonds européens détruits, les canalisations d’eau coupées. Déjà.

Je me souviens de la colère de l’attaché culturel du Consulat de France à Jérusalem disant que l’Europe se contentait de mettre des rustines en finançant des projets qu’Israël s’empressait de détruire sans qu’on lui demande aucun dédommagement.

Et puis, toujours en 2002, je découvrais le mur, la terre bouleversée, les oliviers arrachés pour construire cette monstruosité qui dessinait les contours de l’annexion en suivant les projets d’extension des colonies. Mur qui, il faut le rappeler a été condamné par la Cour Internationale de Justice sans effet sur la politique israélienne de colonisation. Et, malgré tout, une résistance populaire admirable qui s’organisait dans les villages menacés par le mur.

Enfin, lors d’une mission en 2005 avec des élus dont Jean Louis Bianco, alors député et Président du Conseil Général des Alpes de Haute Provence, juste après la mort d’Arafat et l’élection de Mahmoud Abbas, nous avions rencontré le ministère des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne et les responsables de partis de l’OLP dont ceux de l’initiative de Genève. Tous nous avaient alertés : « si l’Europe ne fait rien pour obliger Israël à stopper la colonisation, à permettre l’accès à Jérusalem et à la Bande de Gaza, si le mur continue à détruire nos terres, c’est le Hamas qui va gagner. Nous avons besoin de l’intervention de l’UE... » Rien ne s’est passé et le Hamas a été élu démocratiquement. Ce n’était pas un vote idéologique, mais l’expression d’une colère, et un avertissement à l’Autorité palestinienne pour qu’elle refuse la coopération sécuritaire avec l’armée d’occupation et soutienne la résistance populaire contre la colonisation.
L’Europe aurait encore pu jouer un rôle positif après ces élections si elle n’avait pas suivi, une fois de plus les EU et Israël, en bloquant toute possibilité pour l’Autorité palestinienne de constituer un gouvernement d’union nationale avec le Hamas ; l’UE suspendit aussitôt son aide budgétaire ainsi que tout projet mené en coopération avec le gouvernement. Un nouveau mécanisme d’assistance fut établi dans lequel le secteur privé et les ONG locales et internationales furent invités à se substituer à l’AP. Ce boycott diplomatique et financier conduisit à une crise politique sans précédent et au durcissement des divisions inter-palestiniennes.

La suite, on la connait : la guerre entre factions rivales à Gaza débouchant sur le coup de force du Hamas, le blocus de Gaza, la dérive de la démocratie israélienne vers le suprémacisme juif et l’accentuation de la politique d’apartheid.

Non, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas !

Il faut avoir tout cela en mémoire pour comprendre la rage des opprimés à qui on ne laisse aucune solution que la violence. Car quoique fassent les Palestiniens, qu’ils lancent des pierres, protestent en masse sur les checks-points, manifestent pacifiquement contre le mur dans les villages menacés, s’opposent aux expulsions de leur maison à Jérusalem, organisent des actions de confusion nocturne pour rendre la vie des colons insupportable ; ce sont toujours des terroristes pour la puissance occupante ! En 2000, après l’échec des accords de Camp David, le travailliste Ehud Barak avait déclaré qu’il n’y avait plus d’interlocuteur palestinien ! Depuis 23 ans, pas un seul gouvernement israélien n’a repris des négociations sérieuses avec l’Autorité palestinienne.
Aujourd’hui, à Gaza, il y danger de génocide et d’une nouvelle Nakba. Les colons se sentent les mains libres pour expulser les Palestiniens de leur terre en Cisjordanie, l’armée pour en finir avec la résistance dans les camps de réfugiés. Chaque jour, des morts dans le camp de Jenin. C’est toute une jeunesse qui est assassinée !

Eradiquer le Hamas, disent-ils ! Et tous nos thuriféraires médiatiques de renchérir. Surtout pas de cessez le feu : il faut en finir avec les terroristes. C’est certainement pour « éradiquer le Hamas » que la violence prend des accents de pogroms en Cisjordanie, que la ferme de Fayez et Mona, à Tulkarem, a été une fois de plus, détruite.

De dangereux terroristes ? Fayez et Mona sont un couple merveilleux, qui ont subi toutes les injustices qui résument la Palestine... Lui est communiste, les deux sont enfants de réfugiés ; Mona a grandi au camp de Balata, c’est une enfant de la première Intifada. Ils se battent dans un combat inégal pour défendre leur terre qui a le malheur de se trouver le long de la ligne verte. Leur exploitation avait déjà été détruite trois fois au moment de la seconde Intifada. Ils ont perdu beaucoup d’hectares par le mur qui passe sur leur propriété prise en tenaille entre ce mur et une usine chimique israélienne de type Seveso. Avec acharnement, Mona et Fayez ont reconstruit leur ferme dans un choix écologique de développement durable, innovant dans la permaculture, la protection des semences ; recevant des jeunes étudiants pour les sensibiliser à la souveraineté alimentaire. Fayez et Mona sont des résistants non violents de tous les combats. L’action de l’armée d’occupation détruisant de nouveau leur ferme démontre si nous avions besoin de preuves que ce qui se joue aujourd’hui, c’est bien la volonté d’en finir avec les Palestiniens.

Voilà le piège de la revanche orchestré par Israël.

Aujourd’hui, Gaza anéantie, plus de 20 000 morts, plus de 5 000 enfants tués, des dizaines de milliers de blessés, une situation sanitaire désastreuse, des centaines de Palestiniens assassinés en Cisjordanie.

« Réduire en cendres Gaza est une tragédie sans nom qui se déroule avec la bonne conscience occidentale de légitime défense d’Israël. Et après les massacres, quoi ? » Interroge Denis Sieffert dans Politis.

La seule solution : revenir au droit international. Exiger la fin de l’occupation et de la colonisation, le respect des droits des Palestiniens à leur souveraineté, et travailler à une solution politique. Et dans l’urgence : cessez le feu ! Qui aura le courage de sire « Stop ! » à Israël ?

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