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"Qui ne crierait pas lorsque les enjeux sont aussi élevés ?"

[article du 15 octobre 2011] Note du traducteur : On a enfin une explication de la haine des journalistes "mainstream" envers Julian Assange. Et où l’on trouve aussi la confirmation de ce que je répète à qui veut bien l’entendre : les journalistes ont réécrit l’histoire et rejeté sur Julian Assange leurs propres erreurs, amateurisme et coups bas pour sortir "blanchis" de l’histoire. Ils ne pouvaient pas faire autrement que d’étouffer sa voix.

La divulgation n’est pas une simple action, c’est un mode de vie.

À mon avis, elle est porteuse de sens et de sensibilité : vous êtes ce que vous savez, et aucun État n’a le droit de vous diminuer. Beaucoup d’États modernes oublient qu’ils ont été fondés sur les principes des Lumières, que la connaissance est un garant de la liberté et qu’aucun État n’a le droit de rendre la justice comme s’il s’agissait d’une simple faveur du pouvoir.

La justice, à juste titre, est un contrôle du pouvoir, et nous ne pouvons nous occuper du peuple qu’en veillant à ce que la politique ne contrôle jamais absolument l’information.

C’est une question de bon sens. C’était autrefois le premier principe du journalisme dans tous les pays où la presse est libre. Au début de nos relations avec les partenaires des médias, je savais que je leur offrirais, à un moment donné, la possibilité de se joindre à nous pour publier un gigantesque lot de câbles diplomatiques. J’attendais, pour laisser les journaux de guerre afghans et irakiens voir le jour de la manière la plus mesurée et la plus prudente possible.

En raison de la surveillance et de l’attitude agressive du Pentagone à mon égard, j’ai voulu faire des copies des câbles pour en assurer la garde. Je n’étais pas satisfait de l’évolution du Guardian, mais mon attitude était "mieux vaut que le diable que tu connais". Le New York Times s’était montré lâche, et je n’étais pas prêt à travailler à nouveau avec eux. J’ai donc copié les 250 000 documents et je les ai d’abord cachés auprès de mes contacts en Europe de l’Est et au Cambodge. Je les ai aussi mis sur un ordinateur portable crypté et je l’ai fait livrer à Daniel Ellsberg, le héros des documents du Pentagone. Le fait de le donner à Dan avait une valeur symbolique pour nous. Nous savions aussi qu’on pouvait lui faire confiance pour publier le tout en temps de crise.

J’ai demandé une lettre signée par le rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, garantissant que le matériel resterait confidentiel, que rien ne serait publié avant que nous soyons prêts à lancer l’opération et qu’il ne serait pas stocké sur un ordinateur connecté à Internet ou à un réseau interne. Rusbridger a accepté et nous avons signé la lettre. En retour, j’ai produit un disque crypté avec un mot de passe et ils avaient le matériel. C’est alors que le journaliste principal est parti en vacances en Écosse, tout en joie et en bonne humeur, prêt à lire le matériel et à rester en contact avec le projet futur.

Avec l’affaire suédoise [quand Assange a été accusé d’agression sexuelle par deux femmes en Suède] maintenant dans l’air, il y avait une ambiance certaine de commérage parmi les partenaires médiatiques.

Cela m’a étonné, car beaucoup d’entre eux sont des journalistes d’investigation, et vous imaginez qu’ils en savent quelque chose sur les calomnies et l’hystérie quand il s’agit de parias politiques. Un homme, par exemple, qui travaillait pour le Bureau du journalisme d’investigation a soudainement dit à ses collègues qu’il ne "monterait pas sur une tribune avec un violeur". Certains de ces hommes ont plus de squelettes dans leurs placards que le cimetière de Highgate, mais ils se sont emparés de mes problèmes avec une joie sans équivoque.

Aucun ne m’a demandé comment cela s’était passé, ni comment j’allais, ni si j’avais besoin de quelque chose : ils ont simplement répondu comme si les allégations effrayantes étaient de la "fumée" qui ne pouvait pas exister "sans feu".

Après s’être frayés un chemin sur le dos de notre organisation, deux de ces partenaires médiatiques ont commencé à se comporter comme si je représentais un risque moral. Rien n’avait changé dans le matériel, rien n’avait changé dans notre passion de le révéler, mais de fausses allégations avaient été faites contre moi, ce qui a fait que ces hommes ont augmenté leur mauvais comportement et les stéréotypes qu’ils avaient sur moi au point que c’en était fou.

Il y avait des histoires incroyables dans les câbles : 25 millions de dollars de pots-de-vin à des politiciens en Inde, donnés en connaissance de cause par des diplomates américains apparemment sanguins ; des signes d’ingérence américaine continue dans la politique haïtienne ; des révélations qu’un candidat à la présidence péruvienne avait pris de l’argent à un présumé trafiquant de drogue ; des niveaux sans précédent de lobbying de diplomates auprès de gouvernements étrangers au nom de sociétés américaines ; des politiciens en Lituanie payant des journalistes pour une couverture positive ; et même l’espionnage par des diplomates américains de leurs collègues aux Nations unies.

Les câbles allaient être sensationnels, mais à ce stade, ils n’étaient pas tout à fait prêts. Tout éditeur digne de ce nom l’aurait compris : il était plus important que n’importe quel scoop que le matériel soit correctement préparé et que les sources soient protégées. C’était la priorité numéro un. Mais pas pour The Guardian. Dès que le journaliste principal est rentré de vacances, il a commencé à me harceler au sujet de la publication. Il a dit qu’un journaliste rival avait une copie des câbles et qu’il menaçait clairement leur exclusivité.

J’ai enquêté sur cette affaire. Il s’est avéré que notre collègue islandais Smá’ri McCarthy avait effectivement partagé le matériel avec le journaliste pendant un moment d’anxiété.

Stressé par sa charge de travail, McCarthy les lui avait partagées à tort - pour obtenir de l’aide - sous certaines conditions strictes. Il a ensuite piraté l’ordinateur à distance et effacé les câbles, bien qu’il ne soit jamais certain qu’il les ait copiés ou non. L’argument du journaliste du Guardian est qu’il cherchait à le vendre.

Je ne peux pas vous dire combien de fois nous avons rencontré des gens - des gens qui se considèrent comme des militants - se comportant comme des brutes de la bourse lorsqu’il s’agit d’une marchandise qui les intéresse. Vous pouvez les entendre aiguiser leurs haches en se rendant à l’abattoir.

Le journaliste principal du Guardian a déclaré que tout cela était très menaçant et qu’il voulait se précipiter la publication. Je lui ai dit que nous n’étions pas prêts et que nous avions un accord écrit. Il est parti en colère et nous n’avons pas eu de ses nouvelles.

Il est apparu plus tard qu’il avait déjà copié le matériel pour le New York Times. Ils se préparaient à publier sans tenir compte des questions importantes - des questions de vie et de mort - derrière les documents. Comme des bandits avides, imprudents et maudits, ils allaient tirer sans sommation, peu importe qui se trouvait en travers de leur chemin. Le journaliste du Guardian s’était comporté de façon lâche et désordonné, et était bien content de faire plaisir à son journal et à ses héros de l’autre côté de l’Atlantique, tout en nous jetant le tout sur la tête sans prévenir... WikiLeaks pouvait aller se faire pendre à l’arbre le plus proche.

Il fallait simplement que nous ayons un peu de temps. C’était plus profond que ce qu’ils pouvaient comprendre, dans leur folie de jeunesse meurtrière, mais nous devions avoir le temps de nous y préparer. J’ai appelé Rusbridger et il a accepté que je vienne pour discuter. Je savais qu’ils nous doublaient, sans même avoir les couilles de le dire. Nous sommes entrés dans le bâtiment avec mon avocat, Mark Stephens, et nous nous sommes retrouvés face à face avec le journaliste principal à côté des escaliers.

J’ai dit : "Bonjour".
"Oh-oh", a-t-il dit, surpris.

J’ai dit : "On descend et on se voit plus tard. Nous voulons juste clarifier quelques points qu’Alan Rusbridger nous a montrés."

Je n’ai jamais vu le visage de quelqu’un s’effondrer comme ça. Il est devenu blanc. En s’éloignant, notre groupe a dit qu’il ressemblait à quelqu’un surpris avec l’arme du crime à la main.

Nous sommes montés pour voir Rusbridger. Le rédacteur en chef de Der Spiegel est entré. Je criais, presque certainement, et j’ai demandé à Rusbridger, à bout portant, s’ils avaient donné le matériel au New York Times. Il a esquivé la question.

"La première chose à faire", lui ai-je dit, "est d’établir qui a une copie du matériel. Qui n’en a pas et qui en a une ? Parce que nous ne sommes pas prêts à publier. "

Son regard a balayé la pièce. Il ne savait pas où regarder.

"Avez-vous donné une copie des câbles au New York Times ?"

Je n’ai pas arrêté de les presser. "Nous devons comprendre à quel genre de personnes nous avons affaire. Avons-nous affaire à des gens à qui on peut faire confiance à leur parole ou non ? Parce que si nous n’avons pas affaire à des gens dont nous pouvons faire confiance aux écrits, alors..."

Il semblait maintenant que tous ne savaient plus où regarder. C’était comme un dessin animé, tous ces hommes adultes se trouvant dans l’incapacité de faire face à la vérité de ce qu’ils avaient fait, ou d’avancer un argument pour essayer de se défendre. Plus tard, on me qualifiera de fou pour leur avoir crié dessus. Mais qui ne crierait pas, alors que les enjeux étaient si importants ? Qui ne se mettrait pas en colère contre ces petits cons qui se cachent dans leurs bureaux de verre ? Il est vite devenu évident pour tout le monde que le refus d’Alan de répondre à la question était un aveu. Ce n’est que pour des raisons légales qu’il ne disait pas "oui" ou "non".

Mon respect pour cet homme s’est effondré... voici ce type, le rédacteur en chef d’un important journal, une institution, un homme plus âgé que moi et avec une question cruciale devant lui, et ce que nous obtenons, c’est des yeux qui tournent dans tous les sens comme des billes sur un bâton de pogo. Je n’arrivais pas à croire que j’étais témoin de cela.

Nous avons fini par en débattre pendant sept heures, puis nous sommes descendus pour trouver un plan.

Le Guardian savait depuis le début ce qu’il voulait faire - il voulait publier tout de suite. Der Spiegel essayait d’être ami avec tout le monde. La vérité, c’est que nous n’étions pas prêts à publier et que nous étions sous la pression de ces gens qui nous harcelaient depuis des semaines et qui étaient maintenant prêts à porter le coup de grâce. Au centre de leur colossale vanité entachée, ils avaient oublié qui nous étions et comment nous étions arrivés dans cette pièce. Ils nous considéraient maintenant comme une bande de pirates informatiques bizarres et de délinquants sexuels.

Mais nous connaissions notre matériel et nous connaissions notre technologie ; ces gars jouaient selon les plus vieilles règles du métier.

J’ai laissé entendre que je donnerais immédiatement la totalité de la cache de matériel à Associated Press, à Al Jazeera et à News Corp. Je ne voulais pas le faire, mais je le ferais s’ils ne jouaient pas le jeu.

Ils ont dessoûlé et ont commencé à parler plus raisonnablement de la manière dont la publication pourrait être gérée.

Il s’est avéré plus tard, par l’intermédiaire des gars du Spiegel, que le Guardian était prêt à nous "entuber" depuis le début. Ils travaillaient avec le New York Times et étaient prêts à se lancer sans même nous le dire, et sans nous donner la chance de préparer les données correctement ou de nous préparer à une attaque.

C’est dire à quel point The Guardian se souciait des principes en jeu. La transparence ? Vous plaisantez, j’espère. Une nouvelle génération de libertaires ? Ils ne pouvaient pas s’en soucier moins.

Un nouvel état d’esprit de révoltes populaires dans le monde et un nouvel esprit de dire la vérité au pouvoir ? Le Guardian - le journal le plus mal nommé au monde - a beau publier photo après photo depuis la place Tahrir, ils étaient prêts à vendre tous les principes ou les balancer par dessus bord.

La tentative du journaliste principal de donner à son journal un dernier coup de pouce avant de prendre sa retraite a laissé son journal à bout de souffle libéral. Lorsque la droite américaine a réclamé ma mort, le Guardian n’a pas publié un seul article pour ma défense. Au lieu de cela, ils ont demandé à mon vieil ami, le journaliste des enquêtes spéciales, d’écrire une sale petite attaque contre moi.

"Strewth" [apparemment une contraction entre « vérité » et « distordue » - NdT] , comme on disait. La vie était plus facile quand mes ennemis n’étaient que des fourmis qui courraient sur mes jambes et me mordaient à mort. Au moins, à cette époque, j’avais le soleil de mon côté. Mais dans notre nouveau genre d’entreprise, on se remet vite des coups de pied de la vieille garde quand on est à terre.

Nous avions un mois pour mettre les câbles en bon état, et ce serait le mois le plus exaltant de ma vie. Les câbles allaient montrer au monde moderne ce qu’il pensait vraiment de lui-même, et nous avons travaillé toute la nuit dans une maison de campagne anglaise pour respecter l’échéance.

La neige avait commencé à tomber et elle recouvrait uniformément la campagne du Norfolk. Il n’y avait aucun moyen de savoir que la maison allait devenir ma prison pour un bon bout de temps [1 an - NdT].

Julian Assange
15 octobre 2011

Traduction "je comprends maintenant leur haine" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» https://www.smh.com.au/entertainmen...
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