L’auteur est journaliste (ex. correspondant en Tunisie du journal Le Soir belge), étudiant en maîtrise en Communication Publique à l’Université Laval (Québec), membre de l’Association pour les Droits de la Personne au Maghreb (ADPM) et responsable des relations avec les médias au sein de la Coalition Québec/Palestine [1].
27 septembre 2002
Il y a 2 ans, jour pour jour, éclatait la deuxième Intifada dans les Territoires occupés. Quel bilan pouvons-nous faire de ce soulèvement populaire ? A quoi ressemble la vie des Palestiniens, aujourd’hui ? Est-il encore réaliste de parler de paix dans cette région du monde ? Même si cet article n’a pas la prétention de répondre en totalité à ces questions qui font quotidiennement les manchettes des journaux à travers le monde, nous tenterons d’exposer un point de vue pacifique, résolument opposé aux massacres et solidaire des revendications légitimes du peuple palestinien.
Deux ans après le début de l’Intifada, il existe encore aujourd’hui un mythe entretenu par la propagande israélienne et ses relais dans le monde, notamment le puissant lobby juif aux États-Unis qui veut que le Président Arafat ait refusé les « offres généreuses » du premier ministre israélien de l’époque, Ehoud Barak. Bien sûr, il n’en est rien. Pour comprendre les raisons de ce soulèvement, il convient de revenir un peu en arrière.
Une partie de « poker menteur » à Camp David
Après une année de gouvernement (1999-2000) caractérisée par de nombreuses tergiversations et déclarations contradictoires [2], M. Barak décide de jouer son va-tout en convoquant, à la hâte, une réunion au sommet à Camp David (du 11 au 25 juillet 2000). Le but avoué de cette rencontre, à laquelle sont présents les principaux négociateurs israéliens et palestiniens sous une houlette américaine, est de régler les dossiers en suspens, notamment les délicates questions du droit au retour des réfugiés et du statut de la ville de Jérusalem.
La version israélienne de ce sommet veut qu’Israël ait proposé aux Palestiniens 97% de la Cisjordanie ainsi que la totalité de la bande de Gaza et qu’en raison de l’intransigeance d’Arafat concernant le droit au retour des réfugiés, les Palestiniens ont raté une chance unique pour une paix durable dans la région.
Cette version est contredite par des faits tangibles. Il est d’abord significatif de noter que la partie israélienne n’a jamais consigné ses « propositions généreuses » dans un document écrit. Jamais la partie israélienne n’a proposé aux Palestiniens un État viable. On suggérait tout au plus, un pseudo-État composé de quatre cantons (la Cisjordanie du Nord, la Cisjordanie Centrale, la Cisjordanie du Sud et Gaza) dont l’économie dépendrait de facto, d’Israël. Le futur « État » ne devait avoir aucun contrôle sur ses propres frontières, espace aérien et ressources en eau. Il n’a jamais été question, lors de ces négociations, de démantèlement des colonies et encore moins du droit au retour des 3,5 millions de réfugiés palestiniens ; droits pourtant reconnus explicitement par les Nations Unies. Nous y reviendrons.
Le processus de paix vole en éclat
En s’engageant dans un processus de paix qui se voulait intérimaire, les Palestiniens renonçaient clairement aux buts originaux de la lutte pour la libération de leur pays [3]. A la « destruction de l’État d’Israël » s’est peu à peu substitué un discours plus modéré et plus réaliste qui se réclame du droit international et qui calque ses demandes sur les résolutions des Nations Unies [4]. Même si ce revirement n’a jamais fait l’unanimité au sein de la classe politique et de la société palestinien ne, l’Autorité Palestinienne a réussi à l’imposer au nom de « l’intérêt suprême de la nation ».
Conscients du déséquilibre total des forces entre eux et les Israéliens (soutenus à bras le corps par les États-Unis), les Palestiniens s’étaient peu à peu résignés à ne revendiquer que 22% de la Palestine historique. Ainsi, ils abandonnaient 23% de plus de territoires que ce qui avait été octroyé à Israël par le plan de partition de l’ONU, en 1947. Ils reconnaissaient l’État d’Israël et aspiraient à des relations normales avec leurs voisins.
Dès le début de processus de paix à Madrid en 1991 puis à Oslo en 1993, il était établi que les bases des négociations allaient être les résolutions onusiennes. Il s’agit, en particulier, des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU qui ordonnent à Israël le retrait aux frontières d’avant le 5 juin 1967 [5], de la résolution 194 qui reconnaît le droit au retour des réfugiés palestiniens, de la résolution 465 du Conseil de sécurité qui demande le démantèlement des colonies [6]. D’autres questions comme l’eau (un enjeu stratégique dans la région) et la sécurité étaient également sur la table des négociations.
Au début des années 1990, les Palestiniens, voyant leurs conditions de vie se détériorer (spoliation des terres, pauvreté, précarité, chômage...), ont accepté un accord intérimaire qui était censé apporter des améliorations concrètes dans leur vie quotidienne et ce, dans un laps de temps relativement court (cinq ans) qui devait par la suite déboucher sur la proclamation d’un État palestinien conformément aux résolutions des Nations Unies. Au lieu de cela, les Palestiniens ont souffert de restrictions plus pesantes sur leurs déplacements et d’un déclin sérieux de leur situation économique. Les colonies israéliennes se sont étendues à un rythme sans précédent [7] et les échéances ont été sans cesse repoussées.
Le 28 septembre 2000, la visite provocatrice d’Ariel Sharon à l’Esplanade des mosquées (le Mont du temple pour les Juifs), escorté par des centaines de soldats israéliens, a fini par exaspérer les Palestiniens. La deuxième Intifada, après celle de 1987, éclatait.
Pendant les trois premiers mois de la révolte des pierres, l’armée israélienne a usé de toute sa férocité pour faire le plus de morts possible. Entre le 29 septembre et le 31 décembre 2000, plus de 300 morts palestiniens tués lors de manifestations ont été dénombrés [8]. Et depuis le début de l’Intifada, les incursions, les « assassinats ciblés » et « l’usage excessif de la force » [9] par Tsahal sont devenus le pain quotidien des Palestiniens [10]. Aujourd’hui, les analystes s’accordent pour dire que cette « stratégie du pourrissement » était planifiée par le bourreau de Sabra et Chatila [11] en vue de son élection à la tête du gouvernement israélien. Son programme, exclusivement militaire, promettait aux Israéliens de leur garantir sécurité et prospérité [12].
Élu haut la main (plus de 62% des Israéliens ont voté pour son parti) en février 2001, Sharon n’a pas déçu ses électeurs en continuant son entreprise guerrière contre le peuple palestinien et ses dirigeants élus. Au 26 septembre 2002, le bilan de la deuxième Intifada, en terme de pertes humaines, est édifiant : 1869 morts côté palestinien et 614 côté israélien [13].
Le prétexte des attentats-suicides et de la « lutte conte le terrorisme (palestinien) »
Les attentats-suicides qui visent des civils sont non seulement moralement inacceptables mais aussi politiquement inefficaces et contre productifs. Le meurtre prémédité de civils israéliens ne fera pas avancer la cause palestinienne d’un iota. Bien au contraire.
Ceci dit, il convient d’expliquer, sans pour autant les justifier, ces attentats.
Les attentats suicides sont la conséquence et non la cause de la politique d’occupation israélienne. Ainsi, entre le 16 décembre 2001 (date de la trêve décrétée par Yasser Arafat et acceptée par tous les mouvements palestiniens, y compris les islamistes) et le 10 janvier 2002 (assassinat « ciblé » de Raed Al-Karmi, une des figures du Fatah à Tulkarem), il n’y a eu aucun attentat suicide. De même, la terre entière a assisté au cours du mois de juillet 2002, pourtant marqué par une diminution considérable desdits attentats, au meurtre, en une seule nuit, de 17 personnes (dont 10 enfants) suite à un raid nocturne et au largage d’une bombe d’une tonne par des F16 israéliens (de fabrication américaine) sur un quartier résidentiel à Gaza.
Gaza étant un des endroits les plus denses au monde (plus de 1 million de personnes sur quelques kilomètres carrés), l’argument de l’armée israélienne (Tsahal) selon lequel elle n’était pas informée de la présence de civils dans ce quartier résidentiel, aurait pu prêter à sourire si les circonstances le permettait !
Massacrés, déportés, emprisonnés et quotidiennement humiliés et ce, depuis des dizaines d’années, les Palestiniens ne peuvent se laisser mourir. Les plus optimistes croient encore au processus de paix [14]. Les autres, de plus en plus nombreux, sont séduits par un discours islamiste radical qui porte souvent une connotation anti-juive [15]. Au vu de la situation décrite ci-dessus, comment pouvons-nous sérieusement leur reprocher ces sympathies ? Comment faire pour qu’un peuple, qui vit des horreurs quotidiennes, ne se radicalise pas ? Comment oublier que c’est Israël qui a encouragé la montée en puissance des mouvements intégristes dans le but affiché de rompre l’unité palestinienne, lors de la première Intifada (1987-1993) [16] ?
Les « raccourcis » médiatiques
Contrairement aux apparences, cette section n’a pas pour but de dénigrer le travail médiatique. Étant personnellement journaliste, nous sommes conscients des contraintes politiques, économiques et structurelles qui peuvent peser sur le travail médiatique. Nous saluons le courage des confrères qui essayent de couvrir des événements extrêmes au risque de leur liberté et parfois même de leur vie.
Par contre, nous stigmatisons les facilités de langage et les raccourcis dangereux qui biaisent la compréhension et peuvent induire les lecteurs en erreur. Venant des grandes agences de presse et des plus influents quotidiens internationaux qui façonnent, en grande partie, l’opinion publique, cette altération peut s’apparenter à une faute professionnelle grave. Nous en voulons pour exemple, la couverture médiatique des deux derniers attentats-suicides, survenus les 18 et 19 septembre 2002.
L’Agence France Presse (AFP) [17] a parlé d’attentats qui venaient « (rompre) une accalmie de six semaines en Israël ». Le Soleil (Québec) du 20 septembre a repris cette même dépêche en titrant que « L’accalmie était un leurre ». De son côté, le journal Le Monde [18] précisait qu’« Après un mois et demi de répit, c’est la deuxième attaque-suicide en deux jours (...) ». Un peu plus prudente, l’Associate d Press (AP) [19] signalait qu’ « après une relative accalmie d’un mois et demi, les attentats-suicides reprennent de plus belle en Israël ».
Là où les journalistes ont vu une « accalmie » voire un « répit », les Palestiniens ont comptabilisé 65 morts parmi les leurs, souvent lors d’actes d’assassinat. Pendant cette même période, les destructions de maisons, les couvre-feu et les arrestations intempestives n’ont pas connu de « relative accalmie ». Alors que Washington s’empressait de condamner l’attentat du 19 septembre, aucune des victimes palestiniennes décédées entre le 4 août et le 18 septembre 2002 (période pendant laquelle il ne s’est produit aucun attentat suicide) n’a eu le droit à autant d’égards. Ainsi, n’est-on pas en droit de penser que, pour la communauté internationale, le meurtre des Israéliens est plus « condamnable » que celui des Palestiniens ? Comment nous empêcher de croire que les relations internationales sont totalement faussées et que le seul principe qui compte réellement est celui de : « Un poids, deux mesures » ?
Une extraordinaire solidarité internationale
Pendant que l’armée d’occupation israélienne continue ses exactions, la solidarité internationale avec le peuple palestinien est exemplaire. Les missions civiles d’observation, les marches quotidiennes, les millions de manifestants dans le monde arabe et musulman, en Europe, à Washington, en Australie et au Canada [20] ont envoyé à leurs gouvernants respectifs un message clair : Vous devez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour faire cesser les massacres. L’humanité ne peut rester sourde aux cris des « réfugiés dans leur propre pays » du camp de Jénine. Elle ne peut pas tolérer qu’Israël soit au dessus du droit intern ational. Aucune personne éprise des valeurs universelles de liberté, de dignité et de tolérance ne peut accepter de se taire devant de pareilles atrocités.
Ces manifestations montrent, si besoin est, que c’est le gouvernement israélien, et non l’Autorité Palestinienne, qui est aujourd’hui isolé. D’un côté, le peuple palestinien, convaincu de la justesse et de la légitimité de la cause qu’il défend, continue sa marche vers l’édification d’un État indépendant. De l’autre, Israël se rend de plus en plus compte de son isolement international (à l’exception notable du soutien inconditionnel, militaire et économique, apporté par les USA) et du gouffre auquel le mène la politique d’occupation conduite par un extrémiste sanguinaire. En Israël même, des voix juives et israéliennes, au sein de mouvements progressistes et pacifistes, se lèvent pour dénoncer l’occupation et pour réclamer la reconnaissance des droits des Palestiniens. Des soldats refusent de servir dans les Territoires occupés. L’opinion publique israélienne se demande, de plus en plus, s’il n’est pas encore temps de reve nir à la légalité internationale. Il est de notre devoir d’appuyer ces idées et ces mouvements qui sont moins minoritaires qu’il n’y paraît.
En ces temps difficiles où la population et la direction légitime palestiniennes sont assiégées, nous devons nous élever contre ces injustices. Dire « Non » à ce qui se passe en Palestine, c’est aussi une expression de notre attachement à la justice et à la liberté.